Gaêlle Bélem
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Le fruit le plus rare ou la vie d'Edmond Albius
- Par ervian
- Le 30/06/2025
- Dans Gaêlle Bélem
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N°1989 – Juillet 2025.
Le fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius – Gaëlle Bélem – Gallimard. 'h
Au XIX° siècle dans la lointaine ’île Bourbon (la Réunion), la rencontre improbable entre Edmond, un nourrisson noir orphelin et fils d’esclaves et Ferréol Bellier-Beaumont, un veuf propriétaire terrien , passionné de botanique et d’orchidées. Une adoption s’en suivra qui viendra égailler la vie de son père de substitution et être pour ce dernier le prétexte à une éducation horticole. Ce geste menace le vieil homme de l’exclusion de la communauté des Blancs, pire peut-être Edmond qui est analphabète veut être botaniste, se passionne pour l’insémination de la vanille qui a tenu en haleine bien des chercheurs européens. C’est pourtant lui qui, en s’inspirant des citrouilles, entre pistil et étamine, pollinise à la main les fleurs du vanillier... à l’âge de 12 ans !
Notre auteure remonte le temps et explore la géographie pour nous conter l’histoire de la vanille, cette liane énigmatique venue du Mexique avec les conquistadors et que les botanistes européens veulent depuis longtemps faire fructifier, en vain. Évidemment Ferréol s’y intéresse et Edmond aussi qui découvre ainsi une épice nouvelle à l’arôme délicat et aussi le fruit le plus rare qu’on déclinera à l’infini de l’autre côté de l’équateur.
C’est bien écrit, bien documenté, poétique, humoristique, pertinent aussi et donc agréable à lire, avec, en prime, une avalanche de formes, de couleurs et de senteurs, des fleurs et des arbres aux noms latins et exotiques. Le texte prend parfois l’allure d’une fable où se mêlent des bribes de l’Histoire en marche qui bouleverse à la fois le quotidien et les espérances d’un peuple devenu libre mais tout aussi asservi qu’avant. Pour Edmond, on cherchera à s’approprier sa découverte , il connaîtra l’injustice, la trahison, la solitude, le deuil, la misère, une vie longue et triste qui se terminera dans le plus complet dénuement en ce mois d’août 1880, sans la moindre reconnaissance pour ses travaux.
J’ai lu sans désemparer ce roman avec l’intérêt de celui qui apprend quelque chose et apprécie le texte qu’il lit . Je suis toujours attentif à ceux dont le travail et le talent font revivre des hommes oubliés par l’Histoire comme ce fut le cas d’Edmond Albius dont le nom nous est cependant parvenu malgré l’amnésie qui est l’apanage de l’espèce humaine
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Un monstre est là, derrière la porte
- Par ervian
- Le 14/06/2025
- Dans Gaêlle Bélem
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N°1987 – Juin 2025.
Un monstre est là, derrière la porte - Gaëlle BELEM - GALLIMARD.
Les histoires de famille ne sont pas toujours passionnantes mais certaines réservent parfois quelques surprises. Celle des Dessaintes, au nord de l'île de la Réunion des années 80 a cette particularité que l'homme et la femme qui la composent au départ sont barjots. Le hasard fait qu'ils ont une fille pas vraiment désirée et donc pas aimée et qui sera évidemment laissée pour compte et qu'il faudra supporter. L'ennui c'est que, très tôt, cette enfant qui décidément ne ressemble pas à ses parents, se met a revendiquer sa liberté, son indépendance ce que ses géniteurs traduisent par de la turbulence, de la remise en cause de l'autorité, de l'opposition, de la révolte, au point qu'on envisage pour elle qu'ils ont préalablement et copieusement dénigrée et rabaissée, la "maison de correction" c'est à dire une façon peu élégante de se débarrasser d'elle. On n’hésite pas à la qualifier de monstre insupportable pour justifier une telle décision. Cette petite fille qui grandit vite comprend le sort qu'on lui réserve et, entre menaces et conseils y fait échec par la fréquentation assidue de l'école, la lecture, l'aide apportée aux tâches ménagères, les marques d'attachement à ses deux parents, le tout sur fond de mésentente conjugale et de délitement familial, avec soumission à la facilité, violences, mysticisme chrétien, sorcellerie et désertion paternelle, ce qui lui fait prendre conscience du monde des adultes est fait de haine, de mensonges, de trahisons, d'hypocrisies. Sa réaction oscille entre l'idée du suicide et la sauvegarde de la vie sous la forme de l'écriture.
Je ne sais pourquoi la lecture de la 4° de couverture avait fait naître ne moi quelques réticences. La lecture de ce roman, m'a révélé un parcours pétri de malchance qui a mûri sa victime plus vite que les autres. Ce genre de vie vous fait détester la vie qui heureusement passe vite sans imprimer beaucoup la mémoire, vous fait accepter la solitude avec fatalisme et désirer la mort comme une délivrance en vous armant de patience. C'est vrai que la guigne accompagne partout les Dessaintes, et donc aussi notre narratrice qui n'échappe pas à son destin. Entre fugue et chômage, elle tente une quasi-insertion qui pourtant lui fait rejoindre sa parentèle qui oscille depuis toujours entre démence et délinquance, mais c'est l'écriture qui est sa vraie liberté. De tout cela la narratrice accepte d'en rire et de le faire partager à travers un style vif et humoristique qui m'a bien plu et qui m'a fait aimer ce roman.