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la feuille volante

D'un monde à l'autre

N°1624 - Janvier 2022

 

D'un monde à l'autre – Georges-Leon Godeau – Édition Ipomée.

 

Depuis que je lis Georges Godeau (1921-1999) je suis étonné par l'acuité du regard qu'il porte sur le monde qui l'entoure. On a eu raison de dire de lui que son "œil écrit" et d'ajouter comme l'a précisé Georges Mounin "qu'il écrit pour tous, il peut être lu par tous". Il n'écrit en effet pas pour une élite mais s'adresse à tous ceux qui veulent bien consacrer un peu de leur temps à lire ce qu'il écrit. Chez lui pas d'ésotérisme, pas d'images ou d'idées énigmatiques qui se rattachent à une chapelle où vous plonge dans un univers abscons. Chez lui tout est transparence, quotidien, presque ordinaire si on considère que l'écriture poétique peut être ordinaire, mais ce sont ses mots qui sont empruntés au quotidien dans tout ce qu'il a de plus banal.

Son matériau, ce sont des mots simples, simplement, sobrement exprimés, économisés même, en dehors de toute prosodie classique. Ils expriment une sorte de vision furtive qui s'offre à lui et dont il choisit d’en conserver la mémoire. Dans cette recherche du souvenir, il veut graver l'émotion de l'instant, la couleur et les formes de cette image furtive, un peu comme l'a dit Victor Ségalen "Voir le monde et l'ayant vu, dire sa vision". C'est souvent le petit détail qui échappe au commun des mortels, qu'il ne peut ou ne veut pas voir (Georges Mounin parle à son sujet de celui qui voit « le non-vu », le « non-dit ») , un moment de la vie d’un quidam, la beauté d'une femme qui illumine son entourage, la transparence d'un paysage qui attirent son regard et l'invitent à jeter sur la feuille blanche l'émotion d'un instant, comme une fulgurance qui fige le temps. J'ai parfois le sentiment que derrière les gens qu'il voit et dont il nous fait partager une infime parcelle de leur vie, son regard perce d'enveloppe charnelle et, l'air de rien, lit en eux comme dans un livre, se faisant l'écho d'un sentiment supposé de leur part ou ressenti par lui de sorte qu’il en devient un peu, pour une miette de temps, l’interprète, le complice. Mais il n'est pas uniquement le spectateur passif du monde qui l'entoure, il en parle parce qu'il en fait également partie, ne se distingue en rien des autres hommes qui marchent dans les rues, la seule différence étant qu’il fait provision d’images, de fragrances et de sons qu’il tracera plus tard sur la feuille blanche, quand le temps sera venu et qu’il aura fait le vide sur tout cela. Comme il le dit lui-même dans un autre recueil « Les poèmes s’inventent au bord du monde, un pied sur la terre, l’autre dans le vide »

Ce recueil s'ouvre sur un aspect de sa démarche créatrice qu'est le voyage. Il fut en effet un grand voyageur attentif aux choses, parfois les plus inattendues, réceptif autant que possible à cet appel de l'inconnu du "coin toujours remis qu'il faut bien voir avant de mourir". Ainsi se multiplient les visions confidentielle d'une capitale connue avec ses foules et ses bruits ou du silence et de la solitude d'un modeste hameau oublié sur le cadastre du monde.

Il est aussi le poète de la nature, de ce Marais Poitevin qu’il aimait tant arpenter, cette Sèvre niortaise où il aimait tant aller pêcher . Ses recueils de poèmes, rares, ne se trouvent maintenant qu’en bibliothèque et sont bien peu souvent consultés plus de vingt années après sa mort. Poète injustement oublié, il mérite mieux qu’un discret hommage.

 

 

 
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