Betty
- Par hervegautier
- Le 22/12/2020
- Dans Tiffany Mc Daniel
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N° 1520 – Décembre 2020
Betty – Tiffany Mc Daniel - Gallmeister.
Traduit de l’américain par François Happe.
Betty, c’est la narratrice,née en 1954 dans l’Ohio d’une mère blanche et d’un père Cherokee. Elle nous raconte l’histoire de sa famille, de cet homme et de cette femme apparemment faits l’un pour l’autre et de leur parcours dans la vie. C’est aussi un vibrant hommage à son père, travailleur infatigable et attentif à sa maisonnée qui sait lui transmettre la culture indienne, pratiquer la médecine empirique et vivre dans le respect de la nature. Plus que ses autres enfants, Betty sera pour lui « la petite indienne » à qui il va transmettre son savoir auquel elle va ajouter la folie et la naïveté de l’enfance et, dans une sorte de syncrétisme, y intégrer le message du christianisme et de la culpabilité judéo-chrétienne inévitable. Pour elle l’écriture sera, malgré son jeune âge, déjà un exorcisme. Elle écrit des histoires pour redessiner le monde autour d’elle et conjurer les fantômes de son enfance. Cette famille restera à part de la communauté et, compte tenu de ce contexte, la pauvreté, le racisme, l’intolérance, l’exclusion, la marginalité, l’errance font aussi partie du décor, mais aussi, comme en contrepoint, toute la magie de la poésie et de la sagesse indiennes
La figure de ma mère reste douloureuse et marginale par rapport à celle du père. Son domaine à elle c’est la maison, le quotidien et son rôle de protectrice de la famille la libère un peu de son passé obsessionnel. C’est à Betty et à aucun autre de ses nombreux enfants qu’elle confie ce qu’a été son enfance difficile faite d’inceste paternel et de passivité maternelle au point que la petite fille a du mal à comprendre ce qu’ont été ces épreuves si lourdes à porter qui, même longtemps après, se réveillent sans crier gare et l’ont conduite au bord de la mort. Elle les traînera toute sa vie. Pour autant cette famille n’a rien d’idyllique et c’est, sans doute au nom de l’exemple reproduit, qu’un des garçons viole une de ses sœurs. Dans ce microcosme familial le père représente le coté merveilleux, avec ces histoires extraordinaires, sa façon de vivre dans un autre monde et la mère le côté à la fois réel et obsessionnel. Les enfants de ce couple grandissent dans ce contexte aimant et complice, pleins de rituels puérils, avec la peur et l’envie de grandir, de voir le monde à l’extérieur de cette petit ville de Breathed où ils habitent, l’espoir et la crainte du lendemain, du temps qui passe et la mort qui peut frapper à tout moment...Pourtant, ces liens qui les unissaient finissent par se distendre et chacun part dans sa direction. C’est aussi un regard aiguisé porté sur la société de cette Amérique profonde inchangée depuis des générations.
Ce que je retiens avant tout, au-delà de l’hommage, c’est la démarche de mémoire, l’échec à l’oubli qui est une grande constance de l’espèce humaine, pour que la parentèle de l’auteure garde le souvenir de ce couple à la fois ordinaire et exceptionnel. C’est aussi un texte initiatique de passage de l’enfance à l’âge adulte, un livre sur les secrets de famille et ses dénis, les non-dits. Je ne me suis pas ennuyé au long des sept cents pages de ce récit anecdotique découpé en chapitres distillé sous l’égide alternatif de faits divers relatés répétitifs et mystérieux par le journal local, de versets de la Bible et dans l’omniprésence de Dieu et du péché, ce qui réalise une sorte de synthèse religieuse avec les légendes indiennes et du quotidien. J’ai senti une sorte de doute sur Dieu quant à son absence d’action sur La vie des hommes autant que le poids réaffirmé de son double, le diable ce qui met en lumière la dualité traditionnelle de cette religion autant que les fantasmes et les phobies populaires.
J’ai aimé cette saga bien écrite et agréable à lire, un texte poétique et émouvant qui retient l’attention de son lecteur jusqu’à la fin.
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