Michael Haneke
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Amour – Un film de Michael Haneke
- Par hervegautier
- Le 27/10/2012
- Dans Michael Haneke
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N°597– Octobre 2012.
Amour – Un film de Michael Haneke- Palme d'Or à Cannes 2012.
Ce film dont il faut évoquer brièvement l'intrigue tourne auteur de deux personnages. C'est une histoire simple, presque banale de fin de vie, celle d'Anne ( Emmanuelle Rivas) et de Georges (Jean-Louis Trintignant), deux octogénaires qui mènent une vie tranquille de retraités. On les voit au début assister à un concert d'un des élèves d'Anne, ancienne professeur de musique classique. La musique justement, celle de Schubert, de Beethoven, de Bach, les tableaux accrochés aux murs et les livres qui tapissent les bibliothèques, tout indique que nous sommes ici chez des gens aisés et cultivés. Puis soudain, Anne a une attaque qui la laisse paralysée du côté droit. Courageusement elle s'adapte à sa nouvelle situation comme on fait face à l'adversité. La vie s'organise autour de son infirmité nouvelle et Georges l'accompagne patiemment, s'improvise infirmier, accompagnateur de vie, homme au foyer de cette femme qui peu à peu va perdre toutes ses facultés pour ne plus mener qu'une vie végétative et aphasique et entrer de plain-pied dans l'agonie. Il le fait avec courage, abnégation et même héroïsme au point de se charger seul, contre les médecins, les soignants et l'inévitable bon sens qui commanderait qu'il se déchargeât un peu du poids de plus en plus lourd qu'elle représente. Pour cela, il n'a que son impuissance grandissante face à cette situation qui se complique de jour en jour et même si elle fait l'admiration des gens autour de lui et l'inquiétude légitime mais à ses yeux inutile de sa fille Eva (Isabelle Huppert), il veut continuer à cacher aux autres cette réalité et peut-être se la cacher à lui-même.
Le couple attend la mort et Georges fait preuve de résignation [« ça va aller de mal en pis et puis ce sera fini »] , mais pas de désespérance, elle ne viendra qu'à la fin parce qu'il n'y a pas autre chose à faire, entre photos jaunies et souvenirs qui peu à peu s'effacent, un huis-clos qui se déroule dans une sorte d'unité de lieu de leur appartement qui jadis était plein de vie mais qui peu à peu se vide.
Il n'y a pas de voyeurisme dans ces scènes quotidiennes, tout juste un compte rendu exact de ce qu'est le rôle que Georges a choisi depuis le début et qui va petit à petit le dépasser, un compte à rebours aussi ! A mesure que les facultés d'Anne disparaissent, qu'elle entre progressivement dans la mort, on le voit lui, si plein de bonne volonté au départ, perdre pied au point de la gifler parce qu'elle refuse de s'alimenter, battre en retraite pour ne plus dormir que dans un petite chambre loin d'elle au point que, sa propre déchéance à lui va être suscitée pour le spectateur par la résurrection symbolique de son épouse et qu'il va prendre une dimension quasi spectrale. On voit leurs rides, leurs corps affaiblis, leurs cheveux, blancs et ternes pour elle qu'un reste de coquetterie veut masquer, épars et hirsutes pour lui qui marquent, comme la barbe qu'il néglige de raser chaque jour, le désintérêt qu'il porte à sa propre personne pour ne plus se consacrer qu'à Anne. Il respecte la parole donnée de ne pas ne pas l’envoyer à l'hôpital puis, plus tard, dans l'inévitable maison de retraite qui serait pour elle comme un mouroir puisqu'elle serait séparée de Georges.
Le jeu des acteurs et bouleversant de vérité et ce film nous rappelle une évidence, celle que nous sommes tous mortels, que tout à une fin et que la vieillesse est une déchéance. Le cinéma d'ordinaire se fait plus volontiers l'écho de la beauté, de la jeunesse, de la réussite, de la sensualité... La palette d'Haneke est grande et talentueuse. On sent qu'il ne craint pas de déranger, de bouleverser les codes et les idées reçues et, pour cela d'être, peut-être, désagréable au spectateur qui attend volontiers un « happy end ». J'aime personnellement qu'on ne cache rien, qu'on ne donne pas une image idyllique de cette société qui ne le mérite pas et qu'on en montre les travers et les failles. Dans ce film intimiste et plein de sensibilité, c'est la mort qui nous est montrée parce qu'elle est non seulement la fin de la vie et que, même si elle a été taboue pendant toute notre existence, si on a vécu sans y penser comme il convient dans nos sociétés occidentales, elle guette chacun d'entre nous et nous surprend au moment où nous y pensons le moins. Qu'on le veuille ou non, la condition humaine est ainsi faite et les règles de notre société paraissent immuables. Quelles que soient les fonctions qu'on y ait exercé, quand la retraite sonne on n'est plus rien et quand la mort nous frappe on est oublié définitivement.
Je retiens aussi de ce film une écriture cinématographique originale portée par des acteurs d'exception. Elle est à la fois intense, juste et économe en mots, comporte des plans parfois longs et silencieux, une bande sonore faite ici opportunément de musique classique, des scènes plus suscitées qu'effectivement montrées, des bruits apparemment anodins, tel celui du robinet qui coule constamment et qui brusquement s'arrête, suggérant un rebondissement.
L’amour existe certes, mais il y a quand même quelque chose d'irréel dans cette œuvre. Cet homme et cette femme s'aiment d'un amour authentique et fidèle que traduisent des regard et les gestes tendres du début. Ils se sont choisis pour partager les joies et maintenant ils connaissent les peines mais leur complicité est complète. Ils aimaient la vie ensemble parce qu'elle ne pouvait être que commune et elle a été longue [« C'est beau la vie , si longtemps »]. Je crains que cela ne reflètent cependant pas la réalité quand un mariage sur deux se termine actuellement par un divorce et que cela affecte, et c'est nouveau, les seniors. Même si les couples qui restent ensemble le font pour des questions de morale, de religion, de convenances ou de finances, ce choix cache bien souvent une vie où l'hypocrisie le dispute à l'indifférence ou pire encore. Ils se terminent parfois par une séparation que le concept moderne de « famille recomposée » peine à masquer. Quand Eva, à la vie sentimentale agitée, donne de ses nouvelles à ses parents, on a du mal à imaginer que lorsqu'elle sera vieille à son tour, elle connaîtra pareille complicité avec son mari. Mais c'est sans doute un autre débat ? Quand elle apparaît pour s'émouvoir de la maladie évolutive d'Anne, il est difficile de voir dans ses larmes autre chose qu'une posture de circonstance. Elle disparaîtra bientôt pour laisser la place à Georges qui ira au bout de sa démarche, seul, comme il le souhaite.
Ce film qui est un jalon supplémentaire dans la démarche d'Haneke est le onzième long métrage et le deuxième couronné par une prestigieuse palme d'or à Cannes. Il est bouleversant à bien des titres. Il est en tout cas une invite à la prise de conscience, un rappel des réalités de cette vie, il lève un tabou dont on se demande bien pourquoi il est, dans notre société, si savamment entretenu.
©Hervé GAUTIER – Octobre 2012.http://hervegautier.e-monsite.com