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la feuille volante

Le sympathisant

La Feuille Volante n° 1164

Le sympathisant – Viet Thanh Nguyen – Belfond. [Prix Pulitzer et Prix Edgar Allan Poe 2016]

Traduit de l'américain par Clément Baude.

 

Un sympathisant c'est une personne qui approuve les idées et les actions d'un parti sans y adhérer, une sorte d'espion. Qui est donc ce narrateur qui confie ainsi son histoire, qui, en grande partie, ressemble fort à une autocritique si prisée des autorités révolutionnaires communistes, à un mystérieux commandant, flanqué d'un non moins énigmatique commissaire politique ? Cela commence à Saïgon, en avril 1975 quand les États-Unis se préparent à fuir le Vietnam en abandonnant aux représailles du Vietcong ceux qui les ont servis. Il a fait des études en Amérique, est capitaine et l'aide de camps dévoué d'un général sud-vietnamien et avec d'autres et dans le chaos le plus complet, ils font partie des occupants terrorisés qui partent par le dernier avion pour échapper aux troupes communistes. Ce que le général ignore c'est que ce capitaine est un agent double, ce qui lui va bien puisqu'il est le fils bâtard d'un prêtre catholique français, évidemment non reconnu par son père, et d'une vietnamienne, un métis qui ne trouvera jamais vraiment sa place dans une société asiatique très structurée socialement, quelqu'un à qui on ne pourra jamais faire confiance.. C'est aussi un authentique communiste mais qui a passé sa vie sous une fausse identité aux côtés des Américains. C'est un solitaire dont nous ne saurons même pas le nom, un vrai espion que nous retrouvons à Los Angeles en 1980 où le général tente de recréer un petit bout de Vietnam avec pour idéal la reconquête de son pays. Il vit toujours seul une existence d'exilé dans cette société américaine où l'hypocrisie, la corruption, la prostitution, la paranoïa sont quotidiennes mais qui est toujours animé du même idéal communiste et continue à jouer ce double jeu et à transmettre sous forme de lettres codées, des informations à ses camarades nord-vietnamiens. Dans ce microcosme chacun espionne l'autre et notre homme a très peur d'être découvert au point qu'il donne le change en exécutant ou faisant exécuter des exilés considérés comme suspects. Pourtant, l'amour d'une femme, la fille de ce général, conquise par la civilisations occidentale pourrait bien faire vaciller ses convictions politiques.

C'est aussi une fresque historique dérangeante sur l'attitude de cette nation démocratique et éprise de liberté qui abandonna à une mort certaine des milliers de sud vietnamiens (ce n'est pas sans rappeler l'attitude de la France face aux pieds-noirs obligés de fuir et aux harkis massacrés à la fin de la guerre d'Algérie), c'est aussi un ouvrage introspectif, une interrogation sur la culpabilité et la trahison, sur les limites parfois tragiques de nos sympathies. Il est un espion communiste et pour être efficace il se doit de jouer le jeu du réfugié sud-vietnamien dans cette Amérique triomphante, de faire semblant d'adopter l'american way of life, mais il reste un agent vietcong, ce qui donne parfois des remarques pertinentes et des aphorisme délicieux sur la façon de vivre des Américains, autant d’ailleurs que sur l'espèce humaine en général. Pourtant sa caractéristique de bâtard lui collera toujours à la peau, même prisonniers des révolutionnaires communistes lors d'un retour au Vietnam.

C'est aussi une histoire d'amitié fraternelle qui date de d'enfance et que les événements ont contrariée entre trois hommes, le narrateur, Bon, le fidèle soldat du Sud-Vietnam et Man devenu commissaire politique de l'armée du Nord-Vietnam.

C'est aussi un ouvrage politique en ce sens qu'il entame, à travers la volonté affichée du général de délivrer le Sud-Vietnam du joug communiste, une réflexion sur les conséquences de l'exil sur ces populations déplacées et leur réelle volonté de reconquête nationale, un peu comme si le quotidien et la volonté de survivre au jour le jour dans cette nouvelle société avaient entamé durablement ces héroïques et peut-être inutiles projets, comme si le fait de vivre en exil changeait les hommes. Sans adhérer pleinement à leur nouvelle vie, à leur nouvelle culture, ils en étaient petit à petit devenus des « sympathisants ». C'est un regard introspectif sur le régime totalitaire du Viet-Nam, sur le fait que les libérateurs révolutionnaires deviennent à leur tour des impérialistes, c'est à dire semblables à ceux-là même qu'ils combattaient et usant des mêmes méthodes, ce qui est le cas de toutes les révolutions ! Cette constatation, cette prise de conscience mais aussi ces épreuves subies provoquent chez le narrateur une sorte de dédoublement (« j'étais cet homme aux deux esprits, moi et moi-même »)

Ce livres est aussi un roman et, à ce titre, se doit de comporter une femme à qui notre narrateur ne sera bien sûr, pas indifférent. Lana est donc une réfugiée sud-vietnamienne, chanteuse de son état et à ce titre marginal par rapport à sa famille et à sa culture. Apparemment elle a pleinement assimilé le monde de vie occidental et peut sans doute provoquer chez le narrateur, une remise en cause de ses certitudes ...,  mais cet aspect des choses est à peine esquissé.

C'est un texte passionnant, bien documenté, au style percutant et parfois même poétique, agréable à lire où l'auteur alterne les confidences parfois teintées d'humour et les épisodes dramatiques de son retour et de sa réadaptation à la vie américaine, de son incarcération dans un camp et des tortures subies pour sa rééducation révolutionnaire, ses réflexions au regard de l'engagement politique confrontées au quotidien, ses remarques sur cette société dont il fait maintenant partie mais que son idéal refuse. C'est cependant l'histoire d'un homme seul, déchiré entre son modèle politique et ce mode de vie nouveau pour lui qui peut-être le fascine, un homme amoureux aussi face à un dilemme que lui seul peut trancher. Il se rend compte de ce que peut être le fameux « rêve américain » où la liberté et la démocratie le disputent au profit, à la paranoïa et à l'hypocrisie fa e à sa culture personnelle. Au bout du compte, je me demande ce qu'il reste de sa « sympathie » pour ce régime révolutionnaire !

 

Je remercie les éditions Belfond et Babelio de m'avoir fait connaître cet auteur américain dont j'ai vraiment apprécié ce premier roman, couronné par le prestigieux Prix Pulitzer.

 

© Hervé GAUTIER – Août 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]

 
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