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la feuille volante

Folcoche

La feuille Volante n° 2025 – Décembre 2025.

 

Folcoche – Émilie Lanez – Bernard Grasset.

 

« Vipère au poings »de Jean Hervé-Bazin, dit Hervé Bazin (1911-1996), tous les potaches de ma génération l’ont lu et même ont sué sur ce thème à l’occasion de dissertations de français. C’était le type même de l’enfance martyre, un cri de haine d’un garçon contre une mère indigne et ce roman avait permis à son auteur de figurer dans les grands noms de notre littérature et de présider l’académie Goncourt. Il était présenté comme une biographie et montrait Folcoche, la mère, comme un être indigne, autoritaire, martyrisant ses fils et un père lâche. Dans un texte remarquablement écrit et documenté, Emilie Lanez s’attache avec brio et avec la précision d’un enquêteur, à montrer les similitudes familiales, à démonter l’imposture littéraire autant que la personnalité de Bazin, mythomane, manipulateur, délinquant multirécidiviste et finalement incarcéré, éternel instable, dévoilant le vrai visage de cet auteur à succès devenu prince de lettres françaises. Il n’empêche, le livre refermé on ne peut pas ne pas être confondu devant le culot du futur écrivain, sa faculté de s’adapter aux pires circonstances, de les retourner en sa faveur, la chance qui le servira longtemps jusque devant les autorités, le silence de ceux qui l’ont connu moins flamboyant, son pouvoir de circonvenir les membres de sa parentèle et même ses biographes découragés. J’ai bien aimé cette présentation critique.

Le roman, nous le savons, est du domaine de la fiction et l’histoire qu’il délivre n’est pas forcément authentique. Rien n’empêche un romancier de s’inspirer de la réalité et de la transformer à sa guise. Que « Vipère au poing » soit une somme d‘inexactitudes, que le texte recherche avant tout le scandale et que son auteur soit peu recommandable importent peu. Le livre reste une œuvre bien écrite, emblématique de la littérature française. Le manuscrit d’un inconnu a retenu l’attention d’un grand éditeur (Grasset) dès 1938, s’est vendu à des dizaines de millions d’exemplaires, a été traduit en trente deux langues et a fait l’objet de nombreuses adaptations, Bref un immense succès. D’autre part nombre de bons auteurs n’ont pas toujours été des gens bien. Les êtres humains ont parfaitement le droit de forger leur propre légende de leur vivant, surtout si elle cache une réalité moins reluisante et les mensonges répétés à l’envi deviennent ainsi des vérités. La littérature qui peut aussi parfois être une vengeance peut parfaitement être une occasion de se refaire un monde qu’on n’a pas connu mais qu’on aimerait avoir vécu. L’écriture qui est un phénomène complexe peut parfaitement être pour celui qui la pratique un extraordinaire exorcisme et les mots prêtés aux personnages fictifs qu’il a crées le libérer de nombre d’ inhibitions ou de non-dits longtemps refoulés.

Que dire du silence de Paule, sa mère contre qui ce roman a été écrit et qui à la fin de sa vie se réconciliera même avec lui? Elle a sans doute été fière de ce fils qui avait enfin trouvé sa voie par l’écriture et qui avait fait d’elle un personnage de roman, détestable certes, mais quand même. Sans compter qu’elle y a peut-être trouvé une forme de rédemption pour une éducation qui, sans être aussi cruelle que celle qu’a décrite son fils, a beaucoup manqué d’attention à son égard.

On dira ce qu’on voudra sur notre époque mais j’observe qu’elle correspond à une période où, heureusement d’ailleurs, les masques tombent et où se révèle la vraie nature, connue mais soigneusement cachée des hommes célèbres, fussent-ils politiques, d’Église ...ou intellectuels.

 

© Hervé GAUTIER

 

 

 
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