PATIENCE DE LA BLESSURE - Dominique Sampiero
- Par hervegautier
- Le 21/06/2010
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N°434– Juin 2010
PATIENCE DE LA BLESSURE – Dominique Sampiero – Éditions Lettres Vives.
Au risque de me répéter, je mentionnerai volontiers le beau travail de l'éditeur dont j'ai déjà parlé dans un précédent article (La Feuille Volante n° 414). Je ne le lasserai pas de redire que le livre est avant tout un bel objet. On y goûte d'abord la fragrance de l'encre et la texture du papier n'échappe pas au plaisir du toucher. Et quand il faut, avant d'entamer la lecture, couper les pages pour révéler le texte, c'est un geste qui non seulement me rappelle mon enfance mais c'est aussi un supplément de plaisir à l'heure où on nous parle du livre électronique, dématérialisé... et sans doute inévitable à terme. Ce plaisir sensuel est d'autant plus apprécié que le texte du livre est poétique.
Quand l'écriture surgit-elle du néant? Quand les mots se forment-ils dans la tête avant d'être tracés sur la feuille blanche? Qu'est ce qui préside à leur formation dans les limbes de l'imagination, de l'émotion ou de la souffrance? Celui qui tient le crayon peut-il, lui-même expliquer ce phénomène dont il pourra parler un peu si on l'en prie mais qui, s'il y réfléchit, finira de toute manière par lui échapper puisque qu'il est à la fois l'auteur du texte qu'il signe et aussi l'objet attentif de cette inspiration qui lui dicte ses phrases mais peut tout aussi bien le quitter définitivement? Qu'est ce qui fait courir la main sur le papier et qui le laisse aussi sans voix, lui, le poète, l'écrivain qui parfois reste sec devant la page désespérément vierge parce que l'heure n'est pas venue ou qu'il a négligé de répondre à l'appel intime des mots? Pourquoi est-ce la quiétude de la nuit ou l'agitation du jour qui favorisent la création ou simplement le sourire d'une femme, la beauté d'un paysage, la parole naïve d'un enfant?
L'écriture est une alchimie et les mots se bousculent ou se dérobent, tissent des images ou n'enfantent que du néant. Le hasard a sa part dans cette démarche et il faut demeurer attentif à la moindre chose pour être capable de déceler l'émotion qu'elle porte en elle « Il suffit de croiser un visage de tige basse, de verger qui pleure au fond des yeux, de fumée sur les étangs, pour vaciller à son tour ». Faut-il inviter l'encre violette de l'école, l'enfance et sa cicatrice d'absence « habitée d'ombre plus large(s) que des soleils », de souvenirs enfuis ? Faut-il regarder le présent ou fermer les yeux sur le vide? Faut-il forcer les mots(« des mots trop grands pour moi », « abattre un à un les arbres de (la) phrase, obstacles à la ligne nue de la mort »)? Faut-il convoquer la « mémoire d'aube ou de crépuscule », « une mémoire minuscule, à la fois singulière et large, une sorte de mémoire de ciel, tantôt floue, tantôt précise »? Faut-il écouter cette blessure(« La brûlure jaillit en essaim de mots »), la confronter à la couleur des mots ou à la beauté d'une femme pour un éventuel apaisement ou pour en entretenir la réalité (« La mémoire ce matin est toute ma blessure »)? Est-il mieux de caresser la perspective de la mort ou d'attendre la nuit, sa vacuité, son calme, son énergie(« Comment ouvrir la nuit, la désherber sous la neige et prendre en elle des forces »), son vide aussi? Faut-il aussi admettre l'imperfection subie quand l'écriture, comme toute action créatrice, tend vers l'absolu et refuse l'ébauche mais laisse la place au non-aboutissement (« Non, le livre ne s'achève jamais, il ouvre une attente pleine de soleils et d'images cueillies dans leur fragilité ») ? Faut-il être attentif à l'échec (« Le mouvement des phrases épouse le doux séisme de sa noirceur »), favoriser le silence (« Il faut cesser d'écrire. Ou alors parler de cette stagnation qui pousse les feuilles mortes à encombrer l'épaule du chemin »)? Faut-il parler de la survivance face au poids du passé, de la « parole absente »? Faut-il privilégier l'inaction (« J'ai le droit de ne rien faire, pire, de faire le Rien ») ou l'imaginaire « invisible et friable », favoriser la patience, la confidence à l'autre (« je voudrais dire à l'autre mon chemin trouble, au bord du jour, et qu'exister est une eau bue par le vide ») ou le vertige des sens face à la nature.
L'écriture génère l'écriture (« J'avance péniblement dans une histoire qui...m'écarquille, déclenche une hémorragie de mots, de phrases »), elle est un merveilleux moyen d'exorciser la solitude ( « Ma bouche crache l'invisible des prières et des anges. Une sorte de croyance redresse mon corps. Pour me murer en elle, j'écris » « Écrire est une présence entre se lever et se coucher »)
A travers un texte fragmenté mais intensément poétique, plein de couleurs, de mouvements et de douleurs aussi, où reviennent des images d'eau, des obsessions de flaques (le mot revient une quinzaine de fois dans ce recueil, il est probablement significatif), d'éclaboussures de lumière, l'auteur nous propose son parcours au milieu des choses, des gens, de la solitude...
© Hervé GAUTIER – Juin 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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