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la feuille volante

Ceci n'est pas un fait divers

N°1720 – Février 2023

 

Ceci n’est pas un fait divers – Philippe Besson – Juillard.

 

Qu’est ce qu’un fait divers ? C’est un type d’évènement qui n’est classable dans aucune catégorie qui habituellement compose l’actualité. Ainsi « les faits divers » forment-t-ils eux-mêmes pour la presse une rubrique à part qui regroupe des circonstances particulières n’ayant aucun lien entre elles ce qui ne signifie pas qu’elles sont sans importance. Ici, les faits sont brutaux, ce n’est pas un crime passionnel jadis absout par la justice, il s’agit du meurtre d’une femme par son mari en présence de leur fille Lea, 13 ans. C’est elle qui annonce par téléphone la nouvelle à son frère, 19 ans, danseur à l’Opéra de Paris. Quant au père, il a disparu. S’ensuit une enquête où les détails horribles ne nous sont pas épargnés, ce qui le transforme moins en roman policier qu’en un dossier d’analyse psychologique pour tenter d’expliquer l’inexplicable.

Aujourd’hui, on ne peut pas consulter les médias sans apprendre ce genre catastrophe qui en devient presque banale, les statistiques en font foi et on a même crée un mot nouveau pour cela : féminicide. Et cela ne sera jamais un fait divers. Ce roman est basé sur un fait réel et Philippe Besson se l’est approprié sur la demande d’un de ses lecteurs à qui il laisse la parole. L’auteur quitte donc son registre habituel où il nous faisait partager ses états d’âme souvent intimes (pas tout à fait cependant) pour nous parler d’autres gens. Au-delà de l’histoire, toujours racontée avec la même écriture à la fois simple, économe en mots et juste, Philippe Besson met en lumière moult questions. Les êtres choisissent naturellement de se rapprocher entre eux pour faire obstacle à la solitude. Cela donne des couples qui, lorsqu’ils sont mal assortis, traînent derrière eux le malheur comme une destiné. Ils sont condamnés à voir le bonheur de loin, chez les autres et à souffrir de cette injustice. C’est sur ce terrain que croissent des frustrations qu’on garde souvent enfouies en soi par pudeur ou pour ne pas traumatiser ses proches. Quand on est jeune et qu’on rencontre l’amour qui n’est souvent qu’une attirance physique passagère, on fait semblant de croire à l’avenir qu’on habille de projets et de fantasmes. On tente même de forcer le destin en fondant une famille. Souvent, cela ne dure guère et s’use sous le coups du quotidien et l’idée qu’on se faisait du bonheur s’érode peu à peu pour souvent disparaître définitivement. Puis viennent les hasards qui ne font pas toujours bien les choses et on se sent rejoint par le malheur, celui d’être né sous une mauvaise étoile, qui s’accroche à vous comme un cancer et vous dévore de l’intérieur, rendant vain votre combat contre cette adversité. On fait la constatation que l’amour, s’il a existé, s’est dissout, le couple choisit de se séparer, souvent dans les premières années de vie commune, comme c’est le cas actuellement et ce sont les enfants qui en pâtissent. Parfois on compose, on patiente, on se fait une raison, on se drogue, on va voir ailleurs, on fait durer le couple par hypocrisie, pour des raisons sociales, financières ou religieuses, l’espoir d’un impossible changement, de la survenue hypothétique d’un accident ou de la maladie. La violence s’invite parfois comme dans cette sordide histoire.

Ici Léa incarne ces enfants qui, trop souvent ignorés, sentent les choses, veulent les faire changer, sont témoins et donc presque complices, mais qui ne peuvent rien faire face aux secrets, aux silences, aux manipulations des adultes, à part générer contre eux-mêmes cette colère et cette détestable culpabilité qu’ils traîneront toute leur vie. Chacun des deux enfants s’interrogent, se critiquent, s’accusent, se souviennent de l’incompréhension voire de l’animosité de leur père, de sa duplicité, se raccrochent aux souvenirs apaisants tissés avec leur mère, mais la réalité l’emporte avec les exigences de la procédure, les obligations de l’enquête, les réalités administratives, les rituels, les remises en cause de chacun pour son avenir et ses ambitions, l’acceptation des échecs qu’on voulait éviter, le procès à venir, l’impossible travail de deuil...

Une autre idée s’impose à moi, celle de l’utilité de la littérature bien différente de celle de vendre des livres puisque notre société apprécie bien souvent ses membres à l’aune d’un critère comptable. Elle classe bien souvent les écrivains dans une élite intellectuelle qui les éloigne du quotidien. Parmi les nombreux rôles qu’on peut lui assigner, celui d’être le miroir de notre société ne me paraît pas être le moins important. Pour l’écrivain, donner la parole à ceux qui ne veulent ou ne peuvent la prendre, mettre des mots sur leurs souffrances secrètes, formuler simplement les choses qui les bouleversent, donner à voir une facette non idyllique de la condition humaine dans laquelle d’autres pourront se reconnaître et peut-être y puiser du réconfort, tout cela me paraît essentiel.

Philippe Besson s’empare de ce type de fait de société avec beaucoup d’humilité.

 

 

 
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