Créer un site internet
la feuille volante

Jerôme Bonnetto

  • Le bon vivant

    Je profite de ce confinement pour explorer mes archives personnelles. J' y ai découvert un article écrit il y a bien longtemps à propos du recueil de poèmes de Robert Nedelec, "Le bon vivant". Je le reproduis ici pour qu'on ne l'oublie pas.

    Le bon vivant.

    A l'invite de quelques quinze textes, Robert Nedelec, avec la complicité de son éditeur Jean le Mauve, nous peint non seulement la fuite irréversible du temps mais aussi un certain mal de vivre qu'il perçoit au travers de la condition humaine. Voici "Le bon vivant", "La pénitente", "Le confident", autant de personnages qu'il nous présente avec cette volonté de tout dire en peu de mots, différemment mais complètement.C'est un tourbillon de mots impairs qui donnent au texte sa qualité en même temps qu'une certaine beauté. Il nous transmet sa vision des choses au travers de la potentialité extrême du verbe et de la plénitude qu'il porte en lui. C'est la sonorité et le couleur des mots, leurs entrelacs, leurs entrechocs qui sont un plaisir pour l'oreille autant que leur sens second en est un pour l'esprit. Au travers de leur transparence, l'auteur y insinue un sens nouveau, plus irréel, plus intemporel.Ce qui frappe, c'est l'absence de rimes de ces poèmes composés comme de la prose, c'est l'invite à se construire par delà le verbe un univers personnel à l'occasion de l'oeuvre, tant il est vrai que chaque texte est ouvert au lecteur. L'inspiration dont ils procèdent laisse entendre le rythme de la mer qui pousse en lui sa vague bretonne et son étrange exorcisme.Ce mal de vivre qu'il nous dépeint chez les autres, c'est peut-être aussi le sien et ses poèmes une manière de s'en libérer.

  • La certitude des pierres

    N° 1510- Novembre 2020.

     

    La certitude des pierresJérôme Bonnetto – Éditions inculte.

     

    Ségurian est un village de montagne où le temps s’est arrêté depuis longtemps, avec la fête annuelle de son saint Patron, Saint Barthélemy, et les libations qui vont avec. Ici, rien n’est destiné à changer, ni les familles ni les habitudes. Jacques et Catherine Levasseur, après une longue vie de labeur citadine avaient décidé de venir finir leur vie ici, dans la maison d’un grand-oncle. Leur fils Guillaume était parti à son tour pour faire de l’humanitaire en Afrique, une manière comme une autre de voir le monde. Quand il est revenu et après un petit boulot, il a pris sa décision : il sera berger, avec laine et fromages, chèvres... Après tout, c’est un retour à la terre de la part d’un jeune homme, un intellectuel et une force de la nature, plutôt dans l’air du temps. La montagne est à tout le monde et ses troupeaux de moutons y paîtront, il a toutes les autorisations, sauf que ces arpents sont aussi le domaine des sangliers que les gens du village chassent depuis des lustres et les chasseurs sont un clan dont Joseph Anfonsso est le chef respecté, une façon comme une autre de s’approprier une partie du territoire commun au nom des traditionnels « droits acquis ». La cohabitation s’annonce difficile, il faut donc parlementer mais le berger, bien que jeune, ne s’en laisse pas conter et, sûr de son bon droit, ne lâche rien, fût-ce devant Joseph. On devine la suite, le combat inégal et solitaire pour Guillaume dont les rares partisans ont droit eux aussi à leur lot d’avanies et de coups bas, l’omerta hypocrite d’un village coupé en deux et qui satisfait tous ceux qui se croient autorisés à y faire régner leur loi, évidemment celle du plus fort. Le tout face à la fierté du berger et sous les yeux de Jeanne, sa compagne enceinte et perturbée, d’Emmanuel, le jeune fils de Joseph, soumis à son père mais très attaché à Guillaume et qui ne comprend rien à ces querelles d’adultes, de Jacques et Catherine, impuissants, du maire qui ne veut pas de vagues, de la maréchaussée attentiste, pas vraiment pressée de faire respecter l’ordre public, d’ une justice peu curieuse. ..

    On songe à Jean de Florette et, à la bonne volonté du berger s’oppose la méchanceté du clan des chasseurs couverts par l’anonymat. On en devient même paranoïaque et on ne tarde pas d’instituer Guillaume comme le bouc émissaire,  le responsable de tout ce qui cloche dans le village. L’ambiance oscille entre le simulacre d’une mort annoncée et l’éventualité d’un départ de Guillaume, sa volonté de poursuivre son rêve face à résistance aveugles des chasseurs, l’acceptation d’un destin et la fatalité, le tout dans le décor grandiose de la montagne, remarquablement évoqué par la plume poétique de Jérôme Bonnetto.

     

    Ce roman se décline à travers six fêtes annuelles de la Saint-Barthélemy dont le simple nom, pas vraiment choisi au hasard, a laissé dans notre mémoire collective sa trace violente et intolérante de gens qui ne pouvaient ou ne voulaient pas se comprendre. Comme pour souligner la progression de l’intrigue et de la tension qui va s’installer entre Guillaume et tout le village, à chaque attaque des chasseurs répond une réaction de l’autre camp et la spirale de l’incompréhension et de la brutalité va crescendo. Chacun se défend, on s’en prend au chien de Joseph, aux moutons du berger, bref la paix de ce petit village perdu est durablement troublée par ce qui aurait dû être une bonne nouvelle, l’installation d’un jeune berger et de sa compagne, le rajeunissement d’un village vieillissant. J’y vois le scénario d’un combat inégal mené par le plus fort, bien campé dans ses certitudes et sûr de son pouvoir, le rejet de l’autre, de celui qui est différent et qui ne veut pas se plier aux injonctions de ceux qui sont ici comme chez eux qui se croient autorisés à y faire régner leurs ukases. Le choix d’un village de montagne est de ce point de vue particulièrement significatif. J’y vois aussi la volonté de ceux qui veulent à tout prix s’opposer à la réalisation du rêve des autres, même s’ils doivent pour cela tout détruire. C’est le triomphe de la lâcheté, celle de ceux qui n’osent pas agir au grand jour, de ceux qui n’hésitent pas à trahir par peur, pour ne pas perdre la face ou pour s’affirmer, un travers de l’espèce humaine un peu trop répandu et qui ne correspond pas vraiment à l’image qu’on en tresse un peu trop souvent.

     

    Jérôme Bonneto nous raconte cette histoire en y mêlant agréablement poésie et humour et ce malgré la charge dramatique d’un récit qui tient en haleine jusqu’à la fin. C’est fort bien écrit et cela a été pour moi un bon moment de lecture. ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com