Romain Gary s'en va-t-en guerre
- Par hervegautier
- Le 30/07/2017
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La Feuille Volante n° 1158
Romain Gary s'en va-t-en guerre – Laurent Seksik – Flammarion.
Le propre de l'écrivain c'est avant tout d'avoir de l'imagination, et Roman Kacew n'en manquait pas, lui qui a publié sous son vrai nom mais a aussi a crée successivement Romain Gary, Émile Ajar, Fosco Sinibaldi, Shatam Bogat, tous des écrivains ! Ayant grandi sans père, il lui restait à s'en inventer un mais là, son imagination a quelque peu flanché, à moins que ce ne soit sa mauvaise foi qui s'est ici manifesté puisqu'il avait choisi l'acteur russe Ivan Mosjoukine, à cause sans doute de la notoriété de ce dernier, mais ce n'était pas lui ! Cela lui aurait pourtant bien plu et il l'a en effet toujours prétendu, alors que la réalité était bien plus ordinaire. Il était le fils d'Arieh Kacew, un fourreur juif ashkenaze de Wilno (Russie en 1914) qui quitta le domicile conjugal, abandonnant sa mère, Nina, une pauvre modiste du ghetto qui devient ainsi, bien malgré elle, chef de famille. Cette séparation ainsi que la mort de son demi-frère Joseph ont évidemment fait souffrir le petit Roman et c'est peut-être cette souffrance qui est à l'origine de sa vocation d'écrivain. Sa mère ne manquait pas non plus d'imagination qui parait son fils de toutes les vertus et prévoyait pour lui richesse et succès malgré ses 10 ans. Elle rêvait de la France et s’installa à Nice. Son père qui lui aussi pratiquait le mensonge sous le nom d'adultère, fit croire au jeune Roman qu'il était un descendant, d'Aaron, un Cohen et tenta surtout de justifier sa fuite du foyer.
Le travail d'un écrivain est la création. Pour cela il est obligé de mentir mais ce qu'on appelle mensonge chez le commun des mortels, on le nomme facilement talent chez l'artiste et celui qui deviendra Romain Gary a souvent commis ce péché tout au long de son œuvre, même s'il ne viendrait à l'idée de personne de le lui reprocher. Notre auteur non plus n'en manque pas qui nous livre une version romancée de la vie de l'auteur de « La promesse de l'aube » et contrairement à ce qu'on peut penser ce travail n'est pas forcément facile. Il le décline à sa manière, sous la forme d'une tranche de vie étalée sur deux jours (26 et 26 janvier 1925), parlant alternativement et par petites touches des épisodes supposés de la vie de Nina, sa mère, d'Arieh son père, et surtout de Roman. Il imagine la vie de cette famille et spécialement le moment où le père décide de quitter son épouse et son fils pour fonder un autre foyer avec un femme plus jeune et qui il attend un enfant de lui. Le petit Roman qui aime son père, mais s'était habitué à le voir de moins en moins, se sent coupable de cette défection paternelle au nom de la traditionnelle culpabilisation judeo-chrétienne. Ainsi a-t-on droit à des réflexions sur le judaïsme, sur la haine qu'il éprouve pour son père à cause de ses mensonges et de sa trahison. Cet enfant à naître que Roman ne connaîtra pas mais qui fera quand même partie de sa parentèle, le perturbe quand on sait l'importance de la famille chez les Juifs. La répudiation et la ruine de sa mère, obligée de vendre les biens qui ont échappé aux huissiers, le révolte et il vit cela comme une injustice qu'il doit à Arieh. Pour Roman c'est un bouleversement qui l'invite à changer de vie, à partir avec sa mère pour la France, pays de la liberté qui accueille les juifs alors qu'ici, en Russie, ils sont massacrés depuis toujours et que son père s'offre à lui apprendre le métier de fourreur à Wilno. C'est oublier un peu vite que ce pays aussi, malgré les valeurs républicaines et laïques qu'on y proclame, connaît un antisémitisme hérité du christianisme et présent dans les sociétés occidentales.
A titre personnel, j'ai toujours montré beaucoup d'intérêts pour la vie et l’œuvre de Romain Gary, Ce roman qui lui est consacré ne pouvait donc qu'attirer mon attention. Le bandeau qui accompagne la couverture pose une question « On associe le génie de Gary à sa mère, l'énigme de Gary, c'est son père ». C'est vrai que l’œuvre de Romain Gary est indissociable de sa mère et dire qu'il est une énigme me paraît également pertinent puisque son suicide ajoute une ultime interrogation à ce qu'a été sa vie. D'autre part, l'usage de nombreux pseudonymes, s'il épaissit le mystère autour de lui, peut aussi dénoter une recherche intime, pas forcément trouvée. De plus l'affaire du prix Goncourt décerné à Émile Ajar renforce la volonté de l'auteur d'entretenir une ambiguïté autour de sa personne. Le titre « Romain Gary s'en va-t-en guerre » est une affirmation à prendre au premier degré, le lieutenant d'aviation Roman Kacew du groupement de bombardement Lorraine, officier de la France-Libre a effectivement mené une guerre exemplaire contre le nazisme et pour la libération de la France, son pays d'adoption. Il m’apparaît aussi que c'est une autre guerre qu'il a déclaré, mais contre qui ? Laurent Seksik imagine, dans l'épilogue, que Arieh, face à un officier SS qui entame avec lui un dialogue surréaliste et qui remet à plus tard son exécution, se prend à espérer que ce fils qu'il a jadis trahi va venir le sauver des griffes de ces barbares... En outre, cette forme de résistance ne trouverait-elle pas sa manifestation dans son travail d'écrivain ? Assurément il a déclaré la guerre à son père qui bouleversa sa vie et celle de sa mère, mais aussi contre l'adversité, contre la mort de Joseph…J'ai souvent observé que ceux qui sont ainsi victimes d'accidents de la vie, surtout quand ils sont provoqués volontairement ou non dans leur enfance et par leur entourage, développent cette faculté de mettre des mots sur leurs maux. L'habitude de la tenue de journaux intimes en est sûrement la manifestation, même si, à titre personnel, je ne crois plus du tout à l'effet cathartique de l'écriture surtout à long terme.
Le livre refermé, j'avoue, sans être complètement déçu, être resté un peu sur ma faim puisque ce roman, par ailleurs bien écrit et agréable à lire, n'a pas vraiment répondu à mon attente.
© Hervé GAUTIER – Juillet 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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