la feuille volante

olivier

N°1666 - Août 2022

 

Olivier – Jérôme Garcin- Gallimard.

 

Dans nos sociétés occidentales, on vit comme si la mort n’existait pas, en en repoussant l’idée pour plus tard, en évitant de trop y penser. Elle fait partie de la vie, en est simplement la fin comme la naissance en est le début. Quand elle intervient dans nos vies, sans le moindre préavis, à la suite de la perte prématurée d’un être cher, parent ou enfant, la réalité s’impose à nous dans toute sa cruauté. On peut l’accepter quand le cours des choses est normal, mais quand il est bousculé et même inversé, cela fait de ceux qui restent des êtres à part, en quelque sorte en dehors de temps. Jérôme Garcin évoque la mort accidentelle de son frère jumeau à la veille de ses six ans et la fuite criminelle de l’automobiliste responsable.

L’auteur confie qu’il a toujours eu du mal à parler de ce frère jumeau, de son accident mortel, de son absence, du deuil. Il précise qu’à ses yeux, écrire sert à exprimer ce que les paroles ne peuvent décrire, que la page blanche, dans le silence et la solitude, est la meilleurs confidente. Il pense même qu’il ne serait peut-être pas devenu écrivain s’il n’y avait eu ce bouleversement dans sa vie à cause de l’exorcisme des mots, parle de sa gémellité, du manque de ce frère qui, plus qu’un autre, était une partie de lui-même, de cette nécessité d’écrire pour lutter contre sa mort, l’oubli et de l’inextinguible tristesse qui se doubla pour lui, quelques années plus tard, de la mort prématurée de son père. Il évoque les mots qui sommeillaient en lui depuis longtemps et qui ont enfin réussi à sortir. Il a, en effet cinquante trois ans quand il réussit à s’exprimer sur ce sujet, comme une lettre dont il aurait longtemps ajourné la rédaction. Cela fit de lui un vivant au milieu de deux fantômes. Il recherche dans la littérature et l’équitation un remède à sa souffrance. J’y vois surtout une forme de solitude, d’impuissance à vivre normalement, autrement que dans une sorte de monde à la fois virtuel et torturé par la certitude de n’être pas comme les autres à cause du malheur injustifié qui vous frappe. Il y eut le repli sur soi, la recherche personnelle dans les textes littéraires ou scientifiques consacrés à la gémellité, le mutisme que la rencontre d’Anne-Marie Philippe qui allait devenir son épouse et la mère de ses enfants, a brisé. Je me dis que la douleur d’avoir perdu son jumeau a en quelque sorte été contrebalancée par cette rencontre et elle a gommé par sa seule présence et son vécu, le vide laissé par Olivier. Jérôme Garcin a eu la chance unique de croiser son double, son complément, son sauveur et l’hommage qu’il lui rend est bref mais émouvant.

 

Je lis avec plaisir Jérôme Garcin depuis longtemps parce que c’est un bon écrivain, que j’aime son style qui honore notre si belle langue française, son érudition, parfois un peu trop marquée, autant que sa démarche de tirer de l’oubli des êtres d’exception qui n‘ont pas toujours eu la consécration méritée. Je connaissais l’existence de ce récit mais j’en ai longtemps différé la lecture, peut-être parce que je redoutais de n’y pas trouver ce que j’y cherchais, sans d’ailleurs trop savoir quoi, quelque chose comme de l’apaisement ou peut-être une forme de complicité dans la souffrance, compte tenu du thème choisi. A tort peut-être, j’avais chargé cette lecture nécessairement attentive d’une fonction particulière qui me tenait à cœur. Le livre refermé, je ne suis pas sûr que ma quête ait été satisfaite non à cause de l’auteur qui déroule son histoire personnelle dans cette langue si fluide que la lire est pour moi toujours un plaisir, mais peut-être simplement à cause de moi parce que notre parcours est unique, comme notre peine. J’en retiens une sorte d’impression bizarre que ce livre en principe dédié à Olivier dévie parfois en une sorte de monologue d’outre-tombe évoquant seulement Jérôme.

Une histoire aussi intimement émouvante ne peut que générer qu’une réaction personnelle, parfois surprenante et bien souvent illogique pour le commun des mortels. On peut tenter d’en combattre les effets dévastateurs en cultivant les souvenirs, l’amitié, la pratique de la religion… Jérôme Garcin qui est écrivain a sans doute, grâce à cette évocation, tenté d’ exorciser cette peine (y parvient-on jamais et même le temps ne fait rien à l’affaire) mais cette démarche d’écriture, au demeurant parfaitement respectable et de nature probablement à aider des lecteurs, me laisse quelque peu dubitatif. Je ne suis pas sûr que les mots soient à ce point apaisants, que l’écriture soit vraiment cet exutoire dont on nous parle si souvent. Ils ont peut-être un rôle libérateur dans l’immédiat mais à long terme j’en doute. Un écrivain puise dans sa propre vie, faite comme pour chacun d’épreuves et de joies, l’essence même de son œuvre, mais je me suis demandé si l’écriture a toujours ce pouvoir cathartique face à une place définitivement vide.

 
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