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la feuille volante

Le livre de la pitié et de la mort

N°1724 – Mars 2023

 

Le livre de la pitié et de la mort – Pierre Loti – Petite bibliothèque Payot.

 

C’est un recueil de onze nouvelles paru en 1891 alors que Pierre Loti, âgé de 41 ans, vient d’être élu à l’Académie française dont il est le plus jeune membre. Il y compile des souvenirs et des réflexions personnels sur son passage sur terre et sur la mort. C’est un ouvrage émouvant où l’auteur évoque pudiquement le souvenir d’êtres chers ou inconnus, qu’ils soient humains ou animaux. C’est une réflexion sur la vie et sur le trépas, une occasion de nous rappeler que la lecture n’est pas seulement un loisir mais que la littérature est aussi une évocation voire une interprétation du monde réel où le lecteur peut se retrouver mais que pour l’auteur qui s’attache à cette tache c’est un véritable défi. Il s’agit donc de textes autobiographiques dont le thème central est la mort et les rituels qui l’entourent. Très tôt confronté à la disparition de son frère Gustave, au souvenir des défunts de sa parentèle, des visages happés par l’oubli, des corps qui ont été vivants et beaux et qui sont devenus des ombres, de la poussière, Loti n’a jamais oublié sa condition de simple mortel parce que, au-delà de l’écrivain il y avait l’homme, celui qui accompagna la longue agonie de sa chère tante Claire au cœur de cet hiver charentais.

Loti est un romancier injustement oublié qui a été l’incarnation de son temps et a marqué de la plus belle des manières son passage sur terre en y laissant une trace exceptionnelle. Il se livre ici à une somme de remarques sur ce que les vivants ont tous en commun, la mort et la souffrance, et il exprime la pitié qu’on ressent au contact de cet aspect de la condition humaine, ce qu’il éprouve au spectacle de deux époux japonais, vieux, malades et mendiants, qui luttent dérisoirement, avec tout la richesse de leur amour, pour leur vie misérable, pour les veuves et les orphelins de marins pêcheurs péris en mer, les naufrages sont si fréquents à son époque, et le désarroi ressenti face à l’inexorable fin des hommes. Nous autres occidentaux, faisons semblant d’ignorer que la vie est une chose fragile, que nous n’en sommes que les usufruitiers et qu’elle peut nous être enlevée sans préavis. Quand il évoquent les enfants scrofuleux de l’hôpital de Pen-Bron, torturés leur vie durant par le mal de Pott, il exprime sa pitié pour leurs douleurs et souhaitent que ses contemporains en prennent eux aussi conscience. Le simple fait d’abattre un bœuf à bord du bâtiment qu’il commande, pour la simple subsistance de l’équipage, le bouleverse. Quand il nous parle du quotidien de ses deux chattes, Moumoutte Blanche et Moumoutte Chinoise, toutes deux dotées d’une carte de visite comme les humains, arrivées dans sa vie par hasard et vivant dans sa maison de Rochefort quand il courrait les mers, c’est pour mieux évoquer leur envol au paradis des chats. Elles étaient confiées aux bons soins charentais de sa mère et de sa tante Claire qui furent aussi happées par la camarde. Qu’est ce que la vie en effet, une parenthèse qui s’inscrit dans l’écume du temps entre deux extrémités, la naissance et la mort. Rien de plus !

Sous ce titre quelque peu sinistre, Loti qui était un être à la fois fantasque, révolté, controversé, curieux du monde et des arcanes de l’esprit, se révèle tourmenté par la condition humaine. Certes, il est un écrivain du XIX° siècle qui s’exprime comme on le faisait à son époque, sa langue est bien différente de celle d’aujourd’hui mais je la comprends et l’apprécie, j’aime sa subtile écriture aux couleurs et aux rythmes changeants et l’émotion qui s’en dégage

 
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