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la feuille volante

Articles de hervegautier

  • Le Horla et autres nouvelles fantastiques

    N°1819 – Janvier 2024.

     

    Le Horla et autres nouvelles fantastiques –

     

    Quand il publie le Horla, dans sa deuxième version, en 1887, Maupassant n’a plus que six ans à vivre, est gravement malade de la syphilis dont il mourra. Il y avait déjà eu une épure, « Le journal d’un fou », paru dans le quotidien « Gil Blas ». Cette maladie a pour conséquences de susciter chez lui des manifestations de phobie.

    C’est une longue nouvelle fantastique et psychologique présentée sous la forme d’un journal intime dans laquelle le narrateur se croit poursuivi par une créature invisible qu’il baptiste du nom de « Horla ». Il passe par différentes étapes, troubles du sommeil ,somnambulisme, paranoïa, crises d’angoisse, hallucinations, terreur, magnétisme, transmission de pensée pour terminer sa triste et solitaire progression vers la démence par une volonté de suicide. Dans les autres textes, cette ambiance malsaine, d’ailleurs associée à des lieux précis, souvent obscurs (la nuit, les revenants, l’eau noire et profonde), mystérieux ou porteurs de légendes populaires et de vieilles croyances médiévales qui nourrissent son malaise, ses cauchemars, son sentiment de possession, de duplication, d’obsession que sa vie oisive de bourgeois fortuné augmente, évoquent les affres de la mort. Cette progression intime et irrésistible de la folie se rencontre aussi dans le choix arbitraire de l’éditeur de publier certaines nouvelles dans ce recueil est révélateur d’un homme, certes désireux de demeurer seul face à la société qu’il fuit, ce qui peut être considéré par certains côtés comme une réaction saine et résulter d’une observation pertinente des choses, mais les termes employés, la tension présente au sein de ce texte trahissent un replis sur soi-même et la marque du délire.

    Le style est, comme toujours chez Maupassant, fort agréable, poétique, ce qui fait de lui un formidable conteur. J’ai toujours l’impression, quand je lis un texte de lui, de retrouver une vieille connaissance.

     

  • Les clés du couloir

    N°1818 – Janvier 2024.

     

    Les clés du couloir – Fanny Saintenoy – Arléa.

     

    Petra, traductrice hispanophone et poète, mère célibataire, amoureuse de la chanson française, de la littérature, de la vie, est incarcérée en France pour athéisme ce qui est considéré comme un vice, une folie, une révolte. Elle choisit de correspondre avec un homme qu’elle aperçoit depuis sa geôle, Omeg, un homosexuel juif, prisonnier lui aussi dans un autre pénitencier, considéré comme un dégénéré à cause de son orientation sexuelle et de sa religion. Elle fait transiter ses lettres par l’intermédiaire de Constance, une jeune novice, gardienne de sa cellule que cette relation avec Petra et à travers les mots perturbe durablement au point de se remettre en cause, de bousculer les règles de sa fonction et de son ordre, de douter de son engagement personnel et religieux. Elle prend conscience quelle devient détentrice d’un pouvoir, celui des mots, celui aussi de peser sur cette relation qui la dépasse. Elle rencontre la méfiance de sa hiérarchie et l’étonnant silence de Dieu.

    Le roman est en principe une fiction, c’est à dire une histoire qui doit tout à l’imagination de son auteur. Nous sommes en France, c’est à dire dans un pays heureusement laïc, à l’abri d’une religion d’État, où les cultes sont libres, où on peut croire ou ne pas croire à une divinité. Ce ne fut pas toujours le cas au cours de notre histoire et les appétits des religieux pour le pouvoir temporel, le rétablissement d’un ordre morale dans une société jugée dépravée et la mise en place de mesures coercitives, restent entiers. Cela se manifeste partout dans le monde et c’est bien souvent la source de conflits meurtriers, au nom notamment du prosélytisme, de l’oubli des principes fondateurs remplacés par des dogmes de circonstance alors qu’en principe les religions portent en elles un message de tolérance et d’amour. Actuellement le catholicisme est en régression eu égard aux exactions enfin révélées de son clergé mais le principe judéo-chrétien de culpabilité reste vivace et entretient un terrain favorable au retour à un ordre moral et au manichéisme.

    Soyons justes la tentation d’un petit nombre de peser sur une collectivité et de lui imposer ses vues ne se limite pas aux religions et vaut évidemment pour le pouvoir politique sous toutes ses formes. Il applique d’ailleurs les mêmes règles et plus ou moins les mêmes valeurs avec les mêmes actions coercitives de harcèlement, d’atteintes aux libertés, de répétition continuelle des mêmes choses souvent fausses, de séances de rééducation au nom et au service d’une idéologie totalitaire, c’est à dire de la domination de quelques-uns sur leurs semblables, la soif de pouvoir. Il tend à l’uniformité, un peu comme si l’individualisme, l’originalité étaient destinés à être constamment la victime de la pensée unique et que l’instinct grégaire devait prévaloir. Nous vivons une époque actuelle où les tentations sont grandes de recourir à la manipulation, la violence, la guerre pour obtenir l’anéantissement d‘une société et son remplacement par une autre. La tentation est toujours grande de marcher hypocritement dans ce jeu ridicule, de faire semblant.

    Ce roman épistolaire à trois personnages consacre la force des mots. Je l’’ai apprécié parce qu’il est bien écrit et d’une lecture facile mais également parce qu’il est le prétexte à une réflexion sur les choses de notre vie, de nos habitudes, de nos convictions souvent solides, une prise de conscience de réalités bien actuelles dans une période où le monde s’enflamme, où les hommes ont une furieuse envie d’en découdre dans une irrationnelle volonté d’autodestruction.

     

     

  • Le peintre d'éventail

    N°1817 – Janvier 2024.

     

    Le peintre d’éventail – Hubert Haddad – Zulma.

     

    C’est grâce à Xu Hi-Han, devenu enseignant-chercheur à l’université que l’histoire de Matabei Reien nous est révélée. Avant qu’il ne devienne universitaire, le narrateur alors âgé de 18 ans avait connu par hasard cet homme plus âgé que lui, retiré dans les montagnes du Japon, pour recevoir l’enseignement d’un jardinier, peintre d’éventail et amoureux de la poésie. Quelques jours avant le séisme de 1995, à la suite d’un accident de la circulation dont il était responsable et qui avait coûté la vie à une jeune fille, MatabeiIl s’était retiré du monde dans cette pension de famille tenue par une ancienne prostitué, Dame Hison, et avait pris la suite du vieux jardinier. Xu avait à son tour suivi l’enseignement de l’ermite mais s’en était séparé. La modeste vie de Matabei, aussi impalpable que le vent, s’est inscrite à travers le regard de trois femmes, la jeune fille de l’accident, celui de la propriétaire de la pension de famille où il était devenu jardinier et celui d’Enjo, une jeune japonaise mystérieuse et insaisissable dont les deux hommes étaient amoureux et qui provoqua leur séparation.

    Les descriptions sont poétiques, parsemées d’haïkus et le style de l’auteur épouse parfaitement l’ambiance de ce roman qui prête au lecteur attentif un dépaysement bienvenu, toute la culture du Japon traditionnel, son mode de vie fait de silences, de réflexion et de respect de la nature, bien différent de l’image moderne que nous donne ce pays, industriel, pressé, soucieux de réussite. La recherche menée par Matabei est apaisante comme un jardin japonais, importante parce que éminemment personnelle, intemporelle, apparemment inutile puisqu’elle porte sur le vent qu’on fait avec un éventail et évidemment transitoire avec la mort comme seule issue parce que nous ne sommes que de passage.

     

     

  • Utrillo, mon fils, mon désastre

    N°1802– Novembre 2023

     

    Utrillo, mon fils, mon désastre (selon Suzanne Valadon) – Corinne Samama – Ateliers Henry Dougier

     

    Prenant prétexte de quelques mots qu’une Suzanne Valadon vieillissante, prostrée dans une chambre d’hôpital, confie au lecteur anonyme, l’auteure, dans un récit qui tient du roman autant que de l’histoire, s’approprie la vie de cette femme et surtout les rapports compliqués qu’elle a eus avec Maurice Utrillo, ce fils né d’un père inconnu alors qu’elle n’avait que 18 ans. Cette bâtardise qui lui rappelle tant la sienne, la détermine à l’abandonner aux bons de sa mère et pourtant elle s’attache viscéralement à lui et le soutiendra toute sa vie, malgré son alcoolisme, ses crises, ses révoltes, ses menaces. Cette abnégation maternelle est pourtant un paradoxe qui va de son soutien constant à son opposition à son mariage avec Lucie, une jeune veuve, sa meilleure amie, alors qu’il a 52 ans ! A ses yeux ce mariage tarirait son inspiration mais mettrait aussi fin à la situation de profiteur de son second mari, Utter, dont elle est pourtant follement amoureuse, avec qui elle forme un couple atypique où la sensualité le dispute à la violence, mais qui la trompe. D’ailleurs la vie sentimentale du couple mère-fils est quelque peu bouleversée et bouscule les conventions morales de l’époque, Maurice épousant une jeune et riche veuve, Suzanne, le meilleur ami de son fils !

    Il y a aussi une dimension de jalousie maternelle puisque Maurice et elle sont des autodidactes de la peinture mais la facilité et le succès consacrent son génie à lui qui n’éclate que grâce à l’alcool. Il réalise ainsi les propres rêves artistiques de Suzanne qui, malgré un talent indéniable et le soutien de grands artistes de l’époque, était fondée à s’imaginer une célébrité légitime qu’elle n’a pas vraiment eue. Cette frustration baigne ses propos désabusés où se mêle également une culpabilité qu’elle tente d’exorciser en un procès à la fois fictif et pathétique.

     

    Le style gouailleur de ce livre m’évoque parfaitement cette femme, à la fois marginale, fantasque, aimant la vie, l’amour, l’art et la liberté. Avec ce roman, bien documenté, j’ai eu plaisir à retrouver Utrillo, ce peintre emblématique de son époque, mais aussi sa mère, Suzanne Valadon, malheureusement un peu oubliée aujourd’hui, qui fut son soutien malgré ses déceptions et leurs relations difficiles et orageuses, leurs échecs.

     

    Je retiens de ces deux personnalités la remarque de Robert Rey, historien et critique d’art « Utrillo et Valadon sont deux êtres qui s’aiment et se ratent en permanence ».

     

  • La tresse

    N°1816 – Janvier 2024.

     

    La tresse – Laetitia Colombani – Grasset.

     

    Le livre refermé, je suis partagé à la suite de cette lecture et ce malgré tous les compliments qui ont été formulés à son sujet. C’est un premier roman et à ce titre, j’y suis toujours attentif d’autant qu’il est bien écrit et qu’au fil des pages j’ai vraiment été pris par l’histoire et j’ai eu très envie d’en connaître la fin. L’écriture est un vrai travail qu’il convient de respecter, c’est, au-delà des mots, à la fois un plaisir et une souffrance parce qu’on ne décide pas d’écrire par hasard et qu’on met dans cet exercice toujours un peu de soi-même.

    A partir d’une perruque qui est devant elle, l’auteure nous conte l’histoire qu’elle imagine derrière ce postiche, celle de trois femmes courageuses qui ne se connaissent pas, ne se rencontreront jamais, qui appartiennent à des catégories sociales bien différentes, qui habitent sur des continents différents mais qui pourtant sont liées sans le savoir par des cheveux. La symbolique de la tresse prend ici tout son sens, celui de la chevelure aussi qui est en occident, un des symboles de la beauté et de la féminité, en Sicile celle du travail des femmes qui transforment cette « matière première », et en Inde celle de l’unique richesse des pauvres.

    Smita est une intouchable, une Dalit, dont le travail, depuis des millénaires, est de ramasser la merde des autres. Elle veut que sa fille Lalita sorte de cette caste et pour cela elle préconise l’éducation et, s’échappant symboliquement de leur village, elles font ensemble le sacrifice de leur chevelure à Vishnou, mais il y a fort à parier que ce sacrifice, même s’il est fait dans un cadre religieux fervent, restera du domaine de l’illusion. Je suis un béotien dans la domaine des sectes hindoues mais il me semble que pour les Dalits comme Lalita, même si leur sort s’est amélioré notamment depuis l’indépendance, même si de rares personnalités ont réussi a s’en émanciper, il me semble qu’il lui sera difficile voire impossible de sortir de sa caste. Giulia, la Sicilienne, sauvera peut-être l’entreprise familiale de fabrique de perruques grâce à l’achat des cheveux offerts par les Hindous à leur dieu, et donc symboliquement ceux de ces deux femmes, mais rien n’est sûr. Sarah, est une brillant avocate canadienne atteinte d’un cancer qui a tout sacrifié pour son métier mais qui, une fois sa maladie révélée, se voit lâchée par ses collègues de travail parce que la société dans laquelle elle vit ne connaît que la réussite, la jeunesse, l’efficacité. Elle retrouvera peut-être confiance en elle et en l’avenir grâce l’achat d’une perruque mais sa sacro-sainte carrière sera sacrifiée. Même si elle a recours à la chirurgie, même si son état de santé s’améliore, sa vie sera toujours impactée par ce mal. Ainsi ai-je eu un peu de mal à partager la conclusion de l’auteure malgré tout l’espoir qu’elle suscite.

    Un roman c’est souvent de la fiction et même si ici les faits relatés empruntent beaucoup à la réalité de ces femmes, aux circonstances de leur quotidien, cela ressemble un peu trop à un « happy end » si absent de la vraie vie. Face à cette condition humaine l’amour ne pèse rien, les larmes, les illusions, la chance, les bons arguments logiques et salvateurs, Dieu et ses miracles, les encouragements stériles et hypocrites des autres, les sacrifices personnels non plus, mais la vie continue et avec elle cette solitude prégnante, cette volonté constante de l’homme de détruire son prochain, pour prendre sa place et réussir à son détriment, ou pour le détruite simplement et se prouver ainsi qu’on existe.

    Je reconnais volontiers à ce roman une riche documentation notamment sur l’Inde, son mode de vie, son organisation, ses croyances. On entend dire que c’est la plus grande démocratie du monde, peut-être, mais j’ai du mal à y croire notamment en ce qui concerne les disparités sociales, le système des castes et le sort qui est fait aux femmes, aux veuves en particulier. Je veux bien croire à la belle histoire d’amour de Giulia, a sa volonté de garantir du travail à ses ouvrières et ainsi à sauver son entre mais quant à ce qui arrive à Sarah, en plus de la solitude et l’abandon de la part de ses collègues, de la maladie, de la chimio, de la calvitie, de l’ablation d’un sein, je l’ai surtout lu comme une étude sans concession sur ce qu’est la vie au travail, sur le destin qu’on ne choisit pas et auquel on n’échappe pas.

     

     

  • La femme paradis

    N°1815 – Janvier 2024.

     

    La femme paradis – Pierre Chavagné – Le mot et le reste.

     

    Titre assez étrange qui peut donner lieu à des interprétations nombreuses et bien différentes, et pourtant ! En réalité c’est le récit d’une femme qui, volontairement s’est retirée du monde, de la civilisation, de l’amour, de ses études et depuis de nombreuses années s’est réfugiée au cœur d’une forêt. L’obligation de survivre lui fait découvrir le monde sauvage et ses régles, peut-être aussi dures que celles du monde qu’elle a choisi de fuir mais auxquelles elle s‘adapte en donnant à sa vie un mode spartiate, solitaire, indépendant . Elle s’est coupée du monde corrompu et violent mais garde un œil sur lui, par méfiance, pour sa sécurité mais son vrai lien avec lui se fait à travers la lecture. Parfois on sent des regrets et quand elle croise un humain qui pourrait empiéter sur son territoire, elle l’élimine. Cette remise en question sonne comme une contestation, comme une libération d’elle-même qui lui convient, malgré la trace de Pierre qui a partagé sa vie et qu’elle croit mort lors d’une insurrection meurtrière. A-t-elle un compte à régler avec les hommes devenus pour elle des proies ? Elle souhaite tourner la page de sa vie antérieure, de cette vie en société, de ses souvenirs, pour renaître dans la forêt dont elle adopte le rythme de vie, le langage, s’exprime comme elle par des cris qui ont pris dans sa bouche la place des mots que pourtant elle pratique sous la forme de l’écriture qui est l’apanage des solitaires. Avec elle, elle souhaite marquer ainsi son passage sur terre. Ses mots ont des accents d’aphorismes à la fois définitifs et ultimes. Elle prend conscience qu’elle est un être violent et meurtrier qui s’arroge le droit de disposer de la vie d’autrui, cette vie qui tient finalement à bien peu de chose. Elle se rend compte que certes la société qu’elle a quittée est une prison qu’il lui arrive de regretter par moments quand sa mémoire se peuple de l’image des siens, mais celle qu’elle a conçue autour d’elle présente beaucoup de similitudes avec celle qu’elle a choisi d’abandonner. Alors, retour à la nature, pourquoi pas surtout face à une société qui chaque jour davantage se délite, une vie qui vous échappe, des souvenirs qui vous assaillent au point de devenir des obsessions insupportables. La réalité se rappelle à elle sous la forme d’une détonation, trahissant une présence humaine qui menace le microcosme qu’elle a crée autour d’elle mais qu’elle ne parvient pas à trouver.

    Le texte alterne ses propres remarques et pensées, ses regrets et les descriptions, poétiques, ses émotions et le récit du narrateur, plus descriptif .

    On lit rarement les « remerciements » de l’auteur à tous ceux qui lui ont accordé leur attention, leur confiance, leur amitié pour que naisse ce livre. Je choisis d’en retenir les premières lignes, celles qui parlent de la genèse de l’écriture, de l’inspiration dont on ne sait jamais d’où elle vient et à qui on la doit, « l’imagination (qui) a ses mystères qu’il convient de chérir et de préserver ». Pourtant, le livre refermé, je prends conscience que j’ai mené cette lecture avec intérêt, dans l’attente de l’épilogue mais que, nonobstant le style de son auteur, fluide, poétique dans ses descriptions et agréable à lire, il m’a surtout inspiré de l’angoisse.

  • Messieurs les ronds de cuit

    N°1814 – Janvier 2024.

     

    Messieurs les ronds-de-cuir - Georges Courteline – Flammarion.

     

    C’est un roman en six tableaux publié en 1891 dans « l’écho de Paris » en feuilleton et adapté plus tard au Théâtre et au cinéma. C’est une chronique qui a pour décor le Ministère de l’Intérieur où le jeune Lahrier est employé en qualité d’expéditionnaire. Il est habitué à un absentéisme chronique et, pour une fois qu’il était présent à son bureau est surpris par son chef en train de lutiner sa maîtresse au point que ce dernier lui demande si la Direction des Dons et Legs où il est affecté est une administration ou une maison de tolérance.

    Dans cet ouvrage qui fit le succès de Courteline, on assiste aux errements bureaucratiques sans grands intérêt qui suscitent cependant des polémiques inutiles de la part d’hommes de deux génération différentes qui cohabitent, jaloux les uns des autres, prompts à créer entre eux des polémiques, on rencontre tout un panel de personnages égarés dans la Fonction Publique, des farfelus, des envieux, des frustrés, des paresseux, des érudits, des ignares, des amateurs beaucoup plus attachés à autre chose qu’à un travail pour lequel ils sont pourtant payés. Au-delà des faits rapportés dans cet ouvrage qui ne manque pas d’humour bien qu’il se termine par l’élimination physique d’un membre de la hiérarchie, ce qui n’est pas commun, c’est aussi l’occasion de déclarer sur son cercueil des mots de reconnaissance qu’on se garda bien de prononcer de son vivant, où la mauvaise foi le dispute à l’euphémisme. Ce que je retiens, c’est surtout l’étude de cette faune de bureau, autant dire de l’espèce humaine en générale, cette ambiance délétère du monde du travail où chacun s’attache à se faire valoir en en faisant le moins possible tout en dénigrant le travail de ses collègues, en agissant parfois avec un zèle qui n’a d’égal que la volonté de tresser entre eux des inimitiés durables, beaucoup plus fortes que les pseudo attachements publiquement proclamés, la recherche de l’avancement, des honneurs, des privilèges, de n’importe quelle forme de reconnaissance qui flattera leur ego et les distinguera des autres. Pour cela on ne négligera ni l’obséquiosité, ni la flagornerie, ni la délation, ni le clabaudage, ni les chicaneries, ni la mauvaise foi voire le mensonge pourvu qu’on arrive à ses fins et si à l’occasion on peut écraser quelqu’un, lui porter un préjudice durable, on n’en sera que plus satisfait. Dès lors, faire son travail n’est assurément pas une assurance de promotion qu’on réservera de préférence aux incompétents. J’y vois, malgré le comique de situation savamment construit, une évocation du « mille-feuilles administratif » et de sa gabegie si souvent dénoncés par les politiques mais jamais vraiment réformés mais aussi une pertinente étude bien actuelle.qui ne se limite pas pour autant à la Fonction Publique, même si les administrations et leurs agents sont souvent la cible privilégiée des polémistes. Karl Huysmans, fonctionnaire lui-même, qui ne passait pourtant pas pour un comique, s’était déjà livré à ce genre de littérature dans une courte nouvelle légèrement antérieure, intitulée « La retraite de Monsieur Bougran » où il raillait non les hommes mais surtout les errements administratifs et les différentes façons réglementaires de rédiger courrier et notes de service, mais cette œuvre, refusée par les éditeurs en son temps, est longtemps restée inconnue..

     

    J’ai également goûté le verbe de Courteline, la rédaction gourmande des descriptions et des évocations d’un auteur qui n’eut qu’à puiser dans son expérience personnelle de fonctionnaire.

     

     

     

     

     

  • Contes et nouvelles

    N°1813 – Janvier 2024.

     

    Contes et nouvelles – Guy de Maupassant – Albin Michel.

     

    Guy de Maupassant est un homme de lettres normand et le paysage qu’il voit  a influencé son écriture, ce qui fait de lui un écrivain impressionniste, jouant sur les couleurs, l’eau, le littoral, les falaises et les paysages de l’arrière-pays et pas seulement parce que la Normandie a inspiré les peintres.

    Maupassant a été le témoin de son temps, de la société dans laquelle il vit, de l’existence des paysans de son terroir normand, attentif aux plus humbles mais aussi à, la société des hommes riches et notables, de leur travers, de leur hypocrisie, de leur goût effréné pour l’argent, pour la réussite sociale, pour l’adultère et la séduction, l’attitude des femmes entre calcul et naïveté. Sa vie familiale a été bouleversée par la séparation de ses parents et, à ce titre, l’auteur est attentif à tout ce qui touche la famille et notamment au fait que les paysans pauvres confient parfois un de leurs nombreux enfants à des familles plus riches mais sans descendance, les enfants naturels ou adultérins dont on se débarrasse, les maîtresses qu’on cache. Ces pratiques se retrouvent dans certaines de ses nouvelles. Il préférait la compagnie de femmes légères et de prostituées et.s’est d’ailleurs contenté lui-même de former un couple illégitime avec Joséphine Litzelmann, une jeune femme rencontrée lors d’une cure, La bâtardise et l’abandon ont été une obsession pour lui qu’on disait être le fils de Flaubert et cela hante son œuvre, tout comme l’argent qui achète tout et qui fut un moteur de ce Second empire dans lequel il a vécu.

    Il reste qu’avec sa belle écriture il est un admirable conteur, maître de la nouvelle et du conte. J’ai eu plaisir, avec cette lecture, de renouer avec une vieille connaissance et de ressentir à nouveau un grand plaisir de le relire.

     

  • Décaméron

    N°1790– Novembre 2023

     

    Décaméron – Neuf nouvelles d’amour – Boccace -Gallimard.

    Version bilingue traduite de l‘italien par Serge Stolf.

     

    C’est un recueil de neuf nouvelles d’amour écrites pendant la peste à Florence de 1349 à 1353. Dix jeunes gens se réfugient à la campagne et pour le plaisir inventent chacun un récit par jour. Cela donne 10 histoires pendant 10 jours d’où le titre grec de « Décaméron ». Ce recueil choisit le thème de l’amour. Ces amours sont heureuses, tragiques, humoristiques, émouvantes, contrariées ou insatisfaites. Chaque histoire met en scène des personnages réels mêlés à d’autres imaginés par l’auteur. Chaque texte évoque une facette de l’espèce humaine, la relation entre les hommes, entre fidélité, confiance et trahison, violence, adultère, manœuvres de séduction visant à circonvenir l’amoureux transi, sensualité… c’est à dire l’amour humain, à l’exclusion cependant de l’amour de Dieu. Les femmes à qui ces textes sont dédiés sont présentées comme actrices de leur bonheur mais bien plus souvent comme des victimes face à l’intransigeance et au pouvoir des hommes et de la hiérarchie sociale, au poids de l’Église qui les maintenaient en état d’infériorité. Cet amour, partagé ou non, est parfois sensuel et même en dehors de toute culpabilité. Il est aussi idéalisé, au point que, s’il s’avère impossible, que les parents s’y opposent ou avaient prévu une autre union, seule la mort peut unir les deux amants. Sous la plume de Boccace, les femmes ne sont plus seulement destinées à se marier, à enfanter, à prier et à tenir une maison mais aussi font prévaloir leur envie de jouir de la vie. Ces nouvelles parlent de la séduction au service d’une cause, d’une idée, d’un projet de vie ou d’un caprice passager, de la volonté de faire prévaloir l’amour et son pouvoir sur les hommes avec parfois une fin moralisatrice que n’aurait pas renié La Fontaine. Il y a ce côté mystérieux et aussi fou qui souvent prévaut dans l’amour et qui attache entre eux un homme et une femme sans qu’ils y puissent rien.

    Les textes, écrits en italien et non en latin comme c’était le cas à l’époque, comporteent des allusions érotiques voire grivoises qui en font également l’intérêt mais sont aussi la marque d’une volonté de profiter de la vie comme un bien précieux, menacé en permanence par les guerres ou les épidémies.

     

    La nouvelle est un genre littéraire, bref et en prose, tout à fait nouveau à cette époque, qui tranche sur les pièces de littérature médiévale, souvent didactiques et en vers mettant en scène des aristocrates. Elle a connu un essor au XV et XVI siècle en Italie, jusqu’à nos jours. Elle met en œuvre l’oralité, le dialogue entre les personnages choisis non plus dans la noblesse mais dans la bourgeoisie et le peuple des villes et montre le monde tel qu’il est.

  • Le meilleur des jours

    N°1812 – Décembre 2023.

     

    Le meilleur des jours – Yassaman Montazami – Sabine Wespieser éditeur.

     

    « Le meilleur des jours » c’est la traduction française de Behrouz, le père iranien de l’auteure à qui elle souhaite rendre vibrant hommage après son décès. Pour cela elle choisit l’écriture pour conserver le souvenir de son passage sur terre.

    Il naquit au sein de la bourgeoisie iranienne dans les années 40 et fut envoyé en Sorbonne pour y soutenir une thèse sur l’œuvre de Karl Marx qu’il n’achèvera cependant jamais, mais cette période fit de lui un éternel étudiant stipendié par sa mère, avide de connaissances, un homme épris de liberté, de démocratie et de laïcité, opposant farouche au régime de la révolution islamique, un mari excentrique qui vivait séparé de sa femme sans jamais divorcer tout en qui partageant la vie d’une femme mariée à Téhéran.

    Ce court roman est un hommage poignant d’une fille à son père, avec ses folies, ses facéties, ses irrévérences parfois, son sens de l’hospitalité dont profitaient les réfugiés iraniens dans son appartement parisien, sa générosité , ses failles et ses faiblesses.

    Le style fluide non dénué d’humour rend la lecture facile et agréable.

  • La retraite de Monsieur Bougran

    N°1811 – Décembre 2023.

     

    La retraite de Monsieur Bougran. Joris-Karl Huysmans – Éditions Jean-Jacques Pauvert.

     

    M. Bougran est un fonctionnaire travaillant dans un ministère. Il est intègre, célibataire, zélé, ponctuel, respectueux de la hiérarchie et vit ses fonctions, essentiellement bureaucratiques, comme un sacerdoce. Malheureusement pour lui, à l’âge de 50 ans il est mis à la retraite d’office pour « invalidité morale » alors qu’il est en pleine possession de ses moyens intellectuels et ce au profit d’un autre agent, plus jeune et moins compétent, probablement protégé. Autant dire qu’il est considéré comme gâteux et cette mise à l’écart sonne pour lui comme une injustice puisque l’Administration se prive ainsi d’un savoir-faire, d’une mémoire, d’un serviteur fidèle et lui d’une ambiance de travail qui était toute sa vie. En réaction, et après avoir ressassé cet affront, il recompose fictivement à son domicile son univers perdu en y jetant un regard critique.

    J’ai lu cette courte nouvelle, écrite dans un style un peu suranné mais assurément agréable à lire et en usage à l’époque, qui a été redécouverte par le célèbre avocat, Maître Maurice Garçon, après avoir été, en son temps (1888), l’objet d’un refus au point que son auteur l’avait reléguée dans un tiroir. Pourtant, à bien y réfléchir, ses lignes nous rappellent quelque chose d’actuel. Je passerai sur la critique récurrente des fonctionnaires, souvent désignés comme boucs-émissaires au cours de périodes où l’emploi est menacé, mais je m’attacherai davantage au désarroi de ces salariés âgés qu’on précipite dans un chômage brutal alors que leur vie s’est inscrite dans un travail désormais supprimé pour des raisons comptables. L’ambiance de bureau, les échanges pas toujours d’un niveau élevé avec les collègues mais qui manquent tant à Bougran, n’est pas sans faire penser au télétravail récemment instauré et qui ne fait pas l’unanimité. Il fait également allusion aux promotions qui lui ont échappé pour être données à des collègues moins qualifiés mais assurément plus flagorneurs. Ce genre de procédure d’avancement n’est sans doute pas prête à tomber en désuétude. Son expulsion a certes été précipitée, mais il note que, malgré le décor qu’il tressé à son domicile et qui lui rappelle ses anciennes fonctions, ce n’en est pas moins la consécration de la solitude et l’antichambre de la mort. C’est parfois le cas d’une retraite non préparée.

    Ce que je retiens surtout c’est l’œil que M Bougran, le type même de l’anti-héros, porte sur son époque et sur son ancien univers. Cela ne fut pas difficile à Huysmans qui fut un humaniste, écrivain et critique d’art, et qui passa sa vie au Ministère de l’Intérieur. Il avait déjà évoqué cet univers dans « A vau-l’eau », une longue nouvelle publiée. Le regard qu’il porte sur son ancien univers de labeur est à la fois critique et subtilement humoristique et s’attache non seulement au décor convenu des bureaux, de ceux qui les occupent et leurs manières hypocritement courtisanes mais aussi aux jeunes arrivants, plus préoccupés par leur avancement que par la qualité de leur travail. Ses remarques me semblent particulièrement pertinentes en ce qui concerne la prose administrative et ses nuances protocolaires, une phraséologie digne de Colbert, des formules de politesse hiérarchiquement dosées, des synonymes réglementaires également mesurés, un art consommé de triturer les nuances et de jouer sur les contradictions de manière à rendre parfois compliqué ce qui est simple.

    Cette courte nouvelle est l’occasion de renouer avec l’univers créatif de Hysmans (1848-1907), un écrivain injustement oublié.

     

     

     

  • La maladroite

    N°1810 – Décembre 2023.

     

    La maladroite – Alexandre Seurat – Éditions du Rouerge.

     

    La petite Diana, 8 ans a disparu, enlèvement ou fugue. Un avis de recherche est donc diffusé qui intervient à la suite d’un long processus d’investigations autour d’éventuelles maltraitances familiales. Ainsi chaque personne qui a côtoyé l’enfant, membres de sa parentèle ou agents de l’administration, exprime ses remarques, ses critiques, ses craintes au sujet de Diana. La famille évoque ses devoirs mais aussi sa bonne conscience face à ce foyer, ses obsessions, l’irresponsabilité de la mère à la naissance de sa fille, sa passivité, son défaut d’instinct maternel, l’hypocrisie du père, ses failles dans la façon d’éduquer leur enfant, sa manière d’éluder courtoisement les questions embarrassantes à propos des traces visibles sur le corps de Diana, cette volonté parentale de la rendre transparente voire inexistante, de minimiser ce qui ressemble de plus en plus à des privations et à de mauvais traitements et finalement de soustraire la fillette aux différentes enquêtes. On assiste aussi à la mise en œuvre de la machine administrative, ses rapports et l’usage qu’on en fait, ses procédures, ses insuffisances qui diluent les responsabilités et les obligations, sa volonté de classer cette affaire embarrassante, son souci de ne pas faire de vagues... Il faudra finalement une somme d’actions individuelles, en marge de l’enquête officielle pour faire triompher le bon sens contre la bonne conscience. Face à cette situation la pauvre Diana se montre quasiment complice des violences qui lui sont infligées par les explications voire les justifications qu’elle en donne, se jugeant elle-même malade et maladroite.

    La famille est souvent l‘objet d’un mythe avec tout ce qu’il a de merveilleux attaché à l’enfance, une parenthèse un peu idyllique qui souvent prépare mal à la vraie vie, une volonté de voir les parents comme des éducateurs irréprochables alors qu’ils font parfois prévaloir leur intérêts égoïstes et leur appétit de jouissance avant l’intérêt de leur enfant qu’ils sont censés protéger, refusant les aides, sûrs de leur action éducative et de la qualité de leurs fonctions parentales. Nous savons tous que ce métier est difficile et souvent ingrat mais aussi que derrière le masque de la respectabilité et de l’hypocrisie, l’obsession des apparences, les familles sont souvent le lieu des pires exactions, bien bien souvent tues, que cela touche toutes les couches de la société et n’est évidemment pas l’apanage des plus défavorisés. Ce genre d’excès est sans doute à la marge mais n’en met pas moins en évidence un travers bien réel de l’espèce humaine, à cent lieues de l’image idéale qu’on voudrait y attacher, sa volonté d’affirmer son autorité, celle aussi d’abuser de son pouvoir et de ses droits, qui se transmet de générations en générations, les enfants maltraités maltraitant eux-même souvent et malgré eux, leur propre progéniture.

    Le style est sans fioritures, mêlant styles direct et indirect, ce qui ne gêne en rien une lecture facile où se mêlent l’effroi d’assister à la lente destruction de cette enfant par ses propres parents et l’épilogue tragique. Ce récit est inspiré d’un fait réel, l’affaire Marina Sabatier, et a fait l’objet d’une adaptation cinématographique d’Eléonore Faucher en 2019.

    Un premier roman bouleversant .

  • Comment va la nuit?

    N°1809 – Décembre 2023.

     

    Comment va la nuit ? - Christian Carayon – Éditions Hervé Chopin.

     

    Dans ce coin perdu de Savoie, Anthony va mourir, seul. Lui, l’ex-avocat, brillant et idéaliste, volontiers défenseur des causes perdues, devenu dans ces montagnes un marginal taiseux, sauvage et parfois bagarreur qui a mis fin à une longue errance, est pour les gens d’ici un mystère. Un emploi dans le gîte voisin de Caroline lui permet de survivre et d’apprivoiser ses fantômes, surtout des femmes.. Arrive Victoria, une jeune infirmière et leur amitié met du temps à se tricoter, pourtant leurs parcours ont des points communs, cahoteux. Chacun vient vers l’autre et en parle, mais avec parcimonie, comme pour exorciser un mal, un échec. Dès lors la différence d’âge n’existe plus, seule persiste la crainte de voir l’autre souffrir et peut-être disparaître.

    Pourtant, c’est plutôt la vie d’Anthony qui nous est offerte, difficile, pleine d’un idéal qui va finalement la détruire à petit feu, victime d’une enfance difficile, capable de vouloir retrouver un amour de jeunesse dans l’impossible espoir de le raviver. Adolescent, il a de l’amour une notion romantique, à cent lieues de celle des garçons de son âge et les rapports qu’il peut avoir avec ses semblables se transforment souvent en fiasco. Il va se muer en redresseur de torts, volontiers protecteur de Victoria, pour lui permettre d’échapper à l’injustice qui la menace, sans qu’elle ne lui demande rien et sans rien exiger d’elle en retour. Ce que je retiens au terme de ces trois cents pages, c’est la solitude de cet homme, perdu dans une société où il n’a pas sa place, dont la vraie nature lui échappe, où il tente, parfois maladroitement, d’imprimer sa marque et ses désillusions face à une espèce humaine qu’il ne comprends pas et qui le rejette. Avec au bout la mort comme une délivrance. Les citations de Henry David Thoreau viennent à propos inspirer ce livre.

    Cela m’arrive rarement, mais parfois la lecture d’un roman évoque d’elle-même un tableau, un air de musique… Ici, au fur et à mesure de la découverte des différents chapitres, se sont imposées les notes de la symphonie du destin de Beethoven, cette sorte de certitude que notre vie est toute tracée sans qu’il nous soit possible, malgré toute notre bonne volontés, d’en modifier le cours et que les événements nous arrivent s’imposent à nous, sans que nous y puissions rien, chance ou malchance, au point ne voir en elle qu’une partition écrite à l’avance, incontournable. Je vois dans le titre qui s’inspire d’une réplique de Macbeth une confirmation de cette intuition.

    J’ai eu plaisir à découvrir ce roman qui ne s’annonce pas ainsi, bien écrit et facile à lire, poétique et émouvant par moments. Mais pourquoi avoir commencé cette histoire par la fin ?

     

     

  • L'allègement des vernis

    N°1807 – Décembre 2023.

     

    L’allègement des vernis – Paul Saint Bris – Éditions Philippe Rey.

     

    Il est des romans qu’on lit par habitude, par attachement à un auteur, par obligation et parfois par plaisir. Celui-ci dont l’auteur m’était inconnu puisqu’il s’agit de son premier roman, m’est arrivé par hasard entre les mains et j’ai vraiment eu plaisir à en déguster le style à la fois jubilatoire et délicatement ouvragé, baigné de belles et étonnantes descriptions, d’évocations techniques, d’un humour de bon aloi qui entraînent le lecteur après lui dans un univers inattendu. C’est un peu comme si l’énigmatique sourire de Monna Lisa soulignait la fluidité de la phrase et l‘ harmonie des mots, que l’auteur agrémente parfois d’expressions italiennes si musicales.

    Le titre assez sibyllin évoque une restauration qui entend s’attacher au gommage partiel des différentes couches de vernis qui recouvrent « La Joconde », le chef-d’œuvre de Vinci, lui redonnant ainsi ses couleurs d’origines. C’est à l’évidence un travail minutieux qu’on confiera à Gaetano, un italien, spécialise de la restauration des tableaux. C’est aussi une histoire un peu rocambolesque au terme de laquelle les nouvelles technologies sont mises en œuvre, l’incontournable communication d’internet, de la presse et des réseaux sociaux sollicitée, œil dubitatif et vaguement inquiet d’Aurélien. A cette occasion le lecteur entre dans les secrets du Louvre, le mystère qui entoure l’œuvre, dans la genèse et la vie des tableaux de maîtres, de la technique des pigments et de la lumière, des connaissances et parfois de la suffisance des spécialistes. C’est un peu technique mais intéressant. L’auteur entraîne son lecteur dans les arcanes des commissions avec en prime les avis des autorités, les précisions techniques, la richesse de sa documentation et la pertinence de ses jugements culturels… et, un léger « sfumato » de nostalgie.

    C’est aussi une galerie de portraits pleins de charme et qui, hétéroclites au départ convergent tous vers le même centre d’intérêt, Monna Lisa del Giocondo, plus connue sous le nom de « La Joconde ». C’est celui d’Homero, un banal agent d’entretien chargé du nettoyage du département des statues au Louvre que les œuvres qui l’entourent, auxquelles s’ajoute la musique de Vivaldi diffusée dans ses écouteurs, provoquent chez lui une forme du « syndrome de Stendhal ». Son parcours est original et l’épilogue révèle en lui un poète étonnant. C’est aussi celui celui de Daphné, la nouvelle présidente, le type même du manager, rompue aux idées modernes du marketing et de la gestion des ressources humaines, qui veut reprendre à son compte un projet longtemps repoussé, la restauration de « La Joconde », celui d’Aurélien, directeur du département des peintures du musée, un intellectuel marginal, quelques peu idéaliste et renfermé qui s’oppose à ce projet à la fois dispendieux, risqué et à ses yeux inutile. Gaetano se révèle être un personnage fantasque mais dont ce travail va bouleverser sa vie et peut-être sa propre conception de la beauté.. L’émotion d’Aurélien face au résultat de son travail est saisissante. La beauté des femmes nous est rendue à travers les portraits d’Hélène subjuguée par Homero mais aussi ceux de Guiseppina et de, Lucrezia, les compagnes de Gaetano.

    C’est sans doute aussi une invitation à poser un regard sur notre époque, faite à la fois d’appétits de modernité, de connections, de numérisations, de gestion comptable, de volonté de réussite sociale avec son lot d’hypocrisies, de culte de l’apparence, face aux valeurs traditionnelles et éternelles de l’art. Après cet épisode mouvementé autour de la Joconde ceux qui en furent les acteurs retrouvent leur authenticité, se débarrassant du vernis social et professionnel qui s’attache à eux, peut-être le vrai sens de la vie. ?

    Pour un premier roman, c’est une réussite.

     

     

     

  • Psychopompe

    N°1808 – Décembre 2023.

     

    Psychopompe – Amélie Nothomb – Albin Michel.

     

    Amélie Nothomb publie son traditionnel roman annuel, c’est le 32°.

    Le titre m’évoque la mort ou plus exactement le passage de l’âme des défunts et l’ombre de Charon, d’Hermès, d’Orphée… Le livre débute par une fable nippone un peu triste qui révèle l’amour de l’auteure encore enfant pour les oiseaux. Ainsi voit-on défiler au fil des pages un catalogue ornithologique qui s’enrichit au gré des différents lieux de résidence de son père, diplomate. Ce sera un peu le fil d’Ariane de ce roman même si sa progression passe par des contours assez inattendus. De nouveau elle nous parle d’elle, de sa vie, de sa famille, ce qui est souvent le propre de l’écrivain et j’avais apprécié cette démarche notamment à l’occasion de « Stupeur et tremblements » et de « Premier sang » . Ici , j’ai eu un peu de mal à la suivre mais j’ai lu jusqu’à la fin, par respect pour la démarche de l’auteur et surtout pour m’en faire une idée précise et ainsi pouvoir parler valablement.

    C’est bien écrit, ce qui favorise une lecture à la fois rapide et agréable, mais j’ai eu du mal à suivre son cheminement créatif entre ses malheurs d’adolescente, son agression sexuelle en Inde, sa découverte du latin et du grec ancien et d’Hermès, dieu messager aux pieds ailés qu’elle assimile à l’Esprit Saint qui, dans la religion chrétienne se matérialise par une colombe et dont elle s’imagine l’héritière. Elle évoque son appétence pour « l’ivresse du vide » que le vol, selon elle, procure.et confie au lecteur sa fascination pour le mot « psychopompe », pour son étrange consonance et ses connotations mortuaires notamment dans le contexte du Bangladesh où la souffrance, la faim côtoient la mort, d’où pour l’adolescente qu’elle était alors, une dangereuse anorexie. Puis elle évoque le Mékong qu’elle voit comme l’incarnation du Styx, s’imagine en « cheval de Troie » ou, filant la métaphore de l’oiseau, volant et chantant, affirme, comme l’indique laconiquement la 4° de couverture, qu’ « écrire, c’est voler ». Tout en respectant l’avis de l’écrivain, je ne suis pas sûr de l’accompagner sur ce terrain, pas plus d’ailleurs à propos de tout ce qu’elle dit sur l’écriture qu’elle compare en ce qui la concerne à l’exploration « d’un univers aviaire » ni sur son cursus de femme de lettres, quant à prétendre que l’oiseau est lui-même un psychopompe...

    Je n’ai peut-être rien compris mais ses considérations augmentées de références mythologiques et littéraires, qui certes ne manquent pas d’intérêt, m‘ont paru assez éloignées du sujet. En revanche, j’ai apprécié l’hommage qu’elle rend à son père disparu en 2020, mais qu’elle s’autoproclame psychopompe dialoguant avec lui post mortem ne m’a pas convaincu même si, comme elle l’avoue, ses écrits « incorporent la mort de plus en plus ».

    Un peu décevant quand même.

  • Les volets verts

    N°1806 – Décembre 2023.

     

    Les volets verts – Georges Simenon.

     

    Emile Maugin, la soixantaine, est un acteur de théâtre et de cinéma célèbre et reconnu mais sa santé est fragile malgré sa forte corpulence, à cause des excès de boisson et d’alcove. Son médecin l’avertit d’une perspective fatale. Il se croit obligé, grâce à son succès d’être grossier et odieux avec son entourage, hommes et femmes, un peu comme s’il prenait ainsi sa revanche sur une enfance malheureuse et défavorisée au fin fond du marais vendéen. La maison aux volets verts sur la Côte d’Azur, c’est celle qu’il rêve d’acheter pour sa troisème épouse, Alice, ancienne figurante, évidemment plus jeune que lui, enceinte lors de leur mariage, mais pas de lui, et avec qui il ne parvient pas à faire un vrai couple ni une vraie famille. Cette souffrance se manifeste lors de la rencontre qu’il fait avec l’ancien amant de son épouse. Il veut la mettre à l’abri de l’avenir parce que son état de santé vacillant l’invite à faire le bilan de sa vie finissante et ce n’est guère brillant. C’est la prise de conscience d’une existence faite de fuites des lieux anciens, des gens qu’ils a connus et peut-être de lui-même, d’excès en tout genre et maintenant d’une obsession de la mort et c’est à la suite d’un accident stupide qu’elle aura raison de lui. Ses félures, sa solitude se révèlent tout au long de ce roman et notamment dans ce retour sur lui-même qu’il fait à l’occasion de la visite à son ancien compagnon de planches qui lui n’a pas connu le succès. Dans cette circonstance, il revient sur son passé, sur tous ceux qu’il a croisés, comme une sorte de « jugement dernier », avec, en arrière-plan la douleur et la culpabilité qui le gagnent.

     

    C’est la fin de vie d’un acteur de renom, coincé entre son succès et une enfance désastreuse, son mépris des gens et la peur de sa propre disparition. Ce roman est paru en 1950 et le rôle d’Emile n’a évidemment pas été écrit pour Gérard Depardieu même s’il l’interprète magistralement dans le film de Jean Becker qui s’inspire librement du roman et qui est servi admirablement par son talent, celui de Fanny Ardant et de Benoît Poelvoorde. Il y a bien des similitudes entre ces deux personnages, celui de la fiction et celui de Depardieu, monstre sacré dont les outrances, les frasques et la conduite souvent révoltante traduisent sûrement une forme de fuite mais peut-être aussi la certitude intime que son talent et son succès l’autorisent à penser que tout lui est dû et que tout lui est permis. L’admiration qu’on peut avoir pour le parcours et le talent de l’acteur trouve ici ses limites. Il reste que je suis étonné par le destin de cet homme qui aurait pu être un minable délinquant et à qui la chance a fait rencontrer des personnes influentes qui ont cru en lui et ont ainsi donné un nouveau souffre à sa vie. Destiné, liberté, baraka, allez savoir ?

     

    Simenon ne se résume pas seulement à Maigret. Ce livre vient s’ajouter à tous ceux où l’auteur analyse l’âme humaine avec tous ses replis et tous ses travers, ce qui fait de lui un romancier d’exception.

     

  • L'enragé

    N°1805 – Décembre 2023.

     

    L’enragé – Sorj Chalandon – Grasset.

     

    Ce n’est par parce qu’il portait le nom de Jules Bonneau que son destin le vouait à la délinquance. Pourtant c’était plutôt mal parti pour lui, sa mère qui s’enfuit avec son amant, abandonnant son fils aux soins de son père qui s’en débarrasse auprès de ses propres parents qui le négligent, il n’en faut pas davantage pour que le malheur s’installe dans sa vie. De larcins en actes d’insubordinations et en délits, il se retrouve enfermé à la colonie pénitentiaire de Belle-Ile où il hérite du surnom de « La Teigne », un véritable bagne pour enfants considérés comme irrécupérables et qui y subissent des brimades, des violences, des châtiments. Un peu par hasard, le 27 août 1934, une mutinerie éclate avec évasion de 56 de ces petits bagnards dont évidemment Jules fait partie. Comme le dit le poème de Prévert qui évoque cet événement, « tout autour de l’île, il y a de l’eau » et quitter Belle-Ile est un problème qui s’avère insurmontable. Le poète, en vacances sur l’île à ce moment-là, ne pouvait rester indifférent à cet épisode et publia un texte dans « Paroles » publié en 1946. Les mutins furent repris avec la complicité stipendiée des habitants et des touristes, une véritable « chasse aux enfants », sauf pour Jules. Il y eut cependant une prise de conscience collective à propos des mauvais traitements infligés à ces pensionnaires et même un film inachevé de Marcel Carné [« La fleur de l’âge » de 1947].

    Au-delà de l’histoire, l’auteur imagine le destin de Jules, sauvé par un pêcheur communiste et sa femme et qui parvient à se faire oublier.

     

    J’avais déjà lu, un peu par hasard, « Profession du père » du même auteur ; j’avais apprécié son écriture et sa démarche au regard de la famille et la lecture de ce roman qui rappelle un fait divers oublié, ne m’a pas fait changer d’avis.

     

     

  • La voix des bêtes la faim des hommes

    N°1804 – Décembre 2023.

     

    La voix des bêtes la faim des hommes – Thomas Gilbert – Dargaud (BD)

     

    Je ne suis pas fan de BD et je ne connais pas l’œuvre de Thomas Gilbert mais j’ai simplement lu cet ouvrage en raison de ma participation à un jury littéraire.

    Cette lecture m’a laissé perplexe. Si j’ai bien compris, elle mélange l’ambiance du Moyen-Age, ses dérives religieuses entretenues par la grande peur de l’An mille et ses perspectives de fin du monde, avec pour support l’Apocalypse de St Jean et de ses quatre cavaliers que le peuple rural et illettré n’avait pas lue, et l’interprétation que pouvait en faire l’église catholique, fanatique et oublieuse du message de l’Évangile, sa volonté de régner sur les gens et de jouer sur le salut de l’âme des défunts. Cela a inspiré nombre de théories plus ou moins théologiques de la part d’illuminés, les récupérant à leur profit et les habillant d’effets quelque peu mystérieux qui n’avaient d’autres buts que de maintenir les populations en état de subordination et de terreur et les révélations eschatologiques de l’apôtre y contribuèrent opportunément. Le graphisme et les couleurs de cette BD vont dans ce sens.

    Cette lecture me laisse quelque peu perplexe.

    Le prétexte est l’histoire de Brunehilde, une vagabonde marginale, un peu guérisseuse, qui refuse le mariage et surtout l’enfantement, une meneuse de loups, un animal qui, à l’époque était considéré comme l’incarnation du mal et qu’évidemment il fallait combattre d’autant qu’il hantait les forêts qu’il fallait défricher pour conquérir plus de terres à cultiver. Nous assistons à son parcours dans une nature hostile avec famine, guerres, violences, peur de la mort, nécessité de s’assurer une place en Paradis, volontés humaines de conquêtes d’autant plus illusoires qu’elles sont temporaires … Elle est accompagnée de Paulin, un colporteur plus animé par un esprit plus terre à terre.

    Je n’ai peut-être rien compris mais il me semble que cette BD nous rappelle des évidences, que l’homme est un loup pour l’homme ce qui met à mal la théorie du « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles, que notre monde n’a rien d’idyllique, que l’espoir est peut-être permis mais me paraît à moi illusoire actuellement dans un monde qui explose et bascule de plus en plus dans la violence.

  • Les silences

    N°1803– Décembre 2023.

     

    Les silences – Luca Brunoni – Finitude.

    Traduit de l’italien par Joseph Incardonna

     

    Au milieu eu siècle dernier, dans la montagne suisse rurale, Ida Bülher, une jeune orpheline de treize ans, se trouve placée dans une famille d’accueil qui n’a jamais eu d’enfant, les Hauser. Malgré ce qu’elle a, un toit et de la nourriture, l’ambiance y est malsaine pour elle, entre le travail, l’obéissance et les coups, dans la chaleur de l’été et la froidure de l’hiver. Elle vit avec la culpabilité d’avoir provoqué la mort de sa mère et même si son sort n’est pas enviable, elle le supporte puisque les autres enfants sans famille sont en orphelinat. La perspective d’y être enfermée l’obsède. Dans cette famille un peu fruste, elle est considérée comme une domestique, malgré l’argent de l’État versée à la famille d’accueil. Sa vie est dure, tout entière voué au travail de la ferme, sans grandes distractions, dans un village où on se méfie de l’étranger. La femme , Greta, la déteste et Arthur, son mari, pose sur elle des regards lubriques. Son seul rayon de soleil, c’est Noah, le fils du maire avec qui elle veut seulement parler, mais la règle ici, dans ce village perdu des montagnes, ce sont les secrets et les non-dits, les jalousies, les silences. Noah veut partir de cet enfer, avoir une autre vie comme d’autres l’ont fait avant lui et le mystère enveloppe chaque disparition, entre suicide et fuite, et il veut emmener Ida avec lui pour échapper à ce microcosme rural..

    Après avoir énoncé, dans une première partie tous les sévices que la pauvre Ida doit endurer de la part de Greta, le roman se penche ensuite sur certains des habitants de ce village où tout le monde se connaît, s’observe et se juge. On apprend à connaître leur vie, leur culpabilité, leurs secrets, leurs histoires, leurs querelles, leurs préjugés dans un contexte chrétien de la présence de Dieu, du respect de la parole donnée, du pardon toujours possible.

    Ce livre évoque ces enfants de filles-mères, comme on disait à l’époque, des orphelins ou de parents incapables de s’occuper de leur progéniture et qu’on plaçait un peu au hasard dans des familles où, surtout à la campagne, ils étaient regardés comme de la main-d’œuvre gratuite. Un roman à plusieurs voix, avec cependant des longueurs dans une ambiance rurale pesante et mystérieuse. L’écriture épurée rend ce roman facile à lire et attachant.

     

     

  • Hoka Hey!

    N°1801– Novembre 2023

     

    Hoka Hey ! – Neyef – Rue de Sèvres (BD).

     

    C’est l’histoire d’un petit indien Lakota, orphelin, prénommé Georges par un pasteur un peu glauque, administrateur de la réserve indienne où il vit et qui l’a recueilli. Il lui fait ingurgiter la Bible, une manière de l’assimiler, tout en se servant de lui comme esclave. Ayant eu accès à l’éducation et à l’apprentissage de la lecture, l’enfant veut devenir médecin pour soigner ses frères.

    Il croise par hasard une sorte de gang qui s’attaque aux biens des blancs non par intérêt mais en représailles pour venger leurs frères opprimés ou massacrés.. Il est composé d’un autre indien Lakota, Little knife, qui recherche son père pour le tuer, No Moon, une indienne et un Irlandais. Ils vont l’adopter et lui faire retrouver ses racines indiennes… « Hoka Hey », (en avant) , un cri de guerre de cette tribu que Georges s’approprie, en est le symbole, tout comme l’est sa décision de renoncer à sa carrière de médecin, pourtant prometteuse, pour devenir un indien libre, héritier des traditions et des rites de ses ancêtres. Ils sont recherchés et pourchassés par un chasseur de primes à la détente facile. Nous sommes bien en plein western, avec tout ce qui peut se passer dans ces vastes étendues où l’Ordre public en est réduit à l’état de concept. C’est une BD gore et violente bien dans l’esprit de cette période où ce pays qui s’est construit sur l’immigration européenne se met en quête de nouvelles terres. Pour cela ils chassent et massacrent les indiens, les parquent pour finir dans des réserves où ils meurent à petit feu ou les exhibent dans des spectacles. Il s’agit donc de racisme tout comme il y a de l’ostracisme entre les désormais citoyens américains notamment à l’endroit des Irlandais. Ces caractéristiques sont encore en vigueur aujourd’hui puisque la ségrégation, notamment à l’égard des noirs, gangrène cette société présentée comme multiculturelle mais qui, en réalité, porte en elle un ferment de division et peut-être de destruction quand ces minorités viennent à se révolter. Concernant ces derniers, ce n’est évidemment pas le même processus puisqu’ils sont issus de l’esclavage mais le résultat est le même, le refus de la différence qui s’exerce du plus fort vers le plus faible. Nous sommes certes dans une fiction, mais elle illustre bien le problème inévitablement posé aux sociétés qui se bâtissent sur la diversité ethnique.

     

    J’ai été particulièrement sensible au concept de la vengeance présentée comme légitime, au refus du pardon considéré comme une faiblesse qui peut se révéler fatale, de la part de Little knife, dans une société où la vie d’un être humain ne pesait pas lourd. Seule l’attitude du médecin de Twin Point détonne dans ce tableau. Il trouve dans son métier de soignant, sauveur de vies, une manière de rédemption pour avoir été, dans une autre existence, le persécuteur des indiens. Il adopte et instruit Georges, le préparant à sa future mission médicale, mais cette fois différemment du pasteur qui s’était servi de la religion pour asservir l’enfant. Georges fait cependant un choix définitif révélateur

    Le graphisme et les couleurs rajoutent à l’intérêt de cette BD.

     

  • Hoka Hey!

    N°1801– Novembre 2023

     

    Hoka Hey ! – Neyef – Rue de Sèvres (BD).

     

    C’est l’histoire d’un petit indien Lakota, orphelin, prénommé Georges par un pasteur un peu glauque, administrateur de la réserve indienne où il vit et qui l’a recueilli. Il lui fait ingurgiter la Bible, une manière de l’assimiler, tout en se servant de lui comme esclave. Ayant eu accès à l’éducation et à l’apprentissage de la lecture, l’enfant veut devenir médecin pour soigner ses frères.

    Il croise par hasard une sorte de gang qui s’attaque aux biens des blancs non par intérêt mais en représailles pour venger leurs frères opprimés ou massacrés.. Il est composé d’un autre indien Lakota, Little knife, qui recherche son père pour le tuer, No Moon, une indienne et un Irlandais. Ils vont l’adopter et lui faire retrouver ses racines indiennes… « Hoka Hey », (en avant) , un cri de guerre de cette tribu que Georges s’approprie, en est le symbole, tout comme l’est sa décision de renoncer à sa carrière de médecin, pourtant prometteuse, pour devenir un indien libre, héritier des traditions et des rites de ses ancêtres. Ils sont recherchés et pourchassés par un chasseur de primes à la détente facile. Nous sommes bien en plein western, avec tout ce qui peut se passer dans ces vastes étendues où l’Ordre public en est réduit à l’état de concept. C’est une BD gore et violente bien dans l’esprit de cette période où ce pays qui s’est construit sur l’immigration européenne se met en quête de nouvelles terres. Pour cela ils chassent et massacrent les indiens, les parquent pour finir dans des réserves où ils meurent à petit feu ou les exhibent dans des spectacles. Il s’agit donc de racisme tout comme il y a de l’ostracisme entre les désormais citoyens américains notamment à l’endroit des Irlandais. Ces caractéristiques sont encore en vigueur aujourd’hui puisque la ségrégation, notamment à l’égard des noirs, gangrène cette société présentée comme multiculturelle mais qui, en réalité, porte en elle un ferment de division et peut-être de destruction quand ces minorités viennent à se révolter. Concernant ces derniers, ce n’est évidemment pas le même processus puisqu’ils sont issus de l’esclavage mais le résultat est le même, le refus de la différence qui s’exerce du plus fort vers le plus faible. Nous sommes certes dans une fiction, mais elle illustre bien le problème inévitablement posé aux sociétés qui se bâtissent sur la diversité ethnique.

     

    J’ai été particulièrement sensible au concept de la vengeance présentée comme légitime, au refus du pardon considéré comme une faiblesse qui peut se révéler fatale, de la part de Little knife, dans une société où la vie d’un être humain ne pesait pas lourd. Seule l’attitude du médecin de Twin Point détonne dans ce tableau. Il trouve dans son métier de soignant, sauveur de vies, une manière de rédemption pour avoir été, dans une autre existence, le persécuteur des indiens. Il adopte et instruit Georges, le préparant à sa future mission médicale, mais cette fois différemment du pasteur qui s’était servi de la religion pour asservir l’enfant. Georges fait cependant un choix définitif révélateur

    Le graphisme et les couleurs rajoutent à l’intérêt de cette BD.

     

  • L'enfant rivière

    N°1799– Novembre 2023

     

    L’enfant rivière – Isabelle Amonou – Éditions Dalva.

     

    Thomas est venu de Paris pour les obsèques de son père au Quebec. A Cette occasion il revoit Zoé, son épouse dont il est seulement séparé et qui vit ici. Il y a six ans, leur fils Nathan, quatre ans à l’époque, a disparu dans la rivière alors qu’il était sous la garde de sa mère. Son corps n’a pas été retrouvé et leur couple n’a pas résisté à cette disparition. Ils s’étaient mariés mais ne se ressemblaient pas vraiment, lui, plus intellectuel, elle davantage tournée vers la nature, la chasse, le sport, un de ces mariages qu’on fait par amour et qu’on ne tarde pas à regretter. Apparemment elle s’était mariée pour échapper à son enfance ravagée par une vie de famille désastreuse. Cette rencontre va tourner au drame.

    Nous sommes en 2030 et le Canada doit non seulement faire face à des bouleversements climatiques inquiétants et répétés avec tornades et inondations, mais doit également affronter un problème migratoire. En effet là où vit Zoé qui croit toujours que son fils n’est pas mort et le recherche dans cette nature sauvage, il y a des camps de migrants américains qui se sont réfugiés au Canada non seulement pour fuir le réchauffement climatique mais également le délitement de la société suite à une guerre civile. On songe à ériger un mur pour les contenir en Alaska. Pour corser le tout, il y a dans la forêt près de chez Zoé des enfants et des ados, fuyant les États-Unis qui vivent comme des sauvages et des voleurs et qu’elle chasse comme des bêtes. Les autorités les remettent ensuite aux services sociaux. Cette région, auparavant calme, était rapidement devenue dangereuse.

    Je ne suis entré dans cette histoire qu’à la fin du roman, quand Tom rencontre à nouveau Zoé. Si je n’ai pasx été passionné par cette histoire, ce n’est pas à cause du réchauffement climatique qui est malheureusement inévitable, pas non plus à cause de la migration américaine à la suite d’une guerre civile, ce qui peut parfaitement arriver dans un contexte géopolitique cahoteux et surtout dans un monde qui devient de plus en plus fou, mais la quête de Zoé m’a paru surréaliste après tout ce temps, son parcours personnel, dans une famille indigne, la culpabilité qu’elle traîne derrière elle comme un fardeau, le deuil impossible à faire pour chacun d’eux... Je n’ai pas cru non plus qu’on puisse pardonner ainsi si facilement les erreurs passées, j’ai assez peu adhéré à la prise de conscience de soi de Zoé et l’épilogue ne m’a pas convaincu..

  • Le chat du rabbin -Vol 10 "Rentrez chez vous"

    N°1800– Novembre 2023

     

    Le chat du rabbin – Volume 10 « Rentrez chez vous »- Joann Sfar -Dargaud.

     

    Cet album illustre avec humour et à travers les yeux du chat l’antisémitisme ordinaire et traditionnel qui combat les Juifs là où ils se trouvent et leur ordonne de rentrez chez eux. Oui mais, pour des raisons historiques dues notamment à l’invasion de la Palestine par l’Empire Ottoman, ils n’avaient plus de pays à eux. L’expression « Juif errant » trouvait donc sa justification et ils étaient rejetés voire persécutés dans tous les pays où ils vivaient. En France, le décret Crémieux de 1870 accordait au Juifs d’Algérie la nationalité française et la déclaration Balfour de 1917 se prononçait en faveur de la création « d’un foyer national juif » mais cette terre qui était historiquement la leur était occupée par les Arabes. Le panarabisme ne tarda pas à s’opposer à ce processus ce qui conduisit la SDN a confier à la France et à la Grande Bretagne un mandat dans la région pour y maintenir la paix . Évidemment le problème religieux avec ses dogmes, sur cette terre où l’Islam, la chrétienté et le judaïsme devaient cohabiter, vint tout compliquer et l’établissement d’un état juif fut compromis. Il y eu des soubresauts historiques, notamment avant pendant et après la Seconde guerre mondiale mais l’État d’Israël naquit bel et bien sur cette terre et les Juifs du monde entier purent enfin espérer y émigrer. L ‘expression « L’an prochain à Jérusalem » devint donc un but pour chacun d’eux. Cet album, inspiré par une réalité, prend au regard des événements actuels une dimension particulière.

     

     

     

  • Les bâtisseurs d'empire

    N°1798– Novembre 2023

     

    Les bâtisseurs d’empire – Boris Vian – Éditions l’Arche.

     

    La scène se passe dans une pièce sans originalité meublée sommairement, entre deux étages où vit une famille avec une domestique et un être indéterminé, blessé (le schmürz) entouré de bandages et de loques, toujours dans un coin et qui est en permanence frappé par eux et même par le voisin. Apparemment les parents ont des pertes de mémoire à propos seulement de leur passé immédiat et la famille a récemment déménagé pour un appartement plus petit à cause d’un bruit étrange et inconnu qui peut être dû à la guerre ou à un désordre social. La fille regrette le précédent logement et tout ce qu’on y a oublié ou peut-être tout ce que les événements de leur vie leur ont fait perdre

    Cette pièce de théâtre en trois actes n’est pas l’œuvre la plus connue de Boris Vian célèbre surtout pour ses romans. Elle a été écrite en 1959 c’est à dire l’année de sa mort. Il y a beaucoup de recherche de vocabulaire, je choisi d’y voir une quête de la perfection cependant jamais atteinte à cause du temps qui passe du vieillissement et de la perte des facultés. Quant au bruit, pas entendu par tout le monde, j’y vois des idées fixes, des obsessions propres à chacun. Le personnage du schmürz me paraît est à la fois énigmatique et révélateur, souffre-douleurs de chacun, considéré comme responsable des maux des autres parce qu’il faut bien en trouver un mais aussi personnage sans aucune importance qu’on se croit autorisé à maltraiter parce qu’il est différent et ne représente rien. C’est à la fois irrationnel, parfaitement en phase avec la nature humaine, mais ça marche toujours, racisme ordinaire qui masque mal la solitude ou volonté de s’affirmer soi-même en faisant le mal autour de soi ? Le schmüz peut être l’étranger, l’immigré (nous sommes dans les Trente glorieuses) qui va servir d’exutoire, incapable de se défendre parce qu’il sait qu’il n’est pas chez lui et d’une manière générale celui qu’on n’aime pas, qu’on méprise , l’inférieur, parce qu’il n’a pas le même niveau social, financier ou culturel que nous et qui, à ce titre, mérite notre haine. Avec le recul, cela me paraît être prémonitoire d’une société qui a perdu ses repères qui court après un progrès destructeur et qui ne génère que de la solitude, de la souffrance.

    Boris Vian est l’un des écrivains majeurs du XX° siècle, malheureusement un peu oublié. J’ai toujours aimé son humour, sa sensibilité, son désespoir.

  • Le chat du rabbin - La tour de Bab-El-Oued

    N°1797– Novembre 2023

     

    Le chat du rabbin – Joann Sfar – Dargaud

    Volume 7 – La tour de Bab-El-Oued.

     

    La vie continue à Alger, sauf que la mosquée est inondée et que l’imam Sfar demande au rabbin Sfar si ses fidèles ne pourraient pas venir prier dans sa synagogue, ne sont-ils pas cousins après tout ? Cela ne devrait pas poser de problèmes mais il apparaît rapidement évident qu’à la réflexion, il faut que chacun reste chez soi, cultive ses différences, qu’on n’est pas si frères que cela, qu’il faut remettre en cause les textes sacrés et ne pas se croire obligés de respecter la fraternité, la charité et l’amour du prochain et tant pis pour la tolérance.. Quand c’est la synagogue qui est inondée, le délire religieux reprend le dessus, on affirme que ce déluge c’est la volonté de Dieu, que c’est une punition divine à cause de la renonciation à sa foi, avec la culpabilité, le culte de la douleur, la recherche d’un responsable et la nécessité d’un sacrifice expiatoire. Pour cela le chat fait parfaitement l’affaire. Et pour que la fête soit complète, il fallait un prêtre catholique, mais il n’est pas question d’aller prier dans une église.

    J’ai bien aimé cette fable, le graphisme en général et spécialement celui du chat. Oreillard, famélique, avec ses grands yeux verts, il est plein de bon sens et d’humour, donc attachant. A force de parler avec les humains il a fini par leur ressembler et a négligé, comme eux, les valeurs morales que pourtant ils lui ont enseignées.

    Les religions répondent notamment aux aspirations de l’homme à croire dans un monde meilleur et la façon de le mériter durant son passage sur terre. Ainsi les différentes confessions se sont-elles opposées, parfois violemment, à coup de dogmes, de révélations, d’espérances et de prosélytisme, avec des lectures et des interprétations différentes des textes fondateurs et ont souvent été l’occasion de provoquer ou d‘entretenir ce que l’homme sait faire de pire : la guerre ! En Occident il y a certes eu des tentatives de dialogue entre elles pour rendre possible le « vivre ensemble » mais chaque conflit, pour des raisons différentes, a souvent pris, peu ou prou, une dimension religieuse, notamment contre les Juifs ce à quoi nous assistons actuellement dans un monde qui s’embrase.

  • Le chat du rabbin - Volume 6

    N°1796– Novembre 2023

     

    Le chat du rabbin – Joann Sfar – Dargaud

    Volume 6 – Tu n’auras d’autre dieu que moi.

     

    Zlabaya est enceinte. C‘en est fini des caresses et des câlins qu’elle réservait au chat. La présence future de ce bébé va faire s’effondrer cet univers dont il était le centre. Evidemment cela le rend triste même si, pour un temps, il est le seul à partager avec elle la nouvelle de cette future naissance. Le fait de parler le rapproche des hommes et, de fait, il réagit comme eux, surtout face à une femme qui, une fois mère, va se consacrer à son enfant au détriment des autres membres de sa famille et donc à lui. Son avenir n’est pas rose et ce n’est pas le rabbin avec son dieu et ses prières qui vont le consoler ; La solution qu’il trouve va le faire sortir de son cocon et aller au devant des hommes, de leurs jalousies, leurs hypocrisies, de leur violence, de leur désespoir. Il en prend même un peu de la graine.

    J’ai bien aimé cette fable, le graphisme du chat aussi, pas beau mais attachant.

     

     

  • Le profil de Galatée

    N°1795– Novembre 2023

     

    Le profil de Galatée – Amit Weisberger – Éditions Velvet.

     

    Un sculpteur devenu berger dans le Cantal cultive son amitié avec Carole, son ex avec qui il couchotte de temps en temps, mais aussi sa solitude qu’il agrémente avec la pensée de Lao-Tseu. Pourtant son isolement commence à lui peser au point qu’il s’inscrit sur un site de rencontres pour trouver l’âme sœur. Le voilà donc occupé dans une ferme loin de tout, coincé entre une séquence artistico-philosophique, l’idéal écologique, les connexions internet laborieuses, une radinerie viscérale et le confinement. Pourtant, avant d’être un ermite il avait eu une vie amoureuse bien remplie qu’apparemment il regrette.

    C’est sans doute à cause des relations bizarres qu’il entretient avec Carole qu’il a l’idée de créer Galatée, une femme virtuelle qu’il imagine comme une aide dans sa quête amoureuse. C’est plutôt bien écrit mais je me suis carrément ennuyé en suivant ses tentatives avortées de cesser de fumer, ses recherches amoureuses et surtout hasardeuses, ses travaux à la ferme, ses états d’âme et ses fantasmes.

     

     

  • L'enlèvement

    N°1793– Novembre 2023

     

    L’enlèvement - Un film de Marco Bellocchio.

    Titre original « Rapito » ou « La conversione ».

     

    En 1858, un enfant juif de Bologne, Edgardo Mortada, sept ans, est enlevé par les soldats du pape au motif que, nourrisson malade censé être en danger de mort, il aurait été baptisé en secret par une servante pour lui éviter d’aller dans les limbes. Alors que la famille Mortada est tranquille et respectueuse de l’autorité papale, Bologne faisant à l’époque partie des états pontificaux., l’enfant est amené de force dans la maison des catéchumènes à Rome où, comme d’autres également arrachés à leur famille juives, il reçoit une éducation ainsi que tous les sacrements catholiques. A cette époque le pape représente une force politique et militaire importante et son pouvoir législatif est indiscutable, ce qui permet à l’Église catholique notamment ce genre d’exaction. Malgré une campagne de presse, le soutien de l’opinion publique libérale et de la communauté juive, les efforts des parents pour récupérer leur fils restent sans effet. La seule possibilité de voir leurs efforts couronnés de succès était leur conversion au catholicisme, ce qui était évidemment impossible.

    L’éducation que reçoit Edgardo est un véritable lavage de cerveau destiné non seulement à le séparer de sa famille mais aussi à effacer de sa mémoire toutes les traces de la religion juive, c’est à dire d’en faire un bon chrétien et un soldat du Christ obéissant et soumis, voué le cas échéant au martyre. On change même son nom. L’hypocrisie catholique consiste à considérer le baptême comme un acte définitif sur lequel on ne peut revenir sauf à encourir l’apostasie et qui enferme l’enfant dans un microcosme où la vie d’un individu est brisée dans le seul but de l’asservir et d’assurer le salut de son âme. La presse catholique de l’époque fait écho à cette tartufferie, déguisant la triste réalité sous des mots lénifiants. Pie IX a érigé cela en une formule issue des  Actes des apôtres « Non possumus » (« nous ne pouvons pas » autrement dit c’est un refus par principe de céder à une demande contraire aux valeurs catholiques). Cette lutte de l’Église catholique contre les Juifs, apparemment en sommeille actuellement, prend sa source dans le concile de Tolède de 633 qui autorise ce genre de pratique qui s’est multipliée au cours du temps. C’est aussi une affirmation répétée à l’envi pendant des décennies et bien sujette à caution, regardant les Juifs comme le peuple déicide, c’est à dire les assassins de Jésus et que tout était permis pour leur faire payer cette avanie, avec la bénédiction et surtout l’intransigeance de l’Inquisition. Le silence assourdissant de Pie XII face à la Shoah en est notamment un triste exemple. Dans ce film, le pape ne manque pas une occasion d’humilier les juifs pour leur signifier son pouvoir sur eux ?

    Edgardo Mortada (1851-1940) poursuivra son parcours dans le catholicisme, recevant notamment les ordres religieux et se transformant lui-même en missionnaire et en prosélyte, de sa propre volonté cette fois, et ce malgré l’affaiblissement des pouvoirs du pape et la libéralisation de la vie politique en Italie. Il meurt dans une abbaye près de Liège juste avant l’invasion nazie. Il n’a pas été le seul à être ainsi victime de l’Église.

     

     

    C’est un grand film, sorti en 2023 , long (2h14), bien documenté et servi par de bons acteurs (Paolo Pierobon, Barbara Ronchi …) qui met en lumière une des nombreuses exactions de l’Église et participe de la prise de conscience actuelle des scandales et des graves manquements dont elle s’est rendue coupable au sein de nos sociétés occidentales où elle était jadis bien implantée, ce qui faisait d’elle une référence qu’elle n’est plus aujourd’hui. Après avoir été pendant longtemps un solide pilier sociétal, elle a manqué à sa mission moralisatrice et spirituelle et le vide ainsi laissé a été rapidement comblé par d’autres forces religieuses.

    Cette authentique histoire se déroule en Italie. Dans notre pays, les événements récents mettant en lumière les pratiques pédophiles de certains membres du clergé relancent la polémique contre cette institution comme l’a illustré le film de François Ozon « Grâce à Dieu ».

  • Décaméron - Neuf nouvelles d'amour

    N°1790– Novembre 2023

     

    Décaméron – Neuf nouvelles d’amour – Boccace -Gallimard.

    Version bilingue traduite de l‘italien par Serge Stolf.

     

    C’est un recueil de neuf nouvelles d’amour écrites pendant la peste à Florence de 1349 à 1353. Dix jeunes gens se réfugient à la campagne et pour le plaisir inventent chacun un récit par jour. Cela donne 10 histoires pendant 10 jours d’où le titre grec de « Décaméron ». Ce recueil choisit le thème de l’amour. Ces amours sont heureuses, tragiques, humoristiques, émouvantes, contrariées ou insatisfaites. Chaque histoire met en scène des personnages réels mêlés à d’autres imaginés par l’auteur. Chaque texte évoque une facette de l’espèce humaine, la relation entre les hommes, entre fidélité, confiance et trahison, violence, adultère, manœuvres de séduction visant à circonvenir l’amoureux transi, sensualité… c’est à dire l’amour humain, à l’exclusion cependant de l’amour de Dieu. Les femmes à qui ces textes sont dédiés sont présentées comme actrices de leur bonheur mais bien plus souvent comme des victimes face à l’intransigeance et au pouvoir des hommes et de la hiérarchie sociale, au poids de l’Église qui les maintenaient en état d’infériorité. Cet amour, partagé ou non, est parfois sensuel et même en dehors de toute culpabilité. Il est aussi idéalisé, au point que, s’il s’avère impossible, que les parents s’y opposent ou avaient prévu une autre union, seule la mort peut unir les deux amants. Sous la plume de Boccace, les femmes ne sont plus seulement destinées à se marier, à enfanter, à prier et à tenir une maison mais aussi font prévaloir leur envie de jouir de la vie. Ces nouvelles parlent de la séduction au service d’une cause, d’une idée, d’un projet de vie ou d’un caprice passager, de la volonté de faire prévaloir l’amour et son pouvoir sur les hommes avec parfois une fin moralisatrice que n’aurait renié La Fontaine. Il y a ce côté mystérieux et aussi fou qui souvent prévaut dans l’amour et qui attache entre eux un homme et une femme sans qu’ils y puissent rien.

    Les textes, écrits en italien et non en latin comme c’était le cas à l’époque, comporteent des allusions érotiques voire grivoises qui en font également l’intérêt mais sont aussi la marque d’une volonté de profiter de la vie comme un bien précieux, menacé en permanence par les guerres ou les épidémies.

     

    La nouvelle est un genre littéraire, bref et en prose, tout à fait nouveau à cette époque, qui tranche sur les pièces de littérature médiévale, souvent didactiques et en vers mettant en scène des aristocrates. Elle a connu un essor au XV et XVI siècle en Italie, jusqu’à nos jours. Elle met en œuvre l’oralité, le dialogue entre les personnages choisis non plus dans la noblesse mais dans la bourgeoisie et le peuple des villes et montre le monde tel qu’il est.

  • Mort et vie d'Edith Stein

    N°1792– Novembre 2023

     

    Mort et vie d’Édith Stein – Yann Moix- Grasset.

     

    J’ai, à titre personnel, au regard des religions un avis bien établi. Cela dit, je suis toujours dubitatif devant les motivations de ceux qui choisissent d’en changer soit par opportunité ou par réelle conviction.

    Étonnant parcours que celui d’Édith Stein (1891-1942) née dans une ville de l’actuelle Pologne, dans la religion juive et convertie au christianisme après être passée par une période marquée par l’athéisme. Elle entrera au Carmel sous le nom de Marie-Bénédicte de la Croix et sera arrêtée par la SS et gazée à Auschwitz « Pour son peuple». Elle a été canonisée par le pape Jean-Paul II en 1998.

    L’auteur, à travers des citation d’Édith, nous la présente comme une jeune fille solitaire, extrêmement douée, caractérielle, travailleuse, passionnée, que le judaïsme ennuie et qui se jettera dans l’étude de la philosophie.

    J’ai lu cette biographie avec curiosité mais le mysticisme dont parle Moix abondamment dans ce livre ne m’a jamais ému ni même intéressé. En revanche, en savoir davantage sur un personnage exceptionnel m’attire, surtout si, comme c’est le cas ici, s’il tranche sur la noirceur ordinaire de l’espèce humaine sans pour autant la racheter. Même s’il s’agit d’un message religieux que pourtant l’auteur distille largement à longueur de chapitres avec sans doute la volonté de convaincre son lecteur (on ne choisit pas par hasard d’écrire une telle biographie) j’y suis resté relativement indifférent.

    Un saint, ça donne l’’exemple et celui d’Édith est d’autant plus emblématique qu’elle est une femme que l’Église catholique maintient constamment en état d’infériorité (Édith militera en faveur du droit des femmes avant d’entrer au Carmel), qu’elle est une brillante intellectuelle, une mystique animée d’un esprit de dévouement de sacrifice et de charité sans faille, un personnage d’exception mais surtout parce qu’elle est juive et qu’elle a choisi volontairement et en toute liberté le catholicisme (On se souviendra que ce genre de conversion n’a pas toujours été volontaire comme le montre le film de Marco Bellochio « L’enlèvement »). On n’oubliera pas non plus que l’Église a nourri l’antisémitisme (on se souvient du silence assourdissant de Pie XII au regard de la Shoah) et que celui-ci est particulièrement fort en Pologne, même si depuis le concile Vatican II un dialogue fraternel a été ouvert entre catholiques et juifs.. Quant à l’exemple d’Édith, il est plutôt le bienvenu face à une hiérarchie qui semble avoir oublié le message de l’Evangile dont par ailleurs elle se recommande. En témoignent les nombreux scandales qui ont émaillé son histoire dont le plus récent d’entre eux a bouleversé notre société.

    Édith reste une sainte controversée puisque si elle a embrassé le catholicisme elle n’a jamais renié ses origine juives et a protesté vigoureusement contre les mesures nazies à l’encontre des juifs. Elle a accepté la mort « Pour son peuple » c’est à dire les juifs. Elle n’en a pas moins été reconnue comme coprotectrice de l’Europe ce qui lui donne une dimension à la fois actuelle, immortelle et universelle.

    C’est bien écrit et bien documenté et je garde de cette rencontre l’extraordinaire empreinte qu’à laissée cette femme lors de son passage sur terre. Je retiens entre autre chose qu’elle a été une sorte de synthèse spirituelle entre le catholicisme et le judaïsme, Jésus étant lui-même juif. ;

  • Salut et liberté

    N°1791– Novembre 2023

     

    Salut et liberté suivi de La nuit des brutes – Fred VARGAS – Viviane Hamy.

     

    Deux courtes nouvelles policières. Dans la première, le commissaire Adamberg reçoit une série de lettres anonymes dans lesquelles un tueur se dénonce lui-même et une femme est retrouvée morte. Cela laisse perplexe le lieutenant Danglard. Dans le même temps , Vasco , un clochard-tailleur-poète vient s’installer sur un banc en face du commissariat. Cela énerve le lieutenant dubitatif mais le commissaire, à la suite sans doute d’un éclair de génie décide de ces deux faits sont liés.

    La seconde nouvelle se déroule à Noël, une femme retrouvée noyée dans la Seine, suicide ou meurtre, une nouvelle énigme pour Adamberg avec une histoire de chaussures et de sac absents, un poivrot, une photo décryptée par l’extiaordaire érudition de Danglard…

    C’est bien écrit, agréable à loire, mais un peu court à mon goût.

     

  • Le chat du rabbin

    N°1789– Novembre 2023

     

    Le chat du rabbin (l’intégrale) - Joann Sfar- Dargaud (BD).

    (Album en trois parties : La Bar-Mitsva- Le Malka des lions- L’exode.)

     

    C’est une fable pour adultes, une longue complicité entre Zlabya, la fille du rabbin Abraham, et son chat, pas vraiment beau mais qui compense cette relative laideur par un solide bon sens, la faculté qu’il a de se faufiler partout et d’observer et surtout de parler avec sa maîtresse et son maître Abraham. C’est aussi l’histoire de ce rabbin algérien du début du XX° siècle et de sa fille racontée par ce félin philosophe, qui a appris à lire avec Zlabya et à qui le rabbin veut enseigner la Torah pour en faire un « bon juif ». Ce chat est le témoin de la vie des humains qui l’entourent et ses remarques sont pleines de logique au regard de la religion et de ses dogmes et de compréhension au regard des hommes. Au passage il ne manque pas de contester les préceptes religieux et y apporter son exégèse personnelle. Il va assister au mode de vie uniquement inspiré par le judaisme de ce vieux rabbin qui, à l’occasion du mariage de sa fille et de son voyage à Paris va remettre en cause tout ce pour quoi il avait vécu jusqu’à présent. Zlabya elle-même n’échappera pas à cette trasformation. Ce chat a des propos pleins de tolérance puisque sur cette terre du Maghrebe, les Juifs cohabitaient avec les Arabes et les chrétiens. Je ne sais pas si j’ai bien compris miais le message est sans doute qu’on peut vivre sereinement entre soi en s’accomodant des contradiction et de l’hypocrisIe des religions de leurs dogmes et de leurs interdits.

    J’ignore tout de la religion juive mais il m’a semblé que dit ce chat génial s’applique à toutes les religions, aux interprétations sectaires, extrémistes et mensongères qui peuvent en être faites. Le dialogue entre le chat et le chien est révélateur du regard que ces animaux portent sur les hommes et que La Fontaine n’eut pas désavoué.

    J’ai bien aimé le graphisme qui illustrret le texte de ce volume qui compile ces trois premiers albums .

    Je ne connaissais pas Joan Sfar mais ce livre fut une belle découverte pour moi qui ne suis pas amateur de BD. J’ai trouvé intéressant de donner la parole à un chat qui est un animal que les Égyptiens vénéraient comme un dieu, que nous parons de nombreuses qualités et que certains dessinateurs transforment même en philosophe. Je crois que je vais volontiers poursuivre la lecture des albums suivants.

    Ces propos prennent un relief particulier au moment où le monde s’embrase au Moyen-Orient et menace la paix de ces deux communautés qui ont bien des choses en commun et qui pourraient vivre en paix à condition de se respecter l’une l’autre.

     

     

     

     

  • Le relais d'Alsace

    N°1788– Octobre 2023

     

    Le relais d’Alsace – Georges Simenon – Fayard.

     

    Monsieur Serge est un pensionnaire énigmatique du « Relais d’Alsace » située près de l’ancienne frontière franco-Allemande après la Première Guerre mondiale. Il est soupçonné par le commissaire parisien Labbé d’’être « Le Commodore », un escroc international, mais le policier n’est sûr de rien tant M. Serge donne de lui une image de citoyen tranquille.

    C’est vrai que son attitude prête à confusion, il n’a pas d’argent, puis après qu’un vol a été commis dans l’hôtel d’en face il revient au matin et paie ses dettes. Dans la relais d’Alsace, parmi le flot des touristes, la vie continue la veuve Meurice vit avec sa fille Hélène, tuberculeuse dans un chalet à proximité et on soupçonne M. Serge de s’y intéresser. Il sera meurtri d’apprendre que Mme Meurice veut vendre son chalet pour une somme dérisoire à un riche brasseur du coin et envisage même de l’épouser. Le mystère s’épaissit autour de M. Serge, de sa véritable identité et des billets volés ...retrouvés maculés de graisse !

    D’ordinaire j’aime bien lire Simenon et j’apprécie l’ambiance de suspense tissée dans chacun de ses romans. Portant ici, je suis assez peu entré dans cette histoire un peu rocambolesque de sosie, d’argent volé qui ne l’était pas et de ce M . Serge qui, près une vie mouvementée revient sur les lieux de son enfance.

    N°1788– Octobre 2023

     

    Le relais d’Alsace – Georges Simenon – Fayard.

     

    Monsieur Serge est un pensionnaire énigmatique du « Relais d’Alsace » située près de l’ancienne frontière franco-Allemande après la Première Guerre mondiale. Il est soupçonné par le commissaire parisien Labbé d’’être « Le Commodore », un escroc international, mais le policier n’est sûr de rien tant M. Serge donne de lui une image de citoyen tranquille.

    C’est vrai que son attitude prête à confusion, il n’a pas d’argent, puis après qu’un vol a été commis dans l’hôtel d’en face il revient au matin et paie ses dettes. Dans la relais d’Alsace, parmi le flot des touristes, la vie continue la veuve Meurice vit avec sa fille Hélène, tuberculeuse dans un chalet à proximité et on soupçonne M. Serge de s’y intéresser. Il sera meurtri d’apprendre que Mme Meurice veut vendre son chalet pour une somme dérisoire à un riche brasseur du coin et envisage même de l’épouser. Le mystère s’épaissit autour de M. Serge, de sa véritable identité et des billets volés ...retrouvés maculés de graisse !

    D’ordinaire j’aime bien lire Simenon et j’apprécie l’ambiance de suspense tissée dans chacun de ses romans. Portant ici, je suis assez peu entré dans cette histoire un peu rocambolesque de sosie, d’argent volé qui ne l’était pas et de ce M . Serge qui, près une vie mouvementée revient sur les lieux de son enfance.

     

  • Un vertige

    N°1787– Octobre 2023

     

    Un vertige – Hélène Gestern – Folio.

     

    La narratrice évoque une passion amoureuse qui l’a unie brièvement à un homme marié, « T » puis, devant ses tergiversation, leur rupture. Elle dissèque au scalpel ce que fut cette relation, avec ses absences, ses jalousies, ses espoirs, ses déceptions, ses ruptures et ses retrouvailles.

    J’ai lu ce récit apparemment autobiographique, par ailleurs fort bien écrit ce qui pour moi est toujours un plaisir, avec des sentiments mêlés. Elle choisit de l’évoquer après avoir encaissé le choc de la rupture ce qui peut lui donner l’illusion d’avoir pris de la hauteur et peut-être d’avoir acquis quelque apaisement à cause de la solitude qui a suivi, des résolutions prises pour l‘avenir, de la volonté de renouer avec la vie. Avec lui, elle avait cru au grand amour, l’unique, celui qui bouleverse votre vie, qui la transforme pour la suite, qui se joue des obstacles, grâce auquel on tresse des projets d’avenir, avec engagements et serments qu’elle voulait définitifs. Puis tout s’est effondré à cause de la routine, de l’usure, de la lassitude, de cette volonté de tourner une page inévitable en se disant que c’est le cours normal de choses qui ne sont pas destinées à durer, que c’est forcément mieux ailleurs, qu’on a d’autres projets à cause d’événements ou de rencontres auxquels on a envie de donner une dimension personnelle, sentimentale et sensuelle. C’est à chaque fois la même chose, on à l’impression qu’on vit un moment unique qui est une seconde naissance et qui durera toujours avec la découverte du corps et de l’esprit de l’autre puis on détruit ce qu’on adoré avec toute cette certitude égoïste que la victime finira par réagir à sa façon et trouvera une solution avec tout le mépris dont est capable un être qui croit que tout lui est dû et tout lui est permis. On se soucie peu de l’abandon et de ses conséquences pour la victime qui finira, on l’espère, par pardonner, se trouver d’autres centres d’intérêt, malgré les cicatrices inévitables.

    Il s’agit d’un récit autobiographique désastreux pour cette femme qui est aussi écrivain. mais, comme à chaque fois, je m’interroge sur l’effet cathartique de l’écriture face à un tel bouleversement. Pour le commun des mortels, la solution est souvent le basculement dans un univers où la logique et même le bon sens sont absents. C’est l’alcool, la drogue, la délinquance, la vengeance, autant d’autodestructions qu peuvent aller jusqu’à la mort. Certes cela donne pour le lecteur un texte authentique et plein de références auxquelles il peut se raccrocher parce que, évidemment, ce témoignage fait aussi partie du vécu de chacun d’entre nous, mais qu’en est-il pour l’auteur, à part ajouter un livre à son œuvre créatrice? Elle dit elle-même qu’écrire n’a pas été salvateur et je souscris complètement à cette remarque. Simplement cela a pu la mettre devant cette évidence d’elle-même en s’interrogeant sur ce qui l’a poussée vers un amour impossible, destructeur, une folie qui lui a permis d’approcher le vertige d’une vie qui bascule. Tout au plus mettre des mots sur cette aventure peut-il permettre d’en accepter les conséquences, d’en entretenir la mémoire, même si celle-ci est douloureuse.

    J’ai lu ce récit en me disant que c’est finalement une chose banale qui est relatée ici, que chacun de ceux qui la vit la croit unique mais aussi avec en mémoire ce vers d’Aragon « Rien n’est jamais acquis à l’homme ni sa force ni sa faiblesse ni son cœur et quand il croit ouvrir les bras son ombre est celle d’une croix, et quand il croit serrer son bonheur il le broie, sa vie est un étrange et douloureux divorce, il n’y a pas d’amour heureux ».

  • nymphéas noirs

    N°1786– Octobre 2023

     

    Nymphéas noirs – Michel Bussi – Presses de la Cité.

     

    À Giverny, lieu de retraite de Claude Monet, tout le monde se connaît et tout le monde s’observe. Ce roman s’articule autour de trois femmes, Fadette, une fillette pétillante de 11 ans douée pour la peinture, Stéphanie, une institutrice à la fois jeune et évidemment séduisante et une vieille femme curieuse et méchante. Pourtant le calme apparent de ce décor va être bouleversé par une rumeur de toiles perdues ou volées, les « nymphéas noirs »,une version sombres du célèbre chefs-d’œuvre et un meurtre bien mystérieux. Jérôme Morval, un brillant ophtalmologue, est retrouvé assassiné dans ce décor impressionniste et les inspecteurs Bénavides et Laurenç chargés de l’enquête penchent pour un crime passionnel de maris jaloux, la victime étant bien connue pour son côté Don Juan, mais après avoir pas mal pataugé et s’être égarés dans des hypothèses improbables, chacun à sa manière et avec sa sensibilité se rend compte que ces trois femmes sont liées à cette affaire bien mystérieuse. La solution donnée par l’épilogue m’a cependant laissé un peu dubitatif. Pendant qu’ils cherchent, le temps s ‘écoule se contracte et se remonte avec les investigations d’un ancien commissaire, une histoire de tableaux volés, des annotations codées au dos de photos, l’image fantomatique d’un chien, un enfant mystérieux et des cadavres plus ou moins imaginaires …

    Il y a cette histoire d’un amour impossible qu’un vers d’Aragon résume même si la conclusion peut donner à penser le contraire.

    Les annotations sur la vie de Monet sont précises et intéressantes, les descriptions évoquent son jardin et créent un univers à la fois magique, poétique, hors du temps mais j’ai été un peu déçu par certaines longueurs, surpris et même décontenancé par cette manipulation de ce même personnage qui évolue à travers le temps et change de prénom. L’intrigue se décline en une multitudes d’indices savamment distillés mais aussi pas mal d’absurdités mais, le livre refermé, je ne suis pas convaincu par ce roman par ailleurs encensé.

  • nymphéas noirs

    N°1786– Octobre 2023

     

    Nymphéas noirs – Michel Bussi – Presse de la Cité.

     

    À Giverny, lieu de retraite de Claude Monet, tout le monde se connaît et tout le monde s’observe. Ce roman s’articule autour de trois femmes, Fadette, une fillette pétillante de 11 ans douée pour la peinture, Stéphanie, une institutrice à la fois jeune et évidemment séduisante et une vieille femme curieuse et méchante. Pourtant le calme apparent de ce décor va être bouleversé par une rumeur de toiles perdues ou volées, les « nymphéas noirs »,une version sombres du célèbre chefs-d’œuvre et un meurtre bien mystérieux. Jérôme Morval, un brillant ophtalmologue, est retrouvé assassiné dans ce décor impressionniste et les inspecteurs Bénavides et Laurenç chargés de l’enquête penchent pour un crime passionnel de maris jaloux, la victime étant bien connue pour son côté Don Juan, mais après avoir pas mal pataugé et s’être égarés dans des hypothèses improbables, chacun à sa manière et avec sa sensibilité se rend compte que ces trois femmes sont liées à cette affaire bien mystérieuse. La solution donnée par l’épilogue m’a cependant laissé un peu dubitatif. Pendant qu’ils cherchent, le temps s ‘écoule se contracte et se remonte avec les investigations d’un ancien commissaire, une histoire de tableaux volés, des annotations codées au dos de photos, l’image fantomatique d’un chien, un enfant mystérieux et des cadavres plus ou moins imaginaires …

    Il y a cette histoire d’un amour impossible qu’un vers d’Aragon résume même si la conclusion peut donner à penser le contraire.

    Les annotations sur la vie de Monet sont précises et intéressantes, les descriptions évoquent son jardin et créent un univers à la fois magique, poétique, hors du temps mais j’ai été un peu déçu par certaines longueurs, surpris et même décontenancé par cette manipulation de ce même personnage qui évolue à travers le temps et change de prénom. L’intrigue se décline en une multitudes d’indices savamment distillés mais aussi pas mal d’absurdités mais, le livre refermé, je ne suis pas convaincu par ce roman par ailleurs encensé.

  • Sept petites croix dans un carnet

    N°1785– Octobre 2023

     

    Sept petites croix dans un carnet – Georges Simenon- Presse de la Cité.

     

    En cette nuit de Noël, l’inspecteur André Lecoeur, téléphoniste au commissariat central de Paris, scrute le plan de la capitale où clignotent de petites lumières pour signaler les accidents. Il a été intrigué par quelqu’un qui, tout au long de la nuit, a brisé les glaces des bornes de police-secours. Cela semble être un enfant mais au matin on a perdu sa trace. Dans le même temps une vieille femme a été assassinée à son domicile. Ce meurtre fait suite à une série d’autres consignés consciencieusement par l’inspecteur dans son petit carnet.

    Il ne fallut pas longtemps à Lecoeur pour comprendre que le garçon ne pouvait être que son neveu et dès lors c’est toute une histoire de famille qui ressurgit avec ses non-dits, ses secrets et ses révélations. L’intuition de l’inspecteur, digne d’un enquêteur de la PJ , a cependant été la bonne et dans un Paris un peu glauque une traque s’engage,

     

    L’œuvre de Simenon ne se résume aux enquêtes de son commissaire préféré. Cette nouvelle policière est parue dans un recueil intitulé « Un Noël de Maigret » en 1951.

     

  • Fausse adresse

    N°1784– Octobre 2023

     

    Fausse adresse – Luigi Lunardi. (Pièces de théâtre)

     

    Titre original « Tre sull’’altalena » - Trois sur une balançoire.

     

    Bienvenue en absurdie.

     

    Un PDG qui a un rendez-vous galant, un ancien militaire qui vient récupérer du matériel et un professeur qui vient chercher les épreuves de son livre arrivent à dans un même lieu alors qu’ils pensent être à trois adresses différentes. Chacun tente donc de persuader l’autre qu’il s’est trompé mais quand les portes, le téléphone et le réfrigérateur se comportent d’une manière bizarre, le doute s’installe. Dans le même temps on assiste à une alerte pour un exercice anti-pollution ce qui confine ces trois hommes dans ce lieu en se demandant ce qu’ils y font. De là à penser qu’il sont déjà morts, au Purgatoire et en instance de Jugement dernier, il n’y a qu’un pas ! De guerre lasse, chaque personnage tente d’apporter une solution à ce problème en fonction de sa personnalité, angoisse et croyance pour l’un, réalisme voire indifférence pour l’autre, certitude et logique pour le troisième de sorte que dans cette situation pour le moins bloquée, rationnel et irrationnel se côtoient. Un quatrième personnage, apparaît, venu de nulle part et énigmatique dans son discours comme dans son attitude de sorte que chacun des trois protagonistes ne sait plus s’il est dans la réalité ou dans un ailleurs inconnu. Ce personnage est une femme et ce n’est pas un hasard, comme n’est pas un hasard non plus qu’elle n’appartient pas à la même catégorie sociale des trois autres. Elle est à la fois leur subconscient et celle qui va mettre un point final à cette aventure.

     

    Cette pièce est pleine de quiproquos du fait que trois adresses différentes mènent au même endroit, comment trois personnages peuvent-ils avoir rendez-vous dans un même lieu pour des raisons si différentes, comment la porte par laquelle un personnage est entré n’obéit qu’à lui et pas aux autres et comment un réfrigérateur banal peut-il délivrer des boissons chaudes ou froides selon le vœux du demandeur ? Sur le plan de la forme, cette pièce respecte les règles classiques d’unité de temps de lieu et d’action mais c’est aussi une œuvre où sont abordées non sans humour (ce qui en fait quand même une comédie compte tenu notamment de la promiscuité des personnages) nombre des questions bien actuelles, sur la responsabilité humaine, le libre arbitre, la prédestination, l’existence de Dieu, sa justice, la mort, l’aveu des fautes, des discussions sur l’Évangile, des réflexions existentielles sur la société et la façon dont elle est composée… pas si absurde que cela finalement !

     

    Crée pour la première fois à Milan en 1990, cette pièce a été traduite et jouée en vingt- deux langues. Elle est due à Luigi Lunari (1934-2019), dramaturge, écrivain, essayiste et chef d’orchestre italien.

  • Ceux que je suis

    N°1783– Octobre 2023

     

    Ceux que je suis – Olivier Dorchamps – Pocket.

     

    Tarek, garagiste maroquin à Clichy depuis longtemps vient de mourir . Comme il voulait être enterré à Casablanca, c’est un de ses fils, Marwan, le narrateur, professeur agrégé d’histoire-géo, parfaitement intégré en France, qui a été désigné pour accompagner le cercueil avec Kabic, l’ami du défunt. La réussite de cette famille dont le père est artisan-garagiste et la mère parle à peine le français, ce sont Marwan, professeur, Ali avocat et Foued, étudiant, trois enfants d’émigrés qui ont réussi dans une culture différente de celle de leurs parents, une manifestation de la pertinence de « l’ascenseur social » pourtant bien souvent en panne. Dans le même temps, Marwan a dû faire face au départ de sa copine Capucine, mais au vrai, ils n’avaient pas grand-chose en commun.

    En allant au Maroc, Marwan qui a grandi en France, qui est Français mais ni musulman ni pratiquant, va aller au devant de sa parentèle inconnue restée au pays, de l’histoire familiale, des traditions musulmanes et religieuses face au deuil, du sort qui pèse traditionnellement en Afrique du nord sur le destin des filles pauvres. Ses parents étaient venus en France pour une nouvelle vie et pour nourrir la famille restée au bled . A travers des photos jaunies il va apprendre à connaître un peu malgré lui les secrets et les non-dits que cette famille garde enfermés dans sa mémoire intime en maudissant la cruauté de la réalité et la fatalité qui gouverne tout. Il va apprendre ce que les circonstances obligent à faire ponctuellement et qui polluent toute une vie, un peu comme des plaies qui suppurent de honte et de désespoir, des blessures qu’on cache mais qui se transmettent de génération en génération comme les ressemblances physiques, ce qui remet en question l’image des siens qu’on avait lentement tressée, l’hypocrisie qui bouscule la réalité, les secrets qu’on entretient sur le vécu des uns et l’abnégation des autres, les révélations qui écorchent aussi les grands principes humanistes si longtemps proclamés par le colonisateur français qui ne sont qu’une vitrine face aux intérêts des plus riches et qui mettent à mal la réalité de ce message. De tout cela aussi Marwan est l’héritier.

    Le titre, à travers un jeu de mots phonétique, indique tous ce que chacun d’entre nous doit à ses parents, à ses ancêtres. Ici prendre l’exemple d’un foyer maghrébine venu s’installer en France et dont les enfants honorent à la fois leur famille et le pays qui les a accueilli est révélateur surtout à une époque où un tel contexte se décline souvent en incompréhensions et violences.

    Ça aurait pu être un roman classique sur l’intégration des migrants. C’est un récit émouvant et poétique qui commence par un deuil se termine avec des relents de « happy end » quelque peu idylliques ou chacun retrouve sa place après cette saga longue et douloureuse.

    Certes l’’auteur a lui aussi une double culture, britannique et française mais on peut s’étonner qu’il ait choisi de mettre ses personnages fictifs dans un cadre aussi difficile que celui d’une famille maghrébine transplantée en France, et qu’il l’ait fait avec autant de justesse et d’émotion.

    Je me suis laissé embarqué dans cette histoire, j’ai aimé ce premier roman, peut-être davantage que le suivant « Fuir d’Eden » pourtant primé.

     

     

  • Pourquoi j'ai mangé mon père

    N°1782– Septembre 2023

     

    Pourquoi j’ai mangé mon père – Roy Lewis- Actes sud

     

    Traduit de l’anglais par Vercors et Rita Barisse.

     

    Sous un titre peu engageant, entre humour et concept quasi œdipien, l’auteur nous présente une famille de pithécanthropes. C’est, Ernest, un des fils qui nous la présente. Il y a Édouard, son père, inventif, toujours en quête découvertes qui généreront l’évolution dont profiteront les siens et qui leur permettront de survivre, son oncle Vania, plus réfractaire aux améliorations, qui se cantonne dans une vie arboricole mais n’en est pas moins un peu profiteur. La mère Mathilde et quatre gars, Oswald le chasseur, Tobie le scientifique, Alexandre l’artiste et Ernest le narrateur, plus volontiers réaliste et, tempère l’impétuosité et l’ingéniosité de son père, complètent le tableau. Sans compter toute une parentèle. On se doute bien que, à l’énoncé de cette maisonnée et dans le contexte préhistorique les anachronismes ne vont pas manquer et avec eux les occasions de sourire mais peut-être pas de rire, n’en déplaise à Vercors, le traducteur et le préfacier. Les remarques et réflexions des différents personnages, les situations actuelles transposées dans cette époque lointaine valent leur pesant de confusion et d’humour. On ne coupe pas à toutes les découvertes, bonnes ou mauvaises mais le père et ses vues sur l’avenir, ses réflexions philosophiques et ses projets moraux ont de quoi nous étonner. Quant aux remarques de certains fils pour s’opposer à la tutelle du père elles ont effectivement quelque chose de très actuel. Après tout ses considérations étaient peut-être aussi celles des hommes de la préhistoire.

    La quête de femelles pour perpétrer la race à quelque chose de « l’enlèvement des Sabines » et la façon de draguer et de passer une une de miel est très couleur locale.

    Pour autant, malgré la 4° de couverture, le style humoristique et agréable à lire, la qualité de la documentation et l’avis général, ma lecture n’a pas été à ce point enthousiaste .

    .

  • Démolir Nisard

    N°1781– Septembre 2023

     

    Démolir Nisard – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Apparemment Chevillard change de registre. Dans cette chronique j’ai souvent écrit à son sujet que j’avais un peu de mal à suivre et parfois à comprendre ses nombreuses digressions, que j’étais parfois un peu lâché au cours de ses chapitres mais je me raccrochais souvent à son style jubilatoire et je faisais même volontiers des efforts pour habiter son univers parfois bien décalé. Dans ce qu’il s’obstine à baptiser « roman » il s’attache à ruiner l’image de Désiré Nisard (1806-1888), homme politique, écrivain, critique et académicien qui, pour moi était parfaitement inconnu et donc pour qui je n’ai, à priori, aucune sympathie. Pour cela il prend à témoin Métilde,(sa compagne?) et même Pierre Larousse qu’il appelle à son secours pour faire de ce personnage un portrait bien sombre et qui n’a pas laissé une trace indélébile en littérature, mais c’est aussi le cas de pas mal d’écrivains qui, après leur mort, tombent inexorablement dans l’oubli. Son rôle politique a été marqué par la palinodie et la flagornerie mais sans être spécialiste, il me semble que c’est la règle générale dans ce milieu.

    Je ne sais les raisons profondes qui pousse notre auteur à démolir en particulier Nisard, mais je dois dire qu’il le fait avec ferveur, en fait même un peu trop et met son habituel talent au service de ce but revendiqué, et cela tourne à l’argumentaire mono-thématique à tendance obsessionnelle.

    Chevillard veut-il motiver son propos dévastateur en raison de l’activité de critique littéraire de sa victime, se faisant ainsi le chevalier-blanc redresseur de torts de tous les auteurs éreintés et parfois détruits par des critiques de parti-pris qui ne tenaient même pas compte du travail de l’écrivain. C’est louable parce que la contradiction est facile

    Alors, accès de mauvaise humeur ou vieil rancune héritée peut-être de lectures anciennes peu appréciées ou d’une haine farouche et surtout incontrôlée ?.

    Même s’il est un peu de mauvaise foi et quelque peu outrancier, je dois avouer que j’aime bien le talent de Chevillard dont j’apprécie à la fois la faconde et la richesse de vocabulaire. Il fait, toujours dans la digression mais sans oublier son projet initial. Pour autant je n’ai pas bien compris ce qui motive cette particulière et violente critique à l’endroit de Nisard et, au cours de ma lecture, j’ai presque regretté ses habituelles digressions labyrinthiques.

    Le livre refermé, je n’ai toujours pas de réelles sympathies pour Désiré Nisard présenté comme un arriviste dénué de scrupules et de talent mais je crains bien que Chevillard le tirant des limbes de l’histoire et de la littérature où il dormait depuis des lustres,au lieu de le démolir l’ait, au moins pour un temps, ressuscité. Quant à Chevillard, cette volonté de détruire Nisard aurait-elle déteint sur lui ?

  • Du hérisson

    N°1780– Septembre 2023

     

    Du hérisson – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    L’écrivain veut écrire sa propre biographie. Pourquoi pas, et on n’est jamais mieux servi que par soi-même et on peut régler ainsi ses propres comptes et formuler ses propres explications à ses nombreuses contradictions, formuler ses confessions, dire des choses intimes jusque là jalousement cachées...Il a même déjà le titre « Vacuum extractor » et pas mal de notes. C’est important. Il s’installe donc à son bureau avec tous les outils traditionnels nécessaires à l’écriture... et avec un hérisson « naïf et globuleux » suivant sa propre expression. Que fait-il là et surtout comment est-il arrivé là; Là aussi pourquoi pas si cet improbable animal favorise sa démarche comme d’autres ont besoin d’un chat pour aiguillonner leur inspiration. Sauf que ce n’est pas exactement ce qui se produit et ce hérisson va perturber la démarche créatrice de l’écrivain en bouleversant son univers immédiat au point que ce dernier va brûler ses notes et laisser cette bête manger sa gomme (mais pas ses crayons) au point de ne nous parler que de ce hérisson, de sa naissance, sa vie amoureuse, son régime alimentaire, son quotidien, de ses prédateurs, de sa mort… mais d’autobiographie, rien, à part quelques rares réminiscences.

     

    Le titre lui-même est archaïque (Du hérisson) et ressemble à ceux usités jadis pour parler d’une étude scientifique ou philosophique, mais ce livre est annoncé comme un roman, c’est à dire qu’il est du domaine de l’imaginaire et donc apparemment à l’opposé d’une biographie, ce qui peut dérouter le lecteur désireux d’en apprendre davantage sur un auteur quasiment inconnu. Il y a bien des confidences et même de douloureux secrets, parfois inattendues comme le viol du narrateur alors enfant par un prêtre, mais cela donne tout de suite dans l’absurde et donc dans le non crédible. Pourtant ce texte, par ailleurs assez déconcertant (mais avec Chevillard nous commençons à avoir l’habitude), me paraît personnellement révélateur de ce qu’est le phénomène créatif. Au départ l’auteur a un projet mais, rapidement et sans qu’il sache pourquoi, les choses ne s’articulent pas comme il en avait le projet et le texte part dans un autre sens, le personnage principal (le hérisson) s’impose dans un contexte différent.. Ici le hérisson qui dévore les pages symbolise, à mon avis, ce phénomène qui brouille la démarche créatrice et transforme le projet initial, la biographie, en quelque chose d’impossible à écrire et qui échappe à l’auteur. Il y a vraiment là de quoi le perturber, et accessoirement le lecteur, et explique, peut-être, ses nombreuses et néanmoins coutumières divagations et vaticinations qui, plus souvent qu’on ne le croit, polluent l’écriture, C’est un peu comme si ce hérisson était toujours resté tapi dans l’inconscient de l’auteur et, profitant de cette envie qu’il a d’écrire sa propre biographie se manifeste d’une manière à bousculer ce projet et d’imposer sa présence. C’est de lui qu’il faut parler et pas d’autre chose ; Du coup l’auteur se demande si d’autres hérissons n’ont pas existé.auparavant mais ne sont pas morts à cause du défaut de volonté de l’auteur, de son manque de disponibilité au regard de l’écriture. Je me trompe peut-être mais c’est comme cela que je vois les choses, à moins que ce ne soit tout simplement son imagination débordante. :.

     

     

  • Juste ciel

    N°1779– Septembre 2023

     

    Juste ciel – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Même si sous nos latitudes nous faisons semblant de l’oublier, nous sommes mortels et Albert Moindre, homme très ordinaire, quoique ingénieur de maintenance des ponts transbordeurs, n’a pas échappé à la règle, percuté par une camionnette de livraison. Nous ne sommes donc que de passage sur cette terre, mais quid du moment de notre mort, de la fin de cette comédie quid du moment et des circonstances ? Destin ou liberté, et l’après ? Que devenons-nous une fois morts ? Y-a-t-il une vie après ?Le christianisme a des réponses, souvent relayées par la création de quelques peintres réellement épouvantés ou certainement stipendiés par L’Église d’alors pour obtenir des conversions basées sur la crainte de l’enfer. Nous avons sans doute tous une idée sur la question, même si la réponse que nous y apportons est de plus subjectives et évidemment invérifiable. Nous ne sommes pas beaucoup plus avancés et nos certitudes en la matière ne pèsent décidément pas lourd. Notre auteur imagine donc un improbable dialogue entre Albert Moindre, mort de son état, et un éventuel portier de cette vie éternelle qui à la fois lui révèle les réponses aux questions qu’il a pu se poser de son vivant et remet en cause certaines vérités qu’il croyait établies. Ce lieu incertain ressemble à une sorte de purgatoire, même si nous savons que de c’est une invention de cette religion pour ne pas décourager les plus dubitatifs. Il paraît que dans cet hypothétique ciel, on y retrouve ceux qu’on a aimé sur terre, à condition que cet amour n’ait pas été trahi, et pourquoi pas les autres ? Tout cela paraît bien incertain, quant au résultat de tout cela ?

    Chevillard, toujours tenté par le verbe un peu déjanté s’attaque à ce thème qu’il vaut mieux ne pas aborder en famille si on veut un repas apaisé. Il est décidément incorrigible, il faut qu’il déraille, se perde parfois dans des détails au risque de perdre aussi son lecteur et si on n’y prête attention, le voilà parti et il se laisse emporté par son imagination et tant pis pour pour ceux qui ne suivent pas ! Et j’ai toujours l’impression d’en faire partie.

    Je poursuis quand même ma lecture, toujours aussi friand de son style jubilatoire, partagé entre la curiosité et l’étonnement, peut-être aussi parce qu’il fait partie du paysage littéraire et que, si je veux pouvoir en parler, il me faut au moins l’avoir lu.

  • L'explosion de la tortue

    N°1778– Septembre 2023

     

    L’explosion de la tortue – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    Le narrateur et sa compagne Éloïse, qui habitent un deux pièces parisien partent en vacance en y laissant, Phoebe, une petite tortue de Floride mais non sans lui avoir laisser largement de quoi manger pendant cette période solitaire. A leur retour elle meurt d’avoir été ainsi abandonnée. Un tel événement est toujours un petit drame pour les amateurs d’animaux de compagnie. On aurait pu s’arrêter là mais c’est compter sans la faconde de Chevillard qui, donnant la parole à son unique personnage lui permet de raconter sa vie et d’évoquer l’inconséquence de la voisine du dessus avec ses talons et son chien, le libidineux concierge. On en apprend de belles sur lui, sur sa jeunesse et ses expériences incestueuses avec sa propre mère, les épisodes de harcèlements scolaires auxquels il a lui-même participé et dont il se vante. Ainsi, à partir d’un banal épisode de vie du commun des mortels qui serait passé inaperçu notre auteur décline-t-il toute une histoire à la fois délirante et échevelée, mêlant truismes, aphorismes, jeux de mots et sur les mots, termes surannés et néanmoins poétiques …Mais je commence à en avoir l’habitude !

    Tout cela débouche, allez savoir pourquoi, sur l’évocation des œuvres posthumes de Louis-Constantin Novat, auteur inconnu sauf de notre narrateur qui avait fait des recherches sur cette œuvre et s’était vu dépossédé de son travail par un indélicat. Il entend maintenant se l’ approprier. Au moins a-t-il l’honnêteté de l’avouer mais ce plagiat pourtant déjà usité est pour lui une occasion de régler des comptes autant avec un lectorat tiède qu’avec des éditeurs boudeurs. Pourtant cela ne fonctionne pas.

    Chevillard en profite pour nous parler des animaux ; Il semble avoir une obsession des hippopotames, déjà présent dans « Oreille rouge », un autre de ses romans. Il passe tellement du coq à l’âne qu’on ne serait pas étonné qu’il évoquât l’une et l’autre de ces bêtes au détour d’un paragraphe, surtout si elles n’avaient rien à y faire. Quant à son histoire initiale de tortue, le lien qu’il fait entre ces deux thèmes est des plus subtils, pour ne pas dire fragiles. Peut-être ces tentatives avortées de redonner vie à cette pauvre Phoebe sont-elles à rapprocher à celles de faire revivre l’œuvre de Novat ? Pourquoi pas, mais je ne suis sûr de rien !

    Je dois reconnaître que son style est toujours aussi jubilatoire. Le livre refermé, j’admets que, même si j’ai eu un peu de mal à suivre (je ne dois pas être le seul) et si j’ai une idée un peu différente de la littérature (idée rétrograde à n’en pas douter et qu’il convient de combattre en ne refusant ni l’originalité, ni l’étonnement bien légitime éprouvé après une telle lecture) j’ai néanmoins poursuivi ma lecture jusqu’au bout, partagé entre l’envie de connaître l’épilogue (ce terme ici n’est sûrement pas autres chose qu’un concept) et de continuer à entendre cette petite musique, tout en étant persuadé que je n’y comprend rien.

  • Oreille rouge

    N°1777– Septembre 2023

     

    Oreille rouge – Eric Chevillard – Les éditions de Minuit.

     

    L’écrivain que nous allons appeler Jean-Léon (un prénom double fait toujours plus sérieux) va devoir partir pour l’Afrique où on l’envoie, officiellement pour écrire un long poème sur ce continent qu’il ne connaît pas. Un intellectuel qui se respecte ne peut en effet moins faire que de sublimer son voyage-découverte par un écrit de sa main. C’est évidemment un jalon dans sa vie et surtout dans sa bibliographie. Il décrit donc ce qu’il voit, le soleil, la chaleur, les lions, les girafes, le fleuve, la couleur des boubous et le village du Mali où il arrive lui donne le nom d’ « oreille rouge » et le nomme roi, enfin c’est ce qu’il prétend. Il découvre ce continent, mais avec ses yeux d’Européen mais n’échappe ni aux moustiques, ni à la pollution des villes bien peu soucieuses de nos préoccupations écologiques, s’extasie devant l’ingéniosité des Africains, s’étonne des paroles d’un griot, du travail des femmes, des légendes locales et des rituels magiques quelques peu mystérieux pour lui. Il note ses impressions sur son petit carnet noir qui lui servira plus tard pour écrire cette œuvre mais ce qui l’intéresse le plus, en dehors des femmes qu’il croise, les baobabs et le Niger ce sont les hippopotames (on en apprend beaucoup sur eux) que lui fait découvrir Toka, un guide local .

    Il va sans dire que ce poème sera sa grande-œuvre mais, à son retour en France, en dehors de se mettre lui-même en valeur, de devenir au moins pour un temps « l’africain », qui ne jure que par ce continent, il passera vite à autre chose. Quant à son long poèmes...Que dirait-il maintenant sur le Mali qui vomit la France ?

    J’avais quelques appréhensions en ouvrant ce livre, surtout depuis que j’ai croisé Chevillard. Les remarque sont pleines de bon sens et le style toujours aussi jubilatoire.

  • la pitié dangereuse

    N°1776– Septembre 2023

     

    La pitié dangereuse – Stefan Zweig – Grasset.

    Traduit de l’allemand par Alzir Heila .

     

    A la veille de la Première guerre mondiale un jeune lieutenant obscur et pauvre, Anton Hofmiller, se trouve en garnison dans une petite ville d’Autriche. Par hasard, il se trouve invité chez un riche notable, M de Kekesfalva, veuf et malade dont la fille unique, Édith, est paralysée. A la suite d’une gaffe, le jeune officier multiplie les gestes d’apaisement et les visites faites à Édith pour se faire pardonner mais les circonstances amènent Anton à prendre la véritable mesure de la personnalité du vieillard. Celui-ci s’attache à Anton en lui témoignant des marques de confiance dans l’espoir de le voir épouser sa fille pour assurer son avenir, misant sans doute sur la pauvreté du jeune homme. Édith éprouve de l’amour pour Anton, où à tout le moins le croit-elle et lui ne lui témoigne que de la pitié pour lui permettre d’entretenir des espoirs de guérison tout en prenant conscience du danger de cet enjeu pour la jeune fille. Voit-il également son avantage dans cette proximité qui peut lui apporter une protection, une occasion unique de sortir de la gêne financière et un avancement plus rapide, les officiers supérieurs de son régiment étant également reçus chez ce riche notable. En réalité il est de parfaite bonne foi et sa pitié est authentique, comme l’est son rôle de bon Samaritain. Veut-elle voir dans cette somme de sollicitudes un attachement amoureux à sa personne que beaucoup d’hommes négligent à cause de son infirmité, nonobstant sa richesse ? Au cours du roman elle n’en est pas moins agressive à l’endroit du jeune homme ce qui peut laisser à penser qu’elle n’est pas dupe de sa conduite envers elle mais cela cache mal ses sentiments amoureux. Elle lui fait même des révélations inattendues au regard des sollicitudes dont elle est l’objet et les hésitations du jeune militaire, ses états d’âme face à cette situation trahissent peut-être celles de Zweig. Anton rassure-t-il Kekesfalva par compassion ou par intérêt face aux révélations du docteur Condor? Ce médecin continue-t-il à soigner Édith par pitié ou pour entretenir sa malade et son père dans l’illusion de la guérison ? Anton prend conscience qu’il a ainsi joué avec le feu et qu’il va s’y brûler, son sens de l’honneur et de la parole donnée sera un temps estompé par le maelstrom de l’Histoire, la mort tant recherchée comme une expiation, se refusant à lui, Ce qu’il considère comme une faute personnelle continuera à peser sur lui jusqu’à la fin.

     

    J’ai retrouvé comme toujours chez Zweig la pureté de la phrase (servie par la traduction) mais surtout la délicate et pertinente analyse des sentiments humains, la façon habille et efficace de présenter chaque personnage dans sa réalité, derrière l’hypocrisie, les mensonges et les manœuvres que chacun déploie pour parvenir à ses fins face à la crédulité et à la naïveté de l’autre. Et la vanité des choses humaines ! L’amour est le thème central de ce roman comme il conduit et bouleverse parfois bien des destinés humaines sans qu’il soit toujours possible de distinguer les vrais sentiments des intérêts personnels et des petits arrangements mesquins., Il y a ici une dimension particulière, un sens de l’honneur et de la parole donnée, ce qui est quelque peu anachronique dans notre société d’aujourd’hui qui a perdu nombre de ses repères. Il n’y a pas d’amour mais seulement des preuves d’amour, dit-on, et Édith choisit de les voir dans les sollicitudes du jeune lieutenant qui n’agit envers elle que par pitié. Nous sommes certes dans un roman, mais mon observation de la société humaine me fait de plus en plus faire mienne cette pensée de Lacan « L’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Quant à la pitié véritable, en dehors de celle de certains religieux ou humanitaires désintéressés, je n’y ai jamais tellement cru.

     

    Zweig était un intellectuel hors pair, un humaniste, un témoin exceptionnel de son temps et de l’espèce humaine. Ce roman parait en 1939 alors qu’il est un écrivain célèbre mais persécuté par le nazisme, ce qui le déterminera à s’exiler en Angleterre sans espoir de retour en Autriche. Il est accompagné de Lotte, sa secrétaire qui deviendra sa femme et le suivra dans la mort au Brésil en 1942. Son désespoir face à l’humanité et à son devenir, le bouleversement dans sa vie personnelle affectent les dernières années de sa vie.

     

     

     

  • Monotobio

    N°1775– Septembre 2023

     

    Monotobio– Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Il faut toujours se méfier avec Eric Chevillard, quand il annonce quelque chose dans le titre d’un de ses romans, il est rare que le lecteur ne soit pas surpris de ce qu’il lit et que son imagination ne soit pas quelque peu bousculée. Ici on peut raisonnablement penser que, pour des raisons de phonétique, cela va tourner autour de la voiture écologique à cause notamment de la présence de quatre O, comme des roues. Que nenni, il va s’agir d’une autobiographie, quelque peu étonnante cependant pour quelqu’un né en 1964. Après tout pourquoi pas ?

    C’est plutôt mal parti, à tout le moins selon les règles traditionnelles de ce genre littéraire et le lecteur se voit crédité de nombreuses scènes sans aucun lien entre elles, comme une sorte de puzzle dont il est chargé d’assembler les morceaux, ou de fermer le livre ! Comme toujours depuis que j’ai croisé les romans de Chevillard, j’ai poursuivi ma lecture, principalement par curiosité. Je ne suis pas vraiment spécialiste mais il me semble qu’une biographie, fût-elle « oto », apporte des éléments essentiels de la vie de celui dont il est question. Ici il s’agit certes d’événements de sa vie passée puisqu’il use du passé simple, c’est certes intéressants mais, à bien y regarder, il s’agit finalement de petits détails anodins sans beaucoup d’ importance ni d’intérêt sur son parcours révolu mais qui se résume à son état d’écrivain qui dédicace ses ouvrages lors de manifestations culturelles, à ses voyages au Portugal et autres lieux, à la gastronomie, aux soins apportés à une tendinite, à ses lectures et à des remarques sur la mort et sur le destin. Il est surtout question de son quotidien avec ses deux filles Suzie et Agathe qui, comme tous les enfants, représentent son avenir, mais avec tout cela on est bien loin d’une biographie classique qui est un retour sur le passé. Pour marquer la chronologie l’auteur prend seulement la précaution d’égrener les évènements extérieurs importants pour lui, ses rencontres et la conception, la correction ou la promotion de ses livres... Décidément, c’est l’art de passer du coq à l’âne et, à ce sujet, je trouve dommage que ces deux animaux n’aient pas été invités à donner leur avis qui, je n’en doute pas, eût été pertinent.

    Le livre refermé, c’est un peu comme à chaque fois, je me demande ce que je viens de lire, et surtout si j’ai j’en ai compris le sens mais, devant ce flot de détails,, j’ai quand même fini par me lasser.

     

  • Préhistoire

    N°1774– Septembre 2023

     

    Préhistoire – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Le narrateur, ancien archéologue, se retrouve nommé gardien-guide des grottes de Pales richement décorées de peintures rupestres. Il tarde cependant à prendre ses fonctions non seulement parce qu’il estime qu’il n’est pas payé cher et qu’il n’a jamais touché le moindre centime de son salaire. Delà à penser qu’il a été recruté pour ne rien faire, qu’il n’est ici que par protection, il n’y a qu’un pas. Il se contente donc de balayer des allées, de nettoyer les fresques, d’inventorier les caisses....

    Cette histoire s’étire en longueur au rythme des nombreuses digressions qui n’ont rien à voir avec elle, depuis la taille de l’uniforme dont il a hérité de son prédécesseur et qui ne lui va pas du tout, jusqu’à la couleur du carrelage ou le mobilier d’un débarras en passant par les moucherons qui finissent leur vie, collés à la peinture fraîche, le destin des taupes, la technique de conservation des haricots, la biographie de Nicolas Appert, l’ambiance dans les grottes, la visite virtuelle et quelque peu surréaliste du site...C’est dommage, j’aurais bien fait quelques pas en sa compagnie d’autant que le texte est documenté (parfois trop et cette documentation part évidemment dans tous les sens) , le style plein de poésie, les digressions jubilatoires, mais j’ai eu un peu de mal à le suivre. Il avoue lui-même ce travers (« Je suis quelqu’un que l’on a parfois un peu de mal à suivre ») et, refermant le livre, je suis partagé entre la déception et l’envie de le lire à nouveau en me demandant ce que me réserve le prochain roman. Quant à l’épilogue, il est à la hauteur de ce roman, à la fois farfelu et inattendu.

  • au plafond

    N°1773– Septembre 2023

     

    Au plafond – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Dans l’univers créatif d’Eric Chevillards, pour ce que j’en connais, il ne paraît pas incongru de croiser quelqu’un qui, en permanence, vit coiffé d’une chaise retournée. Certes, ce n’est guère pratique pour passer sous les portes et on peut légitimement s’en demander la raison. Elle est simplement professionnelle. Pourquoi pas d’autant que c’est une marque de solidarité avec les mouches, les araignées et les paresseux, je veux dire des animaux exotiques qui passent leur temps accrochés aux branches. Cela ne l’empêche pas de plaire à une femme, Méline, et c’est sûrement essentiel. Kolsky, l’ami du narrateur passe son temps reste suspendu par les pieds en permanence à un crochet du plafond parce qu’il prétend qu’ainsi les idées lui viennent mieux. Pour compléter ce tableau, voici Mme Stempf, chaisière, perpétuellement enceinte, entendez par là qu’elle refuse de séparer de ses enfants, lesquels se trouvent apparemment bien à l’abri dans son ventre et son liquide amniotique. Elle-même fait ce qu’elle peut pour les distraire. Il y a aussi Topouria le grutier, les inséparables Malton et Lanson, tous occupés à résoudre un problème apparemment insoluble. Tout ce petit monde vit en marge sur le chantier d’une bibliothèque jamais construite avant de s’installer chez les parents de Méline, au plafond De leur appartement ! A l’évidence nous sommes dans un conte philosophique, une fable et bien entendu il faut en rajouter avec des histoire de princesse, de roi et de jeune et beau chevalier. Quant aux nombreuses questions qu’on ne manque pas de se poser, elles restent en suspens, si je puis dire.

     

    C’est le troisième roman que je lis Eric Chevillard. En dehors du fait de vivre au plafond, c’est à dire vouloir se démarquer des autres, signaler ainsi sa volonté de solitude, sa soif de tolérance, de liberté que n’affectera pas l’attraction terrestre, je ne vois pas, même si je respecte par principe le travail de l’auteur et sa volonté de nous inviter dans son univers, fût-il humoristique, absurde ou simplement l’occasion d’un exercice de style parfaitement recevable. D’autre part, je me refuse à trouver génial ce que je n’ai pas compris.

  • La nébuleuse du crabe


    N°1772– Septembre 2023

     

    La nébuleuse du crabe – Eric Chevillard – Les éditions de minuit.

     

    Après avoir lu Ronce-Rose qui m’avait laissé quelque peu dubitatif, j’ai eu envie d’explorer l’univers créatif d’Eric Chevillard, sans d’ailleurs savoir vraiment pourquoi ni où cela me mènerait.. Ce second roman qui se trouve être le cinquième de cet auteur a un titre qui m’évoque plutôt une étoile qui aurait explosé, formant une sorte de masse gazeuse en expansion émettant des radiations. Il y a la mort dans ce processus mais aussi une vie en devenir, du mystère et des hésitations... Je ne suis pas spécialiste et cela paraît bien hermétique pour le profane que je suis mais je comprends que ce contexte ait inspiré nombre de fictions. Alors pourquoi faire un bout de chemin avec lui ?

    Ici Crab (sans e) est un homme qui vaut son pesant de paradoxes, il est fantasque, idéaliste, inattendu, malchanceux, mythomane, contradictoire, insatisfait, révolté, plein de projets qui ne voient jamais le jour, perdu dans une vie qu’il n’aime pas et qui ne l’aime pas non plus. Ce qu’il fait ne sert à rien, mais il le fait quand même, peut-être pour se prouver qu’il existe, malgré l’ennui qui est son compagnon ordinaire ... Il fait de son mieux pour échapper à sa condition, mais finalement ce qui reste de tout cela c’est de désœuvrement, la solitude, une lutte contre le temps, mais une lutte perdue d’avance parce tout cela lui échappe. Il navigue en permanence entre « Plans sur la comète » et « Châteaux en Espagne », c’est une fuite et ce qui résulte de tout cela tien en un mot : échec (et mat?). De tout cela, du néant, du vide, il a conscience puisqu’il le vit au quotidien. C’est l’image même de la mort qui ne lui fait pas peur et même la religion et ses vaines promesses ne le rassure pas. L’auteur nous raconte son histoire ou plus exactement nous rapporte des faits de sa vie, aussi disparates et imaginaires qu’absurdes et déjantés, par petites touches contradictoires, inattendues. Il est victime de son destin, se cherche mais se résigne et se console comme il peut . Mais qu’on se rassure, même si ce personnage est un peu « nébuleux », il reste un homme avec la vie et la mort.

     

    Je ne suis pas spécialiste mais cette écriture baroque, cette façon de rendre une certaine vision du monde, m’évoque Gaston Chaissac (1910-1964), un peintre autodidacte dont les personnages difformes et tourmentés expriment la souffrance, l’incompréhension et me rappellent un peu Crab. Ce dernier qui au départ m’a paru assez bizarre et même hors champ, je dirai que, au fil des pages, je me suis attaché à lui au point d’y voir une certaine image de la condition humaine, certes un peu exagérée, aux traits volontiers appuyés mais finalement assez fidèle dans ses excès.