la feuille volante

Si peu de terre tout - James Sacré

 

La feuille Volante n° 2027 – Janvier 2026.

 

Si peu de terre, tout. – James Sacré – Éditions le dé bleu.

 

On a multiplié les prix Goncourt (des lycéens, des détenus, du premier roman, de la nouvelle…). Tout ce qui peut favoriser la lecture est bienvenu dans un pays qui, en principe, incarne la culture. Le Goncourt de la poésie Robert Sabatier qui récompense un poète pour l’ensemble de son œuvre et non pour un recueil en particulier a été décerné en 2025 à James Sacré. Cette chronique qui au départ a été dédiée aux poètes ne pouvait être indifférente à cette distinction qui couronne ainsi un poète majeur.

L’auteur explore ici le territoire de son enfance vendéenne et c’est à cette géographie intime, la maison, le jardin où résonnent des noms de fruits, le village auquel il se réfère, avec son épicerie et sa porte qui tinte, où les odeurs de lentilles se marient aux couleurs des bonbons comme une tapisserie maladroite, sollicitant sa mémoire, mêlant ainsi avec ses mots le passé et le présent. Il convoque les odeurs, les images, celles des arbres, celles de la cour d’école et des culottes courtes, des genoux écorchés, celles des lessives d’antan mêlées à une voix maternelle, celles du linge plié dans les armoires, du foin coupé, du bois pourri, de l’eau fraîche du lavoir abandonné, des pierres sèches, des mottes d’herbe, des murs, la ronde des saisons, le patois chantant... C’est tout un univers paysan, avec la rouille des outils, la poussière du vieux hangar, gardien des rituels, des gestes du travail de la terre dur et ingrat, à l’image de cette sculpture simple et brute qui figure sur la couverture du recueil. Il y a ces matins bleus, la nuit noire et fragile, « la nuit comme un immense alexandrin sans rive », ces moments d’insomnie dédié à l’amour, au souvenirs fugaces que l’auteur fixe sur la feuille blanche parce que l’écriture naît ainsi de cet impalpable hasard, baigné par l’émail des yeux, le soleil d’un sourire ou la chaleur d’un corps. D’un mot, même anodin, surgi dans la veille nocturne et ceux qui le suivent, tressés avec l’encre de la mémoire, font naître lentement un poème « comme une pendule qui retarde » dont on ne sait pas ce qu’il deviendra. Reviennent aussi les relents de collège, de ses salles d’études, de ses blouses grises et de ses pauvres tentatives d’écriture souvent froissées et vouées à l’oubli. Ce recueil revient le mot « rouge », celui des toits mais pas seulement, de la souffrance aussi parce que l’écriture en est aussi une et le poème, résultat de «grands cris ramassés dans la vie », qui collationne les moments de désarroi, peut se révéler comme un leurre et tout le doute qui va avec, qu’ « écrire, est-ce que ce n’est pas quand même, s’égarer dans le toujours même bleu silencieux ? »

Le bocage de Vendée que le remembrement a trahi a changé ses silences et ses salissures de terre, la boue des chemins creux aux éphémères formes qui titilent l’imaginaire, la poussière sèche des champs et les labours comme une page d’écriture contre la lumière d’Aix-en Provence Il reste le bleu du ciel et la couleur délavée des vêtements de travail du père et le souvenir des « petites prunelles bleues le goût des lumas grillés dans les brûlots », la revendictions de ses origines (« Je suis né entre le mufle des vaches et le parfum des pariries ») ou les hésitations d’une tapisserie d’enfance faite de points de laine, de doutes et de patience. La trame de ce travail évoque celle du temps qui passe et de la mort qui vient.

La poésie de James Sacré est spontanée, sans artifice, loin des règles de la prosodie classique, plus inspirée du parler populaire, articulée en strophes un peu bousculées, comme autant de révoltes sourdes mais qui prête au lecteur un discours humain, un peu mélancolique et solitaire.

 
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