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la feuille volante

L'herbe rouge

 

N° 1464 Mai 2020.

 

« L’herbe rouge » suivi de « Les lurettes fourrées » - Boris Vian – Jean Jacques Pauvert Éditeur.

 

L’herbe rouge est l’avant dernier roman de Boris Vian (1920-1959) publié en 1950 .

Ici, Wolf et Saphir ont inventé une machine à remonter le temps qui permet de se libérer de ses angoisses en les détruisant. Comme à son habitude l’auteur entraîne son lecteur dans son univers personnel et poétique que ses romans précédents, par l’alchimie de son langage, ont rendu presque coutumier, fait d’ironie créative, de jeux sur les mots, d’animaux qui parlent, de situations inattendues qu’il manipule à l’envi. Il tisse ainsi un monde parallèle, souvent outrageusement coloré, où les choses les plus ordinaires n’ont pas la même valeur ni les mêmes réalités, où ses personnages sont partagés comme lui, entre un appétit de liberté et une sorte de refoulement, comme Wolf et ses obsessions culpabilisantes et surtout comme Saphir qui voit constamment un homme qui le regarde en silence quand il est avec son amie. Cet aspect des choses me semble être évoqué dans la virée que font les deux hommes dans le quartiers des amoureuses. Pourtant, dans ce roman, et au-delà de cette histoire qu’il faut sans doute dépasser, Boris entend faire passer un message, celui de ses angoisses personnelles, de ses ressentiments. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, il égrène les allusions à sa vie personnelle qu’il évoque sous le couvert de l’humour dont on dit qu’il est la politesse du désespoir ou qu’il permet de rire des choses plutôt que d’avoir à en pleurer. C’est l’époque des relations difficiles entre lui et Michelle Léglise, il a déjà rencontré Ursula Kübler qui deviendra sa deuxième épouse et cette situation le perturbe. Boris enfant a été surprotégé par sa mère à cause de l’état de sa santé chancelant. Il a reçu une éducation bourgeoise et catholique où il convenait de faire des études et de réussir dans la vie ce qu’il a fait en devenant ingénieur. Pourtant Wolf, et donc Boris, exprime face au vieil homme de la plage tout le ressentiment qu’il éprouve face à cette enfance, à cette éducation, à la religion, à cette société et même aux idées métaphysiques de son époque, autant de freins à son appétit de vivre. L’épisode de sa rencontre avec cet homme, qui est aussi un fonctionnaire borné, fait sans doute allusion à ses difficultés financières et fiscales du moment. Mais ce n’est pas tout, Wolf qui incarne peut-être le mieux Boris, est soumis à un jeu de questions qui explorent son passé personnel et intime à travers les discussions qu’il a avec des personnages comme Perle et Brul et aussi les deux vieilles demoiselles de la plage ou Carla. Cette analyse fait appel à la psychiatrie qui se nourrit de la mémoire et des fantasmes parfois refoulés des patients mais dont Boris semble nous dire qu’elle est limitée voire vaine et sans grand effet thérapeutique à cause des blocages qu’elle peut révéler sans les résoudre. Il en résulte une impression de solitude et de malaise.

Le personnage de la femme est central dans ce roman, mais on pourrait s’attendre à une évocation très personnelle de Boris en faveur de sa mère qui l’a surprotégé en étant d’une attention de tous les instants pour ce fils fragile. Mais ici, l’image de la femme est incarnée alternativement par Folavril et Lil mais aussi par Carla. Elles disparaissent toutes, Carla dans une sorte d’évanouissement maritime qu’on peut interpréter comme une impossibilité définitive et surtout les deux compagnes de Saphir et de Wolf qui elles se révèlent à la fin sous leur vrai jour, celui de deux femmes qui se sont lassées de cette relation un peu trop sérieuse, qui semble leur préférer des Don Juan de sous-préfecture et des amours de contrebande passagers et libres et qui considèrent les hommes comme des êtres futiles qu’on peut éventuellement humilier par vengeance. Elles trouvent, elles aussi, leur salut dans la fuite.

Il ne faut pas non plus perdre de vue que Boris avait prédit qu’il n’atteindrait pas quarante ans. A l’époque de ce roman il ne lui reste que neuf ans à vivre et même s’il ne le sait pas, il sent l’échéance se rapprocher. Le titre, à cet égard, est significatif, l’herbe c’est l’environnement, image qui revient souvent et le rouge (qui annonce la rivière rouge de l’arrache-coeur) c’est la couleur du sang, de la mort rappelée par la disparition de Wolf et de Saphir.

Ce volume est suivi de trois nouvelles (« Le rappel », « Les pompiers », « Le retraité »), reliées sous le titre « Les lurettes fourrées » parues à titre posthume en 1965 et qui n’ont rien à voir avec ce roman. Vian qui est toujours sensible à la beauté des femmes y poursuit son parcours sur le mode absurde et de l’humour caustique, des jeux de mots, des situations surréalistes, des critiques, notamment de la religion, mais le thème qui s’impose le plus est celui de la mort.

 

©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

 

 
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