SUR LA TRACE DE NIVES
- Par hervegautier
- Le 13/02/2015
- Dans Erri De Luca
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N°867– Février 2015
SUR LA TRACE DE NIVES – Erri de Luca - Folio.
Traduit de l'italien par Danièle Valin.
Nives, c'est Nives Meroi, alpiniste italienne née en 1961 qui s'est rendue célèbre avec l’ascension de l'Everest en 2007 en étant la première femme à avoir conquis 10 sommets de plus de 8 000 mètres. Accrochés à la montagne, au cours d'un bivouac, un dialogue s'engage entre elle et de Luca. Cela nous donne, au hasard de la conversation où se mêle les souvenirs de l'auteur, une évocation du vent, présenté comme une personne, des sherpas oubliés de l'Himalaya qui usent leur vie de misère à aider les occidentaux, plus riches qu'ils ne le seront jamais à escalader la montagne. Face à la nature sauvage et grandiose des cimes, c'est le sentiment d'humilité qui l'emporte, avec la fatigue, le manque d’oxygène, la mort qui veille, observe l'alpiniste en profitant de ses moindres faux-pas. L'orage prend ici des dimensions dantesques dans le vide des ravins et lui rappelle les bombardements de Belgrade où Erri s'est installé volontairement pendant la guerre de Yougoslavie pour être du côté des assiégés. Les cimes qui rapprochent l'homme de Dieu favorisent la réflexion et ce sont des versets de la Bible dont il est un lecteur et un traducteur attentif qui lui reviennent autant que les inévitables considérations sur « la conquête de l'inutile » qui permet surtout de se retrouver soi-même, de faire le point sur son existence, loin de la recherche du succès. L'ascension et la descente d'une montagne s’apparentent à un travail de Pénélope qui fait et défait son ouvrage. C'est un acte éminemment solitaire, de confrontation avec la difficulté et l'inconnu qui le renvoie à son travail d'écriture pour l’inspiration et la page blanche devant laquelle il est assis.
Les éléments, leur force, sont le miroir de la fragilité de l'être humain face à une vie dont nous ne sommes que les pauvres usufruitiers. La nature peut à tout moment précipiter l'alpiniste dans l'abîme, se venger de le voir ainsi fouler et violer son territoire. Le fait pour l'homme de savoir que son existence est à ce point dérisoire, qu'elle ne tient que du hasard et sûrement du miracle le ramène à une vision plus pragmatique des choses et du rapport aux autres. Dès lors, le respect du prochain, le geste naturel d'entraide et de solidarité, l'attention et l'amour qu’on lui porte prennent une dimension plus humaniste, plus humaine. Les pages sur la complicité, la passion qui unissent Nives et Romero, son époux, sont une véritable énergie pour elle et un rempart contre sa fragilité. Leur attachement commun et quasi amoureux à la montagne est révélatrice de cette démarche à la fois rare et exceptionnelle. Les mots, poétiques et d'une belle résonance minérale, comme sait les faire chanter l'auteur surtout quand il évoque les cimes et des abîmes, donnent ici à ce livre une vraie dimension d'invitation au respect de la nature, création divine qui est notre patrimoine commun, imprescriptible et inaliénable, la préoccupation constante de ne rien laisser derrière soi qui puisse la salir, la polluer.
Ce texte rend hommage à cette femme face à ce milieu très masculin voire machiste de l'alpinisme. J'y vois personnellement une véritable reconnaissance à la fois de la fragilité et de la volonté de marquer son temps, son passage sur terre, sa « trace », simplement en y faisant ce qu'on aime, parce que c’est pour cela qu'on est ici, mais aussi dans le respect de l'autre. J'ai aimé ce livre qui n'est pas un roman mais un long dialogue dont la montagne mais aussi la vie révolutionnaire et engagée de l'auteur, ne sont que le prétexte. Mises à part des anecdotes d'ascension qui me laisse un peu indifférent(je ne suis qu'un homme de la plaine et du littoral), ce fut un bon moment de lecture à cause de la limpidité poétique de son écriture.
L'ai-je déjà dit dans cette chronique, la démarche d'écriture et de création d'Erri de Luca, son parcours personnel altruiste et ouvrier qui sous-tend sa création littéraire exceptionnelle mériterait bien une distinction moins confidentielle que celles obtenues jusqu'ici.
©Hervé GAUTIER – Février 2015 - http://hervegautier.e-monsite.com
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