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la feuille volante

Grâce à Dieu

La Feuille Volante n° 1332 – Mai 2019

 

Grâce à Dieu – Scenario de François Ozon. (Grand prix du Jury – Berlinale 2019)

 

Je ne sais si, comme on le dit, « nous vivons une époque formidable », mais au moins la société, après avoir été longtemps apathique et avoir accepté sans beaucoup broncher tout et n'importe quoi a décidé maintenant de se réveiller et de contester ce qu'auparavant elle prenait pour argent comptant. C'est vrai en matière politique, fiscale, sociologique, culturelle … Et pourquoi pas en matière religieuse ? Un tel mouvement me paraît être une bonne chose et nourrit la démocratie autant que le concept d'humanité.

Je ne veux ni faire le résumé d'un film qui retrace l'histoire des victimes et dont la sortie en salles a défrayé la chronique au point de faire l'objet de deux instances judiciaires préalables, ni remettre en cause la présomption d'innocence du Père Preynat qui a d'ailleurs avoué les fautes qui lui sont reprochées, ni même jeter l’opprobre sur cet ecclésiastique qui a broyé la vie de centaines d'adolescents. Je me suis toujours demandé comment il était possible que des hommes à qui les meilleurs parents du monde confiaient leurs enfants au seul motif qu'ils étaient religieux et donc dépositaires de valeurs morales et chrétiennes et, en outre, représentants proclamés d'une divinité à laquelle notre culture judéo-chrétienne nous a amenés à croire quasi automatiquement à travers des rituels devenus traditionnels (messe du dimanche, baptême, communion, enterrement...), comment ces hommes dont le discours apaisant était traditionnellement recherché dans l'adversité, à qui chacun faisait une pleine confiance, sans doute à cause de ce qu'ils représentaient, ont pu ainsi en abuser pour perpétrer ces sévices sur des enfants naïfs et incapables de se défendre en réclamant de plus leur silence? Il ne fait pas de doute que l'hypocrisie qui est une des tristes caractéristiques de notre société s'est à nouveau manifestée à l'occasion de cette affaire. Dans le film, les adultes ont bien entendu été avertis des agissements du prêtre mais bien peu ont réagi. Beaucoup ont préféré ne rien voir, sans doute parce que, venant d'un homme de Dieu ce qui leur était révélé ne pouvait qu'être inconcevable. Ou ils ont préféré ne pas faire de vagues par crainte du scandale ou peut-être par peur de l'enfer, ce concept si longtemps agité comme un épouvantail par l’Église elle-même, à supposer qu'il existe ailleurs que sur terre. Que dire de la hiérarchie catholique qui non seulement a préféré ignorer les interrogations de ceux qui ont eu le courage de les formuler, mais n'a pris aucune sanction contre les fautifs, couvrant non seulement leurs agissements mais les déplaçant dans le seul but d'éviter un scandale tout en les laissant œuvrer au contact d'enfants? J'observe que lorsque l’Église consent, souvent au terme d'un longue réflexion, nourrie par la polémique ou le scandale, à reconnaître ses erreurs, elle ne fait que demander pardon, comme si cela suffisait à entraîner l'oubli des victimes. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos sur ce qui a principalement un caractère religieux, mais il suppose, de part et d'autre, à travers la confession et la contrition, une démarche sincère, difficile dans ce contexte. Il est en outre bien facile de se retrancher derrière la prescription comme on le voit dans le film, le cardinal ayant ce mot malheureux qui pourtant est révélateur, ou même derrière la prière, pour tenter une nouvelle diversion et les circonstances de cette affaire qui n'emprunte rien à la fiction, sont bien de nature à s'interroger sur la foi chrétienne comme il est suggéré à la fin.

Je ne galéjerai pas non plus sur la parole du Christ rapportée notamment par saint Matthieu (Mat XIX – 13-15) où il est question des enfants, ce serait bien trop facile, mais de l’Évangile que l’Église catholique a oublié pendant des centaines d'années, quand elle ne l'a pas noyé sous des flots de sang en s'alliant au pouvoir politique, que reste-t-il ? Pourquoi s'étonne-t-on que les églises soient vides comme elles ne l'ont jamais été et, quand elles se remplissent, c'est pour un témoignage public, un mariage, un enterrement – cette dernière cérémonie étant de plus en plus confiée à des laïcs – qui a davantage une signification sociale, amicale, voire politique que religieuse. Cette institution a-t-elle à ce point manqué son but et trahi ceux qui lui faisaient confiance ?

Certes, tous les prêtres ne sont pas pédophiles et nous en avons tous connus qui ont été ou sont encore un exemple d'abnégation et de moralité, respectueux de leurs vœux et de leur engagement sacerdotal. Un tel phénomène n'est pas du seul fait des organisations confessionnelles catholiques et affecte aussi d'autres corporations, mais ces dénonciations au sein de l’Église, notamment dans le clergé américain, ont entraîné des démissions et des mesures drastiques en vue d'assainir ce problème. Même si l’Église catholique a été longtemps un pilier de notre société et ses prêtres des références respectées, la révélation de ce scandale qui enfin éclate ne va sûrement pas arranger l'anticléricalisme viscéral des Français. Que va-t-il rester de tout cela, au moment où notre monde connaît une vraie crise des vocations religieuses, si le pape, comme il en a le courage qu'il faut saluer, s'attelle à ce problème au point d'organiser au Vatican un colloque sur ce sujet et d'exiger que toute la lumière soit faite sur cette question, que les coupables soient sanctionnés par la justice des hommes et que lui-même commence à défroquer des cardinaux convaincus de pédophilie ? Si cette démarche va a son terme et qu'il est réellement fait quelque chose pour assainir cette situation délétère, l’Église ne peut en sortir que grandie mais il est permis d'émettre des doutes compte tenu de l'ampleur que cela risque de prendre et je crains que l'effectif du clergé en soit durablement affecté et qu'il ne reste plus grand monde pour exercer ce ministère ! Quant au pape, pourra-t-il ou voudra-t-il mener à bien la mission qu'il s'est fixée face à la toute puissante curie romaine?

La parole se libère actuellement et sans haine, notamment dans l’Église et on voit à la télévision des reportages concernant des religieuses violées par des prêtres et on dénonce même la pratique d'avortements connue du Vatican, ce qui est un comble au regard du message religieux et des commandements de Dieu dont l’Église est garante. Ces révélations sont sidérantes.

H.L.

 

 

 

 

 
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