la feuille volante

Le dimanche des Rameaux

N°1688 – Novembre 2022

 

Le dimanche des Rameaux - Claire Sainte-Soline - Grasset

 

L'actualité a tiré le petit village de Sainte-Soline (Deux-Sèvres) de son anonymat et de sa torpeur à cause du dossier compliqué et controversé des "bassines", ces grandes retenues d'eau destinées à l'irrigation estivale des cultures. Sans vouloir prendre position sur ce qui semble vouloir être un catalyseur politique de la contestation, je me suis souvenu que ce nom a aussi été porté par une sainte inconnue du calendrier mais aussi par une femme de Lettres, malheureusement oubliée, Claire Sainte-Soline (1891-1967), de son vrai nom Nelly Fouillet, qui adopta pour pseudonyme le nom d'un village deux-sévrien proche de son lieu de naissance. Elle fut une scientifique doublement agrégée de physique-chimie et de sciences naturelles, chercheuse universitaire, conférencière mais également enseignante pour obéir à son père, instituteur. Elle enseigna notamment à Blois, à Grenoble, à Paris et également à Fès au Maroc.

En 1934, elle publia son premier roman "Journée" qui évoque un village poitevin, ce qui lui valut l'attention d'André Gide puis plus tard de François Nourissier et le Prix Minerva. Cet ouvrage sera le début d'une vingtaine de romans et de quatre nouvelles, œuvres publiées quasiment annuellement. Elle donna également des conférences dans le cadre de "l'université populaire"pendant son séjour à Niort. Son style lui valut des éloges des critiques littéraires de l'époque, elle manqua d'une voix le Prix Femina en 1957 (avec « La mort de Benjamin » publié chez Grasset), ce qui lui conféra une certaine notoriété et lui valut son siège, l'année suivante, au jury de ce même Prix. Elle fut également membre du jury du "Prix du roman populiste". Elle voyagea dans toute l'Europe, en Inde et au Japon et publia des récits de voyages ("Grèce", "Maroc"), un ouvrage de vulgarisation scientifique ("Petite physique pour les non physiciens") et la traduction d'un roman grec. Sa fille, Paulette Coquard qui naquit de son bref mariage avec l'artiste peintre Louis Coquard fut la première épouse de Pierre Moinot (1920-2007) romancier et académicien.

Son écriture, influencée par sa formation scientifique et de sa qualité d'enseignante, est précise, sobre, rigoureuse et rappelle le style des écrivains du XIX° siècle. Avec une certaine ironie, elle se révèle une observatrice attentive de l'espèce humaine, de son immoralité et de sa dureté. L'atmosphère de ses romans est sombre, lourde, les personnages sont souvent lâches et violents, parfois laissés pour compte, marqués par la révolte due à des fractures douloureuses que seul l'amour de la nature peut atténuer. Tout au long de sa vie et de son œuvre elle a fait montre d'un grand humanisme, d'un esprit libre frondeur voire anticonformiste (Elle déclara que « l’art est un guet-apens » et que, à ses yeux l’écrivain n’avait pas droit à plus de considération qu’un boulanger) , mais resta fondamentalement classique en refusant le "Nouveau Roman".

Son nom a été donné à une allée à Niort où elle est inhumée, l'école de Melleran où elle est née porte son nom mais il semblerait qu'à l'exception du "dimanche des rameaux" (Grasset) aucun de ses romans n'ait été réédité.

« Le dimanche des Rameaux » publié en 1952 et réédité en 1997 est, nonobstant son titre printanier, un ouvrage sombre qui met en scène Marie, la narratrice, une femme mariée à Lucien, un sculpteur raté en mal d'inspiration et de commandes, ce qui compromet la situation financière du ménage. Cela n'empêche pas son mari d'imposer sous le toit conjugal, Berthe, son modèle qui est aussi sa maîtresse et une autre femme, Caroline, une danseuse qu'il veut séduire. Mina, l’enfant du couple que Lucien frappe souvent, lutte contre une grave crise d’appendicite et ce mini-harem sur lequel règne Lucien se complète avec la présence d'Alice, la servante. En ce dimanche des Rameaux, Marie, après l’avoir longtemps supportée par amour pour Lucien mais aussi peut-être par fatalisme mais surtout en souffrances, prend conscience de sa situation matrimoniale désastreuse définitive face à ce tyran domestique mais trouve le courage d'ironiser sur cet échec. La décision qu'elle prend et qui est le résultat d’une longue réflexion en fait un roman très actuel dont l'action respecte la classique unité de temps puisqu'il se déroule en vingt-quatre heures. Notre auteure, dans un texte fort bien écrit et agréable à lire, mène une remarquable analyse psychologique de ses personnages et se révèle être une observatrice attentive de l’espèce humaine plus spécialement dans les relations du couple. Elle montre la soumission de Marie puis sa révolte, dépeint Lucien comme un être violent, paresseux, un pervers d’une solide mauvaise foi. Marcel Arland a salué ce roman comme "une double satire : une satire, la plus virulente, contre la monstrueuse tyrannie de l'homme, son égoïsme, son inconscience… mais une satire aussi, mêlée de pitié, contre la faiblesse de la femme et sa complaisance dans l'humiliation".

 

Les événements de Sainte-Soline n’ont rien à voir avec cette auteure mais il serait bon que ses œuvres se retrouvent dans les rayons des librairies et des bibliothèques pour une redécouverte.

 

 
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