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la feuille volante

Sandro Veronesi

  • Chaos calme

    La Feuille Volante n° 1378 Août 2019.

    CHAOS CALME - Sandro Veronesi - Bernard Grasset

    Traduit de l'italien par Dominique Vittoz

    Pietro et son frère sauvent deux femmes de la noyade et Pietro s'étonne que non seulement celle qu'il a sauvée lui a donné l'impression qu'elle voulait mourir, qu'un homme inconnu l'a dissuadé d'intervenir et aussi que personne ne le remercie pour son geste. Il apprendra bien plus tard les circonstances particulières de ce sauvetage et les conséquences qu'il aura pour lui mais gardera de ce moment un souvenir érotique particulier. Quand il rentre chez lui il trouve sa compagne morte d'une rupture d'anévrisme, c'est à dire au moment même où il sauvait cette inconnue. Il y a de quoi culpabiliser mais, dans les jours qui suivent, il constate que, bien qu'il aimait sa femme, il ne souffre pas, se sent bien et passe son temps à attendre Claudia, sa fille de dix ans, devant son école milanaise, une sorte obsession qui lui fait oublier d'aller au bureau où il est directeur d'une chaîne TV où pourtant une fusion menace l'avenir de chacun. Il vit ainsi dans une sorte de "chaos calme" qui lui sert de protection, une sorte de bulle où il s'enferme et chacun vient vers lui, malgré son deuil, pour se confier en tombant le masque que la comédie sociale impose à tous ceux qui souhaitent la jouer et ils se révèlent tels qu'ils sont en réalité. La perspective du changement radical dans leur travail y est pour beaucoup. Pour ce qui le concerne, il prend conscience qu'il a jusque là négligé l'éducation de Claudia, souhaite rattraper le temps perdu et mener une existence complètement différente de celle d'avant. Parmi ceux qui viennent parler avec lui, sa voiture étant transformée en une sorte de confessionnal, il y a son frère, un couturier un peu perdu dans la fumée des paradis artificiels, Marta, sa belle-sœur un peu nymphomane et dont l’équilibre mental est un peu affecté ou ses collèges de travail vivant mal leur prochain licenciement et même son supérieur. Il refait son chemin à l'envers et, assis sur un banc, derrière le volant de sa voiture à l’arrêt, à la piscine ou au gymnase avec Claudia, il observe autrement la vie, les gens qui passent, une femme sexy qui promène son chien ou les habitants de ce quartier et prend des décisions définitives pour la sienne. Une façon de tourner la page...

    Je suis partagé à propos de ce livre bien écrit et qui se lit agréablement malgré quelques longueurs et de nombreuses digressions, notamment religieuses. Quand on a dû subir un profond bouleversement, notre réaction peut parfois nous surprendre entre la révolte, l'envie de l'autodestruction, les larmes, les apparences qu'on veut sauvegarder, les messages subliminaux qu'on s'invente pour se rassurer. Ici Pietro a peut-être auparavant négligé sa famille au profit de sa carrière et quand l'une s'effondre et que l'autre menace de le faire, il se met à relativiser les choses et se raccroche à ce qui lui reste au point de refuser tout ce après quoi auparavant il courrait. Pourtant, dans ce roman où le rêve se mêle à la réalité, l'ironie à l’analyse psychologique et aux réflexions sur la vie, Pietro ne se contente pas de rester assis sur son banc et quand il retrouve cette femme inconnue qu'il a sauvée de la noyade, le chaos prend une tout autre dimension et le calme est bien loin. A ce moment Éros prend la place de Thanatos et le titre en forme d'oxymore ne se justifie plus.

    Malgré la longueur (505 pages) je ne suis pas vraiment entré dans ce roman qui se termine en forme de fable, d'invitation à changer de vie, à aller de l'avant, et cet intermède de trois mois pendant lequel il est resté toute la journée devant l'école de sa fille a été transitoire, un peu comme s'il a été un début d’exorcisme de son deuil. Il avait pris seul cette décision un peu folle mais c'est sa fille qui le fait redescendre sur terre où il sera peut-être moins important mais un homme nouveau, responsable de cette enfant qui n'a plus que lui.

    Ce roman a été largement primé en Italie et en France et porté à l'écran en 2008 avec Nanni Moretti dans le rôle de Pietro.

    ©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com


     

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