la feuille volante

Réflexions

  • Elegie pour Patrick

    Élégie pour Patrick.

     

    A mon ami Patrick Roy, décédé accidentellement en septembre 1969

     

    Cela fait dix ans déjà que tu as disparu, dix ans, peut-être moins, qu’importe.

    Je te connaissais peu, seule la sympathie nous unissait et c’était déjà beaucoup.

    Cependant je me souviens de toi comme d’un ami, comme d’un être d’exception dont, où qu’on aille, il est impossible d’oublier la voix, le visage, la présence.

    L’espace et le temps se fondent là où tu es et je crains de t’avoir perdu à jamais car nulle résurrection n’existe, nul être ne revient plus.

    Je te connaissais peu, c’est vrai, mais ces quelques années de vie, je puis affirmer que tu les as vécues intensément, ivre de ces plaisirs que nous procurent les nourritures terrestres, rassasié de ce tangage goûté auprès du corps des femmes, jouissance plus enivrante encore que celle que nous procure l’alcool.

    Ta vie, tu l’as bien brûlée, au bord de flammes incertaines d’innombrables brasiers, tu l’as consumée comme j’aurais voulu le faire moi-même, complètement, puissamment, profitant des nuits et des jours pour percer le mystère du beau autant que du plaisir sans te soucier des lendemains hasardeux.

    Toi aussi tu avais compris que chaque être n’a qu’une vie et qu’il doit en jouir pleinement…

    La mort t’a emporté à la fin d’un été où tu m’avais parlé du soleil de la Suède, une carte postale sobre et belle, qui te ressemblait…

    Et puis ce fut cet accident stupide, cette voiture disloquée dans la transparence de septembre, sur une route du Poitou… La mort t’a arraché à la vie comme un aimant qu’on arrache au métal. J’ai écrit quelque part une manière d’apologie du suicide, mais quand je pense à toi, j’ai honte d’avoir écrit ces lignes…

    Tu es mort sans souffrir, sans avoir fait souffrir aussi, que ceux que tu laisses derrière toi, dans ton souvenir.

    (1978)

  • Valli

    Valli (1)

     

    Pendant cet hiver froid, Valli est morte sur un lit d’hôpital.

    Son cœur s’est arrêté de battre.

    Nous nous retrouvions chez elle une fois par semaine

    Pour parler italien.

    Elle corrigeait notre accent et nos fautes de vocabulaire

    Nous aimions ces rencontres au goût de café et de soleil

    Dans cet appartement qui domine la ville…

    Une semaine auparavant nous avions avec elle arpenté un quartier

    Nous avions découvert des venelles et fait le tour d’une maison toscane

    Le temps était doux pour la saison et la balade lui avait plu.

    Elle venait d’Italie mais sa longue vie s’est arrêtée ici, dans ce coin de France.

    Nous savons bien que nous ne sommes que de passage

    Que la mort nous guette à chaque pas, qu’elle ne prévient pas

    Mais nous ne pouvons rien quand l’heure est venue

    Et que la vie s’en va.

    Nous ne la reverrons plus.

     

    Niort, le 23/1/2022

    A la mémoire de Valli VIGNA.

     

  • Réflexions

    N°1985 – Juin 2025.

     

    Réflexion.

     

    Sur internet, je suis étonné de l'offre de plus en plus importante d'aides à l'écriture de romans. Cela répond sans doute à une demande, mais ça m'interpelle. Après tout, écrire un roman, une biographie, une saga, un recueil de nouvelles ou de poèmes, est légitime, ne serait-ce que pour marquer son passage sur terre, laisser quelque chose de personnel à ses héritiers d'une autre nature qu'une succession taxée ou sortir de son vivant de l'anonymat, bref vouloir faire une chose originale qui ne soit pas illégale ou immorale, dans une société de plus en plus folle qui perd chaque jour ses traditionnels repères.

    Depuis longtemps les "ateliers d'écriture" font recette. Nous avons tous appris à écrire, à l'école, au collège, au lycée, parfois à l’université et la vie en société est là pour entretenir ce mode d’expression indispensable. Même si l'écriture littéraire peut être quelque peu différente, la lecture de bons auteurs enrichit notre vocabulaire, nos connaissances, notre culture et nourrit notre propre créativité en nous permettant, le cas échéant, de créer notre propre style. Cela devrait donc pouvoir suffire pour tisser une trame imaginative autour de notre envie de raconter une histoire aux éventuels lecteurs. Tout est perfectible et la sensibilité individuelle et son expression n'échappent pas à cette règle, les offres dont il s'agit sont donc une bonne idée qui mérite réflexion d'autant que certains écrivains célèbres y prêtent leur concours, ce qui, à priori ne peut être qu'un gage de sérieux et de qualité.

    A ce propos, je suis assez attentif à la propriété intellectuelle et je me souviens de cette mésaventure, il y a quelques années, d'un admirateur de Marcel Aymé à qui il avait envoyé une de ses nouvelles pour solliciter son avis. Il n'avait jamais reçu de réponse, en revanche il avait reconnu son texte, longtemps après, intégralement reproduit, dans un recueil de son écrivain préféré.

    Ces offres sont évidemment payantes, et parfois même très onéreuses, et le tapuscrit ainsi offert à la correction sera effectivement lu, discuté, critiqué, et l'impétrant sera sûrement invité à revoir sa copie à la lumière des conseils prodigués; les maisons d'édition sérieuses ne font d'ailleurs pas autre chose quand elles ne se limitent pas à un refus pur et simple d'un manuscrit d'un auteur inconnu. On peut donc légitimement penser que ce à quoi tout aspirant-écrivain rêve a ainsi de bonnes chances de se réaliser. Quoiqu’il en soit, le contrat initial d'aide aura donc été honoré sans contestation possible. Il y a cependant de fortes chances pour que ces perfectionnements proposés, aussi bons soient-ils, s'inscrivent dans un contexte classique d'où l'originalité sera exclue. Ces aides spécifiques n'existaient pas à l'époque de Verlaine, de Marcel Proust, d’Apollinaire, de Blaise Cendrars, de Louis-Ferdiand Céline, de Georges Perec, de Boris Vian, pour ne citer que ceux-là, mais heureusement leur talent a été révélé et reste encore offert à notre plaisir de lecteur.

    Dès lors que faire du texte ainsi remanié sinon l'éditer? L’acceptation d'un manuscrit par un professionnel de l'édition répond à des impératifs de qualité mais aussi de rentabilité. Les éditeurs indépendants ont rarement la possibilité de parier sur un inconnu dans une société où le profit est la règle et être publié par eux reste rare. Quand aux grandes maisons d'éditions, il est sans doute préférable de bénéficier d'un parrainage pour y accéder, même si, paraît-il, cela arrive. Restent l'autoédition, le compte d'auteur, la souscription, l'édition participative...Les formules ne manquent pas, avec leur cortège d'avantages potentiels qui sont de nature à créer l'illusion chez l'auteur qui verra son nom inscrit sur la couverture d'un livre et qui pourra ainsi rêver à des séances de dédicaces, à des rencontres littéraires, à des interviews, à des créations en résidence... Certes les coûts d'impression sont élevés mais les moyens actuels de l'informatique et de diffusion par internet devraient simplifier les choses, mais il semblerait qu'il n'en soit rien dans un pays majoritairement habitué au support papier. Un autre mouvement se fait jour sur internet, les maisons d'édition qui recherchent les auteurs et leurs manuscrits. C'est sans doute nouveau mais c'est oublier un peu vite le prix qu'il faut payer pour cela et c'est bien souvent rédhibitoire d'autant que le succès n'est pas souvent au rendez-vous. Autrement dit, si on souhaite une édition à compte d'éditeur, ce qui devrait être la règle puisque le rôle d'un tel professionnel est la découverte de talents, il vaut mieux s'armer de patience et d'être chanceux. Dès lors il y a de fortes chances pour que le tapuscrit, rectifié ou non, reste en l'état au fond d'un tiroir ou sur le disque dur d'un ordinateur, avec en prime le découragement qui va avec ou, s'il est publié, évidemment aux frais de l'auteur, que les exemplaires prennent rapidement la poussière sur des étagères.

    Alors qu'en est-il de ces différentes offres qui prétendent améliorer ou faire la promotion de votre écriture? Elles sont attirantes mais personnellement, après un long parcours quelque peu décevant je m'en abstiendrai parce que, à titre personnel, je ne veux pas entrer dans un processus illusoire qui consiste à se donner l'impression qu'un inconnu peut entrer dans ce milieu éminemment fermé. De plus, le nombre de livres imprimés croît chaque année d'une manière exponentielle et le succès d'une œuvre tient beaucoup à la publicité qui est faite autour d'elle par les médias auxquels l'auteur inconnu a difficilement accès. Il y a toutes les chances pour que l'apprenti-écrivain, même avec un texte bonifié, ne puisse jamais s’inscrire dans un mouvement promotionnel et connaisse ainsi la consécration de son talent.