LE POIDS DU PAPILLON
- Par hervegautier
- Le 20/10/2014
- Dans Erri De Luca
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N°816 – Octobre 2014.
LE POIDS DU PAPILLON – Erri de Luca – Gallimard - Feltrinelli.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Ce sont deux récits somptueux, lus alternativement en français et en italien pour la beauté et la musicalité de ces deux langues cousines. Ils ont la montagne italienne pour cadre et la poésie pour souffle, l'un est dédié au duel entre un vieux braconnier et un chamois-roi de sa harde, l'autre à la complicité entre un narrateur et un pin des Alpes.
L'animal est puissant, majestueux, d'une taille au-dessus de la moyenne. Il a engendré une nombreuse descendance mais pour lui, il le sait, la fin est proche et nécessaire parce qu'il sera obligatoirement et rapidement détrôné par un plus jeune. Telle est la loi de cette vie du troupeau sur lequel il règne en maître depuis si longtemps. Il viendra donc au-devant du chasseur qui l'abattra d'une seule balle sans qu'il ressente la moindre souffrance. L'homme solitaire qui gîte dans la montagne après une jeunesse révolutionnaire déçue, l'a poursuivi toute sa vie, en vain ! Il y a en lui un peu du capitaine Achab pourchassant Moby Dick, la baleine blanche et du « Vieil homme et la mer » dans ce combat qui l'oppose à l'animal, face à la nature. Mais aujourd'hui, c'en est fini de ces défis, de ces traques silencieuses et patientes entre deux rois qui partagent le même territoire, la même liberté, la même connaissance du terrain mais pas le même but. Le braconnier reste un homme incapable sans doute de s'attacher, qui n'est pas insensible aux yeux d'une femme mais s'en méfie. L'évocation de leur rencontre dans un café de la vallée a quelque chose de poétiquement sensuel. Il veut poursuivre son parcours terrestre mais maintenant le temps lui est compté parce que la vieillesse l'assaille, ce sera son dernier coup de fusil. Par respect pour cet animal fabuleux, il n'en tirera aucun profit. Il y a une sorte de communauté d'état entre eux, le silence, une solidarité, une attirance commune pour la solitude, une prise de conscience de la fuite du temps, un certain détachement pour les choses, mais cet instant de rencontre est le plus fort qui décidera de la suite.
Les ailes blanches et fragiles d'un papillon viennent donner au récit, dans un écrin de silence, ce qu'il faut de légèreté et de tragique comme la vie elle-même. Elles sont comme une couronne sur la tête de ce chamois-roi, elles s'opposent aux ailes noires des aigles, des rapaces qui volent haut, se nourrissent des dépouilles des animaux qu'ils tuent.
Erri de Luca s'affirme comme un sublime conteur. Le texte est initiatique et sa beauté est rude, comme la montagne. L'auteur est aussi un familier des cimes et des parois rocheuses et sait rendre pour son lecteur l’atmosphère du lieu, la faune comme la flore, sait lire dans les odeurs, dans les traces, dans la course des saisons, anticiper l'orage …
Il est aussi un attentif lecteur de la Bible qui émaille son récit de références religieuses, il y a cet amour de la nature, un peu comme si l'homme partageait avec le chamois et l'arbre cette forme de vie, véritable cadeau de Dieu. La symbolique du ciel religieux et des cimes est très forte comme l'est aussi celle de la foudre qui épargne l'arbre accroché au rocher. La solitude qui fait partie de la condition humaine est ici soulignée par le sublime décor de la montagne. L'homme et le chamois connaîtront aussi la mort qui est l'ultime étape de la vie, mais l'arbre, avant d’être cendre sera bateau guitare ou sculpture...
C'est un recueil de nouvelles plus bouleversant peut-être que les autres écrits d'Erri de Luca.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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