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Articles de hervegautier

  • ANGES DECHUS – Gunnar Staalesen

    N°682– Octobre 2013.

    ANGES DECHUS – Gunnar Staalesen- Gaia

    Depuis que feu le service militaire a disparu, il ne reste plus que les rencontres d'anciens camarades de classe pour parler du bon vieux temps. Pour cela, il n'est rien de tel que des enterrements pour se retrouver, même si c'est autour d'un cercueil qu'on évoque les bons moments. Jan Petter Olsen vient de mourir, tombé d'un échafaudage, un banal accident du travail et c'est l'occasion pour Varg Veum, policier privé norvégien, de retrouver ses vieux copains, ceux avec qui il peut parler de sa jeunesse, des années d'insouciance, l'occasion aussi de se pencher sur le parcours personnel et professionnel de chacun et bien entendu du groupe de rock, « les Harpers » qui, à cette époque ont connu un vif succès et dont faisait parti le défunt. Varg, quant à lui était en marge des « Harpers », en était juste un admirateur qui les suivait.

    La cérémonie terminée c'est dans les bars de Bergen que se poursuit leurs conversations d'autant qu'elles évoquent aussi leurs amours passées. Jakob, ancien membre de des « Harpers » demande à Varg de retrouver sa femme, Rebecca, qui vient de le quitter. C'est délicat pour lui puisque cette Rebecca est l'ancienne amie d'enfance de Varg que, bien sûr, il n'a pas oubliée, même si l'amour qu'il lui portait n'était pas vraiment partagé et qu'entre eux il n'y a jamais rien eu que de très chaste. Si, à l'époque il lui avait parlé, sa vie aurait sans doute pris une autre route ! C'est l'occasion pour Varg d'aller au devant de ses illusions perdues, de rencontrer les fantômes qu'il croyait oubliés. Apparemment elle est partie avec Johnny Solheim, le chanteur de l'ancien groupe mais rien n'est sûr, cette Rebecca paraît être une nomade de l'amour. Au fur et à mesure de ses recherches, notre « privé » constate que deux des anciens membres du groupe sont déjà morts, mais pas de vieillesse, et Johnny, objet des recherches de Varg est retrouvé poignardé en pleine rue. Pourtant, les choses se compliquent un peu puisque Jan Petter Olsen qui vient de mourir n'était pas membre des « Harpers ». Seul Jakob survit... pour combien de temps ? C'est d'autant plus inquiétant que Johnny, avant de mourir avait reçu un message explicite qui donnait à penser à une suite fatale, une série de quatre images d'anges dont deux était déjà rayés (Harpers veut dire anges en norvégien). De plus, il s'interroge sur ce qui a bien pu provoquer, à l'époque, son éclatement mystérieux, c'était en 1975, exactement le 16 octobre, onze ans avant !

    Apparemment c'était une histoire de filles, Johnny avec Rebeca, déjà, et Jakob avec Anita , même si c'est un peu plus compliqué et apparemment la gent féminine tournait beaucoup autour des « Harpers » ! Ce n'était pas la même époque, on vivait plus librement, et le groupe avait des fans féminines prêtes à tout. Quant à Anita, elle semble avoir beaucoup contribué à l'éclatement du groupe, sa vie amoureuse était à l'époque sans entrave, son mariage avec Johnny battait de l'aile... Cette année 1975 a sonné comme celle des anges déchus. Elle a été le début de la fin pour le groupe mais aussi l'explication de bien des événements.

    Les investigations de Varg l'amènent à connaître des membres de la police, le Commissaire Dankert Muus et son adjoint Ellingsen, Vadheim et Jensen... et de tâter des geôles locales puisqu'il était le dernier à avoir vu Johnny vivant. Ses recherches bousculent un peu le passé de ses anciens amis, dépoussièrent leur personnalité et leur amitié de façade, ce qui n'est jamais sans mauvaises surprises. Il est vrai qu'il patine un peu notre « privé » mais il a bien du mal à faire parler des gens qui veulent avant tout oublier cette période de leur vie. Silences, non-dits, choses inavouables, mensonges, adultères, viol, inceste, trahisons, rivalités amoureuses, vies brisées, vengeance, fascinations réciproques mais aussi haines et violence entre personnages, forment la trame de ce roman. Et tout cela sur fond de période de Noël, de normalité et d’apparences trompeuses qui dégoûtent Varg. Il y a là sans doute de quoi noyer ce chagrin là dans l'alcool. On se raccroche à ce qu'on peut face à une vie qui ne vous fait pas de cadeaux. S'y ajoute un discours religieux surannée et en aucune façon apaisant sauf pour ceux qui en sont convaincus d'avance, le contraire en tout cas d'un traditionnel message d'espoir qu'on est en droit d'attendre de cette institution. Ce qui importe au Pasteur Berge Brevick à la fois pathétique et hypocrite, c'est, comme au plus beau temps du Moyen-Age, qu'une âme soit sauvée ! Les hommes sont bien des anges déchus mais assurément l'espèce humaine n'est guère fréquentable, un roman de la désespérance ou peut-être de la réalité !

    C'est un roman un peu glauque et pessimiste que j'ai lu jusqu'à la fin, partagé entre l'envie de connaître la fin et étonné par les nombreux rebondissements qui entretiennent le suspense. La fin quant à elle ne surprend guère et est bien dans le droit fil de ce récit, pas tellement fictif.

    Je suis moi-même un peu versé dans la nostalgie et j'avoue que ce roman en est chargé, notamment avec des souvenirs d'enfance, des moments perdus ou gaspillés qu'on ne peut rattraper et qu'on regrette, avec le souvenir des Beatles, d'Elvis Presley et de James Dean, ce qui n'est pas pour me déplaire, même si cela ne me rajeunit pas !.

    © Hervé GAUTIER - Octobre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LULU FEMME NUE – Étienne Davodeau

     

    LULU FEMME NUE – Étienne Davodeau – Futuropolis (B.D.)

     

    Les lecteurs friands de bandes dessinées pornographiques vont être déçus, le titre, même s'il invite aux fantasmes ne cache rien d'autre qu'une banale histoire, une tranche de vie d'une femme de quarante ans, mariée, mère de famille qui, après une longue période de chômage de plus de quinze années décide de se rendre à un entretien d'embauche à quelques dizaines de kilomètres de chez elle. Bien sûr, sans diplôme ni qualification, cela tourne court mais au lieu de rentrer directement chez elle, elle décide de s'octroyer une journée de liberté. Elle croise la route de Solange, une VRP qui l'invite à parler d'elle, ce qu'elle n'a encore jamais fait. C'est bien la première fois que quelqu'un s'intéresse à elle dont la vie, jusque là, se résumait à pas grand chose « J'ai parfois l'impression d'être presque une extension de la gazinière et du lave-linge », « ma vie ne me plaît pas, il ne se passe rien » avoue-telle. Poursuivant son projet de liberté temporaire, Lulu demande à Solange de l'emmener avec elle. Elle se retrouve donc au bord de la mer, en octobre, errant entre jetée et plage ou au hasard des rues, seule mais surtout ne cherchant pas à prévoir l’instant d’après, libre, apaisée, calme.

     

    Elle s'est simplement contentée d'annoncer par téléphone à sa famille et à Cécile, son amie, sa petite escapade temporaire sans qu'elle sache vraiment combien de temps elle va durer. Chez elle, on s'inquiète, son mari, Tanguy, un être frustre, pas très fin et alcoolique qui commence à noyer son ennui dans la bière, ses deux fils, Morgane, sa fille de seize ans. Xavier, le mari de Cécile part à la recherche de Lulu. Pendant ce temps, notre aventurière rencontre Charles et en tombe amoureuse, décide de vivre avec lui quelques jours même s'il se révèle être un ancien taulard flanqué de ses deux frères, sorte de pieds nickelés marginaux, mais sympathiques et attachants. Xavier puis, à sa suite Margot et ses frères retrouvent Lulu mais décident de la laisser vivre cette passade. Elle repart donc à l'aventure, sur la route, sans argent et rencontre Marthe, une veuve solitaire mais philosophe qui lui offre son amitié et ses rillettes périmées contre la relation de son histoire et de ses journées désœuvrées. C'est un échange à la hauteur de cette histoire échevelée et même parfois un peu surréaliste mais peu importe, nous sommes dans une fiction, restons-y ! La vie s'écoule ainsi jusqu'à leur rencontre avec Virginie, une jeune serveuse de bar un peu paumée et exploitée par sa patronne. Un temps elle semble marcher avec ses deux comparses et veut tout envoyer par dessus les moulins mais finalement préfère son travail mal payé et précaire. Finalement tout rentrera dans l'ordre mais pas exactement comme avant, quand Lulu ne vivait que pour les autres.

     

    Ce que je retiens de cette fable qui n'est peut-être pas si fictive que cela, c'est qu'elle est une illustration de ce « démon de midi » qui intervient dans chacune de nos vies, souvent sans prévenir et les illumine ou les pourrit, c'est selon. J'ai apprécié également l'humour subtil du texte et des dessins, le suspens qui irrigue tout ce récit puisque, au fil de cette lecture on ne peut pas ne pas penser que Lulu est morte à la suite de cette foucade. C'est en effet Xavier qui, au cours d'une nuit entre copains et à l'aide de bières, d'interrogations et d'états d'âme fait la relation de cette aventure de Lulu. Cela ressemble à une veillée funèbre. Ce n'en est pas une, quoique !

    J'observe aussi que c'est la parole qui a pris le dessus sur le gris de la vie de Lulu et de Marthe. La couleur justement, elle varie entre la grisaille et le sépia, le bleu étant réservé au ciel et à la mer, symbole de cette liberté que le bord de la mer souligne et que Lulu attendait peut-être depuis longtemps sans oser sauter le pas. Pendant ces dix neuf jours qu'a duré son escapade, cette femme pas vraiment belle, mal habillée et pas sexy du tout a été elle-même pour finalement revenir au bercail entre enfants, mari et quotidien ménager. En fait de nudité, elle est beaucoup plus morale que physique et on imagine la vie future de Lulu, même dans son quotidien familial qui ne sera plus vraiment pareil après cette fugue.

     

    Je ne suis pas familier des bandes dessinées mais là, j'ai bien aimé et cela a consisté pour moi en un bon moment le lecture, plein d'émotion, de tendresse, d'humanité.

     

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur John Irving

    N°678– Septembre 2013.

    Quelques mots sur John Irving

    A la suite de la lecture du numéro spécial du Magazine littéraire d'août 2013 consacré aux « 10 grandes voix de la littérature étrangère », j'ai choisis parmi ces écrivains la figure de John Irving.

     

    Ce romancier et scénariste américain est né en Mars 1942. Sa naissance a été pour lui et pendant de nombreuses années une sorte d’interrogation qui a nourri son œuvre romanesque. L'un de ses roman « Je te retrouverai » est marqué par ce thème et beaucoup d'autres mettent en scène des femmes seules qui élèvent leurs enfants. Sa mère, Helen Winslow, descendante d'une des plus vieilles familles de Nouvelle-Angleterre, l'a mis au monde hors mariage, refusant obstinément de lui révéler le nom de son père. Il ne connaîtra que très tardivement le nom de son géniteur lorsque celui-ci sera mort. Plus tard, elle se mariera avec avec Colin Irving, un professeur d'une prestigieuse université et il donnera son nom à son beau-fils. Il fit des études à l' Exter Academy mais y fut un étudiant médiocre à cause d’une dyslexie diagnostiquée tardivement et obtint son diplôme de littérature. Il fut cependant un lutteur passionné et talentueux ce qui lui permit de compenser , dans ce pays où le sport est roi, une scolarité difficile. Il obtint ensuite une bourse, partit pour l'Autriche.

    Sa carrière littéraire démarra à 26 ans avec la publication d'un premier roman « Liberté pour les ours » mais le succès ne fut pas au rendez-vous. « L'épopée du buveur d'eau » et « Un mariage poids moyen » connurent le même sort mais ce ne fut que son quatrième roman, « Le monde selon Garp » qui fut un best-seller international porté à l'écran en 1982 par Georges Roy Hill. Cet ouvrage le fit littéralement sortir de l'anonymat.

    A partir de 1985, il publia des romans diversement accueillis par la critique mais où l'influence de Charles Dickens se fait sentir. Il confesse lui-même ne pas avoir été attiré par les grands noms de littérature américaine comme Faulkner, Fitzgerald ou Hemingway. « Le XIX° siècle m'a toujours parlé » ou « J'avoue que je suis un écrivain du XIX° siècle » ; C'est aussi un écrivain engagé, militant pour la tolérance, le respect des différences notamment en faveur des minorité sexuelles, comme dans « A moi seul bien des personnages », son dernier roman. Ses romans sont souvent volontiers polémiques et sont porteurs de débats.  Il est aussi un adepte des romans longs, faisant porter ses intrigues souvent sur l'adolescence et le passage à la vie d'adulte.

    Il reste un exceptionnel raconteur d'histoires qui passionne son lecteur et ne le libère qu'une fois le livre refermé.

     

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin

    N°680– Septembre 2013.

    LA NUIT TOMBEE – Antoine Choplin – Éditions la Fosse aux ours.

    Prix du roman France Télévision 2012.

    Gouri est écrivain public à Kiev où il vit avec Térésa sa femme et leur fille Kesnia. ll revient à moto pour la première fois depuis deux ans dans le région contaminée de Tchernobyl interdite au tout habitant. Pourtant, avant de se retrouver dans la zone interdite il traverse des villages ou de rares être humains vivent encore et qui ont choisi de rester pour braver l'interdit ou simplement parce qu'ils n'avaient pas ailleurs à aller, au mépris de la souffrance et de la mort.

    C’est que ces lieux ont été pour lui synonymes de bonheur familial jusqu'à l'explosion de la centrale et il a été contraint de les quitter. S'il a été épargné par la catastrophe, cela n'a pas été le cas de sa fille Ksénia contaminée par la radioactivité. S'il est là, c'est parce qu'il s'est assigné une mission : récupérer la porte décorée par leur fille de leur ancien appartement, à Pripiat. Pour cela il lui faut entrer dans la zone interdite malgré l'interdit, les soldats qui contrôlent et les trafiquants qui pilent tout, mais avant de pousser plus loin, il rencontre ses anciens amis, Iakov, Vera, Kouzma qui survivent comme ils peuvent, irradiés et malades. Avec eux, il évoque le passé, ceux qui ont choisi de se dévouer sans aucune protection pour tenter d'enrayer la catastrophe, ceux qu'on a appelés « les liquidateurs » et qui, pour la plupart sont morts, ces maisons enfouies par les bulldozers, ces champs qu'il a fallu décaper et traiter, ces villes désormais désertes et surtout ce silence, ce vide, ce monde désormais interdit. On évoque cet avant-goût de l’apocalypse en buvant de la vodka comme pour exorciser ces événements et ce présent qui est une hypothèque sur l'avenir et en mangeant des produits contaminés, comme par défit. Gouri a sa façon à lui de réagir, depuis la catastrophe, il a composé un poème par jour « comme un petit crachat de ma salive à moi dans le grand feu, et se sera comme ça tous les jours que Dieu me donnera. »

    L'art serait-t-il le dernier rempart contre la souffrance et la mort, la barbarie, contre ce réacteur qui menace toute l'Europe, qui reste comme une insulte à l'humanité. Le nom de Tchernobyl n'est jamais cité comme si ce livre était celui d'un retour, celui d'un poète, d'un écrivain public qui a été « liquidateur » mais ne trouve rien de mieux que les mots pour réagir face à l'horreur et à la mort, « oui mai c'est déjà pas mal » note-t-il... Il y a aussi une une dimension poétique dans ce livre. Iakov, cet ami qui va mourir et qui le sait demande à Gouri le poète de l'aider à écrire, une ultime fois, une lettre d'amour à sa femme pour la remercier d'avoir été à ses côtés, quelque chose qu'elle aimera lire, qui lui fera du bien quand il ne sera plus là ! Il faut que cela soit écrit de sa main, par lui, comme si cela venait de lui, même si ce ne sont pas exactement ses mots. Cette complicité entre un homme qui va mourir et un autre qui va rester en vie se manifeste donc à travers des mots, de la poésie, la seule chose qui vraiment incarne la vie... Et puis il y a les poèmes de Gouri qui disent avec une grande économie de mots tout ce que cet épisode a eu de monstrueux et qui porte encore en lui sa dimension de mort. « La bête n'a pas d'odeur et ses griffes muettes zèbrent l'inconnu de nos ventres. D'entre ses mâchoires de guivre jaillissent des hurlements des venins de silence qui s’élancent vers les étoiles et ouvrent des plaies dans le noir des nuits. Nus voilà pareil à la ramure des arbres dignes et ne bruissant qu'à peine transpercés pourtant de mille épées à la secrète incandescence ».

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Décès d'Alvaro Mutis

    N°679– Septembre 2013.

    Décès d'Alvaro Mutis

    J'apprends le décès d'Alvaro Mutis survenu le 22 septembre dernier au Mexique où il vivait. Il avait 90 ans.

    Les habitués de ce site, les lecteurs de cette chronique qui date maintenant d'une trentaine d'années ne peuvent ignorer l'intérêt que j'ai très tôt porté à l’œuvre du poète et romancier colombien. La Feuille volante en a largement gardé la mémoire [N°75 ,100, 163...] et je veux ici rendre hommage au talent de cet auteur même si je n'en ai jamais été qu'un simple lecteur anonyme mais passionné.

    Il était l'ami de Gabriel Garcia Marquès qui avait su discerner chez lui un remarquable talent de conteur, « L'un de nos plus grands écrivains » avait dit le lui le Prix Nobel ! Il y avait entre eux une sorte de complicité littéraire puisque que Marquès avouait volontiers « Il y a une part importante d'Alvaro dans presque tous mes livres. ». En France Bernard Clavel avait dit de lui « Mutis est un enchanteur ».

    Né en 1923 à Bogota, il avait habité en Belgique où son père était diplomate. Il y resta jusqu'à la mort de ce dernier en 1932. Il revint en Colombie pour s'y marier et y exercer des fonctions d'animateur radio et de chroniqueur littéraire. Il orienta ensuite sa carrière dans le domaine de la publicité puis des relations publiques auprès de société pétrolières, d'aviation ou d'assurances. Il fut un temps inquiété pour une affaire de malversation financière qui l'obligea à s'exiler au Mexique où il fut incarcéré. Ensuite il parcourut le monde pour vendre des films pour l'industrie cinématographique américaine. Ses fonctions lui permirent de voyager et ainsi sans doute de concevoir la figure emblématique de son œuvre, celle de Maqroll El Gaviero, Maqueroll le Gabier. Avant cela, il y eut des romans, des poèmes qui n'ont peut-être pas rencontré un vif succès mais dont Otavio Paz n’a pas manqué, dès 1959, de souligner l’intérêt parlant de leur auteur comme d' «  Un poète dont la mission consiste à convoquer les vieux pouvoirs, faire revivre la liturgie verbale, dire la parole de vie. » 

    Le voyage est au cœur de son œuvre et je voudrais revenir sur le personnage de Maqroll qui l'incarne. Héritier de la marine à voile, le gabier est celui qui, juché en haut du plus haut mât du navire, veille à la manœuvre mais aussi à la marche du bâtiment. La vigie c'est lui, il est le veilleur, celui qui ne dort pas, qui observe. La figure de Maqroll apparaît dès 1953 dans un recueil de poèmes publié plus tard en France sous forme de traduction et intitulé « Les éléments du désastre ». Elle ne quittera plus son œuvre au point qu'on pouvait dire que l'auteur et Maqroll marchaient d'un même pas, mais si c'était au bord de l'abîme que ce pauvre monde incarne. Ce Maqroll n'est rien d'autre qu'un modeste membre d'équipage souvent attaché à un rafiot brinquebalant qui se traîne sur les mers ou sur les fleuves. Il ne pose que très rarement sac à terre mais quand cela lui arrive, le continent lui réserve aussi des surprises souvent pas très bonnes. C'est sans doute pour cela qu'il est notoirement incapable de se fixer quelque part ! Et dans ce sac justement il y a ce qu'on ne s'attend pas à trouver, ce sont souvent des livres rares et précieux qu'il relit jusqu'à satiété. C'est que cet homme, s'il a, à sa manière, des « semelles de vent » est cultivé, c'est un honnête homme qui vous parle volontiers de la guerre de succession d'Espagne, de celles de Vendée, cite par cœur Chateaubriand et tient Louis Ferdinand Céline pour le meilleur auteur français.

    Il y a aussi son double, Abdul Bashur, son grand ami, presque son frère. Lui, issu d'une famille d'armateurs levantins est un idéaliste. Il symbolise l'amitié à laquelle Maqroll est par dessus tout attaché. Dans « Abdul Bashur, rêveur de navire », il poursuit cette idée un peu folle de découvrir un navire aux lignes parfaites et, pour se faire, n’hésite pas à rencontrer les personnages les plus louches. "J'ai appris désormais à tirer des rêves jamais réalisés de solides raisons de continuer à vivre et je m'y suis habitué." avoue-t-il. Il y a aussi sa mort, annoncée et prévisible qui fait de sa vie une improbable quête, le rapprochant de son ami Maqroll dont l'existence a été une perpétuelle errance sur les mers. J'ai toujours aimé ce personnage, anti-héros par excellence et « son absence de goût et de projets d'avenirs » et surtout sa prodigieuse aptitude à se mettre dans des situations inextricables qui tournent souvent au fiasco.

    Maqroll est aussi fidèle en amitié comme cellE qui le lie au peintre Alejandro Obregon dans « Le dernier visage » ou à Sverre Jensen dans « le rendez-vous de Bergen ».

    Maqroll est avant tout un réaliste, une sorte d'Ulysse en perpétuelle errance qui jette cependant sur l'humanité un regard de plus en plus désabusé :« Les hommes changent si peu, continuent d’être perpétuellement eux-mêmes au point qu’il n’existe qu’une seule histoire d’amour depuis la nuit des temps qui se répète à l’infini sans perdre sa terrible simplicité, son irrémédiable infortune. ». Sur la vie aussi dont il nous rappelle qu'elle est transitoire, que nous n'en sommes que les usufruitiers et qu'elle s'arrêtera un jour, souvent sans crier gare, que le but de l'existence sur terre n'est pas forcément la réussite sociale. La Camarde hante l’œuvre de Mutis[« Chaque poème un pas vers la mort/ une fausse monnaie de secours/ un tir à blanc dans la nuit.» in « Les éléments du désastre], elle n'est pas morbide pour autant et même si elle est simple, voire simpliste, j'aime que ce soit ce Maqroll qui me le rappelle à l'envi.

    L'amour justement qui fait tellement partie de sa vie qu'il est aussi une perpétuelle quête. Il s'incarne dans des femmes à la fois aimante et énigmatiques qui ont nom Illona, Antonea, Flor Estevez et combien d'autres. Elles sont incontournables de ce personnage de marin qui a une femme dans chaque port mais aussi une insondable solitude, vivant l'amour davantage comme des passades que comme des passions avec cette insatiable envie de départ parce que pour lui le voyage est aussi une fuite. Chacune de ces femmes est à la fois sa maîtresse, sa mère, sa compagne, son amie, son double, bref une nécessaire compagnie qu'il quitte cependant, obéissant à l'appel du large.

    C'est vrai que ce Maqroll est aussi un amateur d'alcool, un épicurien et Mutis ne manque jamais l'occasion de glisser dans son texte la recette d'un cocktail. Ses aventures tiennent en haleine son lecteur devenu complice jusqu'à la dernière page du roman.

    Ce que je retiens de Mutis, c'est qu'il est un extraordinaire conteur, un magicien des mots. A titre personnel, je l'ai toujours considéré comme un écrivain d'exception par cela sans doute qu'il prend son lecteur dès la première ligne d'un roman et ne l'abandonne qu'à la fin sans que l'ennui ait, à aucun moment, pollué sa lecture. Ils ne sont pas nombreux ceux à propos de qui j'ai pu écrire cela ! C'est à cela sans doute qu'on reconnaît un authentique écrivain !

    L'ensemble de son œuvre fut couronné par divers prix en Colombie mais aussi en France [Prix Médicis étranger en 1989 pour « Les neiges de l'Amiral », Prix Roger-Cailloix en 1993] et en Espagne « Prix Prince des Asturies », « Prix Reine Sophie » en 1997 puis « Prix Cervantes » en 2001]. Certaines de ses œuvres comme « La mansion de Araucaima » et « Ilona vient avec la pluie » ont été adaptés par le cinéma colombien en 1986 et 1996.

    © Hervé GAUTIER - Septembre 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster

    N°661– Juillet 2013.

    CHRONIQUE D'HIVER – Paul Auster – Actes Sud.

    Traduit de l'américain par Pierre Furlan.

    Ce n'est pas la première fois que Paul Auster écrit un roman autobiographique. Il a déjà publié des ouvrages qu'on peut regrouper sous ce vocable [« Invention de la solitude » – « Le diable par la queue » – « Le carnet rouge »], mais, peut-on vraiment parler d’autobiographie puisque, de son propre aveu, quand il écrit, sous sa plume, elle le dispute à la fiction, comme une tentation en quelque sorte.

    Ce qui frappe le plus, dès l'abord, c'est l'emploi de la deuxième personne. D'ordinaire soit l'auteur emploie le « Je », soit il se cache sous les traits d'un personnage qu'il met en scène comme un peintre réalise un « trompe-l’œil ». Le tutoiement est sans doute ici une incitation au partage avec le lecteur, comme s'il y avait un autre témoin qui s'adressait à l'écrivain, qui lui racontait sa propre histoire. Mais cet artifice, car c'en est un, est-il vraiment nécessaire voire indispensable pour que le lecteur s'approprie ainsi un texte ? Les souvenirs personnels que l’auteur égrène sont-ils de nature à faire ressortir du néant ceux du lecteur ? Certes, Montaigne rappelait que tout homme porte en lui la marque de la condition humaine et nous la partageons donc tous. Quand Auster paie son écho au sexe, à l'enfance, aux premiers émois amoureux de l'école maternelle, à ses premières tentatives d’adolescent maladroit, quand il nous parle du quotidien, de ses sensations, de ses impressions, qu'il évoque ses propres peurs devant la mort, celle de sa mère qui préfigure la sienne, la vieillesse qui vient, les agressions que son propre corps a subi, cela peut parfaitement réveiller quelque chose en nous ! La mort, justement, elle est présente en filigranes dans tout ce texte mais c'est bien naturel puisqu'elle est le terme normal de la vie, même s'il s'émeut de sa survenue dans toutes les existences qu'ils évoque. C'est sans doute là une vaste question et il est légitime qu'un auteur souhaite entrer en communion avec celui qui le lit, lui montrer que finalement il n'est pas vraiment différent ! J'ai plutôt eu l’impression que cela fonctionnait bien et le texte m'a vraiment, par moment, donné l’impression de se dérouler sur le ton de la confidence. Je ne sais si cela tient à moi mais au fil de ma lecture, j'ai eu le sentiment, bien que ma vie soit fondamentalement différente, que quelqu'un s'adressait à moi, me parlait de quelque chose que je connaissais. Cette complicité avec son lecteur a sans doute ses limites puisqu'il avoue lui-même« qu'il est bénéfique pour la santé mentale d'un écrivain de ne pas savoir ce qu'on dit de lui. ». C'est un rappel à la réalité, une découverte pour moi qui ait largement et depuis longtemps pris la liberté de commenter son œuvre mais je reste persuadé qu'un écrivain est attaché à l'image qu'il donne à ses lecteurs. Parfois aussi, j'ai eu la certitude qu'il en faisait un peu trop notamment quand il nous parle de la prostituée parisienne qui, après son office, citait Baudelaire ! En outre, la liste exhaustive de ses différentes résidences, aux États-Unis où en France ne font que mesurer le temps et son parcours dans ce monde et à mon sens n'ajoutent rien d'autre.

    Dans ce récit, il est beaucoup question du corps, du froid, de la faim, et ce qu'Auster décrit peut parfaitement éveiller en nous des réminiscences. Pour un créateur, la vie reste le moteur de l'écriture et il y puise souvent ses meilleurs pages, que celles-ci lui soient inspirées par le bonheur ou la misère la plus noire. Il ne manque pas d'auteurs pour célébrer l'instant exceptionnel et disséquer ce que ce moment unique révèle pour lui. Les sentiments qu'ils expriment leur sont éminemment personnels, n’appartiennent qu'à eux. Parfois aussi, ces moments intimes vont au-delà du souhait de l'auteur. Ce dernier nous raconte une histoire qui peut nous passionner ou nous laisser de glace. Si le lecteur est aussi un artiste ou simplement s'il entre dans le texte au point de le faire sien simplement parce qu'il est évocateur, cette appropriation peut se muer en intérêt particulier pour l'écrit, se transformer en recréation... La plupart du temps cela se fait dans le plus strict secret mais pour un auteur, transformer une vie, l'embellir, la bouleverser, et ce dans le plus strict anonymat, reste sans doute pour lui, s'il est un authentique créateur, un but ultime dont cependant il ne connaîtra jamais le résultat.

    La crise économique, la société telle que nous la connaissons, de plus en plus déshumanisée et peut-être éloignée de la culture peuvent considérer le roman ou l'art en général comme inutiles. Il n'en reste pas moins que cela résulte du travail de son auteur. Que cela suscite à ce point l'émotion de quelqu'un qui, l'instant d’avant ne connaissait pas l'existence de l’œuvre, illustre le formidable pouvoir des mots, des idées des images et des sons. Pourtant, à titre personnel, ce que je recherche dans un texte écrit par un étranger ce n'est pas tant de retrouver mes propres souvenirs que de profiter de son style, d'apprécier une belle description, d'entrer dans l'histoire, d'affermir ma propre culture, de prendre une leçon d'écriture, de goûter un dépaysement salutaire, d'approfondir un thème de réflexion...

    Ici, Paul Auster raconte sa propre histoire, mais il le fait d'une manière désordonnée, sans le moindre souci de la chronologie. Au début d'une page il peut avoir 5 ans et à la phrase d'après il en a 50. Ce n'est guère dérangeant. A cet égard, le titre « Chronique d'hiver » est révélateur. Le récit s'ouvre sur l'hiver new-yorkais fait de glace, de neige, de vent et de tempêtes. Les éléments qui se déchaînent sont peut-être le moteur de son inspiration. Elle ne prévient pas, se manifeste de la manière la plus inattendue et quand l'impulsion de l'écriture est donnée, la faculté créatrice se déclenche et ne s'achèvera que lorsque les mots l'auront épuisé. Dans ce thème, je vois personnellement la marque du temps qui s'impose à l'auteur. Né en 1947, il a 66 ans, ce n'est pas très vieux mais ce n'est plus vraiment la jeunesse et l'hiver est ici synonyme de la dernière phase de la vie. Écrire est le métier de l'écrivain et le temps pèse sur lui davantage sans doute que sur le commun des mortels puisqu'il a quelque chose à dire et qu'il souhaite le faire rapidement « Parle tout de suite avant qu'il ne soit trop tard » est-il écrit au début, parce que le livre qu'il vient de commencer doit impérativement être terminé et ce qu'il porte en lui être exprimé, de peur d'être, comme chacun d'entre nous happé par la mort qui frappe sans prévenir. La camarde signifie pour l'écrivain plus que pour tout autre le silence.

    Finalement, le livre refermé, il me reste personnellement une impression plutôt bonne comme celle déjà éprouvée lors de mes lectures précédentes, pas vraiment enthousiaste cependant, un moment le lecture agréable dû au style de l'auteur ou au talent du traducteur, une sorte de sentiment de complicité que je ne saurais moi-même pas très bien caractériser ni expliquer, quelque chose d'humain, de personnel, de nostalgique.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir – Dominique BONA

    N°677– Août 2013.

    BERTHE MORISOT- Le secret de la femme en noir Dominique BONA- GRASSET.

    Tout a commencé par un tableau d’Édouard Manet, celui d'une femme, en noir avec un bouquet de violettes sur la poitrine pour seul bijou. Cette femme c'est Berthe Morisot et c'est un mystère. Elle est peintre elle-même, appartenant au groupe des Impressionnistes, et apparaît déjà sur de nombreux tableaux de Manet, c'est une grande bourgeoise, de bonne éducation, pas un modèle professionnel. Son père, ancien préfet est membre de la Cour des Comptes et sa mère, par une filiation compliquée, est la petite-nièce du peintre Fragonard. Elle n'a donc pas, selon la légende des peintres, une vie maudite. L'école des Beaux-Arts est fermée aux femmes, Guichard, un peintre ami lui ouvre ainsi qu'à sa sœur Edma les portes du Louvre où elles peuvent ainsi copier les maîtres. Là, elles rencontrent d'autres peintres mais ce qui intéresse le plus Berthe, ce sont les paysages.

    Elles sont admises dans la bonne société, dans le grand monde des arts et de la politique et Berthe rencontre Manet dont les toiles font scandale. Les deux sœurs travaillent avec talent mais Berthe s'impose et le peintre qui la prend souvent pour modèle a tendance à intervenir sur ses toiles, ce qui lui déplaît fort. Avec le temps Berthe qui a subi l'influence de son maître réussit à substituer les couleurs claires à la palette noire de Manet.

    A trente ans elle est encore célibataire et doit résister aux sollicitations de sa famille qui souhaite la voir mariée, mère de famille et se détourner de la peinture. La guerre de 70 ne la tire pas de son ennui, elle s'impose un mutisme face à la Commune et alors que la guerre civile fait rage dans Paris elle est dégoûtée de ses semblables. Elle ne vit que pour la peinture et bientôt pour l'aquarelle ! A la fin des hostilités, elle retrouve Manet et souhaite poser pour lui. Les différents prétendants qui se pressent autour d'elle sont éconduits, soit par elle, soit, comme Puvis de Chavannes, par la famille. A trente trois ans, elle finit par jeter son dévolu sur Eugène Manet, le frère sans grand talent et de petite fortune d’Édouard dont elle devient la belle-sœur. Dès lors Berthe s'épanouit, n'est plus anorexique comme avant mais cesse d'être le modèle d’Édouard qui peindra dorénavant des femmes inconnues, sensuelles et nues. Non seulement la vie conjugale ne la comble pas, elle n'est pas heureuse malgré ses voyages et sa vie paisible mais encore sa peinture ne reflète pas exactement ce qu'elle est : c'est une passionnée et une combative et elle se présente comme une femme détachée de tout. Dans l’intimité de son couple, Eugène, conventionnel, jaloux, valétudinaire ne semble pas être l'homme qu'il lui faut pour mener correctement sa carrière. Pourtant, il la respecte en tant qu'artiste et lui qui peint également s'efface volontiers devant elle. C'est un brave homme, dévoué et sincère sur qui elle peut compter. Sa décision est prise et même si elle se heurte à l'ironie maternelle, Berthe a trouvé sa voie, elle sera peintre professionnelle mais, tournant le dos à l'Académie, choisit la liberté de peindre en rejoignant le groupe des Impressionnistes où elle est la seule femme.

    Elle expose au salon de 1874 où la critique se moque de ce courant nouveau. Elle devient donc avec ces indépendants une marginale de la peinture. Elle va cependant suivre cette voie malgré tout le monde ; c'est que cette femme est un mystère. Elle est parfaitement intégrée à ce groupe qui gagne en nombre et en originalité mais vend peu.

    C'est au moment du pire déchaînement médiatique contre les Impressionnistes qu'elle met au monde sa fille Julie. Cette naissance la comble de bonheur et l'apaise. Sa fille reçoit une éducation bourgeoise et sa mère a soin de s’entourer de peintres et d'écrivains. Un attachement profond l'unit à Julie mais celle-ci aura toujours un peu de la mélancolie de sa mère. Même éreintées par la critique et par la presse, des expositions se succèdent et tant pis si ce mouvement souhaite bousculer le bourgeois friand de réalisme, tant pis si on confond un peu contestation et révolution (la Commune n'est pas si loin), Berthe s'impose ! Elle fait d'ailleurs des émules féminines, et, artistiquement s'éloigne un peu de Manet mais se rapproche de Monet. Autour des Impressionnistes, le groupe s'étoffe, Renoir, Degas, Monet, Sisley, Pissaro...

    La santé de son mari se détériore et et autour d'elle c'est bientôt une véritable hécatombe. Elle devient veuve à 51 ans et reprend ses habits de deuil si chers à Manet. Dès lors elle ne trouve sa consolation que dans la peinture, regarde l'avenir autant pour elle que pour Julie, se fait même le défenseur des femmes. Elle qui n'a que très peu peint les hommes se met maintenant à représenter des jeunes filles étrangères, la jeunesse comme un paradis perdu !

    Julie peint désormais et son style rappelle celui de Manet. Berthe meurt à 54 ans en 1895 .

    L'auteur revient sur le titre de ce livre. Berthe Morisot était faite d'ombres et de silences qu'elle aimait. Elle posa pour Édouard Manet mais épousa son frère qui était un homme discret et sans relief. A sa mort on retrouva une importante correspondance avec les impressionnistes et les amis mais seulement quatre courtes lettres d’Édouard Manet lui étaient adressées. D'autre part rien ne permet d'affirmer qu'elle correspondit avec lui. Dominique Bona y voit une énigme, suppose une liaison entre eux, une correspondance secrète détruite peut-être avant de mourir par elle-même, pour effacer, pour purifier ce qui ne pouvait être avoué  ? Entre la tristesse et le vertige qu'elle croit percevoir dans les yeux de Berthe, elle laisse le lecteur dans l'expectative. Il y a sans doute pour elle une sorte de frustration à ne pas lever un coin de ce voile qui restera à jamais une interrogation.

    C'est un roman bien construit, agréable à lire, une biographie fouillée et précise que, comme à son habitude, nous livre Dominique Bona. Elle choisit de nous présenter une femme d'exception, rebelle à sa manière dans le domaine de la peinture, éprise de liberté, toujours insatisfaite et perfectionniste, ténébreuse et silencieuse qui a, par son talent, marqué son temps et l'histoire de la peinture. Elle la réhabilite donc et en profite pour donner sur la peinture de Berthe mais aussi sur celle des impressionnistes un avis éclairé qui s'étend d'ailleurs à l’œuvre des écrivains qui ont entouré le groupe.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BARBE BLEUE – Amélie Nothomb

    N°676– Août 2013.

    BARBE BLEUE – Amélie Nothomb – Albin Michel

     

    Drôle d’histoire que celle de Saturnine Puissant, une jeune Belge de 25 ans un peu désargentée qui, venue enseigner au Louvre, cherche de quoi se loger. Elle répond à une petite annonce pour une colocation et rencontre le propriétaire, Dom Emilio Nibal y Milcar, un aristocrate espagnol, un « Grand d'Espagne » selon son propre aveu, qui accepte de lui louer pour un prix dérisoire une chambre dans son hôtel particulier parisien, avec la disposition de la domesticité, du chauffeur... Une occasion a ne pas laisser passer ! Le contrat de location précise qu'elle ne doit pas entrer dans la « chambre noire » qui lui sert à développer ses photos, alors même que celle-ci n'est pas fermée à clé. Elle remarque que les huit précédentes colocataires étaient des femmes et qu'elles ont disparu.

    C'est que cet Espagnol est bizarre. Séducteur impénitent, fort imbu de lui-même, il est exilé en France mais ne sort pas de chez lui. Noble, il souhaite que cela se sache, richissime, il adore l'or qu'il possède apparemment à profusion, se déclare royaliste, catholique dogmatique, pratiquant jusqu'à l’extrême, cite la Bible à l'envi, fanatique de la Sainte Inquisition, il pratique volontairement le « trafic des indulgences », celui-là même qui est à l'origine du luthéranisme, en couvrant son confesseur d'or en échange de son absolution ! Rien à voir avec jeune femme libérée et moderne qu'il demande d'emblée en mariage, qu'il couvre de cadeaux et dont il satisfait les moindres caprices. Il l'invite à sa table à tout propos. Saturnine ne s'en laisse pas conter, argumente, finasse, se moque de lui, lui porte volontiers la contradiction jusqu'à l'impertinence, le provoque, prétend qu'elle ne tombera pas dans le panneau de la transgression de l'interdit pour ce qui concerne la « Chambre noire » parce que, elle en est sûre, il a assassiné les huit précédentes colocataires pour le même motif bizarre... et elle ne sera pas la neuvième ! A son amour, elle répond volontiers par des vacheries.

    Apparemment les autres femmes ont peur de lui et pourtant il considère que la femme est la colocataire idéale, qu'il a aimé toutes les précédentes, mais elles sont disparu ! A Saturnine qu'il associe à l'or et au champagne de grandes marques, il offre une jupe qu'il a lui-même fabriquée, faite de riches tissus et d'une doublure d'un jaune particulier et mystérieux, et qui, lorsqu'elle la porte lui fait l'effet d'une étreinte amoureuse. Bien qu'elle considère Emilio comme un dangereux malade mental, elle ne tarde pas à tomber amoureuse de lui. Reste cependant les photos, au nombre de huit, apparemment cachées, la chambre noire, et qui ne représentent que des femmes mortes, l'occasion pour elle de mener une sorte d'enquête qui n'en est cependant pas une. Elle s'installe au contraire dans cette sorte d’ambiguïté où elle ne sera pas tuée puisqu'il lui a avoué son secret et qu'elle peut donc demeurer à ses côtés en tant que sa colocataire. Emilio la photographie elle aussi, mais à l'inverse des autres victimes, elle est bien vivante.

     

    C'est une fable plaisante, facile à lire, bien écrite, pas dénuée du tout d'intérêt et de culture et qui évoque à la fois Henri VIII d'Angleterre (Barbe Bleue) pour l'amour des femmes et leur assassinat et la Fée Mélusine pour la transgression de l'interdit, une sorte de roman à énigme où, encore une fois, Éros dans avec Thanatos.

     

    J'avoue que le nom d'Amélie Nothomb ne m'était pas inconnu mais je n'avais rien lu d'elle auparavant. Je l'ai découverte pour la première fois, autant par curiosité que par envie de lire un auteur connu et médiatisé.

     

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona

    N°675– Août 2013.

    Camille et Paul – La passion Claudel – Dominique Bona - Grasset

    Camille et Paul ont été élevés dans une famille austère aux marches de la Champagne où tout signe d'originalité était exclu. La mère, femme au foyer, effacée mais belliqueuse et revêche, le père, receveur de l'Enregistrement, foncièrement laïc espéraient que leurs enfants embrasseraient des carrières plus sûres que celles dévolues à l'art. C'est pourtant lui qui favorisa le penchant de sa fille pour la sculpture et celle de son fils pour les Lettres comme il encouragea la pratique du piano pour Louise son autre fille. C'est lui aussi qui préconisera leur éducation à Paris, à ses yeux plus formatrice. Ce sera Louis-le-Grand pour Paul et un célèbre atelier de sculpture pour sa sœur. Si la Capitale éblouit la jeune fille, lui ouvre ses portes et la vie de bohème, Paul s'y ennuie et ne songe qu'à la quitter. De cette période Paul exècre le côté laïc très en vogue à l'époque autant que les Lettres trop classiques ou trop positivistes à son goût. Camille avait beau être plus âgée de 4 ans que son frère, il y eut entre eux un rapport fusionnel exceptionnel. Ils ne peuvent se passer l'un de l'autre, il ne peuvent rien faire l'un sans l'autre mais la sœur aînée domine son frère. [L'auteur fait d’ailleurs un parallèle intéressant entre Chateaubriand et Claudel]. En société où ils n'ont d'ailleurs leur place ni l'un ni l'autre ils se font remarquer, lui par son air renfrogné, elle par son franc-parler. Ils n’aimeront jamais les mondanités. Ils sont aussi travailleurs et volontaires l'un que l'autre: quand Camille décide d'aller travailler chez Rodin, Paul refuse de préparer Normale Supérieure et opte pour une carrière diplomatique, tout cela contre l'avis parental ! Aussi bien lui qu'elle obéiront à l'appel de leur art . Lorsque Camille rencontre Rodin, il est son aîné de 24 ans, pourtant bien des choses les rapprochent et pas seulement l'amour de la sculpture. De cela, Paul en souffre « Il n'est plus le seul homme de sa vie ». Plus elle se rapprochera de Rodin, plus elle s'éloignera de lui mais Paul restera toujours obsédé par cette sœur, jusque dans son œuvre.

    Camille vit avec Rodin une liaison passionnée que la morale bourgeoise et bien entendu sa famille condamnent et ce d'autant plus que son amant a une vie matrimoniale avec une autre femme et refuse de l'épouser. Elle travaille dans son atelier, mais cela n'en fait pas pour autant l’imitatrice de Rodin ; elle reste une artiste solitaire et originale qui doit beaucoup au Maître mais les deux sculpteurs s'enrichissent mutuellement dans leurs créations respectives. Paul et Rodin avaient beaucoup d’affinités, notamment culturelles, mais jaloux de l’homme qui lui vole sa sœur, il lui porte une haine tenace. Pour autant, sans oser l'avouer, il aura sa part dans le malheur futur de Camille. De son côté il est bouleversé par la poésie de Rimbaud et par la révélation de Dieu à Notre-Dame de Paris. Dès lors, devenu un adorateur de la Vierge, sa sœur est regardée comme une pécheresse. Pourtant il gardera longtemps secrète sa conversion comme Camille cachera sa liaison avec Rodin.

    Est-ce sa volonté de partir loin, son attirance vers la mer ou la nécessité de mettre de la distance entre sa sœur et lui, il choisit la carrière diplomatique qui très jeune l'envoie en Amérique du Nord puis en Chine où il passera quinze années. Il ne cessera pas pour autant d'écrire ni surtout de correspondre avec Camille qu'il revoit à chacun de ses séjours en France. La vie de Camille s’éclaircit quand, lassée de ses atermoiements, elle quitte Rodin. A 30 ans, elle est désormais libre et pauvre malgré une certaine notoriété mais se sent incomprise. De son côté, à 32 ans Paul, en dehors de son métier de Consul de France se consacre à la religion et à l'écriture. Il est vierge mais cette vie monacale va être bouleversée par Rosie, une femme mariée et mère de famille qu'il rencontre sur un bateau en partance pour la Chine. C'est une séductrice dont il tombe éperdument amoureux et qui lui donnera une fille mais le quittera. Sa vie, même loin de Paris, sera aussi scandaleuse que celle de sa sœur. D'autres femmes viendront mais Rosie restera son grand amour perdu, une source de culpabilité aussi pour le chrétien qu'il est. Ainsi le frère et la sœur puisent-ils dans leur vie sentimentale leur inspiration créatrice et dans son œuvre littéraire, Paul campera des femmes indomptables et libres qui trahissent. Contre le suicide ou la folie, Paul choisit le mariage...de raison, un viatique plutôt qu'une vocation.

    De son côté, Camille à 40 ans est déjà une vieille femme solitaire, orgueilleuse mais terrorisée, poursuivie par les ennuis, qui croit au complot, présente de plus en plus un délire paranoïaque. Quand elle se met à détruire ses œuvres, et surtout après la mort de son père en 1913, sa mère qui ne l'a jamais aimée et sa famille (et par conséquent Paul) la font interner. Quelques mois après une campagne de presse dénonce sa « séquestration » par sa famille dans un asile d'aliénés. Pendant ce temps, Paul va de poste en poste à l'étranger, est nommé ambassadeur, connaît une grande notoriété littéraire... et oublie sa sœur qui, consciente de son état d'enfermement restera incarcérée pendant 30 années sans amis ni beaucoup de lettres et de visites de sa famille selon le vœu maternel. Elle mourra à 80 ans. Paul est devenu un paterfamilias entouré d'une nombreuses descendance, thuriféraire de Pétain puis de De Gaulle, tenté un temps par la politique, soucieux de faire reconnaître son œuvre, et enfin élu à l'Académie française. Il verra Camille avant qu'elle ne meure dans la solitude et le plus grand dénuement et ressentira « cet amer regret de l'avoir abandonnée ».

    Ce furent deux êtres qui se ressemblaient, qui se comprenaient, mais l'un croyait au ciel et l'autre n'y croyait pas pour paraphraser Aragon, deux tempéraments sensibles, passionnés mais fragiles, deux génies, deux destins différents cependant, l'un voué à la notoriété, l'autre à l'oubli [« Moi j'ai abouti à quelque chose. Elle n'a abouti à rien... L'échec a flétri son existence. » confesse-t-il]. L'auteure fait pertinemment remarquer, nonobstant l'admiration qu'elle peut avoir pour l'écrivain, que dans les relations que Paul eut avec sa sœur, l'idéal chrétien qui gouverna la vie de l'auteur du « Soulier de satin » fut quelque peu oublié par ce dernier. Voulut-il se protéger ou cela fut-il la marque d'un sentiment de culpabilité ? C'est là une contradiction qui mérite d’être soulevée.

    Selon son habitude, Dominique Bona se livre à une enquête passionnante et détaillée sur ces deux personnages [Depuis que je lis ses œuvres, j'ai toujours été étonné non seulement par son style agréable à lire mais aussi par la précision de son travail et par sa grande culture].Si elle rend hommage à Paul et nous le montre sous un jour nouveau, pour moi assez inattendu par rapport à son image officielle, elle évoque aussi avec tendresse l'image de Camille, la tire assurément de l'oubli. Il y eut à la fin du XX° siècle et au début de celui-ci un mouvement de réhabilitation de Camille tant par la littérature, le théâtre, les expositions que par le cinéma. Selon le mot d'Eugène Blot, qui fut un admirateur et un soutien actif du sculpteur, il permit de « tout remettre en place ». Ce livre aussi y contribue.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'ANNONCE - Marie-Hélène LAFON

    N°674– Août 2013.

    L'ANNONCE - Marie-Hélène LAFON – Éditions Buchet-Chastel.

    Ce roman raconte une histoire d'amour entre Paul, un paysan du Cantal de quarante-six ans et Annette, la mère de trente-sept ans du petit Éric, onze ans, qui elle vit dans le Nord. Cette rencontre a été provoquée par une petite annonce de Paul à qui la solitude du célibat pesait. Annette y a répondu après avoir quitté son mari, Didier, alcoolique et souvent pensionnaire de la maison d'arrêt, le père de son enfant, parce que la vie avec lui était devenue impossible. Elle n'a aucun métier en dehors de l'usine et de la caisse des grandes surfaces et voit là une opportunité de tout recommencer, loin de chez elle, de ses racines. Ils se sont rencontrés à Nevers, au buffet de la gare parce que c'était à mi-chemin. Pour eux, c'était toute une expédition, nécessaire cependant pour un premier contact après les photos et les communications téléphoniques. Leur vie antérieure a été d'une grande banalité, à la ferme comme à la ville et chacun souhaite que cette « union » soit bénéfique pour tous. Ils sont venus à ce rendez-vous avec leurs vieilles plaies, sans les montrer cependant, pour ne pas apeurer l'autre. Ils ont en commun des cicatrices mal refermées et des espoirs un peu fous pour cet avenir encore un peu incertain à cause de la crainte de l'inconnu. Cette rencontre sera suivie d'une autre où on fera plus ample connaissance, on s'apprivoisera et on apprendra à mieux se connaître, à s'accepter... Paul, cet homme rude l'a prenait elle et son fils et parlait d' emménagements dans la ferme pour mieux accueillir sa nouvelle famille .

    Un telle situation est toujours une remise en question profonde des gens qui la vivent. Éric qui sans doute ne peut qu'en être bénéficiaire, se tait, observe, cherche à s'adapter, en silence. On a déjà prévu sa scolarisation au collège, son intégration dans le voisinage des autres fermes. Paul qui ne souhaite pas avoir un enfant avec Annette pense peut-être accueillir ce garçon, en faire peut-être son héritier si cela est possible. La mère d'Annette vient lui faire une visite ponctuelle ne serait-ce que pour se rendre compte des conséquences du choix de sa fille. Il y a aussi la parentèle de Paul, ses oncles, propriétaires fonciers restés célibataires, sa sœur, Nicole, plus jeune de dix-huit mois, elle aussi célibataire et sans enfant. Ils voient d'un mauvais œil que Paul qui a été malheureux en amour et souhaite forcer un peu le destin ait introduit dans leur clan et sans leur demander leur avis cette femme qui ne sera toujours qu'une intruse. Annette est évidemment attendue au tournant, se sait observée, passe chaque jour son examen sous le regard amusé, critique et parfois méchant des autres de qui, elle le sait, elle ne recevra aucune aide ni aucun conseil. Paul de son côté fait tout pour lui faciliter la vie, notamment dans le domaine ménager puisque avant, dans le Nord, elle avait le confort. C'est vrai que ces nouveaux arrivants apportent du sang neuf dans cette fratrie engoncée dans des traditions et des habitudes, un peu de jeunesse aussi qui serait capable, l'air de rien de creuser son sillon, de bousculer un peu les choses, sans les brusquer cependant. Annette et Éric surent se faire accepter même si ce ne fut pas sans peine, l'enfant, malgré son nom polonais, par sa discrétion, son application scolaire, l'amour qu'il portait aux bêtes, les vaches et surtout la chienne Lola, la mère par son travail, son sens de l'économie, sa présence.

    Le roman reste un peu en suspens. On ne sait pas si cette union se terminera par un mariage entre Paul et Annette mais peu importe mais il ne coûte rien au lecteur d'imaginer une fin heureuse à cette tentative.

    Au-delà de l'histoire, je retiens aussi une galerie de portraits bien campés tel celui de Mimi Caté, par exemple, cette maîtresse-femme qui ne laissait personne indifférent, mais aussi des scènes de la vie à la campagne auvergnate, la longue évocation des gens et des corps spécialement celui de Paul, de ses mains de travailleur en particulier.

    Dans un précédent numéro (La Feuille Volante n°671), j'ai dit combien le style haché et minimaliste de l'auteure me déplaisait. Je ne l'ai pas retrouvé ici et, bien au contraire, j'ai apprécié sa fluidité, la poésie qui coule des mots et aussi l'humour parfois acerbe mais bien senti et subtil qui accompagne l'évocation d'un personnage ou d'une situation. J'ai aussi aimé un grand réalisme dans l'analyse des circonstances, celle de cette femme qui a tout quitté pour suivre un inconnu simplement parce qu'il est agriculteur et qu'elle pense que c 'est un vrai métier, celle de cet homme qui veut tout faire pour que cette tentative leur soit favorable, même s'il doit pour cela bousculer un peu sa propre famille. J'ai aimé les subtiles nuances dans les descriptions, dans les évocations en demi-teinte. Cela témoigne d'un réel amour des mots auquel le lecteur attentif et de plus en plus passionné ne peut être indifférent.

    Cela a été pour moi un plaisir de lire ce roman, une histoire certes simple et même banale mais qui, sous la plume de Marie-Hélène Lafon a été réellement captivante jusqu'à la fin.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

















  • LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO

    N°673– Août 2013.

    LE FLUTISTE INVISIBLE - Philippe LABRO – Gallimard.

    Philippe Labro est un romancier remarquable, nous le savons tous, mais là , contrairement à ce qui est écrit sur la couverture, il ne s'agit pas d'un roman mais d'un recueil de trois nouvelles. En effet, si l'auteur se révèle être un conteur passionnant, un bon serviteur de notre si belle langue française, ces trois histoires n'ont pas de lien entre elles, elles sont indépendantes les unes des autres, à tout le moins sur le plan de la narration. Ce sont des situations romanesques puisées dans son expérience personnelle, dans l'imaginaire ou dans le simple témoignage. Le texte est bien écrit, littéraire par conséquent mais ce sont des nouvelles, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire.

    L'auteur nous livre son vécu dans « La ligne de mire ». Appelé en Algérie durant la guerre, il travaille comme journaliste et figure sur une liste de condamnés à mort par l'OAS. Celui qui est chargé de l'exécuter, et alors qu'il n'avait aucune chance de le manquer, hésite, ne presse pas la détente et lui laisse la vie sauve et ce sans aucune raison. Plus tard il le rencontre alors qu'il est devenu une personnalité connue et lui révèle cet épisode de son existence passée, dans le secret espoir que cela figurera dans un de ses livres. Dans « Bye Bye Blackbird », il raconte l'expérience sexuelle d'un jeune étudiant pauvre avec jeune fille riche sur un transatlantique qui les amène à New-York. Cet épisode est relaté à l'occasion de la rencontre fortuite avec un homme qui siffle un vieil air oublié. Avec « Le regard de Toma » c'est l’histoire d'un jeune juif qui, parqué avec sa famille dans un entrepôt, se plaint du froid. Sa mère finit par se laisser convaincre de chercher un endroit moins inconfortable. Le lendemain, leurs compagnons d'infortune restés à leur place sont tous transférés à Auschwitz où il sont exécutés, mais eux sont protégés par leur nouvelle « cachette ». Ils finissent par être découverts et entassés dans des wagons plombés, promis à une funeste fin mais, par une sorte de miracle, un besoin soudain de main-d’œuvre ou la décision d'un obscur fonctionnaire nazi, ce train fait machine arrière et les débarque à Vienne, leur sauvant ainsi la vie. Par la suite, dix ans plus tard, c'est lui qui, grâce à un sorte d'instinct de survie, sauve la vie d'un homme avec qui il s'évade d'un camps russe.

    Ce titre assez énigmatique est emprunté à une citation d'Albert Einstein qui est d'ailleurs reproduite en exergue et qui évoque Dieu si on est croyant, le destin, le hasard, la chance si on ne l'est pas. Einstein avait en effet avec Dieu des relations bizarres, soit il en rejetait jusqu'à son existence, soit au contraire il évoquait ce « flûtiste invisible » qui, pour chaque être joue une étrange partition, à la fois mystérieuse et incontournable. L'expression est peut-être poétique mais depuis la nuit des temps les Romains croyaient que les Parques tenaient ainsi dans leurs mains les fils de la vie de chaque mortel. Les Grecs les appelaient les Moires.

    A titre personnel, moi qui ne crois plus en rien et sûrement pas a ce que le catéchisme nous a enseigné, je suis fasciné par le hasard qui gouverne nos vies sans que nous voulions bien souvent l'admettre. Nous l’appelons chance, destin, la fatalité mais il n'a pas manqué de philosophes pour nous rappeler que nous sommes libres de nos décisions, que chaque homme a son « libre arbitre » et qu'il est capable de décider de sa vie. Je ne parle pas de la religion catholique qui nous enseigne que Dieu sait tout, même ce que librement nous allons décider, entretenant en cela une immense ambiguïté. Selon que nous sommes croyants ou pas, nous pouvons admettre « le doigt de Dieu » dans nos vies et il reste que bien des choses qui nous arrivent interviennent malgré nous, sans que nous y puissions rien. Cet élément inconnu, ce cas fortuit et de force majeure, cet événement imprévisible et irrésistible existe malgré nous et nos le subissons.

    C'est donc, par delà la forme, roman ou nouvelles, un sujet passionnant que soulève Philippe Labro à travers ces histoires et qui fait débat. Il se contente de lancer cette réflexion passionnante de nature philosophique mais, bien entendu sans y apporter de réponse autre qu'un texte littéraire agréable à lire.

    A la fin du livre, l’auteur tente une sorte de définition de la sagesse humaine face aux événements de la vie qui, surtout dans le cas du « regard de Tomas » met en évidence la relativité des choses qui gouvernent nos vies. Il y a toujours deux vérités, deux réponses à chaque question comme le rappelle l'écrivain Michael Chrirston.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

















  • LITURGIE - Marie-Hélène Lafon

    N°672– Août 2013.

    LITURGIE - Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

    La nouvelle est un art difficile et bien plus difficile encore est l'intitulé d'un recueil.

    La liturgie est un culte, un cérémonial, un ensemble de codes, de gestes extérieurs qui règlent une cérémonie religieuse. Il y a bien dans ces nouvelles cet aspect liturgique. Dans la première qui donne son titre au recueil, le lavement du dos du père par ses filles tient du rituel codifié qu'il ne viendrait à l'idée de personne de transgresser ces habitudes. Le père trône dans cette maison qui est la sienne, où il est le maître où on le respecte et de lui tout dépend, jusqu'à la vie de ses filles. Il y a un côté religieux dans ces ablutions dominicales qui rappellent un peu le lavement des pieds de l’Évangile et l'annonce de sa mort prochaine donne à cette scène traditionnelle une dimension particulière.

    La mort qui s'accompagne d'ordinaire d'une liturgie religieuse ou laïque est évoquée quand Germaine, la « fiancée » de ce pauvre Alphonse choisit, de se suicider par honte d'avoir été violée par un rustaud et ainsi de ne plus pouvoir le regarder en face. La mort aussi de Roland, par pendaison comme celle de Germaine, un rituel quasi-immuable à la campagne quand la vie n'est plus supportable. La mort encore évoquée pour le jour des défunts dans « La fleur surnaturelle ». Elle se double ici du rituel annuel et incontournable de la visite des cimetières.

    Jeanne, parce qu'elle est différente des autres membres de la famille attachés à la terre et ne vivant que pour elle, parce qu'elle a choisi d'être institutrice et célibataire dans un monde où il faut impérativement pour une femme « faire maison », c'est à dire se marier, avoir des enfants de préférence dans le village, rompt un peu cette liturgie laïque et contadine. Elle y sacrifie cependant, mais à sa manière, quand elle choisit un homme. Elle est vierge et lui porte soutane mais, même si cette passade ne peut perdurer, elle la vit quand même comme quelque chose d'exceptionnel : faire l'amour avec un jeune ecclésiastique tient un peu du rituel. C'est sans doute plus excitant et érotiquement différent. Elle continue de se singulariser lorsque, sa foucade terminée, elle devint kleptomane pour le seul plaisir de transgresser encore une fois l'interdit. Le « modus operandi » du délit est une sorte de cérémonial.

    Liturgie encore quand le narrateur, témoin privilégié de ces tranches de vies rurales, raconte les familles engoncées dans leurs conflits internes où l'indifférence et parfois la haine tiennent lieu de ciment. Ici, on peut avoir des maîtresses ou des amants, seul compte l'argent et surtout on ne divorce pas, on attend la mort, quand on ne la provoque pas. Liturgie toujours quand il faut impérativement quelqu'un parmi la descendance pour reprendre les terres, la boutique ou l'atelier. Que cela lui plaise ou non, celui qui est choisi doit de plier à la tradition, à cette sorte de liturgie. Et si d'aventure les mariages entre cousins des générations précédentes produisent des attardés mentaux, il faut les cacher, les dissimuler aux yeux des autres mais surtout en profiter, les exploiter puisque, bien entendu, ils ne se défendent pas. Si de pauvres filles de ferme ont succombé sous les assauts de garçons avinés et violents, qu'elles tombent enceinte, il faut impérativement les marginaliser, les désigner à la vindicte populaire, les spolier, elles-aussi.

    Liturgie encore que ces grandes lessives au lavoir communal où tout se sait, où se distribuent les critiques et les clabaudages.

    Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon avant d'avoir, par hasard, pris un de ses livres sur les rayonnages d'une bibliothèque. J'ai commencé par lire « Mo » (La Feuille Volante n°671) mais le style haché et minimaliste m'a déplu. Cela semble être la caractéristique littéraire de l'auteur et c'est évidemment respectable. Ici, j'ai trouvé l'écriture plus fluide et poétique, assurément plus agréable à lire et donc pour moi un bon moment de lecture. J'observe que « Mo » est paru en 2005 et « Liturgie »date de 2002. Elle a donc abandonné le style de ce recueil de nouvelles au profit d'une façon plus épurée. Personnellement je le regrette mais j'apprécie qu'elle soit une talentueuse raconteuse d'histoires.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















     

  • MO – Marie-Hélène Lafon

    N°671– Août 2013.

    MO – Marie-Hélène Lafon – Éditions Buchet Chastel.

    Mo, c'est le prénom simplifié de ce dernier fils qui s'occupe de « la mère »[elle sera nommée comme cela durant tout le roman comme on parlera « du père » décédé quelques années auparavant]. C'est une abréviation parce qu'un autre fils Mohamed (en entier) est mort à l'âge de 13 ans, renversé par une voiture, mais Mo n'est pas là pour le remplacer. Pourtant il s'occupe seul de sa mère tyrannique, abusive et jalouse qui demeure toute la journée dans l'appartement parce qu'elle a des difficultés pour se déplacer. Il le fait de son mieux, faisant le ménage, en observant un certain rituel de chaque jour [« Le jeudi était le jour des pieds »] parce que c'est un bon fils, soigneux et attentif mais surtout parce que les autres enfants sont partis de la maison et lui ont laissé ce soin. Sa mère ne l'aime guère et ses autres frères profitent un peu de l'argent que Mo rapporte à sa mère, mais finalement tout cela lui est bien égal. Il travaille dans un centre commercial et on le cantonne à une tâche subalterne parce qu'il ne peut pas faire autre chose. Cela l'occupe et il a l'impression de servir à quelque chose. Il vit un peu dans son monde, avec ce travail sans intérêt, cette mère à demi impotente, cet appartement où il s'ennuie. Il voit quand même qu'autour de lui il y la violence, le mensonge, la trahison, la famille qui se délite surtout depuis la mort du père. Il a conscience de cela mais n'y peut rien et vit au jour le jour sans trop se poser de question en écoutant Ali, dit Jo, le vigile, lui parler de Dieu, mais de celui des Chrétiens. De là où il est, il voit Maria, une Portugaise plus jeune que lui qui est vendeuse dans une boulangerie. C'est une fille sérieuse, travailleuse, propre, appliquée et surtout célibataire. Elle est donc l'objet de tous ces fantasmes. C'est que Mo n'en est pas à son coup d'essai avec les femmes de la cité où il habitent. Elles l'aiment bien dans le quartier il a même des aventures avec certaines d'entre elles. Dès l'école où il ne fit pas vraiment des étincelles, il avait déjà du succès. En réalité, il est un peu mythomane, est sensible à la beauté du corps féminin, sans doute comme chacun d'entre nous. En réalité, à la trentaine, il est un véritable séducteur mais quand il rencontre Maria, il n'y a plus qu'elle qui compte à ses yeux. C'est une jeune fille indépendante qui vit sa vie sans entrave, aussi libre qu'il est naïf .

    Il la séduit, quitte de plus en plus souvent l'appartement au grand dam de sa mère et de ses frères, finit par vouloir se construire quelque chose avec elle. Ils ont leur vie, leur jardin secret, leurs projets. Le lecteur imagine une fin heureuse, mais c'est oublier le titre et la division en quatorze stations comme le Chemin de Croix du Christ. Comme pour lui cela doit mal se terminer. Maria en eut-elle assez de Mo, a-elle choisi de lui faire de la peine en dénonçant ses fautes d'orthographe, elle qui écrivait sans en faire ? A-t-elle prononcé ces quelques mots anodins sans y penser, à cause de la fatigue ou simplement pour le taquiner ? Mo a perdu la tête, a changé de peau, est devenu un autre, abandonnant soudain ce qu'il était, tout ce à quoi il était attaché, et en premier lieu à Maria qui a peut-être fait une simple gaffe innocente en mentionnant les difficultés de son ami en français ? A travers les psalmodies du numéro de téléphone de son frère à qui il pense soudain ou la récitation quasi mécanique des ex-voto qu'il a sous les yeux, Mo pénètre dans un univers peut-être inconnu ou enfoui depuis longtemps en lui et qui va favoriser sinon provoquer son geste fatal, signature d'un retard mental ou d'une obscure maladie psychiatrique que la jeune fille n'a sans doute pas pu déceler, ou une de ces actions qu'on regrette après qu'elle sont perpétrées, une pulsion soudaine, imprévisible et inexplicable. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai envie de prolonger l'histoire, j'imagine Mo devant la Cour d'Assises, prostré dans le box des accusés, n'osant pas regarder la famille de Maria, incapable d’expliquer son geste qui a brutalement interrompu la vie de cette jeune fille qui ne demandait qu'à vivre !

    J'avoue que ce roman m'a étonné. L'écriture tout d'abord est hachée, monocorde, minimaliste, peu facile à lire, simplifiée à l’extrême sans recherche, sans beaucoup d'images. C'est un parti-pris que je respecte même si je le goûte peu. Ce roman met en scène un jeune homme d'origine maghrébine apparemment mécréant mais qu'on s'attendrait, pourquoi pas, à voir se rapprocher d'une mosquée. Au contraire, il multiplie les références catholiques jusque dans son quotidien. Quand il voit Maria servir les clients à la boulangerie, elle lui rappelle une scène de l’Évangile. Son prénom lui-même n'est pas sans rappeler celui de la mère du Christ et Mo, qui a 33 ans comme Jésus à l'âge de sa mort écoute avec admiration Ali qui a choisi Jo, comme Joseph, évoquer pour lui le Dieu des Chrétiens, la passion du Christ, sa résurrection. Mo la met en balance avec la mort d'un de ses frères. La construction du roman lui-même est divisé en quatorze stations comme une Passion christique et c'est en quelque sorte sous l'égide de Notre Dame de la Garde qu'il met un terme définitif à sa liaison amoureuse, d'ailleurs sans beaucoup d'explications. Je choisis d'y voir la marque d'un trouble mental qui habite probablement Mo depuis le début de sa vie et qui éclate ici, un choix surréaliste qu'il fait : la mort plutôt que le bonheur !

    Je ne connaissais pas Marie-Hélène Lafon. Je pense que je vais quand même poursuivre la lecture de ses œuvres.

    Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















  • L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano

    N°670– Août 2013.

    L'HERBE DES NUITS – Patrick Modiano - Gallimard.

    Quand je lis un roman de Patrick Modiano, j'ai l'impression qu'il ne cesse d'explorer le temps, d'en fixer les moments avec des mots pour leur conférer une sorte de pérennité. Ici, c'est le quartier parisien de Montparnasse qu'il fait revivre en même temps que les années passées et j'ai le sentiment que, bien que parlant de lui, il évoque un personnage étranger à lui-même, en transit dans Paris, vivant à l'hôtel, c'est à dire sans attache précise, solitaire, pas exactement libre de ses mouvements mais pas non plus entravé par quoi que ce soit, plutôt livré à lui-même, fréquentant les cafés comme uniques lieux de rendez-vous, à la fois publics et déserts, un peu comme s'il circulait dans sa propre vie comme un étranger de passage, comme un marginal vivant d'expédients pour assurer son quotidien.

    Ce quartier de prédilection était à l'époque promis à la démolition, comme un pan de sa propre vie qui s'écroule et qui laissera place à quelque chose de plus moderne, de plus nouveau. Pourtant, il est porteur de souvenirs qui vont s'évanouir si on n'y prend garde, si on ne prend en note tout cela comme on garde la mémoire de rencontres. Les personnages de Modiano ont toujours ce côté inquiétant, insaisissable, mystérieux, sont toujours sur le qui-vive, portent souvent un nom qui n'est même pas le leur, vivent une vie parallèle, bien souvent cachée. Le temps autour d'eux est humide, sombre, la lumière blafarde, les choses et les gens indistincts. Des rencontres lui reviennent à la mémoire et les noms que portaient ses interlocuteurs lui évoquent des images, des visages, un parfum, des odeurs mais tout cela d'une manière pas très précise. C'est un peu comme si ces personnages étaient des sortes de fantômes dont seuls quelques détails de leur apparence sont notés furtivement, un vague reflet, une silhouette qui passe et disparaît, quelques paroles prononcées qui tombent dans la vide de la nuit, aussi mystérieuses que le silence qui les entoure.

    « Il me semble aujourd’hui que je vivais une autre vie à l’intérieur de ma vie quotidienne. Ou plus exactement, que cette autre vie était reliée à celle assez terne de tous les jours et lui donnait une phosphorescence et un mystère qu'elle n'avait pas en réalité ». Jean, le narrateur, vaguement écrivain, avoue que le présent lui était relativement indifférent et il se consacrait à l’époque à des recherches à Paris sur les traces de Jeanne Duval, Christian Corbière, Gérard de Nerval, Restif de la Bretonne... Un simple carnet noir qui ne le quitte jamais est le témoin de ses aventures ou de ses rendez-vous d'il y a vingt ans qu'il y consigne d'un mot. Ses notes sont ainsi l'invite à remonter le temps, à raviver le souvenir à partir d'un nom, d'un visage, d'un événement dont il n'était à l’époque qu'un simple « spectateur nocturne » qui posait sur eux son regard absent, dans le seul but de ne pas déranger. En consultant ce carnet, il reprend conscience de cette vie antérieure aujourd'hui révolue où il fréquentait les cafés, plutôt les bistrots populaires qui restaient à l'époque ouverts toute la nuit, en aimait le zinc morne, les consommateurs tristes qui s'y accoudaient, qui parlaient fort pour s'affirmer ou gardaient un silence aviné, la lumière crue des néons, l'odeur douceâtre des lieux. A l'époque il était jeune, hantait le Quartier Latin, traînait sa vie un peu au hasard des rencontres. Rien n'avait vraiment d'importance et les gens rencontrés n'ont pas vraiment laissé de trace dans sa vie, juste une impression fugace, sauf peut-être une femme, Dannie. Pour elle il remonte le temps, se souvient de cette tranche de vie avec elle entre les cafés de nuit, son courrier reçu en poste restante, un quotidien de hasard vécu en pointillés faits de silences, de lumières laissées allumées dans un appartement ou dans une autre vie, quelque part... Le lecteur ne sait pas exactement quelles relations il avait avec elle, mais à l'invite des autres membres exclusivement masculins du groupe, tout aussi mystérieux qu'elle, il faisait « profil bas ». Ces hommes sont des marginaux, plus ou moins opposants politiques marocains réfugiés en France mais surveillés par la police. On lui parle de « double jeu », « d'engrenage », « d'argent », de « sale histoire » de « faux papiers » puis de « services spéciaux marocains » et enfin de meurtre... C'est, à l'époque le Paris interlope des années 60 qui, en pleine guerre d'Algérie est inquiétant mais ce sont maintenant des quartiers détruits qu'il arpente à l'aide de sa mémoire. C'est que le narrateur finit par prendre conscience qu'il a été mêlé malgré lui à une affaire criminelle (l'affaire Ben Barka pourtant jamais citée) et en fouillant dans ses souvenirs, en les recoupant avec l'aide d'un dossier abandonné de la Mondaine, cherche à recomposer ce passé.

    Le livre refermé, je me demande toujours ce qui m'attire dans les romans de Modiano, le style sûrement, la musique, l'ambiance mystérieuse et parfois un peu glauque voire clandestine, le flou et la précision du détail, la mélancolie, l'univers onirique à ce point détaché de la réalité qui doit beaucoup à l'oubli et sans doute encore plus à la mémoire.

    J'aime en tout cas, et ce depuis longtemps, cet univers unique et envoûtant de Patrick Modiano où l'on se perd sans vraiment avoir envie de se retrouver, où le charme agit à chaque phrase, où la quête n'est pas une recherche mais une sorte de dérive sans véritable but, à la fois éthérée et perpétuellement recommencée.

    Comme les autres ce roman aussi m'a enchanté.

    Ce qui m'étonne toujours chez Modiano c'est que devant la feuille blanche il s'exprime avec aisance et poésie mais que, lors d'une interview il a tant de mal à parler, laissant à ses bras et à ses mains le soin d'exprimer ce qu'il ne dit qu'avec beaucoup d'hésitations au point que, simple spectateur, on en souffre pour lui.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com















  • AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard

    N°668– Août 2013.

    AURAIS-JE ETE RESISTANT OU BOURREAU ? – Pierre Bayard - Les Éditions de Minuit.

    Pour les gens de ma génération qui n'ont pas fait la guerre mais qui en ont entendu parler [beaucoup par ceux qui l'ont connu de loin, peu par ceux qui ont été d'authentiques héros], je me suis souvent demandé quel aurait été mon comportement pendant cette période troublée. Sauf bouleversement dans ma vie, je n'aurais certes pas été un délateur mais sûrement pas non plus un résistant héroïque, tout juste un tiède, comme la plupart des Français de l'époque. Mais le destin nous joue parfois de ces tours ! Je me suis dit que ce livre pouvait peut-être m’aider à clarifier mon propre questionnement.

    L'auteur, né en 1954, tente de répondre à cette question en remontant le temps et en imaginant fictivement qu'il se trouve dans la situation de son père à la même époque parce qu'il a avec lui une similitude culturelle, des aspirations et un parcours communs. Il imagine donc une uchronie et se demande quelle aurait été son action dans ce contexte historique. Il a donc, fictivement, 18 ans en 1940, et élève d’hypokhâgne fuyant Paris se retrouve dans le sud de la France. Pour l'aider dans sa démarche d'analyse et de création, il convoque Louis Malle et Patrick Modiano pour le film « Lacombe Lucien », Daniel Cordier pour son engagement de Résistant, Stanley Milgram pour son expérience, Romain Gary pour ses romans et bien d'autres figures qui ont brillé par leur exemple...

    C'est un texte dense, documenté, logique aussi dans son raisonnement, écrit par un universitaire et un psychanalyste qu'est Pierre Bayard et qui alterne entre fiction et démonstration. L'auteur y démonte les mécanismes qui amènent chaque homme face à une crise, soit à l'ignorer par peur, soit à s'engager pour y faire échec, soit à aider ceux qui en pâtissent. Il dissèque la « personnalité potentielle » que nous portons tous en nous et qui nous révèle, dans un tel contexte exceptionnel, tels que nous sommes réellement,même si l'image que nous donnons de nous-mêmes est peu flatteuse, fait la part du hasard, prend en compte les contraintes intérieures qui poussent les êtres à agir ou au contraire à s'abstenir, depuis les désaccords idéologiques et politiques jusqu'à l'indignation et l'empathie en passant par la soumission à l'autorité, le devoir d’obéissance aux ordres ou au contraire le devoir moral de refuser de les exécuter, le risque encouru par ceux qui osent sortir du rang et, au nom de leur conscience, de se singulariser. Il remet en cause au passage bien des idées reçues sur l'engagement personnel et sur les actions qui en découlent, détaille la nature de l'intervention du « bourreau » dans la « solution finale », le génocide rwandais ou la dictature sanguinaire de Pol Pot, analyse finement ce qu'il appelle « la personnalité altruiste ».

    Quand il choisit de revenir à la fiction et de se mettre en situation de choisir entre De Gaulle et Pétain, il note son dégoût du régime de Vichy, son indignation face à ses agissements, sa sympathie pour les juifs mais aussi son incapacité à agir dans l'instant par peur de la dénonciation, de la torture et de la mort. Il est en effet peu indulgent avec lui, estimant que s'il avait vécu à cette époque, il aurait tenté de survivre dans la tourmente politique du régime de Vichy et aurait poursuivi ses études pour assurer son avenir en refusant l'action de résistance. Il se trouve quand même des excuses que le lecteur voudra bien admettre au nom de la peur ressentie. Les élèves de l’École Normale avaient pour ordre à l'époque de se tenir en dehors de toute action politique, même si en tant qu'institution, cet établissement ne partageait pas les idées du Maréchal. S'ils le faisaient c'était l'exclusion c'est à dire pour lui l'anéantissement d'années d'effort, l'effondrement d'un rêve familial, l'impossibilité d'entrer dans la Fonction Publique et donc de gagner sa vie, de fonder une famille comme il le souhaitait. Tout cela allait à l'encontre de l'exemple donné par de Sousa Mendes, ce consul du Portugal qui, en dépit d'une interdiction formelle de son pays, délivra, en juin 1940, plus de 30 000 visas à des juifs leur permettant ainsi de sauver leur vie, c'est à dire qu'il accepta délibérément de sortir du cadre existant pour n'agir que selon sa conscience. C'est, au sens de l'auteur, faire prévaloir la liberté simplement parce qu'on accepte de s'abstraire des contraintes mentales imposées, c'est aussi une manière de créativité puisqu'on invente ainsi une forme d'action qui est sans modèle préétabli. Ce n'est plus seulement un acte de résistance, c'est l'exploration d'une voie nouvelle qui met en évidence le concept de liberté, une véritable réinvention de soi. En ce qui le concerne, il avoue qu'il n'a pas ce courage et voit ici la raison de son défaut d'action. Il avoue quand même, malgré tout ce qu'il a dit auparavant et qui est de nature philosophique et altruiste que pour nombre de jeunes leur entrée personnelle en Résistance n'a pas été motivée par les rafles de juifs mais par l'institution du STO en février 1943 ! Pour lui c'est une véritable bifurcation qui le détermine grâce à des certificats médicaux à se faire affecter à la bibliothèque de l’École et attendre ainsi la Libération. Il parvient quand même à se dire que c'est là une forme de désobéissance et qu'il peut ainsi aider ceux qui ont fait le choix de la Résistance alors que son père n'a pu échapper au travail obligatoire en Allemagne.

    Parmi tous ceux qu'il énumère et qui sont entrés en résistance, beaucoup sont croyants et s'estiment inspirés par Dieu. L'auteur qui, à l'inverse de son père, avoue être agnostique, ne peut justifier sa forme d'engagement, si faible soit-elle, par sa foi. Pour autant il admet que la démarche de ceux qui se sont engagés à résister, est de l'ordre du mystère et qu'il y a en nous un autre « moi ».

    C'est donc un livre passionnant, agréable à lire, une fiction croisée avec un témoignage authentique qui donne l'occasion d'une réflexion sur l'éthique, d'un questionnement intime et peut-être d'une remise en cause personnelle.

    © Hervé GAUTIER - Août 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com











  • DES INCONNUES – Patrick Modiano

    N°667– Juillet 2013.

    DES INCONNUES – Patrick Modiano - Gallimard.

    C'est un recueil de trois nouvelles qui mettent en scène trois jeunes femmes qui espèrent beaucoup de la vie. Elles nous livrent à la première personne une tranche de leur vie pas vraiment excitante. Le hasard sert leur envie de réussite et, de la province où elles végètent, le voyage leur permet de satisfaire leurs espoirs ou leurs illusions. Comme l'auteur, leur jeunesse ou leur adolescence sont quelque peu perturbées par des parents qui les oublient ou les abandonnent à leur sort. Ici, il n'y a pas de grands destins mais au contraire des existences assez quelconques, leurs vies est une sorte d'errance organisée autour de projets où gravitent des personnages assez fantomatiques et qui passent sans laisser de véritable empreinte. Elles se meuvent dans une sorte de brouillard, une manière de cauchemar qu'elles vivent en pointillés, un ennui qui se nourrit lui-même de leur quotidien, un vide qui serait presque attachant. Ce sont de petites provinciales inconnues et qui le resteront mais qui se ressemblent toutes. Elles débarquent dans la Capitale ou dans un lieu qui leur est étranger mais elles n'ont rien d'un héro de Balzac. Elles se laissent porter par le quotidien, entraîner par le hasard, à la recherche de quelque chose, le travail, l'amour, la compagnie des autres, une rencontre avec soi-même ou peut-être simplement une manière de tromper leur ennui.

    Les personnages sont, comme souvent chez Modiano, des être mystérieux dont on ne connaît même pas le véritable nom, soit ils sont anonymes soit ils se cachent sous l'identité d'un autre et lorsqu'ils parlent, cela sonne faux.

    La première inconnue, une dactylo lyonnaise, après avoir été refusée comme mannequin dans une maison de couture, prend le train pour Paris, est séduite par un homme dont elle ne connaît même pas le nom. La deuxième décide de ne pas rejoindre sa triste pension d'Annecy, devient dame de compagnie, baby-sitter puis meurtrière pour ne pas être violée. La troisième arrive de Londres pour s'installer à Paris. Elle est récupérée par une secte pour laquelle elle est une proie facile.

    Ces histoires se déroulent dans les années 60, les trente glorieuses, et nous présentent des jeunes filles tout juste sorties de l'adolescence, dont on croit volontiers qu'elles recherchent un mari ou au moins des aventures, même si elles sont sans lendemain. En tout cas ce qui ressort de ces récits c'est assurément la solitude de chacun au milieu de la foule, une sorte d’indifférence aux autres, une manière de déprime, du fatalisme ou de désespérance. Pour elles la vie est triste et sans intérêt. Chacune de ces nouvelles est gouvernée le délitement de la cellule familiale, une fuite du père ou de la mère un peu comme ce qu'a vécu Modiano, des souvenirs d'enfance ni vraiment bons ni vraiment mauvais, un sentiment de fuite permanente, un voyage potentiel dans le futur ou le conditionnel, la fascination de l'interdit, l'illusion de la liberté philosophique, le choix entre la vie et la mort , le tout sur fond de guerre d'Algérie ou de souvenirs de la seconde guerre mondiale.

    Le ton de ces nouvelles est caractéristique de Modiano, une musique un peu triste et nostalgique, à l'image sans doute de ce qu'est la vie, mais que j'ai toujours bien aimée.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano

    N°666– Juillet 2013.

    ACCIDENT NOCTURNE – Patrick Modiano - Gallimard.

    Un banal accident de la circulation, à Paris, de nuit alors que le narrateur a presque 21 ans : Il est renversé par une voiture, une fiat couleur vert d'eau, conduite par une femme légèrement blessée au visage et titubante, Jacqueline Beausergent qu'il ne connaît pas mais dont le visage lui rappelle quand même quelque chose. Pourtant, cet accident lui en évoque un autre intervenu plus tôt dans sa vie, mais celui d'aujourd'hui est entouré de mystères avec cet accompagnateur taiseux, l’important somme d'argent qu'on lui remet, la feuille qu'on lui fait signer , l'invitation pressante qui lui est faite par l'homme d'oublier cet épisode... A force d'y réfléchir, il se dit que « Cet accident de la nuit dernière n'était pas le fait du hasard. Il marquait une cassure … Il s'était produit à temps pour me permettre de prendre un nouveau départ dans la vie ». C'est que cette femme lui en rappelle une autre qu'il lui faut absolument la retrouver. Ainsi fouille-t-il dans sa mémoire et il y retrouve son enfance et de son adolescence parisiennes, l'image de son père un peu floue et fuyante, des personnages qui ressemblent un peu au narrateur, mystérieux et transparents, pleins de paradoxes et de secrets... A l'occasion de de ce retour sur soi, des figures de femmes émergent, fugaces maîtresses ou passantes diaphanes et inaccessibles. Parfois elles sont un nom, une silhouette, un visage à peine reconnu, tout juste esquissé avec un flot de paroles ou de longs silences.

    Reste cette femme, Jacqueline Beausergent, les circonstances de cet accident, l'odeur d'éther de l'anesthésie, la sensation qu'on a d'être entre la vie et la mort, entre douleur et sommeil. Elle renvoie le narrateur à son enfance, quinze ans plus tôt, cet accident presque semblable avec une femme jeune en contre-champ... Ses recherches, vaines au départ, ressemblent un peu à une intrigue policière en trompe-l’œil, laissant au lecteur la soin d'imaginer la fin.

    J'ai retrouvé avec plaisir le style de Modiano, musique douce et légèrement mélancolique dont les notes accompagnent le lecteur dans les arcanes de la mémoire, une sorte d'invitation à l'exploration intime, une autre version de « à la recherche du temps perdu » où se croisent des fantômes dans une déambulation à la fois physique et mentale qui baigne dans le clair-obscur. J'aime bien la façon qu'il a d'évoquer le décor où vivent ses personnages, insistant tout à la fois sur l'ambiance générale du lieu et sur un détail anodin, tissant des images parfois un peu irréelles ou inquiétantes. C'est Paris, ses rues, sa pluie et son brouillard d'hiver, la nuit [« La nuit, dans les rues, j'avais l'impression de vivre une seconde vie plus captivante que l'autre ou, tout simplement de la rêver »]. C'est aussi la mémoire qui mélange le temps et les lieux, les événements aussi, entre souvenir et oubli.

    Ce roman est tout à fait dans la veine de l’œuvre modianienne. On sent le narrateur perdu moins dans Paris que dans sa propre vie [Il se présente,vêtu pauvrement, vivant seul, dans une simple chambre d'hôtel], à la recherche de cette femme mais aussi d'une façon plus secrète de sa propre identité à travers l'exploration de sa mémoire [« Très tôt peut-être, même avant la période de l'adolescence, j'avais eu le sentiment que je n'étais issu de rien ». « Quelle structure familiale avez-vous connue ? J’avais répondu : aucune ». « Il y avait peut-être toute une partie de ma vie que je ne connaissais pas, un fond solide sur sables mouvants. Et je comptais sur la Fiat couleur vert d'eau et sur sa conductrice pour me le faire découvrir »]. Il y a, tout au long de ce roman, un climat mystérieux qui reprend ce thème. L'attitude du narrateur reste énigmatique, la personnalité de Jacqueline Beausergent pose question quant à celle de Solières-Morawki, elle est carrément opaque. A la naïveté du narrateur, j'ai eu envie d'opposer une sorte de crapulerie des deux autres personnages.

    Un autre thème récurrent est celui du père. Ici, il est juste évoqué à travers des rencontres furtives avec son fils, mais ce personnage à bien des égards mystérieux reste pour le narrateur une énigme, un personnage insaisissable. Il est présenté comme un homme avec qui il a des rendez-vous dans des cafés avant de disparaître complètement et non comme un père attentif à la vie de son enfant. La seule chose qu'il tient de son géniteur est un carnet d'adresses qu'il lui a dérobé et qui va lui permettre de mener à bien sa quête.

    Comme toujours, ce roman a été un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn

    N°665– Juillet 2013.

    SOUS L'OEIL DE DIEU – Jerome Charyn - Mercure de France

    Traduit de l'anglais par Marc Chenetier.

    J'ai l'impression que ceux qui, comme moi, abordent pour la première fois un roman de Jerome Charyn, sont un peu perdus. La 4° de couverture indique qu'on ne résume pas un tel roman, mais quand même ! Heureusement que cette 4° de couv. conseille de se laisser entraîner là où le comique côtoie le tragique, je ne sais pas mais j'ai quand même essayé.

    Le commissaire Isaac Sidel a été chef de la police de New-York, puis maire de cette ville et le voilà maintenant en passe de devenir vice-Président des États-Unis, ou peut-être plus ! Cependant, il est plus populaire que J.Mickael Storm c'est à dire le Président démocrate lui-même et cela évidemment pose un problème et suscite des jalousies. C'est sans doute pour cela qu'on cherche à éliminer celui qu'il est connu sous le nom de «  Monsieur Sidel » mais aussi« le Citoyen » ou « le Gros Type » et sans doute aussi pourquoi celui-ci ne quitte jamais son Glock. Il est vrai qu'il à la détente facile, peut-être autant que la larme. Il est vrai qu'il reste avant tout un flic et le restera, même si d'autres fonctions lui incombent. « L’œil de Dieu », est le nom que s'est donné le tueur chargé de cette besogne, mais, heureusement, Dieu est sans doute avec Sidel, puisqu'il échappe à la mort. Il ne perd pourtant rien pour attendre puisqu'il est toujours une cible, entre la protection des agents du FBI, ceux de la CIA, de la police de New-York et l'ancien président républicain Calder Cottonwood, encore en poste pour quelques semaines et pour qui tous les coups sont permis. Il entend bien exploiter les informations qu'ils détient sur J.Mikael Storm, ancien gauchiste, ancien joueur de base-ball mais surtout mouillé dans des scandales financiers. Le Nouveau Président est tellement effacé qu'on songe de plus en plus à Sidel pour prendre sa place.

    De plus il y a toujours un certain délai entre l'élection et l'installation de l'élu à la Maison Blanche et c'est justement ces quelques semaines que choisit Sidel pour se singulariser. Et pas n'importe comment : il tombe follement amoureux d'Inez, alias Trudy Winckleman qui a un passé un peu louche et deux enfants qu'Isaac veut adopter. Cela ne va évidemment pas arranger sa carrière politique nouvelle et pas non plus le parti démocrate. Peu importe, il s'installera auprès d'elle à l'Ansonia, un hôtel de Manhattan cher à son cœur, au même endroit où habite David Pearl, ex-lieutenant d'Arnold Rothstein, banquier mais aussi un caïd new-yorkais. Le cadre, c'est New-York, la « grosse pomme », « la ville qui ne dort jamais », une ville mythique, mais j'y ai plutôt vu une ville ou règne la pègre et la corruption. Le Bronx va être rasé pour y construire un complexe militaro-industriel. Là aussi il y a un enjeu que ne veut pas manqué Sidel.

    Aux côtés de Stidel, il y a aussi Mariana, douze ans, la fille du futur Président, accroc aux petit gâteaux au beurre et aux épices et qui ne laisse personne indifférent.

    Je crois que je suis passé complètement à côté de cette histoire rocambolesque et déjantée, aux multiples personnages. Elle ne m'a pas vraiment passionné, mais j'ai continué à lire, pour voir.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon

    N°664– Juillet 2013.

    UN HOMME ORDINAIRE – Yves Simon – Nil Éditions

    J'ai toujours été interpellé par un des rôles qu'on fait jouer à l'écriture, surtout quand elle prend la forme d'un texte que le destinataire ne pourra lire puisqu'il n'est plus là. Les mots que j'ai lus dans cette évocation sont remplis de l'amour d'un fils pour son père après la mort de ce dernier, mais il m'a semblé à la fois tardif et plein de remords, comme si ce garçon était passé à côté de quelqu'un et que maintenant il le regrettait. J'ai lu entre les lignes que cela n'a pas dû être facile ni pour l'un ni pour l'autre (« Et tu filais dans la chambre comme un chien qui reconnaît, au ton de la voix aimée, qu’elle vient de le blesser »). L'auteur s'interroge sur la nature même du père et sur la supposée fonction d'exemple qu'il est censé incarner (« Je n'ai jamais souhaité te ressembler...Tu ne fus pas mon modèle », « J'avoue que j'ai honte. Honte d'avoir parfois eu honte de toi devant mes camarades de classe. » « Tu étais le symbole flagrant de cette condition blessante que je me mis à détester » « Je n'ai jamais rien su de tes désirs, ni ceux du présent ni ceux de l'avenir »). Cet homme l'a sûrement aimé, mais à sa manière, comme au sortir de la guerre on concevait la famille, pas forcément chaleureuse mais unie et consolidée par les épreuves parce qu'on ne divorçait pas aussi facilement que maintenant, parce que les choses et les relations entre personnes étaient sans doute différentes.

    C'est à travers lui que l’auteur, enfant unique de ce couple, choisit d'évoquer vingt ans de sa vie. L'enfance vosgienne dans une famille prolétaire, son père cheminot, poseur de voies c'est à dire travailleur au bas de l'échelle sociale et professionnelle, une mère serveuse puis infirmière. Quelques photos un peu jaunies attestent cette période pas vraiment malheureuse mais difficile, un accordéon puis une guitare en cadeau pour l'initiation, un incontournable Teppaz et le juke-box du café d'à côté qui qui font découvrir une autre musique que celle du bal-musette, les jupes des filles dont l'internat le priva, la lecture puis l'écriture comme le symbole d'une évasion, d'une vocation. A l'époque on fondait plus facilement un groupe de rock qu'on ne devenait écrivain, c'est donc ce qu'il fit, et, comme tout adolescent, il se démarqua de sa famille. Son père n'était pas absent mais plutôt étranger à ce parcours musical même s'il se passait sur des scènes de sous-préfecture.

    Pour son père, c'était un autre monde, une autre planète. Il était bien ordinaire cet homme, André, qui était son père et qu'un cancer terrassa. Il lui a tout pardonné, son côté bourru, ses silences sur lui-même, ses trous de mémoire, ses stations au café d'où il revenait parfois enivré, ses accès d'autorité, sa condition de travailleur pauvre, les malentendus et les maladresses qui éloignèrent le père et son fils parce plus le temps passait plus l'un et l'autre évoluaient dans deux mondes différents. Pourtant il y eut bien des moments de complicité mais inexorablement ces deux êtres se séparèrent parce que c'était dans l'ordre des choses et que les enfants expriment une sorte d'incompréhension, de contestation, voire de rébellion par rapport à leurs parents, pour peut-être mieux les comprendre ensuite et probablement revenir de leurs erreurs.

    La vie ne fait de cadeau à personne et chacun y fait ce qu'il peut. André y fut «  de ceux qui n'exigent rien parce que, depuis toujours, ils ont accepté que leur vie soit ainsi : un combat perdu d'avance.», un être qui ne laisserait jamais de trace après son passage sur terre... Yves lui laissera des mots et de la musique qui se sont imprimés dans la mémoire collective et c'est quand même grâce à ce père qui fit ce qu'il put pour son fils, même maladroitement (« Tu fus le faiseur de miracles qu'il me fallait pour que je puisse m'envoler »).

    Yves Simon avait déjà beaucoup écrit sur sa mère. Ce récit, en fait une longue lettre qui se lit facilement, vient-il réparer une omission longtemps entretenue par l'incompréhension familiale ? Je ne peux croire qu'il s'agit là d'un oubli involontaire. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai eu du mal à lire ici un véritable hommage à ce père disparu. J'y ai vu plutôt une sorte de témoignage un peu tardif d'un fils intellectuel qui avait, pendant ses années d'enfance et d'adolescence supporté et peut-être un peu méprisé un père ouvrier et qui, à l'âge adulte rattrape avec honte et culpabilité cette attitude. Pendant ces vingt ans, il me semble qu'il y a eu plus que le cancer du larynx qui a tué André !

    C'est la première fois que je lis cet auteur. Ce fut un moment agréable de lecture plein de nostalgie, de poésie et de remords. Ce que je retiens aussi c'est la phrase en exergue de Louis Ferdinand Céline qui s'y connaissait et qui doit bien s'appliquer à cet André qui n'a jamais dû être heureux : « La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent à s'y prendre vingt ans à l'avance. Ce sont les malheureux sur terre. »

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  • LES ROMANCIERES AMERICAINES

    N°662– Juillet 2013.

    LES ROMANCIERES AMERICAINES – Le Magazine Littéraire n° 532 -Juin 2013.

    Je fais partie de ceux, nombreux sans doute, pour qui la littérature américaine est surtout un univers d'hommes. Certes il y avait Harriet Beecher Stone [« La case de l'oncle Tom »51852)] et Margaret Mitchell [«  Autant en emporte le vent »(1937)] mais elles faisaient en quelque sorte figure d'exception. Le dossier du Magazine Littéraire fait une liste non exhaustive de femmes de lettres qui ont enrichi par leur créativité et leur diversité la culture d'Outre-atlantique. Certaines sont nées au XIX° siècle telles Edith Wharton (1862-1937), traduite en français et dont un roman, « Le temps de l'innocence » a été porté à l'écran par Martin Scorsese aussi classique que Gertud Stein (1874-1946) était une adepte du modernisme, célébrant à la fois Matisse et Picasso. Toutes deux ont vécu en France, ont admiré Proust et Henry James mais se sont superbement ignorées. Dorothy Parker (1893-1967) poète, romancière et critique qui se caractérisait par un esprit aiguisé et subtil, rendra compte de la littérature américaine de son temps. Cela lui vaudra aussi d'être victime du maccarthysme. Hitchcock fit de Patricia Hightsmith (1921-1995), et un peu malgré elle, un auteur de roman policier à succès (« L'inconnu du Nord-Express »). C'est le cinéma qui a aussi apporté la célébrité à Annie Proulx (née en 1935) avec « Le secret de Brokeback mountain », une nouvelle portée à l'écran en 2005, mais c'est William Faulkner qui adouba Willa Carther (1873-1947) malheureusement mal connue en France. Nombre de ses romans ont pour cadre les grandes plaines des États-Unis.

    Moins paisible est sans doute, sinon l’œuvre, à tout le moins la vie de la sulfureuse Anaïs Nin (1903-1977) dont le « Journal », commencé à l'âge de 11 ans explore certes le « moi », mais surtout l'érotisme, hésitant parfois entre diariste et fiction, rend compte de sa vie privée très riche en rencontres et en liaisons amoureuses.

    Avec Eudora Welty (1909-2001), c'est le sud qui est mis en scène. Célèbre pour ses romans (Prix Pulitzer 1975 pour « La Fille de l'optimiste »), mais aussi pour ses nouvelles, elle s'interroge sur la vie, sur la mort, sur le racisme et toutes les formes de violences qu’elle associe au Mississipi notamment pendant la période de la « Grande Dépression ». Avec Kay Gibbons ( née en 1960) c'est toujours le sud dont elle est un peu la mémoire qui revient sous sa plume. Ces deux auteurs écrivent un peu dans l'ombre de William Faulkner. Carson McCullers (1917-1957) incarne aussi ce sud avec son racisme, sa géographie, son climat mouvementé mais aussi la solitude de cette société très compartimentée et, la lutte qu'elle mena contre la maladie qui l'emporta. Ses romans sont volontiers provocateurs. Chez Flanery O'Connors(1925-1964) qui elle aussi était minée par la maladie, c'est la Géorgie qui est mise en scène dans une œuvre réduite mais lucide avec un style lapidaire, caustique et une violence contenue. Elle est considérée comme une voix importante de la littérature américaine.

    Avec Alison Lurie (née en 1926), à la fois prix Pulitzer 1984 et Prix Fémina étranger 1988, écrivain et universitaire, c'est le nord qui est évoqué dans ses romans, avec des personnages petits, ambitieux mais timorés. Elle se moque volontiers des enseignants et des écrivains dont elle fait partie. Le tableau serait incomplet s'il ne comportait aussi la figure de Toni Morrison (née en 1931), afro-américaine qui, à son tour traque les fantômes de l’esclavage. Insoumise et volontiers provocatrice elles est reconnue comme un écrivain national bien qu'elle se sente exclue de cette société majoritairement blanche et gouvernée par des hommes. Son style est cinglant, décrit la misère des noirs du début du XX° siècle et le ségrégationnisme américain tout en explorant les registres du merveilleux, du fantastique et de l’irrationnel. Son œuvre a été couronnée par le prix Pulitzer en 1988 et le Prix Nobel en 1993. Louise Erdrich (née en 1954) quant a elle est d'origine indienne et est souvent comparée à Toni Morrison. Elle parle de la spoliation des indiens, de leur perte d'identité et de leur culture, de l’alcool. Elle est d'une profonde tendresse et son style est alternativement dramatique et humoristique. Joan Didion (née en 1934) est davantage journaliste que romancière et ses œuvres n'ont reçu Outre-Atlantique qu'une consécration tardive. A 78 Ans elle fait pourtant autorité, incarnant véritablement l'écrivain californien. Elle se concentre sur l'observation d'elle-même, de l'Amérique et de ses habitants. A titre personnel son introspection porte aussi sur les deuils qu'elle a subi à la suite de la mort de son mari et de celle de sa fille. Elle parle de la solitude, de la maladie, de la mort à venir, raconte sa vie, ses périodes dépressives qui ont fait suite à des phases plus fastes. Face à ses épreuves, l'écriture est pour elle une sorte de baume contre l'adversité. C'est à peu près la même démarche à laquelle se livre Joyce Carol Oates (née en 1938). Brillante universitaire et écrivain à succès, elle aussi parle d'elle, de sa vie, des faites divers mais il lui semble difficile de connaître ceux qui l'entourent et qui sont pour elle une énigme angoissante. Elle parle de l'enfance malheureuse, de la séduction exercée par les adultes, de l'échec conjugal mais aussi peint l'Amérique de l'ouest sans ménagement et sans rien cacher de la violence, de l'alcool, de la drogue, de la sexualité, des trafics... Pour elle aussi, l'écriture est un bouclier. Enfin Susan Minot (née en 1956) est surtout scénariste et n' a écrit que 4 romans. Elle obtenu le Prix Fémina étranger en 1987 mais n'a rien publié depuis 2003. Elle a choisi d'évoquer des scènes familiales dans la Nouvelle-Angleterre fortement teintées d'autobiographie entre révoltes soumissions, affrontements, jalousies et joies simples. Les personnages, surtout celui du père et de la mère sont caractéristiques mais le portrait qu'elle fait de la famille symbolise toutes les familles du monde.

    Il s’agit d'un catalogue certes incomplet, d'un tableau rapidement brossé tant les femmes de lettres sont nombreuses Outre-atlantique. Leurs romans ont été couronnés notamment par le prestigieux prix Pulitzer mais pas seulement et le rayonnement de leurs œuvres a largement dépassé les frontières du pays. Ce numéro du Magazine Littéraire fait sur cette question un point intéressant et suscite l'intérêt du lecteur.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • L'ENFER - DANTE.

    N°663– Juillet 2013.

    L'ENFER - DANTE.

    Dante (1265-1321) fait partie de ces célèbres auteurs dont on ne retient même pas le nom de famille (Alighieri), un peu comme pour Rousseau pour qui on privilégiait le prénom (je me souviens que certains de mes professeurs de français l'appelaient parfois Jean-Jacques) sans doute par affection parce qu'ils ont exprimé quelque chose de profondément humain.

    De sa trilogie, « La divine Comédie », considérée à juste titre comme l'un des chefs-d’œuvre de la littérature, on ne retient bien souvent que « l'enfer », prenant sans doute en compte qu'il existe bien, mais ici-bas, au quotidien et en tout cas davantage que le « Paradis ». Cette œuvre commencée en 1306 est bien celle de sa vie mais on oublie aussi qu'il est l'auteur de différents traités (« De vulgaris eloquantia », » « Il convivo », « De Monarchia »). C'est, pour l'époque, une manière très originale et novatrice d'écrire puisque l'auteur se met lui-même en scène. De plus Dante écrit en langue toscane (et non pas en latin comme c'est l'usage à l'époque), c'est à dire en italien, un voyage initiatique au cours duquel il va rencontrer diverses personnalités appartenant à l'histoire, au mythe ou des contemporains de l'auteur. C'est aussi une œuvre monumentale et chrétienne, une réflexion sur la vie et sur la mort où se mélangent l'imaginaire, les allégories et l'histoire. Cela dure pendant toute la semaine sainte de l'année 1300. En compagnie de Virgile il passe les 9 cercles de l'enfer, les 7 gradins du purgatoire puis accèdent aux 9 sphères du paradis où Virgile ne pourra accéder puisque, mort avant l'avènement du Christ, il n'a pu être sauvé par Lui. C'est en revanche sa muse, Beatrice Portinari, qui va lui ouvrir les portes du Paradis où elle est déjà et le guider dans « l'empyrée », lui offrant le salut en compagnie de Saint Bernard.

    Mais revenons à « L'Enfer ». Il est la première des trois parties de la « Divine Comédie » et comporte 34 chants subdivisé en tercets. Quand Lucifer fut précipité par Dieu sur la terre, sa chute forma une sorte d'entonnoir qui est l'enfer et la masse ainsi déplacée s'érigea en montagne créant le purgatoire. L'enfer est donc au centre de la terre, le domaine de Lucifer et comporte un lac gelé, le cocyte. La structure de l'enfer est composée de 9 cercles (trois fois trois qui est un nombre sacré) et plus on descend plus on s'éloigne de Dieu et plus grand est le poids des péchés. A chaque cercle de l'enfer correspond un vice.

    Au début, Dante lui-même, égaré dans une forêt obscure, image du vice, tente de gravir une colline lumineuse, incarnation de la vertu . Une panthère, un lion et une louve qui sont le symbole du mal s'opposent à son passage et il rencontre Virgile qui l'invite à visiter le monde des morts. Il sera sont guide pour l'enfer et le Purgatoire. Béatrice, elle, lui montera le Paradis. Ils arrivent ensemble aux portes de l'Enfer où on peut lire cette phrase peut encourageante « Abandonnez toute espérance, vous qui entrez. », franchissent l'Achéron et Dante s'évanouit. Ensuite ils parcourent le 1° cercle, les Limbes, où sont les âmes qui n'ont pas reçu le baptême comme Virgile et comme Homère. Dans ce cercle Dante rencontre d'autres grands hommes. Dans le deuxième cercle est réservé aux « pécheurs de la chair », le troisième aux gourmands, le quatrième aux avares et aux prodigues, le cinquième où se trouvent les eaux su Styx aux colériques, aux rancuniers, aux mélancoliques puis Virgile et son compagnon arrivent à la cité de Dité. Dans le sixième il rencontre les hérétiques puis dans le septième, divisé en trois girons, ce sont les violents qui y sont enfermés et tourmentés. Le huitième, appelé aussi Malesfosse est divisé en dix fossés concentriques, les bolges. On y rencontre les prévaricateurs, les hypocrites, les devins, les sorciers, les voleurs. Le neuvième cercle est réservé aux traîtres.

    Dante peint ce lieu où se retrouve tout le mal de la terre et où sont châtiés ceux qui l'ont pratiqué. C'est le voyage d'un vivant parmi les morts, le témoignage d'un homme à qui Dieu a permis, par l'entremise d'un poète, d'entrevoir le monde d'après la mort. C'est donc un récit directement inspiré de la théologie du Moyen-Age, l'œuvre propitiatoire d'un pécheur quand on sait l'emprise de l’Église sur ses fidèles et la peur qu'inspirait la mort et les éternels tourments de l'enfer. C'est un récit à la fois épique et lyrique, révélateur d'une certaine forme de vérité, didactique aussi qui s'inspire largement de Virgile et d'Homère mais où chacun peut y aller de son commentaire. On ne s'en est d'ailleurs pas privé, faisant dire à Dante ce qu'il n'a probablement jamais voulu dire. On y a vu aussi et ce n'est probablement pas faux, une sorte manière de régler ses comptes notamment contre la ville de Florence qui l'a vu naître mais qui l'a exilé et où il ne repose même pas actuellement.

    On peut s'interroger sur le terme « Comédie » qui n'est pas vraiment opportun dans la cas d' « l'Enfer ». C'est que, à l'époque, tout poème dont la conclusion était heureuse méritait ce nom, ce qui est le cas puisqu'il s'achève sur le Paradis, quant au terme « Divine », le thème seul le justifie amplement.

    Cette lecture a pour moi quelque chose d'exceptionnel surtout lorsque, en regard de la traduction française est également écrit le texte en italien : c'est une musique.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon

    N°659– Juillet 2013.

    LE MEILLEUR DE NOS FILS – Donna Leon - Calman-Lévy.

    Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond

    A l'académie militaire San Martino à Venise, un jeune cadet, Ernesto Moro, vient de se suicider. Dès le début de l'enquête, le commissaire Brunetti ne croit pas à cette version. Le jeune homme était en bonne santé, ne présentait aucun signe dépressif, autant de bonnes raisons pour que notre policier remette en doute ce qui, de plus en plus, passe pour la thèse officielle. Il ne tarde pas à s’apercevoir que cette école est en fait réservée aux enfants de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie du pays, d'ailleurs, la victime était le fils du Dottor Fernando Moro, un éminent oncologue qui s'était fait élire parlementaire. Il avait marqué son passage dans la vie politique italienne par ses enquêtes sur les hôpitaux publics et surtout par une grande probité, ce qui est plutôt rare dans ce domaine. Il avait ensuite démissionné de son poste de député d'une manière un peu brutale et inattendue pour reprendre une clientèle privée. Les investigations de Brunetti révèlent que les époux Moro vivaient séparément depuis de nombreuses années et qu'il y avait des périodes inexpliquées dans la vie de la mère qui d'ailleurs reste introuvable.

    Il ne faut pas longtemps au commissaire pour convaincre le vice-questeur Patta, son supérieur hiérarchique, de creuser un peu son idée sur le suicide douteux d'Ernesto Moro. En effet, conclure un peu vite son enquête sur cette cause officielle de décès risquerait d'amener l'ex-député à attaquer le possible classement sans suite de cette affaire, ce qui, aux yeux de Patta, toujours aussi timoré, serait inadmissible puisque cela ternirait l'image de la police vénitienne qu'il dirige. Pourtant, il n'est pas non plus question de trop chercher les causes de ce suicide puisque cela va immanquablement amené la police à enquêter sur la vie privée du Dottor Moro qui est aussi un notable dont Patta souhaite la protection. Telle est donc l'enjeu de ce récit.

    La vie de ce couple est une énigme. Les époux Moro travaillent séparément et leur séparation est intervenue bizarrement à la suite d'un accident de chasse dont a été victime la mère, Frederica à Sienne, deux ans plus tôt. On lui a tiré dessus mais la chose est pratiquement passée inaperçue à l'époque. Ils le sont pas officiellement divorcés, ni l'un ni l'autre ne paraît avoir de liaison, mais ils ne communiquent entre eux que par avocats interposés. Brunetti rencontre l'un et l'autre, séparément bien sûr. Avec Madame, le commissaire veut revenir sur son accident qui effectivement pose encore des interrogations restées sans suite pour la victime. En ce qui concerne le suicide de son fils, elle est formelle, cela ne peut être vrai. Brunetti à la chance d'avoir sa secrétaire, Elletra, qui est une mine de renseignement obtenus d'ailleurs un peu trop facilement, mais également son épouse Paola qui connaît bien des potins de Venise. Elle lui révèle que l'école de San Martino n'a rien de militaire, mais est au contraire un repère de jeunes snobs de la bonne société qu'on entretient dans la certitude de leur supériorité.

    Les investigations de Brunetti le conduisent à mettre en évidence pas mal de zones d'ombre dans ce dossier, aussi bien des informations contradictoires sur les faits qui se sont déroulés dans l'école avant le suicide, la rétention d'informations de la part des cadres, la menace sur les cadets, le viol d'une jeune fille dans l'enceinte de l'académie militaire quelques temps auparavant mais dont l'information a très tôt été supprimée des journaux, la vie pas si séparée que cela des Moro, la certitude que l'accident de chasse dont avait été victime Frederica Moro n'était pas un accident et que sa vie était peut-être encore menacée, qu'ils avaient une fille, Valentina, bizarrement absente, que la mère du Dottor a été victime d'un accident de la circulation. Il parvient à expliquer que, durant ses fonctions de parlementaire, Fernando Moro s'était notamment intéressé d'un peu trop près aux contrats d'approvisionnement de l'armée, mettant en évidence prévarications et favoritisme, le tout aux dépends du Trésor Public, c'est à dire du contribuable. Bien entendu, le vice-questeur Patta, toujours désireux de donner de la police, mais surtout de lui-même, une image favorable aux notables locaux, souhaite que la thèse du suicide d' Ernesto soit favorisée et bien entendu l'affaire classée. Pourtant, elle évolue vers la mise en cause de plusieurs cadets et à cette occasion des noms de famille de notables pourraient être révélés et peut-être salis.

    Cette affaire, faite de menaces, de couardise, de renoncements, d'erreurs, de faux-témoignages, de mensonges, de révélations embarrassantes, de mises en cause, de mises en scène se termine. Brunetti qui est policer mais aussi père d'un garçon de l'âge de la victime n'a cessé de penser à ce jeune cadet mort trop tôt en songeant que cela pourrait bien lui arriver à lui aussi.

    Brunetti est un bon enquêteur mais il est, dans cette affaire secondée efficacement par Elletra, la secrétaire, qui lui obtient des renseignements avec plus de facilité qu'un fin limier.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon

    N°658– Juillet 2013.

    MORT EN TERRE ETRANGERE – Donna Leon - Calman-Lévy.

    Traduit de l'anglais par William Olivier Desmond

    Un cadavre vient d'être découvert aux petites heures du matin, apparemment poignardé et flottant dans les eaux noires d'un canal à Venise. Le commissaire Guido Brunetti se charge naturellement de cette affaire. Très vite il s'aperçoit que la victime est un Américain, plus exactement le sergent Foster de la base de Vicence. Il lui faudra donc travailler avec une armée étrangère ce qui ne lui facilitera pas les choses. Elles sont d'ailleurs suffisamment compliquées comme cela au quotidien avec son supérieur hiérarchique, le vice-questeur Patta qui n'est jamais aussi satisfait que lorsqu'il ne se passe rien à Venise puisque toutes les formes de délinquance, et particulièrement un crime de sang, sont synonymes de baisse de la fréquentation touristique dans la ville. Il faut dire que ce hiérarque est le type même du chef de service incompétent, ignare, profiteur à l'occasion, autant dire inutile, mais imbu de lui-même, de sa supposée importance et dont on se demande comment il a bien pu faire pour parvenir à ce poste.

    Un peu macho quand même ce Brunetti quand il s'étonne de la présence des femmes, surtout officier et médecin, dans l'armée américaine, franchement italien aussi quand il oublie ses fonctions officielles de policier pour faire dans la combinazione, Vénitien avant tout quand il éprouve le besoin de décrire sa ville aux étrangers en sa compagnie ; il faut dire que la Sérénissime ne laisse personne indifférent. Il est amoureux de son épouse et attentif à sa famille mais ne dédaigne pas, à l'occasion, la compagnie des femmes, même si elles portent l'uniforme. Pourtant, il reste les réactions bizarres de cette femme, le capitaine médecin Peters et supérieur hiérarchique de Foster au service de la santé publique quand elle le voit à la morgue et qu'elle apprend la manière dont il a été assassiné. C'est peut être assez pour que le commissaire la soupçonne, ce qui ne simplifiera pas l'enquête de la police italienne ! Au début, tout paraît lisse dans la vie de Foster, mais une visite dans son appartement révèle la présence de cocaïne et une possible relation intime avec cette supérieure. Ainsi que pouvait bien justifier le meurtre de ce militaire, le vol, la vengeance, la jalousie ou une simple agression de rue ? Pourtant, les jours suivants révèlent la mort par overdose du capitaine Peters alors que cette dernière n'était pas toxicomane ! Autant dire que, malgré les ordres de sa hiérarchie, Brunetti a bien l'intention de poursuivre son enquête originelle.

    Le vice-questeur, toujours aussi flagorneur, timoré mais surtout désireux de ne pas faire de vagues préfère traiter cette affaire comme une agression de rue qui aurait mal tourné et commande au commissaire de se consacrer à un cambriolage survenu dans un palais du Grand Canal appartenant à un important industriel milanais de l'armement. Au moins, comme cela, il se fera bien voir d'un important notable. Ainsi Brunetti abandonne-t-il cette affaire, officiellement seulement puisque contrairement aux apparences, il pense que ces deux enquêtes pourraient bien être liées. En effet, notre commissaire ne tarde pas à mettre à jour un trafic de déchets avec création de décharges sauvages à cause de la corruption des hommes politiques, du laisser-aller des autorités italiennes face aux Américains notamment en matière d'écologie, des différentes réglementations à l'intérieur des pays de la communauté européenne et de l'ombre de la Mafia.

    Je ne connaissais pas cette auteure au nom à consonance européenne, née dans le New-Jersey mais qui a choisi la cité des doges pour lieu de résidence permanente. En revanche la série télévisée allemande qui a contribué au succès des enquêtes de son commissaire fétiche m'a encouragé à lire les vrais romans. Je n'en suis pas déçu, le voyage extraordinaire dans cette cité mythique autant que l'intrigue policière, malgré quelques longueurs, ont été pour moi l'occasion d'un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT



    N°657– Juillet 2013.

    L'ANNEE DU VOLCAN – Jean-François PAROT – JC LATTES.

    Nous sommes en Juillet 1783 et le vicomte de Trabard vient de mourir, tué en pleine nuit par son cheval, Bucéphale. Ce nom avait déjà été porté par le destrier d'Alexandre mais si ce cheval avait peur de son ombre, il semblerait bien que la monture du vicomte ait craint les pétards jetés dans son box nuitamment, ce qui pour le commissaire Le Floch est sans aucun doute le signe d'un assassinat camouflé en accident. D’autant que le cheval est présenté comme une bête fougueuse alors qu'il n'en n'est rien ! Quant au vicomte, pour être noble il n'en était pas moins quelqu’un de peu recommandable dont on n'aurait bien pu vouloir se débarrasser. Le vicomte et la vicomtesse vivent sous le même toit mais mènent deux vies bien séparées ce qui pourrait bien être une explication à cette mort mystérieuse, les domestiques, sous couvert de la fidélité à leurs maîtres, cachent des informations à nos policiers, les appartements de M. de Trabard ont été fouillés bien avant l'arrivée de la police et les nombreux détails qui s'accumulent lors de leurs recherches contribuent à épaissir le mystère qui entoure cette affaire et posent bien plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Le plus étonnant est sans doute que la reine qui fait mander Nicolas le Floch pour enquêter, entend être tenue exclusivement et personnellement informée des développements de ses investigations. Un cas de conscience pour notre « commissaire aux affaires extraordinaires » qui rend compte d'habitude au Roi lequel lui accorde toute sa confiance et à qui il est tout dévoué ! Autour du marquis de Ranreuil, ses amis le mettent en garde : cette affaire est grave et pourrait entraîner sa disgrâce, et pour faire pression sur lui, on le menace même de révélations sur sa vie privée !

    Il est aidé par son fidèle et efficace Bourdeau, toujours aussi critique au regard de la Cour. Il est ici l'expression d'un peuple qui gronde et auquel il appartient, même si ses fonctions policières l'amènent à protéger la royauté ! Certains de ses propos prennent dans ce récit une dimension prémonitoire. Plus les investigations avancent autour du vicomte de Trabard , plus le secret s'étend, d'autant que cette époque est troublée, que le roi a de moins en moins de pouvoirs, que les bases de la société se délitent, que des scandales éclatent, que l’État est en faillite à cause notamment des dettes faramineuses de la reine dans le remboursement desquelles le vicomte aurait pu jouer un rôle peu catholique, que le peuple fait de plus en plus entendre sa voix et ses revendications, menaçant l'ordre public, que circulent des pamphlets et des libelles, bref une atmosphère de fin de règne qu'un policier intègre ne peut que redouter ! Tout s'y met, même la terre qui ne cesse de trembler et ce volcan islandais qui répand ses vapeurs nocives jusque sur le royaume de France !

    Lors des investigations de Le Floch, le lecteur croise une franc-maçonnerie de plus en plus influente, l’énigmatique comte de Cagliostro, Restif de le Bretonne toujours aussi inattendu et insaisissable, l'ombre de Sartine, ancien ministre retiré des affaires mais toujours attentif aux choses de l’État, des faux-monnayeurs, des trafics en tout genre, des spéculations immobilières de la part d’ordres religieux qui ont pourtant fait vœux de pauvreté, des coteries où la galanterie le dispute à la corruption et à la volonté de nuire...

    Cette enquête est passionnante du début à la fin. Elle nous entraîne sous le règne de Louis XVI et nous dirige dans ce Paris du XVIII°siècle plein de mystères. Comme toujours je note les recettes de cuisine qui émaillent le récit, si détaillées et goûteuses que le lecteur a l'impression d'être invité parmi le commensaux. Comme toujours le texte est érudit et on y gagne toujours quelque chose qui ressemble à la connaissance de cette période passionnante et des gens qui y vivaient, petits ou grands !

    Un détail, et non des moindres cependant : je veux redire ici combien j'apprécie le style de Jean-François Parot, riche en tournures et en vocabulaire un peu surannés mais ô combien musicaux et distingués. C'est d'autant plus important à mes yeux qu'il est devenu presque banal d'écorcher au quotidien notre belle langue jusque dans les « sms » et que nombre de professionnels de la parole et de l'écrit qui sont censés en faire un usage correct ne cherchent même plus à la respecter. C'est plus fort que moi, mais j'aime qu'on serve correctement le français et c'est toujours pour moi un plaisir de lire de tels romans.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards

    N°655– Juillet 2013.

    LE BONHEUR D'ETRE ICI – Michael Edwards - Fayard.

    Le titre et l'objet de la réflexion de l'auteur s'articulent autour d'une citation de Claudel [« Le bonheur d'être ici »] et une autre de Baudelaire [« N'importe où hors du monde »]. Ainsi donc, le bonheur qui est l'objet légitime de la recherche de tout être humain [« Le bonheur nous hante, comme un beau souvenir ou un rêve, comme une perte et une promesse » nous dit-il en commençant son propos] est-il une utopie dans un monde déchiré par les guerres, les injustices, les luttes fratricides, la famine, les deuils... Le malheur y est donc omniprésent. L'auteur nous invite simplement, non à espérer autre chose dans une hypothétique autre vie ou un improbable ailleurs, mais à porter un regard attentif sur le réel, à nous concentrer sur émerveillement de l'instant, le spectacle du quotidien peut en effet légitimement nous inviter à suivre l'invitation de Baudelaire. A ses yeux, même la religion qui promet ce bonheur, mais dans un autre monde seulement, est blâmable. Pour lui, au contraire c'est le « ici et maintenant » qui doit retenir notre attention et monopoliser notre faculté de nous émouvoir, parce que cet instant est unique. Cela n'a rien d'intellectuel ni de méditatif dans sa démarche mais c'est au contraire une invite à une prise de conscience simplement humaine.

    Pourtant, la citation du très catholique Claudel fait référence à Dieu et à sa création mais ce qu'en retient Edwards c'est moins l'infini de l’œuvre divine que le « fini » du monde que nous avons sous les yeux. Ainsi le bonheur terrestre ne peut procéder de la foi chrétienne mais résulte surtout de l'attention que nous portons à notre entourage immédiat. Edwards suggère même que le christianisme « s'offre comme la possibilité d'avoir la vie et de l'avoir avec plus d'abondance », alors qu'on pouvait légitimement penser qu'il privilégiait le bonheur dans l'au-delà et non pas ici-bas. Être ici et maintenant peut parfaitement nous enchanter et le parti-pris de Baudelaire pourrait être tentant [« Enfer ou Ciel qu'importe, au fond de l 'inconnu pour trouver du nouveau »]. L'auteur met en prescriptive ces deux sensibilités, ces deux « impulsions » pour en tirer une sorte de leçon de vie, « pour rendre compte tant des merveilles que du malheur inépuisable du monde », pour que le bonheur se nourrisse du malheur pour rayonner et s'imposer à nous.

    C'est là une apparente contradiction qu'aux yeux de Michael Edwars, la poésie aurait pour mission de réduire, d'anéantir[« Et toute la littérature, toutes les formes d'art.. ont pour domaine, au fond, le bonheur, la recherche d'un avenir favorable »]. Il n'en veut pour preuve que l'émerveillement de Rousseau après son accident malheureux ou l'enfer de Dante où l'auteur, décrivant les épreuves des damnés éprouve du bonheur au simple souvenir du monde réel. Dès lors le poète n'est pas cet homme enfermé dans sa « tour d'ivoire », seulement occupé par ses pensées intérieures et désireux de se refaire son propre monde. Il est au contraire celui qui regarde le monde, y est sensible, garde sa faculté de s’étonner des choses les plus communes, les plus quotidiennes. Il est un voyageur du réel tel que Witman le concevait, c'est à dire, une sorte de témoin, un quêteur de Dieu, mais d'une sorte de Dieu profane détaché de tout rituel, de tout contexte de religiosité surannée et encombrée de lieux saints.;

    Ce thème de réflexion sur la poésie et sur l'art se nourrit aussi des écrits de Rousseau, de Witman, de Dante, de Proust, de la Bible et plus spécialement de l'ecclésiaste qu'il nous invite à relire [il nous invite à dépasser ce à quoi elle est souvent réduite « Vanité des vanités, tout n'est que vanité »]. Il note qu'en littérature, le malheur fait davantage recette que le bonheur et que dans la Divine Comédie, c'est toujours de « l'enfer » dont on parle. Michael Edwards fait aussi appelle à la musique de Haendel et la peinture de Manet pour finalement évoquer ce que peut être l'extase du passant sur le Pont des Arts. Dans toute œuvre d'art, c'est l'instant qui est célébré, dans toute sa simplicité et donc toute sa beauté. Chez les impressionnistes, il retrouve le plaisir de l'instant, figé sous le pinceau de l'artiste. Ce mouvement est à la fois une manière différente de peindre et une volonté de rendre compte d'un certain art de vivre puisque la plupart de leurs tableaux est associé à des lieux de distraction ou de farniente ;

    C'est donc un ouvrage riche, plein de sensibilité, de culture, de poésie mais surtout un hymne au réel, au quotidien que l'auteur propose à notre réflexion pour sortir d'un monde où chaque jour nous invite au contraire à la déprime, à la désolation. Un très beau texte donc, un brillant travail universitaire, un thème de réflexion intéressant, même s'il semble à priori paradoxale et parfois un peu trop érudit pour le commun des mortels, mais peu importe, ce livre résulte des cours que l'auteur donne au collège de France où il enseigne... même si, à titre personnel, je ne partage pas son point de vue.

    © Hervé GAUTIER - Juillet 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • RIVAGE MOBILE – Michael Edwards

    N°656– Juillet 2013.

    RIVAGE MOBILE – Michael Edwards - Arfuyen.

    C'est un cas bien intéressant que celui-là puisque l'auteur écrit des poèmes directement en anglais et les traduit en français. Ce recueil est donc une édition bilingue. Cette « opération » n'est, en elle-même pas banale mais, sous la plume de l'auteur, c'est moins une traduction qu'une véritable recréation [« A travailler le poème français, à observer sa façon autre de faire résonner et de changer le moi, le monde, je suis venu aussi, parfois, à modifier ou à récrire entièrement le poème anglais » confesse-t-il]. On a beaucoup associé le mot « trahison » au mot « traduction » surtout quand ce travail est effectué par un tiers, si complice soit-il avec l'auteur. Dans la traduction, non seulement les mots se dérobent parfois, leur sens prend des chemins détournés, mais la personnalité et celle de son traducteur sont nécessairement différentes, les sensibilités parfois éloignées... Effectivement les langues sont dissemblables mais aussi les règles de prosodies ne sont pas les mêmes. Ici, tout cela n'existe pas puisque Michael Edwards écrit en français sous la forme libre et prend prétexte d'un des des poèmes qu'il a personnellement écrit en anglais, sa langue maternelle, pour le repenser et et le récrire en français. C'est ainsi par exemple que le texte intitulé « Gravestone », p66-67, exprimé en anglais avec une grande économie de mots, une remarquable concision, donne en français « Pierre tombale », un poème beaucoup plus long, plus poétique, une vrai réflexion sur la mort, sur la condition humaine, une occasion aussi de « jouer » sur les mots (Humour, Humus, Humble). Dans ce recueil on mesure plus aisément les avantages de cette double culture de l'auteur.

    Dès lors, les mots prennent un sens nouveau, différent, enrichi peut-être, paradoxale parfois en passant d'une langue à l'autre[ dans le poème « On meaning », « Du sens » en français », le tilleul anglais devient le platane plus dans le décor français, le message a une autre ampleur, le texte une autre dimension, le rythme un autre balancement à cause des allitérations et de l'enjambement. N'oublions pas que la langue anglaise est accentuée et que le français l'est beaucoup moins ce qui se traduit pas une musique forcément transformée. C'est d'autant plus sensible quand le lecteur lit à haute voix ces textes dans les deux versions, ce qui n'est pas sans instiller une sorte d'étrangeté due sans doute aux techniques poétiques différentes ou à un univers pourtant familier mais finalement dessiné autrement [le poème, « Lines », p76-77 qui en français est traduit par « Du vers », me semble à ce propos significatif ].

    Un simple déménagement devient sous sa plume une maison qui bouge [« Moving house » p 8 et suivantes], comme les êtres, avec à la fois l'idée du vide, du changement, de la transition, l'image de la vanité des choses humaines, le parallèle avec les êtres qui l'ont habitée. A travers les mots, il y a un hymne à l'instant, à la fois fugace, unique et perpétuellement reproduit [« La mer par la force électrique du clair de lune frissonne... Le phare folle girouette du rivage ferme les yeux...Les oiseaux illuminés de la ville vont leur cage, et dresse la carte des longues courbes de la terre sous un soleil qui tourne le monde dans sa tête »p.23] , une vision éphémère et porteuse d'émotion et d'amour [« Des murmures descendent sur ton livre ouvert par une odeur de pomme...Le jardin respire le vent caresse tes feuilles, ta robe »p.63]. Je ne puis m'empêcher de faire le rapprochement avec « Le bonheur d'être ici », thème qui est cher à l'auteur. Il l'habite par le spectacle du réel et c'est pour lui l’invitation à un moment d'exception dont il faut jouir simplement. Écouter, voir, maintenir tous ses sens en éveil pour la richesse de l'instant et la célébration de la vie dans ce qu'elle a d'éphémère et d'éternel. [« La pierre et la jeune fille »p.33], telle est sans doute la leçon de ces poèmes.

    Le texte poétique, sans doute plus que celui écrit en prose, se prête davantage à l'interprétation personnelle, s'ouvre à la sensibilité intime du lecteur, laisse libre cours à son imagination.[« Nous entendions une autre voix qui n'était pas la votre seulement mais le son humain, votre voix véritable, arrivant vers nous d'un monde plus lointain. » in « The voice » p.68-69]. Si nous y prêtons attention, les mots se chargent de sens pour célébrer simplement la pierre, l'eau, les feuilles, le vent, la lumière parce que tout cela vit en eux et par eux.

    Nous sommes au quotidien entourés d'images parfois agressives et de paroles « orales » qui ne le sont pas moins. Pour ma part, je suis toujours étonné par l'univers des mots écrits, apaisants et ouverts à l'interprétation personnelle que sont les poèmes. Un recueil de ces textes peut paraître anachronique, voire inutile dans cette société tournée vers le rendement, l'efficacité entendue sur le seul plan économique, il n'en est pas moins, à mes yeux, un moment d'exception, un jalon, l'occasion de voir le monde autrement.

    La lecture attentive de cette poésie a été pour moi l'occasion de renouer avec ce qui a été la raison d'être initiale de cette revue.

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  • LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL

    N°654– Juillet 2013.

    LE RETOUR DU PROFESSEUR DE DANSE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers. Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en décembre 1945 en Allemagne, Donald Davenport arrive d'Angleterre pour y effectuer un travail bien particulier. Il s'agit d'exécuter par pendaison des criminels nazis. Il est le bourreau officiel.

    Puis nous changeons brusquement d'époque et de lieu puisque nous sommes en Suède en 1999. Un jeune policier de 37 ans qui vient d'appendre qu'il est atteint d'un cancer, Stephan Lindman, vient d'être informé de l'assassinat d'un de ses anciens collègues, Herbert Molin, qui avait pris sa retraite dans un coin retiré et boisé du nord du pays. Il vivait seul dans une grande maison isolée et y menait une vie retirée mais énigmatique. Arrivé sur place et malgré une enquête officielle dont il est bien entendu exclus, Lindman, en bon policier, tente d'en savoir davantage. Il établit très vite que si Molin se cachait ici, c'était par peur, que ce meurtre n'est pas le fait d'un rôdeur mais au contraire ressemble à une véritable exécution, précédée d'ailleurs de tortures, que l'homme qu'il croyait connaître se révèle être un véritable étranger pour lui. Le modus operandi est en effet des plus bizarres et fait référence à une passion de la victime... pour le tango ! Intrigué, Lindman, qui aide maintenant ses collègues, pousse plus loin ses investigations et se pose de plus en plus de questions à propos de Molin. Le fait qu'il ait changé de nom, de profession, que ses enfants se soient définitivement détournés de lui, qu'il ait, pendant la guerre, adhéré au parti nazi au point de porter l'uniforme de la waffen SS et qu'il soit resté convaincu par cette idéologie jusqu'à la fin de sa vie, que son voisin soit par la suite lui aussi exécuté d'une manière apparemment rituelle, le fait aussi que Molin ait sciemment cherché à effacer les traces de son passé, contribuent grandement à épaissir le mystère qui l'entoure. Notre policier patine encore davantage quand, dans sa quête, il rencontre un vieux portraitiste admirateur d'Hitler, une femme, voisine de Molin, qui partage ses convictions politiques et s'accuse d'un meurtre qu'elle n'a apparemment pas pu commettre, peut-être pour protéger quelqu'un, la disparition énigmatique d’un chien qui pourrait bien avoir une signification précise dans son enquête, la rencontre avec la fille de Molin qui elle aussi semble vouloir cacher bien des choses la concernant, des ombres qui rôdent autour de lui, un vieil avocat qui se veut amnésique, des suspects de plus en plus nombreux et insaisissables et une révélation inattendue sur son propre père à l'occasion d'une incursion dans un appartement qui fait de lui un véritable cambrioleur... Cela fait beaucoup pour quelqu'un qui venait simplement dans ce coin reculé du pays pour assister aux obsèques d'un ancien collègue !

    Parallèlement, le lecteur fait connaissance d'Aaron Silberstein qui lui aussi a changé de nom pour adopter le mode de vie argentin et dont l'ombre mystérieuse plane sur tout ce récit. Il porte en lui la vengeance et l'accomplira quoi qu'ils arrive.

    Ce roman palpitant du début à la fin, avec en toile de fond un pan d'histoire controversé de la Suède et la survivance éventuelle de l’idéologie nationale- socialiste, des personnages qui changent d'identité, une enquête qui se complique de chapitre en chapitre par des rebondissements inattendus et des pistes en forme d'impasses, ne met pas, pour une fois en scène le commissaire Kurt Wallander. Cela n'en a pas moins été pour moi un bon moment de lecture.

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  • LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL

    N°653– Juin 2013.

    LA LIONNE BLANCHE – Henning MANKELL – SEUIL Policiers.

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Nous sommes en avril 1992 et une jeune mère de famille, agent immobilier, Louise Åkerblom a disparu. C'est son mari qui vient en faire la déclaration au commissaire Wallander. D'emblée, celui-ci subodore une disparition peu commune qui n'a rien à voir avec une passade amoureuse. C'est là une de ses intuitions coutumières. Le couple était heureux, méthodiste de confession, très croyant et pratiquant au sein d'une petite communauté religieuse. Les recherches aussitôt entreprises orientent les policiers vers l'explosion d'une maison inhabitée et isolée. Dans les décombres, on retrouve les débris d'un poste émetteur, des restes épars d'un revolver uniquement fabriqué en Afrique du Sud et un doigt humain... noir ! A priori rien à voir avec la disparition de Louise qui est cependant retrouvée assassinée au fond d'un puits d'une ferme abandonnée. C'est évidemment Kurt Wallander qui est chargé de cette affaire au demeurant assez obscure.

    La chute du mur de Berlin et la disparition de l'ex-URSS ont éparpillé dans le monde entier des agents du KGB qui, contre la promesse d'une nouvelle vie et d'un passeport, sont prêts à tout. Le meurtre est une de leurs spécialités et Konovalenko en fait partie. La démocratie suédoise reste pour eux un refuge. A peu près à cette époque, en Afrique du Sud, une organisation criminelle favorable au maintien de l'apartheid projette d'assassiner une personnalité politique de premier plan. Konovalenko qui souhaite se réfugier en Afrique du Sud pour y changer de vie, lui offre de familiariser un tueur professionnel sud-africain noir, Victor Mabasha, avec de nouvelles armes mises au point en Union soviétique et pour cela le fait venir en Suède. L'affaire tourne mal cependant, une femme est assassinée par hasard et Mabasha s'évanouit dans la nature, après avoir perdu un doigt.

    Sur place, en Afrique du Sud, l'insécurité grandit, la tension monte, et , au sommet de l’État, on sent que quelque chose va se passer qui ressemble à un attentat. Frédéric de Klerk, alors président de la République et désireux de mettre fin à l'apartheid fait figure de victime potentielle mais Nelson Mandela, enfin sorti de prison, porte les espoirs du peuple noir. L'Afrique du Sud est encore gouvernée par une minorité blanche et la perspective d'un changement politique en faveur des Noirs fait craindre une guerre civile, une vengeance collective et une répression sanglante.

    Ces deux affaires n'ont rien à voir l'une avec l'autre au départ. Wallander est chargé du meurtre de Louise Åkerblom, mais ses investigations l'amènent à Stockholm où un jeune policier vient d'être tué au cours d'une opération. Encore une fois l'intuition de Wallander lui dit qu'il y a sans doute un lien entre ces affaires. C'est donc le début d'une histoire un peu compliquée avec des complications, des débordements, des erreurs qui égarent un peu le lecteur. La toile de fond est constituée par l'Afrique du Sud où notre commissaire n'a jamais mis les pieds, la silhouette de deux personnalités d'exception que sont Nelson Mandela et Frederick de Clerk et la marche inexorable de l'Histoire dans ce pays.

    Au cours de ce roman, le lecteur n'est pas à l'abri de ses surprises et les rebondissements du scénario vont l'étonner autant sur le plan du dépaysement géographique que sur l'attitude de Wallander. Il perdra un temps tout sens de la raison et même des réalités en n'écoutant que son devoir de policier pour mener à bien une mission qui, petit à petit le dépasse. Malgré lui sa fille Linda sera impliquée dans cette enquête et lui sera un peu malgré lui l'acteur médiatique de cette affaire qui se déroule dans la petite ville d'Ystad, d'ordinaire tranquille. Il devient le meurtrier d'un homme et ce geste, même accompli en état de légitime défense, le transforme complètement au point qu'il est lui-même recherché comme un authentique criminel. L'auteur nous montre ici un Wallander vieillissant qui doute à la fois de lui-même et de sa mission de policier, qui culpabilise à cause de la mort d'un homme dont il s'estime responsable. Cela provoque chez lui une grave dépression dont il aura sans doute du mal à se remettre d'autant qu'il est seul après un divorce difficile et qu'il a du mal à renouer avec une femme.

    J'ai rencontré cet auteur par hasard et je dois dire que l'écriture de ce roman, et probablement sa traduction (je ne lis pas le suédois dans le texte) distillent le suspense jusqu'à la fin pour le plus grand plaisir du lecteur attentif et passionné.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell

    N°652– Juin 2013.

    LA FAILLE SOUTERRAINE – Henning Mankell – Policiers SEUIL

    Traduit du suédois par Anna Gibson.

    Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai eu très tôt une passion pour les romans policiers. Bizarrement, j'ai toujours été moins attiré par l'histoire, l'énigme policière, que par le roman lui-même et surtout les personnages. Ces derniers m'ont toujours paru beaucoup intéressants par leur personnalité, leur psychologie, leur façon d'agir, la qualité de leur raisonnement, leur histoire personnelle même.

    Dans ce volume qui est en fait un recueil de cinq nouvelles plus ou moins longues, dont l'action se situe avant les titres déjà parus, l'auteur nous présente les débuts dans la police de Kurt Wallander, déjà héro d'une série que la télévision a popularisé et que le succès littéraire a consacré. Dans « Le coup de couteau », nous sommes en 1969, il est encore jeune gardien en uniforme de 22 ans qui va intégrer la criminelle à Malmö, autant dire qu'il apprend son nouveau métier. Il rencontre Mona qu'il épousera et avec qui il aura une fille, Linda, a déjà des relations houleuses avec son père qui n'a jamais admis son engagement dans la police. Son côté un peu perdu me plaît bien, il n'est guère un amoureux flamboyant, est plutôt en retard à ses rendez-vous, n'est pas vraiment le Don Juan irrésistible que nombre de films du même genre nous ont donné à voir... Le personnage se révèle éminemment humain et réfléchit avant d'agir mais fait des erreurs, écoute son intuition, son entêtement et son désir de s'abstraire des procédures réglementaires, de privilégier les enquêtes parallèles, marquent déjà le futur inspecteur. Je n'ai jamais goûté les feuilletons américains du même tonneau où l'hémoglobine coule à chaque scène parce qu'un américain est avant tout un cow-boy qui sait faire honneur à la tradition et l'usage systématique de son arme.

    Avec le déroulement des récits, nous le voyons vieillir, il monte en grade, devient commissaire et est affecté en Ystad, se montre de plus en plus dépressif, à cause des meurtres sanglants dont il a à connaître dans le cadre de ses enquêtes mais aussi sans doute de sa vie affective qui part à la dérive. Il combat cela par l'alcool et ce n'est sans doute pas ce qu'il fait de mieux. Dans « La mort d'un photographe », sa femme a obtenu une séparation amiable, ne vit plus avec lui et supportait sans doute mal son travail de policier comme c'est le cas de la plupart des épouses de flics. Seule Linda, leur fille, maintient encore un semblant de lien dans leur couple. Kurt se sent seul parce qu'elle lui manque, lui échappe aussi et il mesure sur lui-même le temps qui passe, la vieillesse qui arrive. Dans « La pyramide », il est définitivement divorcé et un peu paumé, Linda, alors âgée de 19 ans, cherche sa voie et lui tente sans grande conviction une liaison avec une autre femme mais sent bien que cela ne marchera pas. Il a de la vie une autre vision mais a, lui aussi, été rattrapé par elle, a subi ses leçons. La mélancolie qui en résulte lui donne un côté humain qui le fait ressembler au commun des mortels, une sorte d'anti-héros en quelque sorte, un policier qui fait passer son métier avant tout, un homme de bonne volonté.

    Même s'il y a autour de lui une équipe de policiers chevronnés, il reste un homme seul d'où émane une certaine mélancolie et qui est aussi doué pour passer à côté de son propre bonheur. Il incarne à lui seul ce qu'il est convenu d'appeler « l'inquiétude suédoise » et enquête bien souvent sur des solitaires comme lui, victimes ou auteurs.

    Cela dit, le suspense est savamment distillé au cours des récits et jusqu'à la fin, le style est agréable à lire. C'est à chaque fois un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca -

    N°651– Juin 2013.

    LES POISSONS NE FERMENT PAS LES YEUX – Erri de Luca - Gallimard.

    Traduit de l'italien par Danièle Valin.

    Dès l'abord, la quatrième de couverture a quelque chose d'attirant pour moi « A travers l'écriture, je m'approche de moi-même d'il y a cinquante ans, pour un jubilé personnel. L'âge de 10 ans ne m'a pas porté à écrire, jusqu'à aujourd'hui. ».

    Le narrateur passe donc ses étés, et spécialement celui de ses 10 ans, sur l'île d'Ischia en face de Naples avec sa mère. C'est un gamin qui est un peu taiseux [« "C'était ma spécialité rester silencieux" ], qui reste à l'écart des autres garçons de son âge, qui vit cette année avec des livres, la solitude de la nage, de la déambulation dans les ruelles du village, l'observation des gens et des choses, l'aide ponctuelle apportée à un pêcheur. Le monde des adultes le fascine et il croit le comprendre. Cette année sera aussi celle de la rencontre d'une fillette sur la plage, sans doute aussi solitaire et discrète que lui. Avec elle il engage la conversation parce qu'elle lui ressemble et ressent bien sûr les premiers frissons du désir. Elle incarne aussi la future femme, celle à qu'on aborde avec timidité parce qu'elle est vraiment différente des garçons que parfois elle regarde de haut. Lui est timide et tombe évidemment amoureux d'elle, n'a d'yeux que pour elle, lui obéit aveuglement. Tout cela n'est pas du goût des gamins de son âge qui le tabassent autant pour s'affirmer à leurs propres yeux que, peut-être pour prendre sa place auprès de la fille. Le plus étonnant est qu'il ne se défend pas, qu'il se laisse faire comme si les coups reçus dans ce contexte si particulier avaient valeur d’initiation [«  A dix ans, je croyais à la vérité des coups. L'irréparable me semblait utile. » ] Il accepte d'autant plus volontiers cette épreuve que, malgré son visage ensanglanté, il refuse de dénoncer ses agresseurs. Pendant ce temps, son amie, elle, conçoit un plan qui la révèle féminine dans sa soif de justice et d'équité. C'est par elle qu'il entrera dans ce monde des adultes.

    On pensera ce qu'on voudra de ce récit de sa vie. J'y vois volontiers la relation faite par l'adulte qu'il est devenu d'une période de sa vie où il a hâte de grandir, où il est pressé de se débarrasser de cette phase comme d'une mue devenue encombrante [« L'enfance se termine officiellement quand on ajoute un zéro aux années … mais il ne se passe rien, on est dans le même corps de mioche emprunté des étés précédents, troublé à l'intérieur et calme à l'extérieur."]. Pénétrer le monde des adultes à travers la violence, la soif de justice et l'amour, autant de pôles et de moments forts de leur vie qu'il voit encore de loin mais qu'il aspire à connaître le plus vite possible. Pourtant, il reste attaché à cette île, symbole de liberté et de beauté de la nature qui garde encore dans le repli des vagues et du sable des parcelles d'enfance. Cette année-là, il comprend le véritable sens du verbe « aimer », apprend d'elle le baiser pendant lequel il faut fermer les yeux et non les garder ouverts comme les poissons.

    Cinquante ans après, l'auteur devenu homme de lettres se souvient de l'année de ses 10 an avec émotion et nostalgie, accepte de la regarder en face comme, lorsqu'on est enfant, on cherche, presque par défit, à garder les yeux ouverts sous l'eau. Après viendront les épreuves inhérentes à ce monde des adultes tant convoité. Pour lui ce seront des dissensions avec sa famille, les douloureuses années d'après-guerre, le monde du travail et celui de l'engagement en politique, l'entrée en littérature. Cette année de ses dix ans, il la voit aujourd'hui non seulement comme une année de transition, mais peut-être comme une période un peu surréaliste pendant laquelle à la fois il hésite à sauter le pas, à envie de se laisser porter par les événements extérieurs, qu'ils soit violents ou au contraire pleins des frissons et des promesses du premier amour, une période comme suspendue dans le temps. Il n'a cependant pas retenu le nom de cette fillette qui lui a fait oublié l'enfance mais se souvient de son visage, de ses yeux. Ils l'ont durablement bouleversé. Il aurait pu lui donner un prénom inventé, l'imagination admet cet artifice, mais il préfère ce relatif anonymat, lui rendant hommage comme à un fantôme, choisissant de l'évoquer à la seule force des mots dans ce qu'elle a de plus fort dans son souvenir, la regardant les yeux grands ouverts.

    Ce texte, fort bien écrit et traduit m'a, comme toujours, laissé l'impression d'un bon moment poétique de lecture [«  Maintenant encore, dans les nuits allongées en plain air, je sens le poids de l'air dans ma respiration et une acupuncture d’étoiles sur ma peau »]. J'ai assez dit dans cette chronique tout le bien que je pensais le d'auteur pour ne pas changer d'avis. J'ai lu ce court texte avec plaisir, lentement, comme il convient à un roman autobiographique que De Luca aime offrir à son lecteur attentif devenu un peu son confident.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo

    N°650– Juin 2013.

    L'OUBLI EST LA RUSE DU DIABLE – Max Gallo- XO Éditions.

    En cette trente troisième année d’existence de « La Feuille Volante », j'écris ici avec plaisir, puisqu'il s'agit d'un ouvrage de Max Gallo, ce qui en sera probablement un des derniers articles.

    Cette autobiographie, puisque c'en est une, dédiée comme il se doit à la mémoire des siens, s'ouvre sur la citation de Rigord, un moine de l'abbaye de St Denis en 1207 qui nous rappelle que seuls meurent et vont en enfer ceux que les vivants oublient. C'est une tentation bien grande, surtout quand on a réussi, de retracer son itinéraire intime pour sa famille ; son cas a évidemment valeur d'exemple pour la communauté. Que Max Gallo s'attelle à ce travail a au moins l'avantage d'offrir au lecteur un témoignage sans fard puisqu'il prend la peine de nous parler de lui-même, enfin ! Il nous avait habitués aux vastes fresques historiques, à l'évocation des grands hommes et même à des fictions remarquables mais il se cachait habilement derrière sa plume alerte. Ici, à plus de 80 ans, après une impressionnante bibliographie, il accepte de se livrer simplement et son écriture devient pour lui catharsis. Fils d'ouvrier immigré italien, il ne pouvait qu'être promis à un métier manuel ; il sera agrégé d'histoire, député de Nice, sa ville natale, ministre de François Mitterrand, éditeur, écrivain à succès, académicien... Une véritable ascension sociale, un authentique destin, un pur produit de la République qu'on aime donner en exemple, une vraie volonté de s'affranchir d'un certain déterminisme social [« Et pourquoi pas d'Académie française? » lui avait répondu un Haut-fonctionnaire à qui il venait d'avouer son ambition pour l'agrégation et pour l'écriture, lui le modeste salarié, fils d'un immigré italien]. Un beau parcours en tout cas ! Cela autoriserait sans doute que l'auteur fît son propre panégyrique, sculptât sa propre statue, devînt son propre thuriféraire ! Eh bien pas du tout et même au contraire.

    Ce fut une enfance heureuse dans une famille prolétaire où on parlait encore l'italien, entre une mère attentive et parfois un peu abusive et un père animé d'idées révolutionnaires, au milieu d'un racisme ordinaire, mais marquée par une extraordinaire volonté d'être français. Il mêle à son quotidien des moments de la grande histoire, la guerre, l'occupation, la Libération, fait vivre dans son récit des quidams qui jettent à leur tour un regard critique sur leur temps. Fils d'ouvrier, on le destinait naturellement au cambouis et à la sueur mais il y préféra l'odeur des livres et l'amour de l'étude. Avec une écriture simple, sans fioriture, fluide et agréable à lire, Max Gallo déroule sa vie pour son lecteur devenu confident, raconte ses illusions, ses échecs, ses envies, ses éveils, ses prises de conscience, ses convictions, son parcours politique loin du dogmatisme et de l'ambition calculatrice, sa volonté de ne jamais rien tenir pour acquis. Son mariage fut un échec et se termina par une séparation dont il se remit mal. Il n'oublie pas ses fêlures et ses failles, les événements qui bouleversèrent sa vie... Quand pour lui le succès commençait à se manifester, qu'il se construisait peut-être des châteaux en Espagne, qu'il était tout disposé à se laisser griser par le succès, aveugler par la réussite, dévorer par l’égoïsme, sa fille Mathilde se suicide. Elle avait 17 ans ! Il est impossible de vraiment survivre à un tel événement, on y perd souvent sa vie, sa raison, sa foi et pas mal de ses certitudes. Il trouva sans doute dans cette mort qui aurait pu l’anéantir et au-delà de cette culpabilisation judéo-chrétienne, une raison supplémentaire de poursuivre une vie prometteuse. L'abondance et la richesse de ses œuvres sont sans doute un hommage à cette jeune fille morte, l'écriture, une thérapie dans ce qui devenait de jour en jour un mal de vivre de plus en plus prégnant.

    J'ai souvent dit dans cette chronique combien j'aime lire les biographies. Celle-ci, peut-être plus intime que les autres m'a passionné. J'ai découvert un homme qui, malgré sa réussite, ne cache rien de ses fragilités ni de ses contradictions et le fait simplement, mène son chemin en gardant à l'esprit autant l'exemple de sa parentèle modeste que les maximes de grands penseurs, avec cette belle et émouvante écriture que j'ai toujours appréciée. J'aime aussi qu'il ne soit pas naïf et porte sur la politique, sur la gauche en particulier et même sur l'espèce humaine, un regard critique et sans indulgence.

    Max Gallo qui, avec ses mots rend hommages à ses morts, sa fille, sa mère, son père, craint peut-être qu'on l'oublie après sa disparition. Homme de lettres qui la pratique si heureusement et qui a si bien servi notre belle langue, il sait mieux que personne que l'écriture est un extraordinaire support de la mémoire, plus sûr en tout cas que l'habit vert d'Immortel qu'il porte désormais. Dans son cas, il n'y a donc aucun danger.

    © Hervé GAUTIER - Juin 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com









  • LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO

    N°649– Mai 2013.

    LA MEMOIRE DU PETIT PRINCE - Jean-Pierre GUENO - Éditions Jacob-Duvernet

    Mise en images Jérôme Pecnard.

    Plus que l'écrivain-pilote, l'officier combattant mort dans des circonstances obscures, le séducteur, l'homme qui a toujours eu la nostalgie de son enfance, Antoine de Saint-Exupéry reste, dans la mémoire collective, le "Petit Prince", cet éternel enfant, héros de ce roman merveilleux qui continue de nous parler, suscite encore de bons moments de lecture, de nombreux commentaires, des citations et des développements bien des années après sa mort. Rares sont en effet les écrivains qui, une fois disparus, survivent à ce point à leur œuvre. Il n'a jamais porté l'habit vert du Quai Conti mais reste un authentique "immortel". Ce livre, traduit dans le monde entier, figure à coup sûr dans toutes les bibliothèques.

    Cela me plaît bien que ce soit ce Petit Prince, habitant de l'improbable astéroïde B 612, cet enfant rieur aux cheveux d'or ébouriffés qui ne répond pas quand on l'interroge et qui un jour rencontra un pilote perdu dans le Sahara en lui demandant de lui dessiner un mouton, qui serve de fils d'Ariane au lecteur puisque son visage ouvre chacun des chapitres et qu'il raconte Saint-Ex. On dira sans doute que c'est là un livre supplémentaire consacré à Saint-Exupéry, peut-être, et après ! C'est avant tout un hommage et c'est ce que je choisis de retenir surtout parce que celui-ci puise sa sève principalement dans les citations personnelles de l'auteur tirées de ses livres ou de sa correspondance.

    On pense ce qu'on veut de son enfance, mais elle conditionne la vie future d'un homme. La sienne, malgré la mort prématurée de son père, a été merveilleuse, une "planète" en dehors du temps, une sorte de cocon protecteur et douillet avec sa mère, ses frère et sœurs, une maison, une famille, autant de havres, de jalons auxquels se raccrocher. Des photos en noir et blanc ou couleur sépia attestent de cette période. Elles disent le bonheur, les odeurs, les saveurs de cette enfance qu'Antoine n'oubliera jamais. Il adorait sa mère et même loin d'elle, dans les périodes troublées de sa vie, il se raccrochera par la pensée ou par les missives à cette famille, au pays de son enfance. Lui qui était né avec le siècle n'était pas vraiment pressé d’affronter la vraie vie et voler était sans doute le moyen qu'il avait trouvé pour échapper au quotidien ordinaire des hommes ordinaires. D'ailleurs son existence n'aura de véritable sens qu'à travers l'avion. Voler reste son but pourtant dès 1923, un accident d'avion, au Bourget, l’immobilise. Plus tard, des raids d'aventurier se terminent en crashs et en fractures qui auraient pu être mortelles, que se soit au Guatemala ou en Lybie. Pourtant, il n'a pas toujours été pilote, a dû s'étioler dans un bureau comme comptable, sur les routes de France comme représentant ou comme grand reporter en URSS, à New-York, en Asie, en Espagne pendant la Guerre Civile à "L'intransigeant" ou à "Paris-Soir". De cette période, après la rupture de ses fiançailles, il s'étourdit dans les bars parisiens, s'ennuie dans des hôtels de préfecture, ou recherche la compagnie des femmes de passage. D'elles il attend qu'elles apaisent sa solitude, ses angoisses. Ce sont sa mère qu'il admire et adore, sa sœur, ses cousines, ses amantes, sa première fiancée, Louise de Vilmorin, puis sa femme, Consuelo, une jeune veuve salvadorienne qu'il épouse à 30 ans malgré la désapprobation de sa famille. Ce seront 12 années d'amour, de séparations, de ruptures, de retrouvailles. La solitude sera sera son lot pendant toutes ces années où il se cherche. Il l'exorcise comme il peut et principalement par l'écriture, des missives adressées à sa parentèle et à ses amis, des nouvelles et bientôt des romans où le pilote et l'écrivain se mêlent et se conjuguent. C'est que, grâce à l'aventure de aéropostale, il vole enfin, à travers montagnes et océans, croise Mermoz et Guillaumet avec qui il se lie d'amitié, vit enfin avec le vent, les étoiles, les sables du désert, le dangers des territoires insoumis. A cette époque, le pilote est seul aux commandes de son appareil; cela suscite pour lui la méditation sur le sens de la vie, de la mort, de l'immensité des territoires survolés et la solitude, toujours, qu'il ressent dans les montagnes glacées ou l'aridité du désert, le danger aussi qu'il voit dans les accidents et la mort de ses amis...C'est cette même action qu'il retrouve pendant la 2°guerre mondiale. Et il écrit tout cela. Ce sera "Courrier sud"(1929), "Vol de Nuit"(1931) pour lequel il obtiendra le Prix Femina, "Terre des hommes" (1939- Grand prix du roman de l'Académie Française). Pourtant, cette complicité avec les grands espaces et l'ivresse du vol ne font qu'accentuer chez lui la sensation désespérante de solitude qui semble lui coller à la peau. Seuls les mots, leur musique et l'exorcisme de l'écriture parvient à l'en sortir.

    Parti pour New-York, dans l'espoir de susciter l'entrée en guerre des États-Unis, il y reste deux ans. Il est las-bas un auteur à succès mais son pays est occupé. Il rejoint l'Afrique du Nord. Ce sera "Pilote de guerre" (1942) et "Le Petit Prince"(1943). Lui qui avait cent motifs de réforme, revient pour défendre son pays, lui qui avait si souvent côtoyé la mort, dans sa famille proche, dans son métier de pilote, dans le cercle de ses amis, abandonne son corps à la mer, au néant, comme le Petit Prince qui s'en va ["J'aurais l'air d'être mort et ce ne sera pas vrai"] . On a beaucoup glosé sur sa disparition, en Méditerranée, au large de la Provence, en juillet 1944, au terme d'une mission photographique après qu'il eut, une ultime fois, survolé la maison de son enfance et ses souvenirs. C'est un peu comme si la solitude et la désespérance le rejoignaient, définitivement.

    J'aime lire et relire Saint-Ex, un écrivain d'exception qui a honoré la langue française, un homme torturé par un mal de vivre et le désespoir, qui était de son enfance comme on est d'un pays, qui en a porté en lui toute la magie, tous les mystères.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 -

    Sur l'avion de Saint-Ex, voir la Feuille Volante n°225 - Mai 2000.









  • CLARA MALRAUX - Dominique BONA

    N°648– Mai 2013.

    CLARA MALRAUX - Dominique BONA - Grasset

    Drôle de destin que celui de Clara Goldshmidt, née à Paris en 1897 mais de nationalité allemande puisque son père, originaire de Basse-Saxe ne sera naturalisé qu’en 1905. Même si chez elle on parle allemand, c'est la France pour les valeurs humanistes qu'elle porte que son père a choisi. Les parents de Clara forment un couple très uni et surtout très amoureux. Clara a deux frères dont l'un est son aîné. Cette appartenance à deux cultures sera pour elle un déchirement quand la Première mondiale éclatera d'autant plus qu'une partie de sa famille est restée en Allemagne. Quant à elle, elle n'apprendra que bien plus tard ses origines juives mais elle est française et élevée dans la grande bourgeoisie parisienne.

    La généalogie d'André Malraux est moins reluisante, plus populaire, sa mère tenant une épicerie à Bondy. Né en 1901, il passe son enfance entre sa mère, sa grand-mère et sa tante, son père ayant quitté le domicile quand André avait 4 ans. Lui aussi a des origines flamandes mais comme Clara, il est résolument Français. Quand ils se rencontrent, en 1921, ils n'ont pourtant rien en commun si ce n'est peut-être cette envie d'écrire qui ne s'est pas encore manifestée. Tous les deux veulent échapper à leur condition, elle qui est une jeune fille bourgeoise et riche et lui un dandy frivole et pauvre, qui lui cache ses origines sociales. Malraux a toute sa vie sera un mystificateur qui a lui-même tissé sa propre légende. Pour autant, ils semblent faits l'un pour l'autre et en octobre 1921 ils se marient avec cependant la promesse de divorcer six mois après ! Elle a 24 ans et lui est encore mineur, n'a pas de métier mais n'envisage pas le moindre emploi. Pourtant, parvenus à l'échéance qu'ils s'étaient eux-mêmes fixée, les époux qui se vouvoient toujours préfèrent consacrer l'argent que leur coûterait un éventuel divorce à voyager. En réalité, ils sont si bien ensemble qu'ils choisissent d'y rester. Si André s'impose par ses qualités intellectuelles, Clara reste quelque peu en retrait mais pousse son mari à partir avec elle pour Anghor. L’exotisme et le voyage les habitent tous les deux mais c'est aussi les trésors de temples kmers qui les attirent et qu'ils comptent bien s'approprier par le pillage. En réalité, ce voyage un peu hasardeux et dangereux porte en lui les prémices de "La voix Royale", qui paraîtra plus tard. Clara, elle, s’émerveille de la beauté des lieux et ce sera pour elle aussi la véritable naissance de l'écriture. Pour le couple, la mise à sac des temples leur vaut une inculpation, un non-lieu pour elle qui rentre en France sans le moindre sou, rompt avec sa famille et découvre la complicité modeste mais chaleureuse de sa belle-famille pourtant jusque là soigneusement cachée par André et un procès pour lui. Elle s'attache à réunir un comité de soutien qui compte les plus grandes signatures littéraires de son temps. La cour de Phnom Penh  condamne André à 8 mois de prison avec sursis. Il rentre en France et peut recommencer à vivre.

    En France, André se révèle ingrat, déjà, et Clara lui avoue un adultère qui le laisse désemparé. Il se souviendra plus tard de cette trahison, en l'imitant. C'est le début d'une longue série d’infidélités qui auront raison de ce couple mais c'est quand même Clara qui en prit l'initiative. La drogue entre dans leur vie en même temps que la gêne mais André songe à repartir pour l'Indochine avec des rêves journalistiques. Ce journal, baptisé "L'indochine" qui deviendra "L'indochine enchaînée" se veut altruiste, progressiste social, pro-annamite, tourné vers les plus défavorisés, bref d'opposition. Il s'oppose en effet à l’administration coloniale toute puissante et corrompue, dérange, est volontiers polémique et on le stigmatise comme bolchevique dans ce pays en plein bouillonnements politiques et ce bien qu'André ne soit pas communiste. Lui y écrit mais Clara reste dans l'ombre. Le journal crée en Juin 1925 n'aura que 49 numéros et fin décembre de la même année, les Malraux repartent pour la France avec une certitude : ils seront écrivains mais, sans qu'elle le sache, c'est la fin du grand amour de Clara. De cette aventure asiatique naîtront nombre de personnages de roman pour André. Il publie "La tentation de l'occident" qu'il dédie à Clara. D'autres viendront qui l'introduiront dans le monde des Lettres et lui donneront le succès mais Clara restera dans l'ombre sans qu'André, maintenant directeur artistique chez Gallimard, ne songe à lui donner sa chance. En 1933, ni la naissance de leur fille Florence, ni le prix Goncourt d'André pour "La Condition humaine" où Clara apparaît sous les traits de May, ne peuvent parvenir à ressouder un couple qui se délite dans l'adultère.

    Puis vient la politique, à gauche, pour Clara et André. Elle l'accompagnera, comme elle le fit en Espagne, en 1936, aux côtés des Républicains mais restera toujours dans l'ombre alors que lui s’affirme comme un remarquable orateur et aussi comme un organisateur charismatique. La guerre civile espagnole marquera pour eux la fin de leur amour, André rencontrant Josette Clotis qui lui donnera plus tard deux fils. Clara se retrouve donc seule "privée de lui", ce qui aiguise son talent littéraire.

    En 1939, André qui avait été réformé, alors âgé de 40 ans, s'engage comme simple soldat, est fait prisonnier, s'évade, se réfugie dans le sud de la France. Ce n'est qu'en 1944, sur le tard, qu'il devient, dans la Résistance, le "colonel Berger" entraîneur d'hommes et combattant courageux. A la mort de Josette, Clara pense retrouver André, mais ils divorcent en 1947 après 26 ans d'un mariage cahoteux. Clara garde son nom et sa fille Florence. Désormais seule, elle survit mal, a gardé son âme de gauche mais publie difficilement 4 romans autobiographiques dont aucun n'est dédié à André dont il est pourtant le héros secret. Son ex-mari, reconnu maintenant comme un écrivain, publié de son vivant dans La Pléiade, éphémère ministre de de Gaulle en 1946 et qui a abandonné son idéal révolutionnaire, ne l'aide pas dans son entreprise littéraire. Ses livres se vendent mal. Elle rencontre Jean Duvignaud, professeur de Lettres et aspirant écrivain qui a 24 ans de moins qu'elle. Elle vivra avec lui une idylle de 13 années et le soutiendra dans dans son activité d'écriture. Pourtant en elle l'empreinte de Malraux n'est pas effacée. Ce dernier, veuf, se remarie en 1948 avec sa belle-sœur Madeleine, déjà mère d'un fils. Le voila donc avec 3 garçons mais les relations familiales sont difficiles, comme elles le sont avec Florence, sa fille. Pour André la vie est opulente alors que pour Clara c'est la gêne. Pourtant, la mort de ses deux fils, la séparation d'avec Madeleine, entraînent André dans une phase difficile. Quand il choisit de renier ses idées progressistes et de s'établir dans l'ordre et les contradictions gaullistes, Clara tente de rétablir la vérité à son sujet mais l'aura du ministre est trop forte et l’indifférence d'André trop pesante. Pourtant elle ne renie rien de ce qui a été sa vie et son combat, milite, écrit, publie...Mai 68 revivifie ses ardeurs révolutionnaires mais quand à la suite du référendum de 1969, de Gaulle s'éloigne du pouvoir, Malraux démissionne. Désormais seul, il renoue avec une ancienne maîtresse, Louise de Vilmorin, puis, à la mort de celle-ci, sa nièce Sophie se rapproche de lui. Elle sera sa dernière compagne. Il s'éteint en 1976 à l'âge de 75 ans. Lui qui avait toujours ignoré Clara depuis leur divorce ne l'oublie pas dans son testament. Celle qui avait toujours été effacée, dans l'ombre d'André, s'affirme par l'écriture, les voyages, les interviews. Pour tous elle redevient Mme Malraux et à la mort d'André sa vie à elle prend tout son sens et la libère. Elle meurt paisiblement 1982

    Ce couple que Dominique Bona nous présente comme mythique à cause de la passion qui a présidé à ses débuts n'a pas échappé à la routine, au délitement, au déchirement. Il a néanmoins était fécond, original, porteur de créations artistiques et de prises de positions politiques. C'est à dire le contraire de l'ennui.

    J'ai lu passionnément cette biographie où il est souvent question d'André. Pour autant, Dominique Bona y rend hommage à Clara, magnifiquement.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 -









  • LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD

    N°647– Mai 2013.

    LES VIEUX GARCONS DE BROKEN HILL- Arthur UPFIELD - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Décidément, l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère de loin qu'on l'appelle Bony, aime parler de lui comme étant le meilleur flic d'Australie. C'est un peu vrai puisque, une fois encore il doit quitter sa circonscription du Queensland pour venir élucider, pendant 15 jours, en Nouvelle-Galles du Sud un double assassinat au cyanure que la police locale peinait à résoudre. Ce délai peut paraître court, mais notre policier, sûr de lui, se fait entière confiance pour mener à bien cette mission dont il "consent" à s'occuper. Il n'envisage même pas l'ombre d'un échec. Unique, il l'est à plus d'un titre et entend une nouvelle fois être à la hauteur de sa réputation. Pour plus d'efficacité, il œuvrera encore une fois incognito et donc sous un faux nom dans cette ville de Broken Hill, petite ville minière calme et prospère. Il se met donc à la disposition du chef de la police locale, le commissaire Pavier, qui favorisera ses recherches en lui adjoignant le personnel commandé par le sergent Crome.

    Lors de la précédente enquête menée par l'inspecteur Stillman venu de Sidney, ce dernier avait, dans son rapport, pointé les insuffisances du sergent, rudoyer quelque peu les témoins et même laissé dans son sillage un mauvaise image, mais sans pour autant élucider l'affaire. Cet inspecteur était à l'évidence incompétent mais avait le talent de rejeter ses propres carences sur les autres comme cela se voit souvent dans le monde du travail en pareilles circonstances. Les choses se présentent donc mal pour tout le monde, mais Bony s'attache d'abord à rassurer le sergent. Pour autant les deux meurtres sont apparemment sans mobile, sans témoins, les deux victimes n'ont aucun lieu de parenté et aucun point commun entre elles si ce n'est qu'ils sont tous les célibataires, âgés, bien en chair et mangeant salement, des vieux garçons donc ! Une affaire comme il les aime : compliquée !

    Pourtant, il y a urgence car les deux meurtres pourraient bien être suivis d'autres tout aussi mystérieux. Effectivement, d'autres crimes sont perpétrés, un autre par empoisonnement au cyanure et un dernier sur la personne de la secrétaire du commissaire, poignardée. Heureusement Bony, bien qu'il n'ait aucune parenté avec Socrate et qu'il soit conscient de la fragilité des témoignages, a une façon très personnelle de s'adjoindre l'aide de la population et même de la presse locale, ainsi que d'accoucher les esprits et sa maïeutique se révèle bigrement efficace.

    Dans cette petite ville, Bony rencontre aussi Jimmy Nimmo, dit le Casseur, une veille connaissance, un petit malfrat et un cambrioleur notoire, retiré à Broken Hill parce qu'il est tombé amoureux d'une femme qu'il souhaite épouser mais celle-ci n'y consentira que s'il rentre dans le rang et obtient un emploi régulier dans une mine. Pour lui qui est un as dans sa spécialité, c'est presque une déchéance. Tout l'art de Bony sera de le recruter pour que, encore une fois, il mette en œuvre ses talents... mais exclusivement au service de la Police !. Notre inspecteur déploie donc ses talents d'enquêteur, à la satisfaction de ses collègues, de la hiérarchie locale et même de la population qui ne regrette pas le sinistre inspecteur Stillman. Bony, avec son traditionnel thé et ses cigarettes horriblement mal roulées, traîne derrière lui une réputation de mauvais flic, non parce qu'il échoue dans ses enquêtes, mais bien au contraire parce qu'il n'est que trop indépendant voire marginal et que ses méthodes sont des plus originales et peut-être un peu en marge de la procédure légale. Il n'est pas dans le moule, ce qui lui vaut régulièrement d'être licencié de son poste... pour y être immédiatement réintégré !. Cette fois encore, il n'échappe pas aux bassesses dont le monde du travail est si friand et qui met régulièrement en scène les incompétents, les flagorneurs et les arrivistes, ces défauts se retrouvant souvent dans les mêmes personnes. Sur ordre de sa hiérarchie, il va être dessaisi du dossier qu'il avait pourtant bien contribué à faire évoluer dans le sens de la vérité. C'est Stillman qui n'a guère digéré son échec précédent qui débarque à nouveau dans l'affaire mais Bony n'entend pas en rester là. Un peu comme à chaque fois, et au dernier moment, les choses reviennent à leur vraie place, pour le plus grand plaisir du lecteur, même si cette fois épilogue est un peu inattendu.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • GALA - Dominique BONA

    N°646– Mai 2013.

    GALA - Dominique BONA - Flammarion [1995]

    Qui était donc cette femme qui fut l'égérie d'un poète et de deux peintres? Quand elle entre en scène, elle s'appelle encore Elena Dimitrievna Diakonovane, elle a reçu une bonne éducation en Russie où elle est née en 1894. C'est une jeune fille de 18 ans qui, après avoir parcouru toute l'Europe de l'Est, débarque dans un sanatorium suisse où elle vient soigner une tuberculose. Elle va y rencontrer, Paul-Eugène Grindel, le fils d'une famille bourgeoise, plus tourné vers la poésie que vers une carrière traditionnelle, malade lui aussi, et en tombe éperdument amoureuse. Il deviendra, grâce à elle, Paul Eluard et elle adopte le pseudonyme de Gala qu'elle gardera toute sa vie. Elle n'est peut-être pas très belle mais est une véritable présence fascinante, sait ce qu'elle veut, et malgré leur jeune âge, la famille de Paul qui se méfie de cette étrangère, la guerre, l'avenir incertain de son fiancé, elle l'épouse en février 1917. Le conflit mondial favorise la rencontre de Paul avec Louis Aragon, Philippe Soupault et André Breton puis, la paix revenue, c'est le mouvement Dada et ses excentricités artistiques qui leur révéla l'existence de Max Ernst vers qui Gala se sent irrémédiablement attirée, avec une certaine complicité tolérante du côté de Paul. Gala a 27 ans et son nouvel amant, sensiblement du même âge qu’elle, vient s'installer chez eux et va même vivre à leurs crochets. Ainsi commence un "ménage à trois" que Paul ne condamne pas mais dont il souffre quand même. Ni lui ni elle n'en sortiront indemnes et cela durera, plus ou moins en pointillés, jusqu'à ce qu'arrive un peintre catalan inconnu, Salvador Dalí. Nous sommes en 1929. Là aussi ce sera le coup de foudre. Pourtant tout les opposent, elle a 10 ans de plus que lui, c'est un inconnu sans fortune mais ils vivront ensemble une passion exubérante, sauvagement pauvre au début et s'épouseront en 1934. Dalí est maladivement timide mais aussi excentrique, facétieux, original, fantaisiste, débordant de créativité... Elle sera son unique modèle, sa source principale d’inspiration et l'icône qu'il célébrera comme une véritable idole jusqu'à sa mort en 1982. Elle restera aux côtés de Dalí, toujours dans l'ombre, l'assistera, le soignera, l'encouragera, l'accompagnera dans ses déplacement internationaux et mondains qui conditionnent sa notoriété et le mécénat qu'elle va susciter. Elle sera non seulement son épouse attentive mais aussi la gestionnaire de sa fortune, son agent artistique, efficace et discret. En réalité, ils se ressemblent beaucoup et sont avant tout individualistes. Politiquement, le groupe des surréalistes dont il fait partie est tourné vers le communisme mais Dalí, sans doute par provocation au début, fait devant ses membres l'apologie d'Hitler, comme il se tournera plus tard vers Franco. De plus, il fréquente les puissants et les riches et n'a cure du peuple. La rupture ne pouvait qu'être consommée, mais Gala sera toujours avec lui et dans l'ombre lui tiendra la main. Il le sait et ne peut plus se passer d'elle et quand après différentes manières de penser et de vivre il devient mystique, il la divinisera dans ses tableaux.

    C'est étonnant mais l'amour que lui porte Paul Eluard est sans borne et aussi assez original. Certes, elle le trompe, et lui ne manque pas de l’imiter, mais pour autant, et bien que les amants connus de Gala soient à ce point différents de Paul, ce dernier non seulement les accepte mais leur porte de l'intérêt et même une certaine forme d'amitié, un peu comme si seul comptait à ses yeux le bonheur de sa femme qu'il n'était plus capable de lui procurer. Paul sera même bienveillant avec Dalí quand il fera, avec Gala, ses premiers pas dans le monde et quand les surréalistes l’expulseront de leur groupe. Il restera amoureux d'elle jusqu'à la fin, malgré tous les bouleversements de sa vie et leur divorce prononcé en 1930 après 15 ans d'un mariage mouvementé. Cet ouvrage consacré à Gala est en réalité non pas une mais trois biographies, la sienne mais aussi celles de Paul Eluard et de Dalí à qui elle fut si intimement liée. Si on en croit Dominique Bona, il semblerait que Gala, bien que dévoreuse d'hommes, ait recherché la virginité originelle chez Eluard et Dalí et ait poursuivi ses amours de contrebande, avec une prédilection pour les hommes plus jeunes qu'elle, et ce même pendant son union pourtant hautement amoureuse avec Salvador Dalí. Lui aussi ferma les yeux sur ses écarts, pourvu qu’elle reste avec lui !

    Gala est volontaire, tenace, passionnée, mais aussi coquette, dépensière, valétudinaire, mélancolique, tourmentée et volontairement solitaire. Elle a peu d'amis et ceux qui la connaissent, notamment au sein du groupe des surréalistes, l'affublent de sobriquets peu sympathiques. L’avenir la fait rêver mais le mariage, la maternité, la vie rangée d'une femme mariée la déçoivent. Par peur de manquer, mais aussi par addiction au jeu, elle devient responsable du galvaudage du talent de son mari. Contrairement à l'anagramme inventé par Breton, "Avida dollars" ne s'applique pas à Dalí mais à Gala ! Puis tout cela dérape et, au nom de l'argent, la signature de Dalí ne s'appose plus sur des tableaux mais sur des bijoux, des parfums. Gala, pourtant attentive à la gestion de la fortune de son génial époux ne contrôle plus rien et ce sont des feuilles blanches en nombre incalculable qu'il signe. Elles serviront de support à autant de faux qui porteront atteinte à son crédit sur la marché de l'art. Dès lors, les secrétaires se succèdent et une cour se forme autour du couple, vivant des richesses qu'il génère. On a pu voir en elle une aventurière calculatrice, séductrice et avide d'argent qui sait rester dans l'ombre mais tirer le meilleur parti des hommes qu'elle croise, qu'elle séduit et dont elle favorise l'ascension. Étrange destin que celui de cette femme énigmatique et apparemment froide qui a su par son charme s'attacher des hommes d'exception qui en furent éperdument amoureux. Si elle est une intellectuelle, elle n'est cependant pas une artiste mais saura révéler chez tous les hommes dont elle fut la compagne, un élan créatif exceptionnel. Ils ont tous laissé dans le domaine de l'art une marque pérenne. Sans elle, ils ne se seraient assurément pas révélés au monde et seraient restés anonymes. Gala vieillie et malade meurt en 1982. Son mari lui survivra 7 ans mais c'est un fantôme qui s'éteint en 1989. Les deux époux ne sont même pas enterrés ensemble !

    Comme toujours dans ses biographies, Dominique Bona est précise, très documentée, donne des détails et ses remarques personnelles, ses analyses et ses citations sont pertinentes. Cette chronique s'en est peu fait l'écho, mais j'aime lire les biographies, surtout, comme c'est le cas ici, quand elle sont denses et passionnantes. Grâce à son style fluide et poétique (notamment quand elle décrit des paysages catalans que ses origines familiales lui rendent sans doute plus attractifs), à ses courts chapitres, elle s'attache son lecteur attentif jusqu'à la fin. C'est donc un récit passionnant que nous livre l'auteur d'"Argentina" et nous fait découvrir la personnalité exceptionnelle de cette femme. Personnellement, j'avais des idées toutes faites sur Gala qui restait pour moi bien mystérieuse, la lecture de cet ouvrage m'a donné d'elle une image plus précise et surtout plus lumineuse.

    © Hervé GAUTIER - Mai 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield

    N°645– Avril 2013.

    LA MORT D'UN TRIMARDEUR - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    La muraille de Chine n'existe pas uniquement dans l'Empire du Milieu. Elle est présente au sud-est de la Nouvelle Galles du Sud, en Australie, mais c'est une formation géologique naturelle. C'est à l'ombre de celle-ci qu'a été retrouvé mort un gardien de troupeaux. Ce crime, parce que c'en est un, a attiré ici l’inspecteur Napoléon Bonaparte, dit Bony, qui laisse dire avec une certain détachement qu'il est le meilleur flic du pays, et ce d'autant plus que la police locale a quelque peu peiné dans le déroulement de l'enquête. Il ne conçoit sa présence sur place que dans la mesure où une affaire est comme il les aime : compliquée ! Selon sa bonne habitude, et pour être plus efficace dans ses investigations, il évite de se recommander de sa qualité de policier, se fond dans la population en buvant de petits verres de gnôle au bar et en fumant des cigarettes effroyablement mal roulées. Ici, il se fera passer pour un ouvrier agricole qui cherche du travail. Les policiers locaux sont tellement abusés par sa mise en scène qu'ils l'enferment au poste, mais pour quelques temps seulement. Pour faire bonne mesure et pour donner le change à la population, il va même jusqu'à se faire condamner par le tribunal local à une peine de principe cependant. Sa présence tombe plutôt bien puisqu'on vient de découvrir, après une autre mort fort suspecte, dans la même cabane que précédemment, un deuxième cadavre, celui d'un trimardeur, apparemment sans rapport avec le premier mais les constations du médecin légiste concluent à un meurtre déguisé en suicide : tout à fait une affaire pour Bony qui va ainsi profiter de son stratagème pour enquêter plus librement et recueillir les commentaires de la population.

    Bony est un homme avisé et un policier intelligent et surtout atypique qui s'en tient rarement aux évidences et sait tout aussi bien lire dans "le grand livre de la brousse" que de faire parler les moindres indices. Ici, c'est un banal jeu de morpion qui retient son attention mais lui y voit bien autre chose qui pourrait bien fournir une explication à cette série de meurtres. Bizarrement peut-être, il a une philosophie assez originale au regard du crime et prétend que le mal ne triomphe jamais. Il est vrai que, selon ses dires, il n'a jamais connu l'échec ! Il sait aussi, de part son expérience et sa faculté de déduction, que ce double meurtre est forcément le fait d'un habitant de ce village et a déjà, grâce à la chance ou, comme il le dit, à la Providence, compris les grands traits de son caractère. Il sait aussi que lui, Napoléon Bonaparte, n'est pas le seul à pouvoir changer de nom et d’apparences et que les plus flagrantes sont parfois trompeuses. Il n'y a en effet pas que les policiers d'élite qui peuvent se cacher derrière une fausse identité. La société peut, elle aussi, offrir aux criminels un décor dans lequel ils peuvent aisément disparaître et ainsi se dérober à la vigilance de tous. Mais cela non plus n'a pas échappé à Bony !

    Il est par ailleurs certain que notre inspecteur n'a aucune parenté avec Don Quichotte, mais cette histoire de moulins à vent le tracasse d'autant que la fille du sergent qui l'a accueilli, c'est à dire qui a été de connivence avec lui pour son incarcération, a été enlevée et laissée pour morte dans la cabane où les victimes ont été retrouvées. Tout cela complique un peu cette enquête qui traîne en longueur mais finalement, et comme à l'accoutumée notre fin limier parviendra a expliquer tout cela et à confondre le coupable.

    La lecture d'un roman d'Upfield est toujours pour moi un bon moment de lecture.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.

    N°644– Avril 2013.

    Quelques mots sur Dominique Bona, nouvelle académicienne.

    Dans la période de crise économique que nous vivons actuellement, qui se double d'ailleurs d'une chute spectaculaire de confiance envers nos gouvernants et même envers les institutions, il est des informations qui peuvent parfaitement passer inaperçues. La politique intérieure, les soubresauts du Parlement, les débordements infantiles des membres de la Représentation Nationale, les mensonges éhontés d'un ministre de la République pourtant reconnu pour sa compétence, sa fuite digne d'un ennemi public puis son retour sur le devant de la scène en une lamentable et piteuse prestation judéo-chrétienne, le commentaire des matchs de foot et d'un attentat aux États-Unis, ont largement occulté l’élection de Dominique Bona à l’Académie Française.

    Je trouve, pour ma part, face à l'atmosphère de déliquescence actuelle, plutôt réconfortant que la culture nous réserve encore des nouvelles de cette nature. Le fait que les pensionnaires du Quai de Conti fassent de Dominique Bona une immortelle, qu'ils permettent ainsi aux femmes d'y être plus largement représentées [elle sera la 8° femme et y siéger) instillent d'une certaine manière une dimension plus jeune (elle sera la benjamine de cette vénérable institution) reste pour moi un excellente nouvelle. Je note d'ailleurs qu'elle a été élue, le 18/4/2013 au fauteuil n° 33, celui de Michel Mohrt [1914-2011] qui fut aussi celui de Voltaire ! Elle a obtenu au premier tour de scrutin, 15 voix sur 29 contre 8 à Philippe Meyer. Il y avait 10 candidats pour ce fauteuil.

    Née en 1953 à Perpignan, Dominique Bona est la fille d'Arthur Conte, homme politique, écrivain et PDG de l'ORTF. Elle est agrégée de Lettres Modernes a exercé en tant que journaliste à France-Inter et à France-Culture mais aussi au Figaro littéraire et au Journal du dimanche comme critique littéraire. Son oeuvre romanesque a été couronnée de multiples fois, notamment par le Prix Renaudot en 1998 pour "Le manuscrit de Port Ébène" et le Prix interallié en 1992 pour "Malika". Elle siège également comme membre du jury du Prix Renaudot depuis 1999. Pour autant, elle n'a pas négligé les biographies s'intéressant notamment à Stéphan Zweig, Romain Gary, Gala, Clara Malraux, Berthe Morisot...

    J'avais, depuis de nombreuses années suivi et commenté certaines de ses œuvres [La Feuille Volante n° 24 (Argentina)-150(Malika)-203(Le manuscrit de Port Ebène) notamment]. J'avais aussi été particulièrement sensible à la qualité de son ouvrage sur Roman Gary, par ailleurs couronné par l'Académie Française.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield

    N°643– Avril 2013.

    LE MONSTRE DU LAC FROME - Arthur Upfield 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Dans une exploitation du sud de l'Australie, près du lac Frome, un visiteur, Éric Maidstone, s'était présenté comme professeur en vacances et passionné de photographie. Il souhaitait réaliser un reportage sur les animaux de la région, le lac lui-même et les puits artésiens qui entourent l'exploitation de Quinambie. Cette dernière est située du côté de la clôture qui sert de protection contre les chiens sauvages et aussi sur la frontière qui sépare trois états de l'Australie méridionale. Pendant son temps de vacances il souhaitait habiter temporairement la maison du lac Frome, c'est à dire loin de tout. Pourtant, l'éloignement, le désert, n'étaient pas les seuls problèmes puisque les aborigènes parlaient d'un monstre qui hantait les lieux, un chameau meurtrier, mais ce n'était peut-être qu'une légende ! Les autochtones le craignaient parce que, disait-on, il s'attaquait à tout ce qui ressemblait à un homme. On suivit les traces de Maidstone qui devinrent de moins en moins visibles et on retrouva son cadavre percé d'une balle. Cette mort ne pouvait donc accréditer la fable du chameau mais il s'agissait bien d'un crime !

    L'inspecteur Napoléon Bonaparte qui souhaite surtout se faire appelé Bony, fut donc chargé de cette enquête, mais, pour être plus efficace dans la recherche des indices, et pour mieux pénétrer ce milieu des travailleurs de la clôture, il va se faire embaucher comme l'un d'eux, mais sous le nom de Ed Bonnay, c'est à dire cacher sa fonction de policier. S'il s'était annoncé de cette manière il aurait été repoussé voire éliminé parce que, il s'en rend vite compte, les flics ne sont pas les bienvenus dans cette région d’Australie. Pour autant, l'affaire se présente mal, pas d'indices, pas de mobile et évidemment pas de témoins mais c'est là une enquête difficile, comme Bony les affectionne, d'autant que la police locale n'était pas vraiment parvenue à l'élucider.

    Il a beau être à moitié aborigène, savoir lire les traces laissées sur le sable, connaître les légendes et les coutumes des autochtones, il n'est pas forcement accepté dans ce milieu très fermé de ces hommes durs à la tâche, souvent marginaux, plus ou moins repris de justice et surtout friands de leur liberté. Il a beau s'être fait passer pour un travailleur, ceux qui redoutent la présence des étrangers le soupçonnent de n'être pas exactement ce qu'il prétend être. Bony n'oublie pas non plus que les aborigènes sont un peuple mystérieux qui pratiquent des rites magiques comme la technique de "l'os pointé" qui est chez eux une véritable condamnation à mort et d'autres aussi comme notamment la transmission de pensée que les blancs ont depuis longtemps oubliée. Il se peut que le professeur ait vu ou fait quelque chose de contraire à leurs traditions pour avoir mérité la mort mais la présence d'une balle n'est pas vraiment dans leur culture. Et puis le désert rend fou ceux qui y restent trop longtemps !

    Fidèle à ses habitudes, et surtout après avoir réfléchi posément, longuement et observé les choses et les gens, Bony en arrive à la conclusion logique que les aborigènes savent qui a tué le professeur, mais n'en diront rien puisqu’ils détiennent un secret. Il craint aussi pour sa vie puisqu'il pourrait bien, lui aussi être leur prochaine victime mais, heureusement sait comment se libérer de leur emprise. Il sait aussi que la mort de Maidstone peut n'être qu'un simple accident puisqu'on ne lui a rien volé et que son matériel est intact, mais la région désertique favorise également le vol de bétail qui est fréquent mais difficile à empêcher.

    Tel est le thème de ce roman d'Arthur Upfield, passionnant, dépaysant, fort bien écrit et chargé en suspens, comme toujours ! J'ai découvert cet auteur il y a peu et j'avoue ne rien regretter. La lecture d'un de ses romans est à chaque fois une découverte ainsi qu'en atteste les nombreux articles que cette revue lui a consacrés.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield

    N°642– Avril 2013.

    LA LOI DE LA TRIBU - Arthur Upfield 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Nous sommes dans le nord de l'Australie, à la frontière du désert. Dans "le lit de Lucifer" , c'est à dire dans un cratère creusé dans la bush par un météorite voilà de nombreuses années, on vient de retrouver le cadavre d'un homme blanc, un étranger. Bien entendu, l'inspecteur Napoléon Bonaparte, autrement dit Bony, est désigné par le gouvernement fédéral pour faire toute la lumière sur cette affaire criminelle. Pourtant aucun étranger n'a été signalé dans les exploitations les plus proches et le mystère s'épaissit avec le silence qui entoure cette affaire. La seule hypothèse avancée est qu’il serait tombé d'un avion, mais elle ne tient pas et le policier devra déterminer ce qu'il faisait avant sa mort et surtout la raison pour laquelle cet homme a pu pénétrer le territoire de la tribu sans que personne ne s'en rende compte. Bony est un sang-mêlé et à ce titre connaît bien les aborigènes et les noirs sauvages du désert et il sait donc que cet homme n'a pu traverser la région sans que les autochtones le sachent. Tout son talent va donc être de leur faire dire ce qu’ils savent, interpréter leur silence, lire les traces laissées sur le sable du désert... et il est sûrement le seul à pouvoir le faire.

    Dans ce roman, les relations parfois difficiles entre les communautés, blancs et aborigènes, sont juste esquissées. Ici, la ferme où se passe l'intrigue est tenue par un couple de blancs et les aborigènes semblent avoir du mal à les accepter. De plus, au cours du récit, le lecteur a un peu l'impression que la recherche de la vérité à propos de ce cadavre est parfois un peu oubliée .

    Dans ce récit, notre inspecteur donne toute sa mesure de la connaissance du pays profond, des tribus, de leurs lois, de leurs légendes, de leurs coutumes et de leurs habitudes autant qu'il se révèle un fin connaisseur de la psychologie des blancs et un audacieux joueur de poker puisque sa démarche d'enquêteur inclue aussi le pari. Bony démêle donc ce mystérieux meurtre et détermine sans difficulté les auteurs de ce crime lié à la politique expansionniste des pays voisins. Sans oublier bien sûr "l'amour qui fait marcher les étoiles et le soleil".

    Arthur Upfield quant à lui, établit une nouvelle fois, qu'il est le talentueux auteur de romans policiers ethnologiques. Il distille jusqu'à la fin le suspens avec des descriptions poétiques toujours appréciées.

    D'ordinaire, j'aime bien les romans d'Arthur Upfield mais ici, je dois avouer que le dénouement m'a un peu déçu. Cependant je reste attentif à l'atmosphère si particulière des romans d'Upfield.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield

    N°641– Avril 2013.

    LA BRANCHE COUPEE - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Cela fait trois années que la sécheresse sévit dans cette région désolée de la Nouvelle Galles du sud. Les Downer père et fils tentent d'y survivre avec un troupeau de plus en plus diminué et songent même à cesser leur activité d'éleveurs. En rentrant chez eux, après leur traditionnelle soûlerie annuelle, ils trouvent un inconnu mort et constate que leur employé, Carl Brandt a disparu. Rapidement, il apparaît que la première victime est Dickson, un prisonnier évadé et et Brandt a, lui aussi, été retrouvé mort apparemment assassiné. Devant ce double meurtre, Bony se perd en conjectures d'autant que les circonstances et les indices qu'il constate épaississent le mystère qui les entoure. Il doit faire appel à sa connaissance du terrain autant qu'à celle des hommes. En cela il est aidé, si on peut dire, par les toiles peintes par Robin Pointer, une jeune fille voisine des Downer qui souhaite épouser Eric, le fils, et aussi l'aider dans son combat contre la sécheresse. L'observation et surtout la compréhension de son art lui seront d'un grand secours dans la conclusion de son enquête. Comme l'endroit est quasiment désert, l'inspecteur Bony va s'installer chez Les Pointer et observer les lieux.

    Comme nous sommes en Australie, il y a aussi des aborigènes qui campent à proximité des habitations des éleveurs. Ils sont censés détenir le secret de la pluie et donc du renouveau de la région et c'est effectivement ce qui se produit. La pluie en tombant va aussi révéler des traces que la poussière du désert cachait jusqu'à présent. Bony n’oublie pas qu'il est un aussi sang-mêlé et donc qu'il détient au moins une partie de la clé de ce mystère dans la mesure où il peut lire dans la psychologie de ce peuple auquel il appartient. Il en connaît les rites et les coutumes et sait interpréter utilement un détail qui se révèle essentiel mais à côté duquel un enquêteur blanc passerait sans le voir. Mais il sait aussi lire, bien mieux qu'un blanc, dans le grand livre de la Brousse et comprendre ce peuple que les colons ont un peu trop tendance à considérer comme de arriérés ou des primitifs. Il est aussi réceptif à l'esprit des lieux, et apparemment, il est bien le seul. Héritier de deux cultures, il sait comprendre les éleveurs, leur psychologie, leurs aspirations, leur fierté aussi, le sens du moindre de leurs gestes. Comme le fait dire l'auteur à l'un des personnages, Bony est réellement quelqu'un qui est "hors du commun", un policier capable de démêler efficacement les fils compliqués d'une affaire criminelle.

    Cela donne encore une fois un roman fort bien écrit [les descriptions poétiques ont toujours retenu mon attention surtout quand elles s'inscrivent dans le cadre d'un roman policier], plein de rebondissements et qui tient, dans un dépaysement complet son lecteur en haleine jusqu'à la fin. Je n'oublierai pas non plus l'amour sans lequel aucun bon roman n'est possible. Comme nous le révèle la 4° de couverture reprenant un article de presse : "On commence à lire et, doucement, le récit tisse autour de vous une aura paisible, le bonheur dans la lecture"..

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)

    N°640– Avril 2013.

    Quelques mots sur Arthur Upfield (1888- 1964)

    Drôle d'existence que celle d'Arthur Upfield. Né dans un milieu bourgeois aisé d'Angleterre, mais ayant échoué dans ses études, il est envoyé par ses parents en Australie à l'âge de 19 ans. Là, il découvre l'île-continent, les grands espaces et la vie sauvage. Pendant dix années, coupé de ses racines familiales il va voyager dans le pays et pour subsister, exerce divers petits métiers comme trappeur, manœuvre, chercheur d'or. Cela lui permet de se familiariser avec la culture aborigène, ce qui lui servira par la suite...En 1914 il part pour la guerre, combat en France et en Égypte et se marie. Il revient en Australie à la fin du conflit mondial.

    Alors qu'il était cuisinier en Nouvelle-Galles du Sud, il rencontre Tracker Léon, un métis avec qui, quelques années auparavant, il avait sillonné la côte. L'histoire de cet homme a quelque chose d'original : Fils d'un colon blanc et d'une aborigène exclue de sa tribu, il a fini par trouver un emploi dans la police du Queensland. Il est ainsi l'héritier de deux cultures mais a parfaitement assimiler l'apport occidental au point d'avoir une véritable passion pour la lecture. Au moment de se quitter, les deux hommes échangent des livres et Arthur hérite d'une biographie de l'empereur Napoléon 1°. Upfield qui avait déjà fait des débuts littéraires sans succès sut, à ce moment-là quel serait son véritable métier : Il deviendra écrivain ! D'après la biographie d'Upfield que sa compagne publia après sa mort, le personnage de l'inspecteur Bony lui a été inspiré par un authentique pisteur rattaché à la police et qu'il aurait rencontré lors de ses errances. Ainsi est né, probablement vers 1929, son personnage emblématique nommé Napoléon Bonaparte qui se fait appeler par tous Bony même s'il est en réalité la synthèse de différents aborigènes qu'il a rencontrés au cours de sa vie errante. Avec le publication de ses premières enquêtes en 1928, le succès est au rendez-vous.

    Tout l'art d'Upfield réside dans l’intrication étroite entre fiction et réalité. En 1931, Upfield avait écrit un roman "Les Sables de Windee". Il avait en effet travaillé long d'une clôture anti-lapins qui protégeait les champs de blé de ce prédateur. Son travail consistait à l'inspecter à cheval. Autour de cette expérience, Upfield avait imaginé un roman où on ferait disparaître un cadavre sans laisser de trace et un éleveur itinérant s'en servit pour perpétrer un crime. Cet épisode assura à Upfield une relative notoriété.

    Il tenta de vivre de sa plume, devint journaliste, ses romans policiers étant publiés sous forme de feuilletons. Ce n'est qu'en 1943 et après son divorce et la publication de ses romands aux États-Unis qu'il connut réellement la notoriété et une relative aisance financière. Ensuite, de retour en Australie, il devint scientifique et se consacra à l'exploration du nord et de l’ouest de l'île. Il se retira en Nouvelle-Galles du Sud où il mourut en 1964.

    Il est un personnage qui apparaît dans la plupart de ses romans à partir de 1920; c'est l'inspecteur Napoléon Bonaparte qui préfère qu'on l'appelle Bony. C'est certes un personnage de fiction mais il doit son existence à un ou plusieurs policiers bien réels et mérite de figurer parmi les grands détectives. tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot et le juge Ti [Mon lecteur pourra se référer au nombreux articles de cette revue au sujet de ce dernier enquêteur emblématique].

    Upfield a écrit une trentaines de romans qui sont publiés en langue française.

    Écrire des romans policiers et bel et bon mais l’originalité d'Upfield réside sûrement dans le fait qu'il a su tirer partie de son expérience pour mettre en œuvre un style policier particulier basé sur l’ethnologie. En effet, Bony qui est un sang-mêlé, ne manque jamais de faire référence à ses origines aborigènes et de s'en servir dans ses enquêtes.

    Des écrivains ont salué l'apport d'Upfiel à la littérature policière et l'Américain Tony Hillerman [1925-2008] a reconnu avoir été inspiré par l'Australien notamment par son travail sur l'ethnologie.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield

    N°639– Avril 2013.

    BONY ET LA BANDE A KELLY - Arthur Upfield - 10/18

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Dans une région connue sous le nom de Cork Valley, en Nouvelle-Galles du Sud, les autorités ont depuis longtemps constaté nombre d'activités illicites sans pour autant pouvoir y mettre de l'ordre. Cette vallée toute entière dédiée aux clans irlandais vivait donc en vase clos et entendait bien continuer ainsi. Aussi bien était-elle soumise, par ses habitants eux-mêmes, au contrôle constant de tous les intrus qui étaient systématiquement soupçonnés de venir troubler leurs petits trafics. Cette communauté était foncièrement attachée à sa liberté et aux idéaux de ses ancêtres, se rebellait en permanence contre le monde politique et administratif composé à leurs yeux de profiteurs et de parasites. Le refus des taxes était leur manière à eux d'y manifester leur opposition. Il y avait eu différentes disparitions et notamment le meurtre d'un contrôleur des contributions qui traquait la production et le trafic d'alcool clandestin et les fraudes aux redevances de télévision. Il s'était fait passer pour un géologue. L'inspecteur Bony fut donc désigné pour enquêter mais à sa manière, c'est à dire en immersion complète dans ce milieu et sans lien avec l'extérieur. Pour cela et surtout pour se faire accepter dans cette vallée habitée par des Irlandais, les Kelly et les Conway, il se fait passer pour Nat Bonney, un voleur de chevaux en fuite et réussit à se faire engager comme ramasseur de pommes de terre dans une ferme habitée par les Conway, retors à tout ce qui est légal et spécialement aux impôts et taxes. Bien que loin du bush qu'il connaît bien, Bony parvient à se faire accepter par cette communauté et c'est plutôt favorable au succès de sa mission.

    Il joue même tellement bien son rôle, il entretient tellement régulièrement l'illusion qu'il est un voleur de chevaux en délicatesse avec la loi et la police qu'il est carrément adopté par les Conway et qu'il est regardé comme l'un des leurs, bien qu'il ne soit pas Irlandais. Son entreprise de séduction auprès des différents membres de cette communauté est telle qu'il participe volontairement à des activités de contrebande pour mieux donner le change. De fait, personne ne semble se méfier de lui d'autant qu'il a donné à plusieurs reprises des marques d'attachement à ces Irlandais. Son enquête ne peut que profiter de cette ambiance de confiance.

    Le 1° juillet approchait et cette date anniversaire célébrée par la communauté allait aussi attirer du monde dans cette vallée. Cette fête qui devait durer 3 jours retraçait la disparition de "la bande à Ned Kelly" en 1880. Elle avait été exterminée dans le "Glenrowan hotel" par la police à la suite d'une erreur 'appréciation, mais c'était d'autant plus inacceptable pour eux que ces policiers étaient d'origine irlandaise ! Certes, Bony se sentait bien au sein de cette communauté, mais, en bon policier, ne perdait pas de vue sa mission : faire toute la lumière sur la disparition du contrôleur des contributions. Les préparatifs de la fête allaient immanquablement relâcher quelque peu l'attention, l'alcool délier les langues et favoriser les confidences et donc les investigations de Bony. Malheureusement pour les Irlandais, l'histoire bégaie .

    Je suis toujours attentif aux enquêtes de Bony, à la fois bien menées, bien écrites et ménageant le suspens jusqu'à la fin, mais là, j'avoue que ce roman manque un peu de souffle et s'égare un peu dans des détails un peu inutiles.

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

    N°638– Avril 2013.

    Quelques mots sur Tenessee Williams[1911-1983]

    Mort oublié dans une chambre d'hôtel new yorkais , Tennessee Williams est un écrivain américain, auteur de nombreuses pièces de théâtre dont la plupart ont été portées à l'écran. Il a également écrit des romans, des poèmes et des nouvelles mais il est plus spécialement connu en tant que dramaturge. Connu, ce n'est pas si sûr puisque si les films qui ont été réalisés à partir de son œuvre, qui ont fait le tour du monde et dont les titres restent dans la mémoire collective ["Une chatte sur un toit brûlant", "Soudain, l'été dernier", "Un tramway nommé désir", "La nuit de l’iguane"], son nom est bien souvent passé sous silence au profit de metteurs en scène célèbres [ Richard Brooks, Joseph Mankiewicz, Elia Kazan] et surtout d'acteurs [Élisabeth Taylor, Katherine Hepburn, Vivian Leigh, Paul Newman, Marlon Brando, Burt Lancaster ]. Il doit sa notoriété au cinéma mais, paradoxalement peut-être, il déclarait volontiers qu'il n'aimait guère les adaptations cinématographiques de ses œuvres.

    En France, il a été évoqué dans la très belle chanson [paroles et musique] de Michel Berger interprétée par la voix cassée et pour une fois mélancolique de Johnny Hallyday. Pourtant, si on ne prête pas attention aux paroles pourtant explicites, beaucoup de nos contemporains ont tendance à n'y voir qu'une allusion... à un état des États-Unis !

    Thomas Lainer Williams [son surnom de Tennessee ne viendra que plus tard en hommage à son sud natal] est né dans l’État du Mississippi. Il passe son enfance avec sa mère et sa sœur Rose chez ses grands parents maternels. Son père, alcoolique et joueur et qu'il déteste, est le plus souvent absent . Thomas tombe gravement malade à l'âge de 5 ans et commence à écrire sous les encouragements de sa sœur. En 1928, il est alors adolescent, il effectue avec son grand-père maternel qu'il adore un voyage en Europe. Pendant ce périple il prend conscience de son homosexualité [Déjà son père l’appelait "Miss Nancy" parce que, rescapé d'une diphtérie, il était chouchouté par sa mère] mais aussi de sa vocation d'écrivain. En 1937, après que la schizophrénie de Rose ait été diagnostiquée et qu'elle eut subi une lobotomie qui l'a laissée très diminuée, il rompt avec sa famille, part pour New-York où il exerce divers petits métiers qui lui laissent du temps pour écrire. En 1943, à l'entrée en guerre des États-Unis, il est réformé pour homosexualité, alcoolisme et troubles nerveux et cardiaques. Il tente alors sa chance à Hollywood comme adaptateur de romans chez MGM à laquelle il propose une de ses œuvres où il met en scène sa mère et sa sœur. C'est un échec. Il réécrit ce texte qui devint une pièce autobiographique, "La ménagerie de verre" qui, montée à New-York, aura un succès inattendu et consacrera sa notoriété. Il a alors 34 ans. Puis suivront une vingtaine de pièces, toutes montée à Broadway. Ce sera, en 1948 "Un tramway nommé désir" que met en scène Elia Kazan et qui consacrera un nouvel acteur, Marlon Brando. Cette œuvre sera adaptée en France par Jean Cocteau. Avec ce film en 1948 puis avec "Une chatte sur un toit brûlant" en 1955 il remporte par deux fois le Prix Pulitzer.

    Son œuvre met en scène des personnages marginaux, écorchés-vifs, frustrés, fragiles, solitaires et en butte contre la société comme il l'était lui-même. Ses personnages sont souvent coincés entre la réalité et leurs illusions["Cette force qui nous pousse vers l'infini y a un peu d'amour avec tellement d'envie, si peu d'amour avec tellement de bruit"] leurs fantasmes sexuels["Un tramway nommé désir"], leur mémoire ["La ménagerie de verre"] "l'inconscience de leurs désirs.["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui"].

    Ses pièces de théâtre font toutes référence à sa biographie et il y parle bien entendu de l'homosexualité, mais à mots couverts ("Une chatte sur un toit brûlant"). Tennessee Williams était homosexuel, pourtant, les personnages de ses pièces ne le sont pas ouvertement, ou ils sont morts avant le lever de rideau. Il est vrai qu'il ne fallait pas choquer la très puritaine Amérique des années 50. Il semblerait même qu'il n'aurait pas été favorable à un militantisme homosexuel. Pourtant, il n'affichera sa préférence sexuelle qu'à la fin de sa vie, menant une relation longue avec Franck Merlo. Sa mort en 1963 le laissera définitivement meurtri, s'adonnant sans frein à l'alcool et à la drogue. Pourtant, il est un fait que toute la vie de Williams a été vouée à tous le excès. Michel Berger évoque très bien cela " Le corps en fièvre et le corps démoli, avec cette formidable envie de vie". Il lui survivra cependant mais il s'éteindra à New-York en 1983 dans un relatif anonymat. .["Comme une étoile qui s'éteint dans la nuit, à l'heure où d'autre s'aiment à la folie, sans aucun éclat et sans un bruit, sans un seul amour et sans un seul ami, ainsi disparut Tennessee"].

    Il a, comme chacun d'entre nous, fait son parcours original et douloureux sur terre. Son œuvre en a gardé la mémoire, témoigne de ses espoirs, de ses fantasmes, de ses peurs, de ses échecs ["Cette volonté de prolonger la nuit, ce désir fou de vivre une autre vie, ce rêve en nous avec ses mots à lui." "A certaines heures de la nuit, quand le cœur de la ville s'est endormi, il flotte un sentiment comme une envie"]. Il reste, aux États-Unis en tout cas, un auteur majeur.

    On ne peut, évidemment, limiter l'évocation d'un écrivain aussi considérable que Tennessee Williams aux paroles d'une chansons si belle soit-elle, mais j'ai voulu, dans ce court article lui rendre ce modeste hommage, en prélude peut-être au trentième anniversaire de sa mort, cette année.

    Montaigne l'a dit autrement mais cette chanson garde son empreinte, celle de la condition humaine qui nous est commune " On a tous en nous quelque chose de Tennessee".

    © Hervé GAUTIER - Avril 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield

    N°637– Mars 2013.

    THE MELBOURNE CUP MYSTERY – Arthur Upfield - Éditions de l'Aube.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Le festival de course de printemps d'Australie est un événement international en matière de courses de pur-sang. La coupe de Melbourne en est le moment le plus attendu et les courses de chevaux font partie intégrante de la culture australienne. Ce roman connu sous le nom du "Pari fou à la course de Melbourne" met en scène deux amis, Roy Masters et Dick Cusack, qui sont amoureux de la même femme, la belle Diana Ross. Diana est non seulement jeune et jolie, mais elle est aussi l'héritière d'une immense fortune bâtie sur le commerce avec la Chine. Cette dernière, ne voulant choisir entre eux, avoue leur préférer un homme exceptionnel comme un constructeur de ponts ou un homme politique célèbre. Or l'un est éleveur et l'autre commerçant. Elles leur laisse cependant une chance infime : elle épousera celui des deux dont le cheval gagnera la Melbourne Cup. Tout cela est bel et bon, mais si ses deux prétendants sont effectivement propriétaires, ils ne possèdent que des chevaux de fiacre. Pour ne pas paraître ridicules, ils acceptent donc tout en se disant que la solution de leur problème réside peut-être dans le dopage de leurs champions, mais ils ont du mal à accepter cette éventualité. Malheureusement il y a un troisième larron, l'argentin José Alvery, un homme riche et beau qui va concourir pour Diana dans les mêmes conditions que Dick et Roy, sauf que son cheval à lui est un crack ! Pour autant rien n'est sûr et la jeune femme laisse planer un doute quant à son éventuel mariage que son tuteur ne souhaite pourtant pas pour des raison affectives.

    Pourtant, ce qui n'est qu'un pari ridicule va prendre des proportions inattendues, le cheval de Roy est victime d'un dopage criminel visant à le détruire et il y a même une tentative nocturne de même nature dans les jours qui suivent. Alvery, quant à lui, semble en savoir beaucoup sur Diana. A mesure que le cheval de Roy s'améliore grâce à son jockey et menace de gagner, les ennuis continuent. Le jour de la Melbourne Cup, les événements se précipitent, des chevaux de Roy et de Dick sont tués et de vielles histoires qu'on croyaient oubliées depuis longtemps refont surface mais aussi des questions d'intérêt et de gros sous où la pègre a, bien entendu, sa place.

    Je ne sais pas pourquoi mais le thème du départ, à savoir ce pari dont une femme était, de sa propre volonté, l'enjeu ne m'a pas accroché. Je le trouvais un peu artificiel. D'autre part, la première partie du roman qui tourne autour de l’entraînement des chevaux de courses et des inévitables trafics qui s'ensuivent m'a un peu rebuté. Ce n'est que vers la fin que ce roman prend sa véritable dimension policière et donc aussi son intérêt, même si le happy-end amoureux, toujours un peu convenu, m'a aussi un peu déçu.

    Ce roman a été inspiré par la mort, en 1932, de Phar Lap, un des plus célèbres chevaux de course australien, à la suite de l'absorption d'une grande quantité d'arsenic. En 1930, il avait remporté la Melbourne Cup et on tira sur lui sans que la police puisse identifier le coupable. Ce roman date de 1933 et fut écrit pour être publié en feuilleton et ne fut édité en France qu'en 1996, soit trente ans après la mort de son auteur. A cette époque Upfield était employé comme rédacteur au journal "The Herald", à Melbourne et avait déjà commencé à publier quelques romans dont "Les sables de Windee" qui lui avait, un peu malgré lui, apporté la notoriété puisqu'un meurtrier s'était inspiré de cette œuvre policière.

    "The Melbourne Cup mystery" est le premier roman d'Arthur Upfield que je lis où Bony, l'emblématique inspecteur Napoléon Bonaparte, n'est pas mis en scène. J'avoue que j'aime mieux l'ambiance du bush, que je ne connais cependant pas, et la personnalité singulière de ce policier. Il reste que l'écriture de Upfield est originale et sa manière de distiller le suspense est unique.

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield

    N°636– Mars 2013.

    L'EMPREINTE DU DIABLE – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Parce que le "Chalet du Panorama" offre le calme d'une belle pension dans l'état du Victoria, l'inspecteur Bony s'y rend pour une courte période de vacances. Est-ce lui qui attire les ennuis, en tout cas on découvre au matin le cadavre en robe de chambre de M. Grumann, un autre pensionnaire. Le même jour, l'officier de police local venu faire les premières constations est assassiné par un homme qui se prétend l'ami de M. Grumann et qui, après son forfait, prend la fuite. Cela fait un peu beaucoup et surtout que ce n'est pas une bonne publicité pour cette petite pension réputée calme et dirigée par Mlle Jade.

    En réalité, si Bony est sur place, c'est moins pour prendre des vacances que pour surveiller, et ce pour une fois pour le compte de l'armée, ce M. Grumann qui en réalité est un général allemand, officiellement mort à la fin de la 2° guerre mondiale, et qui détient des secrets militaires. Pour corser le tout, les bagages de ce général ont disparu et celui qui l'a assassiné, Marcus, s'avère être un dangereux trafiquant de drogue international. Bony évoque même à son sujet un auteur de romans policiers local.

    A la suite de péripéties, notre limier finit par récupérer ce que détenait l'ex officier allemand sous forme de micro-films. Sa mission officielle est donc terminée. Bony reste cependant un policier et bien qu'il n'en soit pas chargé et qu'il ne soit pas dans sa circonscription, souhaite éclaircir le mystère de la mort de ce général. Dans ce but, il revient au chalet terminer ses "vacances" tant le séjour lui est agréable, à moins que ce ne soit le charme de son hôtesse ! Le battage fait autour de ce double meurtre a attiré d'autres pensionnaires et, avec la collaboration active de Bisker, un homme à tout faire du chalet, il entreprend des recherches qui tournent autour d'empreintes laissées par un homme qui chausse... du 46 et qu'il soupçonne d'être pour quelque chose dans le meurtre de Grumann. Les empreintes laissées sur la pelouse sont attribuées ... au diable, tant elles sont étranges.

    Pour autant Bony ne perd pas de vue son idée et son histoire de chaussures devient presque obsédante au point qu'il observe maintenant tous ceux qu'il croise... et la dimension de leurs pieds ! Je ne parle même pas des traces qu'ils laissent sur le sol en se déplaçant puisque ce détail n'échappe pas au demi-aborigène qu'il est aussi. Au cours de ses investigations, il apprend que Clarence Bagshott, l'écrivain local, par ailleurs bien bizarre dans son comportement et dans son histoire, chausse du 46 !

    Tout cela finira par s’éclaircir, mais laborieusement quand même et les explications fournies ramène le lecteur à la Seconde Guerre mondiale et ses activités d'espionnage.

    Comme toujours, j'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin non seulement à cause du suspense lentement distillé mais je n'ai pas été insensible non plus aux descriptions des paysages..

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield

    N°635– Mars 2013.

    CRIME AU SOMMET – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Cinq mois plus tôt, deux randonneuses ont disparu dans les montagnes australiennes du Grampians et le jeune inspecteur Price, parti à leur recherche, a été retrouvé mort, tué par balle. Napoléon Bonaparte, alias Bony, inspecteur de police de son état, va donc mener son enquête mais, pour protéger sa vie se fait passer pour John Parkes un éleveur modeste d'une autre région qui prend des vacances pour la première fois de sa vie. Il descend bien entendu dans l’hôtel de Baden Park, là où les deux jeunes filles ont été vues avant leur disparition.

    L’hôtel est à peu près désert à cette période de l'année et Bony y rencontre le patron, Jim Simpson et sa sœur, le père de ces derniers, infirme, alcoolique et un peu malveillant qui parle un peu trop au goût de ses enfants et notamment d'un cadavre qui serait dans le cellier. Le policier y rencontre aussi un perroquet bien bavard et quelque peu irrespectueux. L'esprit toujours en éveil de Bony ne manque pas d'être impressionné par le patron, Jim, et sa curieuse habitude de jouer de l'orgue mais surtout de porter des vêtements élégants, de rouler dans une voiture luxueuse, ce qui est plutôt surprenant dans ce coin perdu. Toujours à l’affût, il sympathise avec le père du patron qui lui parle d'un employé, Ted O'Brien, viré parce qu'il fréquentait d'un peu trop près le cellier, mais seulement après la disparition des deux jeunes filles. Il a été remplacé par Glen Shraron, un américain, accessoirement lanceur de couteaux.

    Bony ne manque pas de mener discrètement des investigations dans les alentours de l'établissement mais le vieux Simpson se révèle plus matois et hâbleur qu'il ne l'aurait cru. Le policier remarque cependant qu'il existe des contradictions et même des zones d'ombre dans le rapport d'enquête et ne laisse d'être intrigué par les voisins de l'hôtel mais aussi par Jim qu'il découvre vantard et menteur et par son employé américain. Apparemment tous les deux s'intéressent à lui et notre policier subodore un trafic de moutons, de pierres précieuses et s'interroge sur la raison de cette clôture qui protège la propriété des voisins de l'hôtel. Puis les choses s'accélèrent et Bony doit quitter l'hôtel en catastrophe, prié de déguerpir par le patron lui-même. L'enquête que Bony a entamée ayant ainsi quelque peu été contrariée, il n'est pas homme à se laisser décourager et, pour mener à bien sa mission, il opéra une transformation au terme de laquelle, en se fondant dans la nature, il renouera en quelque sorte avec ses gènes. Il est en effet un métis qui a vécu dans sa jeunesse chez les aborigènes du bush et sait parfaitement maîtriser une telle situation. Il sera secondé par la chance qui lui procurera un allié inattendu, vivra bien des rebondissements et parviendra à reconstituer le cheminement criminel et, bien entendu, par mener à bien sa mission qui est de libérer les deux jeunes filles.

    Bony est vaniteux, très conscient de sa supériorité qu'il tient d'un mélange de logique occidentale et de bon-sens aborigène, mais cela ne le rend pas antipathique pour autant. Je note cependant que dans ce roman, il est mis en présence d'un cadavre, ce qui suffit à la déstabiliser durablement. C'est sans doute très étonnant dans le cas d'un inspecteur de police de sa qualité mais, sur le plan de l'écriture, j'ai particulièrement apprécié l'évocation de cette scène autant que la description des paysages grandioses. J'ai goûté ce roman qui se lit facilement grâce au style agréable, au découpage en courts chapitres et à la subtile distillation du suspense. En outre, je ne dirai jamais assez l’importance de la traduction qui, ici offre un texte fluide et un grand confort de lecture. L'intrigue, même si elle évoque à la fin un trésor de guerre et prend donc une dimension internationale, a au moins l'avantage de solliciter l’imagination du lecteur.

    Je suis volontiers entrer de plain-pied dans l'univers de cet auteur que je ne connaissais pas. Je ne regrette pas !

    © Hervé GAUTIER - Mars 2013 - http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield

    N°634– Mars 2013.

    LE MEANDRE DU FOU – Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Une maison isolée, au centre d'une grande propriété dédiée à l'élevage des ovins, celle de Madden, est construite sur le méandre d'un fleuve maintenant à sec à cette saison. Nous sommes dans la région de Quennsland (Australie). Cette maison est habitée par Bill Lush, le second mari de Mme Madden, ancien ouvrier devenu éleveur par son mariage, par sa femme et par Jill, 19 ans, sa belle-fille.

    Un soir où Bill rentre soûl comme à son habitude, un drame se joue dans cette maison et Mme Madden meurt le lendemain des mauvais traitements qui lui ont été infligés par son mari pour une sordide question d'argent. Le lendemain, Bill est introuvable, ce qui inquiète les autorités. L'inspecteur Napoléon Bonaparte, Bonny pour ses amis qui sont nombreux, et qui se préparait à partir en vacances se charge lui-même de cette enquête. John Lucas, le gendarme local sera son adjoint. Il y a peu d'indices, la porte d'entrée, neuve, a été remplacée en catastophe par une plus ancienne puis brûlée, à la demande de sa mère pour éviter le scandale. Jill avait tiré dans sa direction avec sa carabine pour éloigner Bill qui commençait à la défoncer avec une hache et menaçait ses occupantes. De plus, il y a un trou dans le plafond qui correspond au calibre de l'arme de Jill et c'est à peu près tout. Bony envisage toutes les hypothèses depuis le fuite de Lush ou un banal accident jusqu'à son assassinat par Jill qui a d'ailleurs pas mal de raisons pour cela. Au cours de son enquête il apprend à mieux la connaître ce qui tranche avec son impression première.

    D'autre part, ses investigations lui apprennent que Lush était un sale type que beaucoup aimeraient voir mort, ce qui multiplie les suspects. Il n'en manque pas parmi tous ceux, trimardeurs ou gens du coin, tous avec un casier judiciaire plus ou moins chargé, qui, le soir de la disparition de Bill, étaient dans le coin. Malheureusement pour lui, le mobile lui échappe et semble même inexistant. Bony s'installe donc dans cette maison dans l'attente éventuelle venue de Bill qu'il veut arrêter pour le meurtre de sa femme puis dans celle des voisins, les Cosgrove. Dehors la crue du fleuve menace et la pluie s'est mise à tomber. Tout cela va faire disparaître les rares traces qui subsistent encore. Le temps presse donc d'autant que le lit du fleuve, maintenant plein d'eau, entrave son enquête. Elle prend un tour nouveau par la découverte du corps de Bill atteint d'un balle mortelle mais qui cependant pose plus de questions qu'elle n'apporte de réponses.

    Décidément, je le trouve bien ce Bony ! C'est une sorte d'Hercule Poirot qui prend son temps pour démêler le nœud gordien d'une enquête compliquée, fait bon marché de la procédure et des règlements, méprise la hiérarchie. Bref, c'est un enquêter un peu atypique, qui agit à son rythme et selon ses méthodes, accepte de se remettre en question et combat autant les évidences que ses inclinations naturelles. Il est têtu, tenace et même, à l'occasion un peu joueur. Ici le lecteur sent qu'il aime bien Jill et qu'il la soupçonne fortement d'être la meurtrière de son beau-père. L'important est que tout cela débouche sur une réponse satisfaisante. Malheureusement ici, son allié traditionnel qu'est le temps lui fait faux bon et il n'aura pas trop de son talent, de sa capacité de déduction et surtout de son indéfectible chance pour conclure.

     

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield



    N°633– Mars 2013.

    LA MAISON MALEFIQUE - Arthur Upfield - 10/18.

    Traduit de l'anglais par Michèle Valencia.

    Étrange affaire dont le titre rappelle un peu un "Agatha Christie" pour le non-moins étrange inspecteur Napoléon Bonaparte, Bony pour les amis, qui s'est volontairement chargé de cette enquête. De quoi s'agit-il donc ? On a retrouvé, flottant sur l'étendue d'eau qui entoure la magnifique maison des Answerth, le cadavre étranglé de la mère, 69 ans, seconde épouse de Jacob Answerth qui s'est lui-même suicidé d'une balle dans la tête, il y a quelques années alors que sa situation financière était prospère et qu'il n'avait aucune raison particulière pour cela. Ce n'est pas la première mort suspecte constatée dans le coin puisque un boucher du nom de Ed Carlow a subi le même sort quelques mois auparavant et il y aura même, durant l'enquête, une tentative avortée suivie d'un autre meurtre.

    Dans la maison-île vivent les trois héritiers de cette famille : Mary, 44 ans, la terreur de la maison, aussi hommasse et violente que Janet, sa sœur de 41 ans est douce et artiste, et Morice, 27 ans, leur demi-frère, attardé mental mais athlétique et demeuré en enfance. Avec eux vivent deux employés, le cuisinier et ancien chef des gardiens de troupeaux, Albert Blaze et Mrs Leeper, également cuisinière et dédiée à la bonne tenue de cette grande maison. Elle a cependant a été infirmière en chef dans un hôpital psychiatrique et rêve d'ouvrir son propre établissement.

    Il reste donc à notre fin limier, venu tout exprès de Brisbane (Australie), à enquêter et découvrir l'origine de la fortune, semble-t-il douteuse de Ed Carlow qui aurait peut-être un rapport avec le meurtre de Mrs Answerth d'autant que cette famille s'est enrichie pendant des générations en massacrant les aborigènes, spoliant les gens et détruisant la nature. Il y sera aidé par ses origines puisqu'il est un métis australien, élevé dans une tribu du bush qu'il connaît bien et qu'il partage avec ces peuplades l'amour de la nature. Il témoigne d'une bonne dose de pragmatisme, use de psychologie, de patience, de méthode, met en œuvre des idées originales qui, à ses yeux, justifient un meurtre et recherche inlassablement dans le passé, dans les secrets de famille, ce qui peut l'expliquer. Il a décidément beaucoup de flair et cela ne s'applique pas uniquement à sa capacité de déduction et à son sens des réalités.

    Il se moque de la hiérarchie, de la bureaucratie et de la "politique du résultat", assemble patiemment tous les morceaux du puzzle, remettant sans cesse en question les évidences et les apparences. Il obtient souvent des renseignements là où d'autres échouent. Il en conçoit même une certaine suffisance, ce qui ne le rend pas antipathique pour autant.

    Reste cette "Maison Maléfique" où règne une atmosphère étrange. Elle tire son surnom du malheur qui s'accroche à elle et à ses habitants ou peut-être à cause de "l'os pointé" par les aborigènes sur ceux qui les ont exterminés, une sorte de malédiction dont l'eau qui entoure ce manoir n'est que la marque visible...

    J'ai trouvé ce roman passionnant du début à la fin, le suspense y étant lentement distillé au rythme des investigations de cet inspecteur décidément attachant.

    J'avoue que je ne connaissais pas Arthur Upfield [1888-1964], reconnu comme le père du polar ethnologique et qui est un auteur prolifique puisqu'il a publié 33 romans. J'ai apprécié l'ambiance de ce roman, la manière tout en nuances de procéder de Bony autant que le dépaysement né des évocations poétiques de ces paysages. Cet ouvrage est pour moi l’invitation à explorer davantage l'univers de cet auteur.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho

    N°632– Mars 2013.

    LE TEMPS DE GRÂCE- Maria Judite de Carvalho - Éditons de la Différence.

    Traduit du portugais par Simone Biberfeld.

    Mateus Silva revient 25 ans après dans la maison de son enfance, au bord de la mer, dans le but de la vendre puisqu'il a besoin d'argent. Cet argent, ce n'est pas pour lui qui vit de peu comme un simple employé de bureau qu'il est, mais pour sa compagne, Alberta, gravement malade et qui va mourir. Elle a toute sa vie voulu voir l'Acropole et souhaiterait réaliser ce vœux. La vente de la maison de son compagnon est uniquement destinée à cela. Mateus, quant à lui, ne met aucun regret dans cette transaction, c'est plutôt pour lui une occasion de tourner la page de son enfance et sans cette circonstance il ne l’aurait probablement pas fait. Pourtant, sans le savoir, il va réveiller des fantômes.

    Il va donc rencontrer José Osorio, l'ancien voisin de ses parents, propriétaire d'une petite usine et d'immeubles de rapport, qui s'est porté acquéreur de la bâtisse. Il est aussi le père de Jorge qu'on appelait amicalement Ginho, l'ami d'enfance de Mateus, son complice de jeux. Il est maintenant médecin à Lisbonne et va faire un riche mariage qui fera de lui un notable, exactement le contraire de Mateus. Ses parents sont évidemment fiers de lui, beaucoup plus que de leur fille, Natalia née bien après et qui ne survit que grâce aux subsides de ses parents.

    Mateus retrouve aussi Mercês, la mère de Ginho et donc l'épouse de José. Cette femme l'a fait rêver quand elle était jeune tant elle était belle. Elle n'a pas fait rêver que lui d'ailleurs, son père a été son amant ce qui a provoqué la séparation des parents de Mateus, la fuite de ce père inconstant et sa mort à l'étranger quelques années plus tard. Sa mère s'est installée comme modiste et survécu péniblement à Lisbonne avec son fils. Puisque ses deux parents sont morts maintenant depuis longtemps et qu'il ne viendra jamais habiter ici, Mateus se sent capable de vendre cette maison et aussi peut-être de se débarrasser de ses mauvais souvenirs.

    De cette foucade de son épouse, José n'a peut-être rien su ou a fait semblant de ne rien voir. Pour éviter le scandale ou parce qu'un divorce nuit aux affaires, il a gardé cette femme, la mère de ses enfants, malgré ses autres aventures amoureuses. Autrement dit, il a préféré le cocuage à la solitude mais elle a considéré que sa beauté méritait bien l'hommage de bien d'autres hommes. Leur vie s'est organisée ainsi, dans le mensonge et l'hypocrisie et l'entrevue qu'ils ont avec Mateus à propos de cette transaction est emprunte de ces mêmes non-dits.

    Maintenant le temps a passé, la maison de famille est bien délabrée à force d'avoir été fermée pendant si longtemps et José sent qu'il fera une bonne affaire en l'achetant. Il sait qu'elle est bradée et songe même à la démolir. Ginho ne sera jamais plus le complice de Mateus et ils n'auraient sans doute plus rien à se dire s'ils se rencontraient, quant à Mercês, elle a vieilli et sa légendaire beauté s'est fanée.

    Mateus n'est pas heureux dans sa vie, ni dans son bureau de Lisbonne où il n'est qu'un banal employé sans envergure, ni à la maison avec Alberta dont il s’accommode de la présence faute de pouvoir faire autrement. Il ne l’aime guère mais veut lui faire l'ultime cadeau de ce voyage dont elle a toujours rêvé. Il sait cependant qu'elle n'en aura pas le temps. Il se console en se disant que bientôt, quand sa compagne sera morte, il sera seul et c'est sans doute ce qu'il attend parce que, malgré les circonstances, il ne conçoit pas sa vie différemment. Libre et adulte enfin, il sera probablement heureux mais il y a fort à parier que la vie qui l'attend ne sera pas vraiment différente de celle qu'il mène actuellement. Puis viendra son tour d'entrer dans la mort, parce que la condition humaine est ainsi faite et que nous sommes tous mortels. Quant à l’isolement connaissent les différents personnages de ce roman et malgré toutes les formes qu'il peut prendre dans chacune de leur vie, Maria Judite de Carvalho semble nous dire qu'il est inné et baigné par l’égoïsme. Doit-on y voir une apologie de la solitude ? Peut-être. Mateus vit avec une femme qu'il n'aime plus, parce qu'"amour" ne rime pas avec "toujours" et que tout s'use. Nous ne savons rien d'elle mais elle aussi a pu exercer son libre-arbitre dans le passé. Il ne l'a probablement jamais aimée mais a tenté avec elle une liaison pour faire semblant de vivre... En vain et il n'attend que sa mort pour être enfin lui-même même si ce n'est pas vraiment différent d'avant. Mercês ne vit maintenant plus que dans le souvenir de ses foucades amoureuses passées, Ginho est lointain, plus passionné par son métier que par sa mère qui a trahi son mari et ses enfants et Natalia est complètement désorientée. José n'est plus maintenant intéressé que par l'argent. Il est un fait que, dans cette vie, si on ne veut pas être trahi, mieux vaut vivre seul !

    Je suis entré dans ce récit non seulement peut-être parce qu'il m'a semblé qu'il incarnait l'âme lusitanienne, cette sorte de saudade si caractéristique mais aussi, et peut-être surtout parce qu'il est le reflet de bien des vies. Le livre refermé, il me reste une sorte de mélancolie que je ne refuse pas pour moi-même et que j'aime tant retrouver chez Fernando Pessoa dont cette chronique s’est souvent fait l'écho.

    Je ne connaissais pas Maria Judite de Carvalho [1921-1998] avant d'avoir lu ce bref roman. Le style n'est guère orignal et l'écriture est plutôt minimaliste mais pas désagréable à lire. Quant au sujet traité, il est existentiel et même un peu angoissant, mais finalement est le reflet de la vie.

    ©Hervé GAUTIER – Mars 2013.http://hervegautier.e-monsite.com

  • MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría

    N°631– Février 2013.

    MADRID, CETTE ANNEE-LA- Daniel Chavarría.

    Traduit de l'espagnol par Hélène Gisbert.

    Nous avons tous dans notre mémoire des souvenirs qui y sommeillent ou qui y macèrent suivant qu'ils sont bons ou mauvais. Même pour nous, il n'est pas aisé d'y mettre des mots, de les exprimer pour les exorciser, les apaiser et ainsi de nous en libérer, pour qu'ils aillent rejoindre la cohorte des choses qui font notre expérience de cette vie. Cela peut prendre la forme d'un simple aveu intime ou d'une confession publique mais l'émotion est toujours là puisqu'une telle démarche, quelle que forme qu'elle prenne n'est jamais anodine.

    La lecture de la quatrième de couverture nous apprend que ce récit est une histoire vraie que Chavarría choisit de faire partager à son lecteur sous la forme d'une fiction avec toutes les modifications que cela implique. Après presque quarante années de silence, il exhume une vision que, même marié et père de famille, il n'est jamais parvenu à oublier. C'était en 1953, il n'était pas très riche, avait alors dix neuf ans, l'âge de tous les possibles, et il avait résolu de quitter sa famille en Uruguay pour aller vivre en Europe et y apprendre l'art, le théâtre... Il s'embarqua donc sur un transatlantique où il rencontra une femme, Gaby, dont il tomba instantanément amoureux. Elle était tellement belle que cette vision tint pour lui de l'apparition Malheureusement, même si elle voyageait seule, elle était mariée et heureuse en amour. Pour corser le tout, lui, bien que précoce à bien des égards, était naturellement timide. Il se dit qu'un bateau qui effectue ainsi une aussi longue traversée est un microcosme où tout est possible, mais la passade qu'il espérait ne se réalise pas. Accostant en Espagne, il improvise pour palier son manque d'argent, se fait guide au musée du Prado, mais cette femme qu'il suit toujours autant par admiration que dans le fol espoir de partager son lit se révèle enceinte, mais pas de son mari. Pour autant, touché par cette histoire, il décide de l'aider mais elle se résout à rejoindre Kurt, le père de son enfant, en Allemagne. Devant un tel revirement de situation, Daniel choisit le voyage pour se guérir de cette femme mais finit par rencontrer Kurt et prend conscience que Gaby n'est rien d'autre qu'une manipulatrice capable des plus horribles mensonges. Du coup, l'image idyllique du début en prend un sérieux coup.

    J'ai entamé la lecture de ce livre à cause de la vie de Daniel Chavarría (né en 1933 en Uruguay) qui est un véritable roman. Effet, avant de devenir écrivain et professeur de littérature classique à l'université de La Havanne, il a fait beaucoup de métiers et même vécu des expériences uniques qui l'ont profondément marqué. Pour autant, j'ai été déçu par ce roman qui se veut le compte-rendu de cette "aventure", peut-être à cause du style sans recherche, des revirements un peu trop invraisemblables ou peut-être de cette histoire qui promettait d'être passionnante au début et qui, pour moi, s'est révélée décevante. Qu'il ait voulu faire de cette tranche de vie un roman ne me gêne pas, mais le résultat m'a paru peu probant.

    Ce que je retiens cependant, c'est que cette amour impossible entre Gaby et Daniel se transforme, avec le temps et les cheveux blancs en une amitié durable. Même si je ne suis pas entré dans cette histoire, je retiens que la création littéraire est une force qui transforme et apaise, que les mots sont un extraordinaire baume.

    ©Hervé GAUTIER – Févrer 2013.http://hervegautier.e-monsite.com