la feuille volante

Aziyadé

N°1705 – Janvier 2023

 

AZIYADE– Pierre Loti - Calman-Lévy.

 

Il s’agit du premier roman de Pierre Loti paru sans nom d’auteur en 1879 après pas mal péripéties. Il fait suite à un séjour de Julien Viaud, jeune enseigne de vaisseaux de 27 ans, au large des côtes turques et à Constantinople après l’assassinat des consuls de France et d’Allemagne. C’est une histoire d’amour entre un lieutenant de marine anglais, Loti, et une belle jeune femme circassienne de harem, Hakidjé, rebaptisée Aziyadé, rencontrée à Salonique dont il tombe éperdument amoureux. Il porte un nom bien peu britannique, le même avec lequel sera baptisé un autre lieutenant de la marine anglaise Harry Grant dans son roman suivant « Le mariage de Loti ». Quand il est à terre, il s’installe dans un quartier d‘Istanbul, y vit comme un authentique Turc, parlant la langue en oubliant autant que possible la marine. Il semble bien accepté par la population du quartier. Il a à son service deux Turcs, Samuel un jeune garçon pauvre mais débrouillard et Akmet qui se révèle être un collaborateur précieux. Entre deux périodes de solitude et d’ennui ou il se décrit lui-même comme un jeune homme amer et malheureux, il y retrouve une Aziyadé amoureuse et Loti devient alors transformé, ébloui par l’Orient (et par Aziyadé !), ses mystères et ses secrets. Il vit avec elle et ensemble ils profitent de l’instant d’autant plus intensément que, aussi bien lui qu’elle, savent que leur rêve d’amour prendra fin avec son départ inévitable. C’est un marin en escale ; comme il le ferra dans « Le mariage de Loti » il part quand son bâtiment appareille, abandonnant son amour. Quand il reviendra à Constantinople, en 1887, il apprendra la mort d’Akmet et d’Aziyadé dont il dérobera la stèle funéraire et l’installera dans sa maison de Rochefort pour être plus près d’elle. On dit aussi qu’il conserva toute sa vie une bague que lui offrit Aziyadé ainsi qu’il en fait le serment dans ce roman.

C’est aussi l’histoire d’un amour romantique impossible qui met en danger la vie de Loti et d’Aziyadé. De cet épisode est né un roman qui marque certes son attachement à une femme aimée mais consacre aussi son appétit de vivre d’autres amours, son aspiration vers un idéal et peut-être aussi illustre sa difficulté à se fixer. Comme il le fera dans son roman suivant, « Le mariage de Loti » l’histoire qu’il raconte est déclinée sous forme d’un journal intime et d’un échange de correspondances notamment avec son ami Plumkett. Loti y détaille ce qu’est la vie à Constantinople, les us et coutumes turques, la psychologies des femmes jusque dans la séduction, les bouleversements politiques d’un empire ottoman déclinant. Dans son roman, l’officier reviendra en Turquie après son départ de Stamboul, ne reverra pas Akmet, parti pour la guerre et retrouvera la tombe d’Aziyadé, morte de chagrin. Il intégrera l’armée turque, changera son nom mais pas de religion et mourra lors d’une bataille en Arménie, désespéré par la disparition de son amour.

Dans la forme comme dans le fond, son roman est loin de ce qui se faisait à son époque, dominée par Zola et le « naturalisme », qui s’attachait à décrire la société de son temps. Son discours de réception à l’Académie Française du 8 avril 1892 en témoigne. Ce roman est certes un document ethnographique important ce qui le rapprocherait un peu de ce mouvement caractérisé par le réalisme, en même temps qu’un témoignage autobiographique étalé sur deux années, mais sa description de la société turque paraît un peu superficielle et chacun des livres de cet écrivain-voyageur devient non seulement le décor d’une intrigue sentimentale, souvent exotique et attachée «aux grands espaces », mais révèle chez lui sa volonté d’échapper à la réalité pour se réfugier dans une sorte d’idéal. Loti fait montre, comme les naturalistes, d’une riche documentation dans ses écrits mais la mélancolie n’est pas non plus absente de son propos ; il s’agit donc d’un témoignage subjectif.

Même s’il a été un écrivain à succès durant sa vie, ce premier roman, malgré ses descriptions somptueuses, ne connut qu’un succès relatif. Pierre Loti qui écrit fort bien a toujours pour moi cet attrait littéraire qui ne s’est jamais démenti et je déplore qu’il soit aujourd’hui si injustement oublié.

 

 

 

 
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