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N°507 – Février 2011.
MATCH POINT – Un film de Woody Allen – France 2 – Dimanche 20/02/2011 – 20H35.
Woody Allen est assurément un fin observateur des choses de la vie, un illustrateur inspiré et génial des noirceurs de l'âme humaine mais aussi un maître du suspense .
Qu'avons nous ici, oh, quelque chose de banal ! En Angleterre, de nos jours, un jeune professeur de tennis, Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyer), issu d'un milieu modeste, passablement désargenté mais passionné d'opéra et de peinture, se fait embaucher dans un club huppé pour riches désœuvrés. Grâce à sa passion pour la musique, il se lie d'amitié avec Tom Hewet (Matthew Goode) qu'il a la charge d'entraîner. Le hasard fait bien les choses puisque, sans rien faire et sans presque le vouloir, il va conquérir la sœur de Tom, Chloé, et l'épouser. Puisque c'est un garçon bien sous tous rapports, qu'il est discret, cultivé, bien élevé, il va plaire à la famille, à sa belle-mère d'abord puis à son beau-père que les affaires et la spéculation ont enrichi. Il va le faire passer du statut de simple professeur de tennis à celui de collaborateur, favorisant son ascension sociale, son salaire, la vie devenue soudain plus facile. Il veut à la fois partager avec Chris son goût pour la musique et les arts et le faire sortir de la position subalterne dans laquelle la vie l'avait mise. Il va même jusqu'à lui offrir une formation dans une école de commerce ce qui fait de lui un cadre supérieur compétent et apprécié de ses collègues, gomme volontiers, au nom de la volatilité du marché, ses erreurs d'investissements, pardonne ses décisions hasardeuses... et les finance sans lui adresser le moindre reproche. Le voilà donc parfaitement intégré dans cette famille qui ne lui demande... qu'un héritier !
Quand il rencontre Tom, ce dernier est fiancé à Nola, une américaine belle et sensuelle mais une actrice ratée qui peine à s'imposer dans son métier. Comme Chris, elle vient d'un milieu modeste mais elle s'est toujours promis de tout faire pour y échapper. Ses fiançailles arrivent à point nommé pour satisfaire son ambition. Elle en fait sans doute un peu trop et sa future belle-famille, surtout sa future belle-mère, la rejette au point que Tom finit par convoler avec une autre. Le temps passe et Nola revient à Londres où elle vivote et rencontre à nouveau Chris. Ce qui n'avait été qu'une passade du temps de ses fiançailles avec Tom devient une liaison torride. Chris trompe sa femme, apprend à vivre dans le mensonge et, bien entendu, Chloé ne se rend compte de rien et lui qui ne peut, malgré ses efforts, avoir un enfant avec sa femme met Nola enceinte. Certes, la situation devient compliquée mais cela se rencontre souvent dans les couples illégitimes. Face à cela Chris tergiverse, ment aussi facilement à Nola qu'il mentait à Chloé, cherche à gagner du temps, propose de l'argent pour avorter, cherche à se dérober devant ses nouvelles responsabilités... Mais rien n'y fait, Nola entent garder son enfant et même profiter de cette situation pour parvenir enfin à sortir de sa condition modeste. Pour lui, son laborieux et méticuleux travail d'acquisition de la notabilité va s'effondrer tout d'un coup s'il choisit la vie avec sa maîtresse. Au lieu de quitter sa femme qui a enfin réussi à avoir un enfant de lui et de renoncer du même coup à sa situation confortable, à sa vie dorée, à sa sécurité, il tue Nola (et son enfant), camoufle ce crime en assassinant la voisine et en faisant croire à un cambriolage qui a mal tourné. Le quartier se prête d'ailleurs à la délinquance habituelle autour de la drogue. Cet homme riche, établi, devient donc un vulgaire assassin !
Là où Woody Allen est remarquable, c'est qu'il se fait le témoin de cette situation, mais pas dans un scénario moralisateur où la justice triomphe, le meurtrier est condamné et l'ordre public est sauf ! Dans ce cas de figure notre esprit de midinette ou notre vieux fond judéo-chrétien en sortiraient satisfaits. Mais pas du tout ! Avec l'aide du hasard (ou de la chance !) l'impunité de Chris va être établie. A l'image du début, où la caméra montre une balle de tennis qui heurte le filet et tombe d'un côté ou de l'autre, donnant ou refusant le point, répond celle de la fin où Chris, ayant dérobé l'alliance de la vielle dame qu'il vient de tuer, lance le bijou dans la Tamise. Il heurte une rambarde mais tombe sur le quai. Non seulement cela ne servira pas de preuve contre lui, comme on pourrait le penser, mais au contraire se révélera favorable dans l'enquête qui le met en cause dans le meurtre de Nola. La chance, toujours elle, fait intervenir des événements similaires quelques jours après et l'alliance trouvée dans les poches de l'assassin disculpe définitivement Chris qu'un policier, plus inspiré que les autres, était persuadé de pouvoir faire condamner.
Alors, satire sociale : certainement ! Mais ce qui me paraît bien vu dans ce film c'est que, le temps passant, Chris va complètement occulter ses fautes, s'en accommoder et vivre sans aucune difficulté avec. La petite fable de la fin, où il est fictivement en présence du fantôme des deux femmes qu'il a assassinées quelques temps plus tôt en est la preuve. A Nola, il dit que c'est mieux ainsi, qu'il ne pouvait pas faire autrement et qu'elle devait disparaître. A la vieille voisine qui se plaint de n'être pour rien dans ce différend, il déclare qu'elle n'est qu'un dommage collatéral et que pour lui tout est rentré dans l'ordre. Ce drame est une illustration brillante de « l'amour et du hasard » mais aussi d'un des nombreux travers de l'homme qui n'est ni aussi bon ni aussi généreux que des générations de philosophes ont bien voulu nous l'affirmer. On finit toujours par vivre, même confortablement, avec une faute, si grave soit-elle. On la cache, on la justifie, on s'en accommode, quitte à chercher des responsabilités chez la victime elle-même. Plus le temps passe plus on accumule les bonnes raisons qui nous ont fait agir ainsi. On imagine très bien que Chris vivra longtemps en oubliant tout simplement ses crimes puisque la chance l'a favorisé.
C'est aussi un clin d'œil à ce que cette famille attendait de Chris : être le géniteur d'une descendance en opposant opportunément cette parole de Sophocle « Échapper à la naissance est sans doute la plus grande des chances » à l'image de l'enfant tant désiré, enfin né.
Ce n'est peut-être pas ce qu'on pouvait attendre mais c'est malheureusement ce qui se produit souvent dans la vraie vie et l'hypocrisie, l'amnésie, la bienséance et le culte du paraître font le reste. Quant aux malheureux qui ont été les victimes, on peut peut toujours dire d'eux « qu'ils se sont trouvés là, au mauvais endroit au mauvais moment ».
©Hervé GAUTIER – Février 2011.http://hervegautier.e-monsite.com
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