la feuille volante

LA ROUTE – Cormac Mac Carthy

 

N°530– Juillet 2011.

LA ROUTE Cormac Mac Carthy – Éditions de l'olivier. [Prix Pulitzer 2007]

Traduit de l'américain par François Hirsch.

 

Le décor est dantesque, un spectacle de fin du monde ou plus exactement un monde détruit en presque totalité par quelque chose comme une explosion nucléaire ou un cataclysme qui auraient anéanti une grande partie de la planète. Dans ce décor apocalyptique où tout est réduit en cendres encore fumantes, où les seuls humains qui restent sont devenus anthropophages, un père et son fils cheminent sans vouloir s'arrêter dans le froid et la nuit. Ils n'ont pas de nom, comme pour signifier que ce monde est à ce point déshumanisé. L'auteur les appelle respectivement « l'homme » et «  le petit ». Ce dernier est un enfant de cinq ou six ans qui pose sans cesse des questions inquiétantes sur les gens qui les entourent ou qu'ils rencontrent au gré de leurs pérégrinations. Ils sont devenus de véritables bêtes. Nos voyageurs n'ont pour seul bagage qu'un caddy de supermarché qui contient toute leurs richesses de survie, couvertures et nourriture. Un sac à dos recevra ce contenu en fin de parcours. Un révolver leur sert de protection illusoire.

 

Doit-on voir là la métaphore d'un paradis perdu [« Autrefois il y avait des truites de torrents dans les montagnes... Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. »], d'un monde qui est le nôtre et qui court inévitablement à sa perte, du retour de l'homme à l'état sauvage, de l'instinct de survie, de l'abandon de tout ce qui a fait l'humanité et l'humanisme, du retour de la barbarie, de sa solitude ? Les personnages qu'ils rencontrent dans cette fuite sont eux aussi en recherche de quelque choses. Eux aussi marchent vers un lieu différent mais qui est censé leur servir de refuge. Ils sont souvent hostiles et fantomatiques, en instance de mort, ou simplement des cadavres. Je note que malgré tout, l'homme et l'enfant marchent sans désemparer vers une destination inconnue, au sud, mais qui semble les attirer inexorablement. Quand ils atteignent la mer, ils errent dans un paysage désolé et hostile dans lequel « l'homme » finira par perdre la vie parce que la maladie le mine. Peut-on y voir une explication sombre et désespérée qui serait par exemple celle de l'inutilité d'une action inutilement répétée, une sorte de mythe de Sisyphe, [la route est forcément un horizon sans fin], l'image de la condition humaine qui est promise à la souffrance et à la mort ? Le père est malade et l'enfant, dénutri, au bord de l'épuisement et, apparemment, cette marche inexorable dure depuis longtemps et a des chances de se poursuivre... Jusqu'à quand ? L'homme mourra mais ce ne sera cependant pas une mort violente, simplement un sorte de passage, comme s'il se dissolvait dans ce décor macabre. A la fin, l'enfant, livré à lui-même trouvera un autre homme et sa femme qui lui serviront de parents, ce sera pour lui, comme un nouveau départ. Il n'oubliera cependant pas celui qui fut son père et qui le guida. Doit-on y voir la marque de l'espoir, d'une certaine confiance en quelque chose qui pourrait ressembler à une divinité, à un improbable salut ? Les deux protagonistes « portent le feu », sont des « gentils », comme le couple qui recueillera l'enfant mais le monde autour d'eux est peuplé de « méchants ». On songe, évidemment que la mort est au bout de ce chemin, même si l'enfant peut, en lui-même, incarner le renouveau, un espoir pour cette humanité en perdition, le relais qu'un père passe à son fils. C'est un livre hautement symbolique sur la vie humaine, transitoire, qui porte en elle à la fois la destruction et la transmission.

 

J'ai choisi d'y voir l'évocation, certes romancée et habillée différemment, de notre monde au quotidien voué à la réussite personnelle, à la destruction par l'homme de son prochain au mépris de tout ce qu'on a pu nous dire sur sa supposée grandeur ! J'ai toujours cru que les hommes sont les destructeurs de la planète qu'ils habitent et qui pourtant est irremplaçable et unique. Ils sont eux-mêmes les plus grands prédateurs de leur espèce et ce ne sont pas des entreprises individuelles louables mais promises à l'échec qui peut racheter leurs méfaits.

De ce roman initiatique, je retiens aussi la chaine humaine et la vie qui se transmet de génération en génération.

 

Les dernières lignes se veulent porteuse d'espoir, mêlant Dieu au souvenir de ce père qui a guéri son fils et l'a amené vers l'âge adulte. [« Il essayait de parler de Dieu, mais le mieux c'était de parler de son père et il lui parlait vraiment et il n'oubliait pas. La femme disait que c'était bien. Elle disait que le souffle de Dieu était encore le souffle de son père bien qu'il passe d'une créature humaine à une autre au fil des temps éternels. »] Je ne suis donc pas sûr qu'il s'agisse réellement d'un roman de science-fiction, bien au contraire !

 

J'avoue que j'ai été très décontenancé par cette écriture volontairement sèche et brève dans les dialogues et très économe dans les descriptions autant que par l'histoire elle-même. C'est pourtant un livre fascinant ou l'auteur s'attache son lecteur jusqu'à la fin.

 

  ©Hervé GAUTIER – juillet 2011.http://hervegautier.e-monsite.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
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