la feuille volante

Articles de ervian

  • Trafic

    La Feuille Volante - N° 2010 – Août 2025.

     

    Trafic – Un film de Jacques Tati.(1971)

     

    M. Hulot (JacquesTati) est dessinateur chez « Altra » un constructeur automobile français. Il est chargé avec Marcel, le chauffeur (Marcel Fraval) et Maria, l’attachée de presse (Maria Kimberly), d’accompagner un modèle de son invention, une 4L aménagée en camping-car, ce qui est révolutionnaire pour l’époque, et qui sera présenté au salon d’Amsterdam. Tout le film est basé sur ce voyage mouvementé entre Paris et Amsterdam, fait de problèmes techniques (crevaison, panne d’essence), d’accidents de la circulation, d’une rétention dans un commissariat où tous les gadgets de la voiture sont dévoilés devant des policiers étonnés, de nombreux plans sur les véhicules en mouvement ou d’événements annexes, souvent provoqués par Hulot ou Maria, au point qu’on en oublie le but réel de cette expédition. Au bout du compte, l’’équipage arrive bien au salon, mais à la fermeture de celui-ci et Marcel a la présence d’esprit de présenter le camping-car à un public dont on se demande d’où il sort ... et d’engranger les commandes. Quand à Hulot, Il est licencié sur le champ et part avec Maria.

    Ce film est le cinquième long métrage de Jacques Tati (1907-1982) qui n’en réalisa de son vivant que six. Il fait suite à Playtime (1967) qui le ruina au point que Trafic fut financé par Alec Wildenstein, un marchand d’art français, à la condition que le principal rôle féminin soit tenu par Maria Kimberly, sa compagne. On y retrouve le Hulot de Mon oncle (1958), ce célibataire dégingandé avec son chapeau déformé et ses pantalons trop courts, éternel gaffeur décalé qui veut surtout rendre service autour de lui tout en semblant être ailleurs. Il n’est pas sans évoquer les personnages de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton dont Tati s’est sans doute inspiré tout en donnant à Hulot une dimension à la fois réelle et imaginaire, embarquant le spectateur dans un récit qui bien souvent reste en suspension, à la fois drôle, mélancolique, délirant et burlesque,poétique fait de grands gestes, d’expressions dubitatives, de sons extérieurs, de silences…

     

    J’ai voulu avec cet article qui sera sans doute un des derniers de cette chronique, rendre un modeste hommage à Jacques Tati parce que, une nouvelle fois, il nous fait partager son écriture cinématographique si particulière, son sens de la dérision, son sens de la découverte, son esprit toujours en éveil, son humour subtil qu’on n’apprécie que dans l’instant à condition d’être attentif à chaque geste, à chaque attitude des personnages. Et cela en vaut la peine puisque, malgré tout ce temps passé depuis sa sortie, ce film n’a pas vieilli et garde toujours, à mes yeux, cette faculté de nous étonner, et de nous faire sourire, l’humour étant une des armes à notre disposition pour lutter contre ce monde qui autour de nous explose et contre cette société qui a perdu tous ses repères. Et puis, regarder un tel film où il n’est question ni de sang ni de violence ni de sexe est plutôt apaisant.

    Après avoir oublié Jacques Tati pendant de nombreuses années, il semblerait qu’on redécouvre actuellement le talent original qui était le sien. C’est une bonne chose mais il n ‘a pas échappé à ce cette malheureuse amnésie qui est le propre de l‘espèce humaine et aussi un peu de l’abandon, ce qui a fait dire à Philippe Labro « Adieu Monsieur Hulot, On le pleure mort, il aurait fallu l’aider vivant »

     

     

     

     

     

  • Vers un avenir radieux.

    La Feuille Volante - N° 2009 – Août 2025.

     

    Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenir) – Un film de Nanni Moretti.(2023)

     

    Le titre « Il sol dell’avvenire » est une citation partielle d’un chant révolutionnaire antifasciste italien « Fischia il vento » écrit en 1943 dont l’air est connu.

    Il y a plusieurs histoires dans ce film qui est une mise en abyme à la fois délirante et égocentriste. Giovanni (Nanni MorettiI) est un réalisateur vieillissant, marié à Paola (Margherita Buy), productrice , qui a choisi, pour la première fois un autre réalisateur que son mari. Elle finit par lui avouer vouloir le quitter, non pour une banale coucherie avec un autre homme mais pour vivre seule dans un appartement qu’elle vient de louer, la solitude volontaire étant une bonne solution à l’incompréhension conjugale. Elle consulte d’ailleurs depuis longtemps et à son insu un psychanalyste (Teco Celio). Giovanni fait face comme il peut avec des médicaments mais cela tombe plutôt mal pour lui puisqu’il tourne un film sur la réaction d’une section du parti communiste italien face à l’insurrection de 1956 à Budapest écrasée par les chars russes. Le responsable de la section, Ennio (Silvio Orlando) a justement invité un cirque hongrois et ces événements divisent les artistes autant que les membres du parti. Traditionnellement le PCI se doit de soutenir l’URSS comme souhaite le faire Ennio mais Vera (Barbora Bubolova), pourtant militante, se rebelle contre cette position doctrinaire. De plus, Giovanni est contraint d’interrompre son tournage parce que Pierre Cambou (Mathieu Amalric) son producteur français, a des problèmes d’argent et de se tourner, mais en vain, vers Netflix pour le financer. Par extraordinaire, des producteurs coréens acceptent le projet mais Giovanni bouleverse le scénario au dernier moment. Sa fille le délaisse pour un homme beaucoup plus âgé qu’elle.

    On a un peu de mal à suivre ce qui est une mise en abyme, les phases dépressives et un peu folles et parfois drôles de Giovanni, ses décisions au cours du tournage, ce qui peut-être une sorte de règlement de compte avec Netflix, sans doute plus sensible à la rentabilité du film qu’à son côté artistique.

    J’aime bien Moretti et j’ai été surpris par ce film qui, présenté à Cannes, est reparti sans aucune distinction. Il est surtout question de lui qui, contrairement à « Journal intime » abandonne sa vespa pour une trottinette électrique, mais ce n’est qu’un détail anecdotique, peut être pour paraître plus jeune. On est loin de l‘ambiance de « Mia madre », de « La chambre du fils » ou de « Tre piani » même si certains thèmes reviennent en filigranes comme une sorte d’obsession (le cinéma, les enfants, la famille, la fragilité...)., même s’il renoue avec la parade très fellinnienne de la fin comme celle qu’il nous montre dans « Tre piani » et qui peut-être regardée comme un « happy end », une réconciliation, et aussi une réalisation de l’utopie de Marx et Engels. De plus en faisant figurer dans ce défilé tous les acteurs du film mais aussi ses acteurs fétiches qui n’y apparaissent pas, Moretti semble vouloir remettre le cinéma, et spécialement le cinéma italien au premier plan et inviter son public à le suivre dans les salles obscures où les films se goûtent davantage que devant un ordinateur .

     

     

  • Vers un avenir radieux.

    La Feuille Volante - N° 2009 – Août 2025.

     

    Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenir) – Un film de Nanni Moretti.(2023)

     

    Le titre « Il sol dell’avvenire » est une citation partielle d’un chant révolutionnaire antifasciste italien « Fischia il vento » écrit en 1943 dont l’air est connu.

    Il y a plusieurs histoires dans ce film qui est une mise en abyme à la fois délirante et égocentriste. Giovanni (Nanni MorettiI) est un réalisateur vieillissant, marié à Paola (Margherita Buy), productrice , qui a choisi, pour la première fois un autre réalisateur que son mari. Elle finit par lui avouer vouloir le quitter, non pour une banale coucherie avec un autre homme mais pour vivre seule dans un appartement qu’elle vient de louer, la solitude volontaire étant une bonne solution à l’incompréhension conjugale. Elle consulte d’ailleurs depuis longtemps et à son insu un psychanalyste (Teco Celio). Giovanni fait face comme il peut avec des médicaments mais cela tombe plutôt mal pour lui puisqu’il tourne un film sur la réaction d’une section du parti communiste italien face à l’insurrection de 1956 à Budapest écrasée par les chars russes. Le responsable de la section, Ennio (Silvio Orlando) a justement invité un cirque hongrois et ces événements divisent les artistes autant que les membres du parti. Traditionnellement le PCI se doit de soutenir l’URSS comme souhaite le faire Ennio mais Vera (Barbora Bubolova), pourtant militante, se rebelle contre cette position doctrinaire. De plus, Giovanni est contraint d’interrompre son tournage parce que Pierre Cambou (Mathieu Amalric) son producteur français, a des problèmes d’argent et de se tourner, mais en vain, vers Netflix pour le financer. Par extraordinaire, des producteurs coréens acceptent le projet mais Giovanni bouleverse le scénario au dernier moment. Sa fille le délaisse pour un homme beaucoup plus âgé qu’elle.

    On a un peu de mal à suivre ce qui est une mise en abyme, les phases dépressives et un peu folles et parfois drôles de Giovanni, ses décisions au cours du tournage, ce qui peut-être une sorte de règlement de compte avec Netflix, sans doute plus sensible à la rentabilité du film qu’à son côté artistique.

    J’aime bien Moretti et j’ai été surpris par ce film qui, présenté à Cannes, est reparti sans aucune distinction. Il est surtout question de lui qui, contrairement à « Journal intime » abandonne sa vespa pour une trottinette électrique, mais ce n’est qu’un détail anecdotique, peut être pour paraître plus jeune. On est loin de l‘ambiance de « Mia madre », de « La chambre du fils » ou de « Tre piani » même si certains thèmes reviennent en filigranes comme une sorte d’obsession (le cinéma, les enfants, la famille, la fragilité...)., même s’il renoue avec la parade très fellinnienne de la fin comme celle qu’il nous montre dans « Tre piani » et qui peut-être regardée comme un « happy end », une réconciliation, et aussi une réalisation de l’utopie de Marx et Engels. De plus en faisant figurer dans ce défilé tous les acteurs du film mais aussi ses acteurs fétiches qui n’y apparaissent pas, Moretti semble vouloir remettre le cinéma, et spécialement le cinéma italien au premier plan et inviter son public à le suivre dans les salles obscures où les films se goûtent davantage que devant un ordinateur .

     

     

  • Madelaine avant l'aube.

    La Feuille Volante - N° 2007 – Août 2025.

     

    Madelaine avant l’aube – Sandrine Collette – JC Lattès.

    Prix Goncourt des Lycéens 2024 – Prix Goncourt des détenus 2024.

     

    D’abord le décor présenté par Bran l’un des narrateurs, celui d’un hameau pauvre et froid et entouré de forêts, Les Montées, peuplé de paysans durs à la tâche, qui s’épuisent pour ceux qui sont propriétaires des terres et dont il subissent injustices et brutalités. On peut aisément imaginer le Moyen-Age où les maître sont tout puissants et le monde inchangé depuis toujours. Il est composé de trois fermes où vivent trois femmes, Aelis et Ambre, deux jolies jumelles et de leur mari et leur voisine, Rose, rebouteuse et un peu sorcière qui découvre un jour une petite fille, Madelaine, jetée là par le froid et la faim et que recueille Ambre qui n’a jamais pu avoir d’enfant. Et ce même si avoir une fille, et qui plus est une étrangère, est une charge pour elle et son mari mais elle est aussi un peu la fille d’Aelis qui n’a eu que des garçons. Avec eux elle est maintenant leur cousine, travaille et peine comme eux dans un pays où la faim rode, où le climat est hostile et la camarde en embuscade. Madelaine, c’est la révolte contre les les habitudes millénaires, contre le fatalismes des paysans, contre l’impunité des maîtres qui abusent de la vie de leurs sujets, leurs serfs. Par sa seule présence Madelaine va bousculer les traditions, les interdits millénaires et l’autorité des « Maîtres » mais sa ténacité, sa révolte ne sert qu’à créer un drame pour ces familles et à la maintenir dans sa solitude qui l’avale et avec elle le silence, le mensonge, l’injustice, l’oubli peut-être ? Elle retombera dans l’errance qui l’a amenée aux « Montées » même si elle a symbolisé un temps cette rébellion contre le sort fait aux paysans et spécialement aux femmes.

    Le récit est haletant, les images sont alternativement poétiques mais aussi pathétiques pour évoquer la misère, l’agonie et la mort  L’auteure réussit à s’attacher son lecteur grâce à son style à la fois attachant et émouvant.

    Le livre refermé, j’ai eu l’impression d’avoir lu un conte noir, fictif mais vraisemblable qui évoque cette société figée où les paysans acceptent sans broncher leur destin. Apparaît une petite fille venue mystérieusement de nulle part qui va imposer sa présence et sa volonté peut-être utopique de changement, laisser sa marque qui finira à terme par changer ce monde. Je trouve plutôt bien que ce rôle soit tenu par une jeune femme, « l’avenir de l’homme » selon Aragon, qui ainsi sort de son rôle traditionnel et soumis.

    Ce roman qui n’a pas obtenu le prix Goncourt s’est vu décerné, entre autres, celui des détenus. Je trouve que cette initiative de 2022 née sous impulsion des ministères de la justice et de la culture, avec la participation du Centre National du Livre et de l ‘académie Goncourt est une excellente initiative qu’il convient de saluer et de poursuivre.

     

     

     

  • Tre piani

    La Feuille Volante - N° 2008 – Août 2025.

     

    Tre piani (trois étages) – Un film de Nanni Moretti.(2021)

     

    C’est une page d’histoire de quatre familles qui habitent un même immeuble dans un quartier de Rome. Au rez de chaussée, Lucio (Riccardo Scamarcio) et Sara (Elena Lietti) confient souvent leur fille de sept ans, Francesca, à leurs voisins de palier, Giovanna (Anna Bonaito) et Renato (Paolo Graziosi), un couple âgé. Au premier étage vivent Monica (Alba Rohrwacher) qui est enceinte et Giorgio (Adriano Giannini) souvent à l’étranger à cause de son travail ; son épouse combat comme elle le peut sa solitude forcée tout en redoutant d’être, comme sa mère, atteinte de troubles mentaux. Dora(Margherita Buy) et Vittorio (Nanni Moretti), tous deux magistrats, vivent au deuxième étage avec leur fils Andrea, vingt ans (Alessandro Sperdutti).

    Un soir Renato disparaît avec Francesca mais bien qu’ils soient retrouvés Lucio craint que sa fille ait été victime du vieil homme qui déclare ne se souvenir de rien et sa crainte tourne à l’obsession au point qu’il l’agresse sur son lit d’hôpital. Une nuit, en état d’ébriété, Andréa, au volant de sa voiture, tue une femme et supplie ses parents de lui éviter la prison.

    Ces histoires n’ont rien à voir les unes avec les autres mais la vie de cet immeuble où vivent ces familles de générations différentes qui s’y côtoient en est forcément affectée. En réalité ces gens habitent le même immeuble mais ne font que s’y croiser et chacun demeure avec ses problèmes, Andrea qui déplore l’intransigeance de son père et la soumission de sa mère, Lucio qui est obsédé par ce qui a pu arriver à sa fille mais qui a une aventure avec Charlotte (Denise Tantucci), petite-fille de Giovanna et Renato, Monica qui accouche seule et se débat au quotidien en l’absence de son mari et finit par basculer dans la solitude des troubles mentaux à l’image du corbeau qui devient de plus en plus obsédante.

    Comme ces histoires, les thèmes s’entremêlent, soulignant les relations entre les différents personnages, l’intransigeance rigide des hommes, la douceur humaine des femmes, la faute, la culpabilité face à ses propres actions, la justice qui punit, les enfants qui naissent, grandissent, deviennent indépendants et quittent le cocon familial, la difficulté d’être parents, les vivants qui parlent aux morts pour se moquer de la destiné, les gens qui s’aiment et ceux qui se détestent, le temps qui passe (le film se déroule sur 10 ans), le pardon (peut-être ou peut-être pas),l’amnésie qui est le propre de la nature humaine et la vie qui continue, une photographie de la société dans laquelle nous vivons tous. à l’image finale de la « milonga », en forme de « happy end », dansée par des Romains dans la rue, spectacle auquel assistent la plupart des acteurs de ce drame mais qui vont bientôt partir vers un avenir nouveau. J’y vois l’image de la légèreté des choses, le symbole du « vivre ensemble » dont je ne suis pas sûr qu’il existe vraiment au moment où une étincelle, même minuscule, est capable de faire exploser le monde qui nous entoure, pourtant patiemment construit part les générations précédentes.

    C’est l’adaptation du roman de l’écrivain israélien Eshkol Nevo mais qui ne remporta aucune récompense au 74° festival de Cannes où il était en compétition. Sa sortie a été certes gênée par la pandémie de covid 19, et Moretti en fut affecté, pire peut-être la critique a été très partagée face à son treizième long métrage, sorti 20 ans après « La chambre du fils » qui avait obtenu la palme d’or.

    J’ai pourtant bien aimé de film que j’ai trouvé particulièrement émouvant.

  • Paris-Texas

    La Feuille Volante - N° 2006 – Août 2025.

     

    Paris-Texas - Un film de Win Wenders – Palme d’Or Cannes 1984.

    Arte le 18/8/2025 .

     

    De Paris, cette ville du Texas, il sera à peine question contrairement à ce que laisse entendre le titre.

    En revanche l’accent est mis sur l’histoire dramatique de Travis Henderson (Harry Dean Stenton) très amoureux de sa jeune épouse Jane( Nastassja Kinski) au point de vouloir être constamment à ses côtés et que cette volonté de proximité tourne au drame, Travis disparaissant pendant 4 années sans donner aucune nouvelle, Jane laisse leur jeune fils Hunter (Hunter Carson) à la garde de son oncle Walt (Dean Stockwell) et de son épouse Anne (Aurore Clément), un couple sans enfant.

    Dès la première image on retrouve Travis, marchant en plein désert, sans eau, secouru in extremis et que Walt ramène chez lui à Los Angeles. Après une longue période de silence, Travis accepte de parler et retrouvant Hunter parvient à l’apprivoiser et part avec lui à la recherche de Jane.

    Au-delà de cette histoire émouvante, je retiens la solitude et la désespérance de Travis, sa volonté de se mettre en marge de cette société où il n’a pas sa place. Les décors autour de lui évoquent cet abandon, les routes et les voies ferrées sont droites et vides, les avions volent, les interminables trains américains filent et il se contente de les regarder passer, les paysages sont désertiques à la mesure de sa volonté de revenir dans le monde, malheureusement sans issue. Quand il scrute le décor autour de lui, l’aéroport par exemple, c’est de loin, à la jumelle. C’est un pauvre homme qui avait tout misé sur l’amour de sa jeune épouse mais celle-ci l’a déçu, ne l’a pas compris et il a préféré mettre entre lui et la société le plus de distance possible, autrement dit se retirer du monde. Travis aurait pu se suicider mais apparemment, après avoir remis de l’ordre dans les pièces éparpillées du puzzle de sa vie et devant l’impossibilité de recomposer sa propre famille et d’y être heureux, il a voulu mener à bien son dernier devoir, celui de redonner sa mère à Hunter et disparaître dans l’épaisseur de la nuit, définitivement en gommant de la mémoire de ses proches jusqu’à l’empreinte ténue de son passage sur terre.

    Ce road muvie multi récompensé (et la mélancolique musique de Ry Cooder), illustre à mes yeux les relations difficiles des hommes avec leurs semblables et l’impossibilité de dialogue qui existe même au sein de la famille. La recherche de la solitude qui est une forme de résilience, me parait être une chose prégnante encore aujourd’hui, ce qui donne à ce film une dimension particulièrement actuelle .

     

  • Le seigneur des fourmis

    La Feuille Volante - N° 2005 – Août 2025.

     

    Le seigneur des fourmis (Il signore delle formiche) – un film de Gianni Amelio (2022)

     

    En 1959, Aldo Braibanti(Luigi Lo Cascio) , écrivain, poète, dramaturge mais aussi membre du Parti communiste italien, antifasciste et passionné de myrmécologie (d’où le titre), revient à Plaisance, sa ville natale et y fonde un club culturel où participent de nombreux jeunes dont Riccardo Tagliaferri (Davide Vecchi), fasciné par l’écrivain. Le frère de Riccardo, Ettore, (Leonardo Maltese) fréquente aussi le club et se rapproche de Braibanti et non seulement une jalousie se manifeste entre les deux frères mais surtout une relation homosexuelle naît entre Aldo et Ettore au point qu’ils s’installent ensemble à Rome. Quelques années plus tard Riccardo retrouve son frère et sa famille le fait admettre dans un hôpital psychiatrique où il subit des électrochocs censés le guérir de ce qui à l’époque était considéré comme une déviance. Braibanti, quant à lui est arrêté et condamné à 9 ans de prison pour « plagio », un délit introduit dans le code fasciste, c’est à dire de manipulations mentales sur Ettore et ce malgré le soutien d’un journaliste (Elio Germano), licencié ensuite pour son aide . Son procès fut retentissant et Aldo fit l’expérience douloureuse du lâchage et du lynchage médiatique. Il fut autorisé à sortir de prison pour l’enterrement de sa mère, Suzanne(Rita Botsello) et à cette occasion renoue avec Ettore, abandonné par sa famille.

     

    C’est une adaptation libre d’un épisode de la vie d’Aldo Braibanti (1922-2014) En effet il évoque une affaire judiciaire de 1964. l’instruction dura 4 ans et le procès fut l’occasion d’une volonté de le détruire pour ce qu’il était et notamment communiste et surtout homosexuel. Il fut jugé et condamné mais sa peine fut allégée en appel et notamment à cause de son combat contre le fascisme. Pour autant cette condamnation fut la première mais aussi la dernière du chef du « piagio », disposition héritée du code pénal fasciste et qui fut supprimée ensuite .Ce film mêle fiction et réalité et la critique a pu relever des inexactitudes historiques, notamment au niveau du soutien apporté à l’écrivain, mais c’est le propre d’une recréation que de romancer des faits en se les appropriant. Gianni Amelio a voulu dénoncer ainsi l’Italie homophobe des années 60. Ce film a au moins l’avantage de raviver la mémoire collective, notamment sur la vie et sur l’œuvre d’Aldo Braibanti mais aussi sur l’ambiance délétère et hypocrite de cette période qui me paraît être à l’image d’une société conservatrice et intolérante dont je ne suis pas sûr qu’elle changera un jour.

     

     

     

  • Habemus papam

    La Feuille Volante - N° 2004 – Août 2025.

     

    Habemus papam – un film de Nanni Moretti (2011).

     

    Dans le monde catholique, l’élection d’un pape est un moment fort.

    Au départ de ce film toute la procédure vaticane est respectée, Les cardinaux en conclave et en soutane rouge, les prières, les réflexions, les « papabile », les votes dans la Chapelle Sixtine, la fumée blanche, la préparation du nouveau souverain pontife, le cardinal Melville (Michel Piccoli), sauf que, avant sa traditionnelle parution au balcon, il est victime d’une crise de nerfs, refuse la charge et s’enfuit devant la stupeur des cardinaux. On fait appel à un psychiatre, par ailleurs athée, le Professeur Brezzi (Nanni Moretti) mais rien n’y fait, il disparaît dans Rome et le Vatican ne peut qu’organiser une mise en scène dans la plus grande hypocrisie, pour gagner du temps et organiser les recherches.

    Au-delà de la situation surréaliste de ce scénario qu’on peut interpréter comme une formidable moquerie à la fois du Vatican qui fait appel à un psychiatre alors que l’Église non seulement ne reconnaît pas cette thérapie, les psychiatres ayant pris la place des prêtres, mais complique considérablement l’examen du Saint-Père au point que le professeur doit organiser un grotesque match de volley-ball dans une cour du Vatican pour passer le temps et suggérer une séance avec son ex-femme (Margherita Buy) également psychanalyste, dont il vit séparé, mais qui ne peut rien pour lui. En réalité ce n’est pas qu’il ne veut pas de sa charge mais en réalité qu’il ne peut pas l’assumer et face à cela la psychanalyse est impuissante. Au passage il égratigne aussi les cardinaux, les dépeignant comme des hommes ordinaires, bien gênés quand même par les circonstances, dont certains regrettent de ne pas avoir été choisis pour cette fonction qui couronnerait leur carrière et peut-être leur foi. Est-ce à cause de cela que Nanni Moretti n’a pas obtenu l’autorisation de tourner au Vatican et a dû se contenter de reconstituer le décor au Palais Farnèse ?

    Pendant tout ce temps, le pape déambule dans les rues de Rome, semble s’y trouver à son aise, sortant de sa bulle vaticane et se retrouve dans un théâtre où se joue une pièce de Tchekhov qui lui rappelle sa vie d’avant. En cela on peut supposer qu’à ses yeux seule la scène et le métier d’acteur lui conviennent.

    Ce scénario à la fois dramatique et comique n’a évidemment aucune chance de se réaliser, même si on veut faire passer l’élection du pape comme une manifestation divine dans la vie des hommes. Ce que je retiens c’est l’humilité de ce cardinal devenu pape qui refuse la charge écrasante d’être le chef de la catholicité étant précisé qu’en principe il a été auparavant prêtre, évêque et cardinal et qu’ il a été déjà investi d’une œuvre pastorale, c’est à dire une référence pour ses nombreux fidèles. Cela dit qu’un homme refuse le pouvoir, les honneurs (il est aussi chez d’État) en renonçant à une tâche qu’il estime écrasante et lui préférant une vie plus ordinaire quand d’autres auraient fait n’importe quoi pour être à sa place, me paraît à la fois sain et surtout courageux à l’heure où il ne manque pas de citoyens pour se présenter aux suffrages des électeurs tout en leur vantant leurs compétences et leur valeur, ce qui n’est que très rarement vérifié par la suite. L’attrait du pouvoir fait naître bien des vocations et réveille des egos mais l’image que nous donnent les hommes politiques est plutôt désastreuse. Il n’en reste pas moins que le cinéma doit être le miroir de son temps et que nous vivons une époque où les gouvernants ou ceux qui aspirent à l’être, nous donnent une image pour le moins décevante, que toutes les références traditionnelles volent en éclats et que la société perd sa boussole. Je ne parlerai pas de la crise profonde que traverse l’église catholique.

    C’est bien sûr une fiction mais j’imagine mal ce que pourra être la vie de Melville après cette épreuve. Même si les circonstances sont bien différentes, j’observe aussi que le pape Benoît XVI a certes accepté sa charge, l’a amenée pendant un pontificat de 8 ans mais a fini par renoncer en 2013, donnant à ce film de 2011 une sorte de dimension prophétique.

    Le dernière image du film montre le cardinal Melville avouant à la foule son impuissance face à l’importance de sa charge et laissant le balcon de la place Saint-Pierre vide et silencieux. On est loin des ovations qui font suite à la traditionnelle apparition du cardinal pro-diacre qui proclame « Annuntio vobis gaudium magnum – habemus papam »

    Je suis toujours attentif à la sortie d’un film signé Nanni Moretti mais celui-ci à reçu un accueil mitigé.

     

     

  • Le barman du Ritz

    La Feuille Volante - N° 2003 – Août 2025.

     

    Le barman du Ritz -- Philippe Collin – Albin Michel.

     

    Étonnante histoire que celle de Frank Meier (1884-1947) prolétaire autrichien qui rêvait de l’Amérique comme d’un pays de cocagne qu’il rejoignit seul à quatorze ans pour échapper à la misère. C’est à New York, après avoir connu la précarité qu’il se retrouve à Broadway apprenti barman, s’initie à l’art de mélanger des alcools et revient à Paris où la bonne société avait pris goût aux cocktails. Il participe à la Grande Guerre comme légionnaire au service de la France dont il acquiert la nationalité et se retrouve barman au Ritz après la victoire de l’Allemagne nazie, adulé par les officiers de la Wehrmacht qui, friands de son talent en mixologie, n’ont jamais su qu’ils étaient servis pendant toute le durée de la guerre... par un juif .

    Durant l’Occupation, dans ce mythique palace parisien de la Place Vendôme, se sont côtoyés dignitaires nazis, pétainistes, collabos, résistants, espions, voyous, trafiquants mais aussi figures du tout Paris comme Coco Chanel, Arletty, Sacha Guitry ou Jean Cocteau. A cette époque surréaliste cohabitent quelques juifs craignant la dénonciation mais pour qui le Ritz est une couverture et des célébrités parisiennes qui profitent du luxe recherché par l’occupant . Au bar officie cet ashkenaze cultivé, prévenant et attentif aux moindres désirs de sa clientèle célèbre, concoctant pour elle à l’occasion des recettes originales tout en préservant son secret qui est aussi son assurance-vie et veillant sur Blanche Auzello, la sublime reine du Ritz , une juive américaine, alcoolique et morphinomane dont il est secrètement amoureux et qui a réussi grâce à un changement de papiers d’identité et à son mariage avec Claude Auzello ancien directeur du palace et chargé de l’approvisionnement de l’établissement, à cacher ses origines. Il y côtoie des officiers allemands de haut rang, avec le fantômes de Scott Fitzgerald et d’Ernest Hemingway, s’active dans de petits trafics, dans de lucratifs faux papiers, commissions ou pourboires et dans de grands engagements au service des familles juives en fuite ? tout en inventant chaque jour plus de recettes de cocktails qui ravissent ses fidèles habitués. Une hypocrisie difficile à supporter..

    Il réussi à survivre à cette période troublée ou le faste côtoie la tragédie et pendant laquelle la table du Ritz regorge de plats somptueux, de vins millésimés et d’alcools d’exception quand, à l’extérieur, les Français vivent dans la violence, la trahison et crèvent de faim et que les juifs sont parqués au Vél’ d’Hiv’. Il reste un exilé de son propre pays et de son milieu social car, il le sait, il ne fera jamais partie de celui de ses clients et les circonstances le mettent en permanence au bord du gouffre, avec ses doutes, ses secrets et son immense solitude.

    Il s’agit du premier roman de Philippe Collin, producteur à France-Inter, auteur d’essais et scénariste de bandes dessinées. J’ai apprécié ce livre où la fiction se mêle intimement à la réalité historique et l’ai lu sans désemparer tant l’auteur sait s’attacher son lecteur dès les premières pages avec un style à la fois alerte et passionnant.

     

     

     

     

     

     

     

  • Vous parler de mon fils

    N° 2001 – Août 2025.

     

    Vous parler de mon fils - Philippe Besson – Juillard

     

    Avec ce roman, Philippe Besson choisit de ne pas nous parler de lui, non que le sujet soit inintéressante, tant s’en faut, mais il s’attaque à un fléau très actuel et d’autant plus pervers que les réseaux sociaux lui donnent à la fois de l’ampleur et une malheureuse audience. Il s‘agit du harcèlement qui, même s’il a toujours existé et a détruit bien des vies, prend actuellement une dimension à la fois inquiétante et assez impossible à maîtriser et s’attaque de plus en plus aux plus jeunes, c’est à dire à ceux qui ont du mal à se défendre tout seuls. C’est d’autant plus vrai que la famille, considérée depuis longtemps comme un pilier stable de la société, devient de plus en plus un décor confié à la seule responsabilité de femmes, pas vraiment les mieux loties dans le monde du travail. Ici, ce n’est pas le cas puisque il s’agit d’une famille de la classe moyenne de Saint-Nazaire pour qui la vie s’écoulait sans histoire jusqu’à ce que Hugo ,14 ans, fasse l’objet, de la part de petits caïds de son collège, de harcèlements qui, malgré les tentatives de ses parents pour les faire cesser, le conduisent au suicide avec évidemment un dépôt de plainte contre les responsables, avec un procès à venir. C’est son père qui prend la parole pour évoquer ces tristes faits.

    C’est une évidence, les adolescents en apprennent plus sur ‘l’espèce humaine dans les cours de récréation que dans les manuels scolaires. C’est un avant-goût de ce qui les attend dans la vraie vie, celle d’après, où ils seront également victimes des autres ou seront eux-mêmes des bourreaux. Le « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles, dans une société qui de plus en plus perd ses repères traditionnels, en prend quand même un sacré coup.

    La mort brutale d’un enfant est l’occasion pour ce père de prendre conscience qu’il n’a pas toujours été à la hauteur de sa tâche d’éducateur, même si ce rôle de parent est toujours difficile parce qu’aujourd’hui, en une génération, les choses changent vite et qu’on est facilement dépassé voire débordé au point que son propre enfant devient parfois un étranger et qu’évidemment on culpabilise pour cela.

    Hugo est mort, suicidé, victime de harcèlements de garçons qui se croyaient tout permis et pour ceux qui restent et spécialement pour ses parents, c’est le début d’une épreuve dont ils ne se relèveront pas et d’une douleur que ni les psychiatres ni la phraséologie religieuse ne seront capables exorciser ou d’adoucir. Devant elle on peut dire ce que l’on veut, que le temps adoucit tout, qu’il faut continuer à vivre, que la vie est une épreuve, tout cela est vain parce qu’avec cette mort quelque chose s’est brisé définitivement et qu’ils n’ont rien vu venir, avec la culpabilité, le chagrin, la colère contre la malchance, le destin, Dieu s’il existe, parce que tout ce qu’ils ont fait pour Hugo, pour son éducation, devient dérisoire, inutile et qu’on ne met pas des enfants au monde pour aller à leur enterrement. Après cela on peut convoquer les souvenirs, se dire qu’on n’a pas été assez à l’écoute, devenir fatalistes face à l’absent, se jeter dans le travail ou dans une activité caritative, se torturer l’esprit pour savoir ce qu’on a fait pour mériter une telle épreuve, organiser des marches blanches pour la mémoire et pour que cela ne se reproduise plus, tout cela ne sert à rien et on finit par attendre sa propre mort comme une délivrance. Il leur faudra faire face seuls à la gêne des autres qui s’éclipseront à leur passage, à l’amnésie qui est le propre de la nature humaine, à sa propre révolte contre cette injustice mais aussi affronter un procès qui mettra en évidence l’hypocrisie de l’État, les mouvements d’opinion déstabilisants, la malveillance des journalistes, les démonstrations culpabilisantes des avocats, une justice parfois trop laxiste, la pensée obsédante que malgré tout les responsables sont en vie et son son enfant est mort par leur faute … Encore d’autres épreuves ! Le couple n’en sortira pas indemne comme ici puisque les parents d’Hugo restent ensemble mais ils vont trembler pour Enzo, leur autre fils devenu l’enfant unique qui ne manquera pas d’être tourmenté par l’exemple et l’absence de son frère , parce que, malgré tout, la vie continue.

     

    A mes yeux, le rôle de l’écrivain est d’être de son temps et donc d’en refléter la réalité même s’il doit en dénoncer les travers. Même si ce n’est pas la première fois que notre auteur choisit de parler de la mort, même si le thème évoqué est révoltant, j’ai eu plaisir à le lire parce que sa phrase est toujours aussi limpide avec ici une dimension particulièrement émouvante. .

     

  • Vous parler de mon fils

    N° 2001 – Août 2025.

     

    Vous parler de mon fils - Philippe Besson – Juillard

     

    Avec ce roman, Philippe Besson choisit de ne pas nous parler de lui, non que le sujet soit inintéressante, tant s’en faut, mais il s’attaque à un fléau très actuel et d’autant plus pervers que les réseaux sociaux lui donnent à la fois de l’ampleur et une malheureuse audience. Il s‘agit du harcèlement qui, même s’il a toujours existé et a détruit bien des vies, prend actuellement une dimension à la fois inquiétante et assez impossible à maîtriser et s’attaque de plus en plus aux plus jeunes, c’est à dire à ceux qui ont du mal à se défendre tout seuls. C’est d’autant plus vrai que la famille, considérée depuis longtemps comme un pilier stable de la société, devient de plus en plus un décor confié à la seule responsabilité de femmes, pas vraiment les mieux loties dans le monde du travail. Ici, ce n’est pas le cas puisque il s’agit d’une famille de la classe moyenne de Saint-Nazaire pour qui la vie s’écoulait sans histoire jusqu’à ce que Hugo ,14 ans, fasse l’objet, de la part de petits caïds de son collège, de harcèlements qui, malgré les tentatives de ses parents pour les faire cesser, le conduisent au suicide avec évidemment un dépôt de plainte contre les responsables, avec un procès à venir. C’est son père qui prend la parole pour évoquer ces tristes faits.

    C’est une évidence, les adolescents en apprennent plus sur ‘l’espèce humaine dans les cours de récréation que dans les manuels scolaires. C’est un avant-goût de ce qui les attend dans la vraie vie, celle d’après, où ils seront également victimes des autres ou seront eux-mêmes des bourreaux. Le « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles, dans une société qui de plus en plus perd ses repères traditionnels, en prend quand même un sacré coup.

    La mort brutale d’un enfant est l’occasion pour ce père de prendre conscience qu’il n’a pas toujours été à la hauteur de sa tâche d’éducateur, même si ce rôle de parent est toujours difficile parce qu’aujourd’hui, en une génération, les choses changent vite et qu’on est facilement dépassé voire débordé au point que son propre enfant devient parfois un étranger et qu’évidemment on culpabilise pour cela.

    Hugo est mort, suicidé, victime de harcèlements de garçons qui se croyaient tout permis et pour ceux qui restent et spécialement pour ses parents, c’est le début d’une épreuve dont ils ne se relèveront pas et d’une douleur que ni les psychiatres ni la phraséologie religieuse ne seront capables exorciser ou d’adoucir. Devant elle on peut dire ce que l’on veut, que le temps adoucit tout, qu’il faut continuer à vivre, que la vie est une épreuve, tout cela est vain parce qu’avec cette mort quelque chose s’est brisé définitivement et qu’ils n’ont rien vu venir, avec la culpabilité, le chagrin, la colère contre la malchance, le destin, Dieu s’il existe, parce que tout ce qu’ils ont fait pour Hugo, pour son éducation, devient dérisoire, inutile et qu’on ne met pas des enfants au monde pour aller à leur enterrement. Après cela on peut convoquer les souvenirs, se dire qu’on n’a pas été assez à l’écoute, devenir fatalistes face à l’absent, se jeter dans le travail ou dans une activité caritative, se torturer l’esprit pour savoir ce qu’on a fait pour mériter une telle épreuve, organiser des marches blanches pour la mémoire et pour que cela ne se reproduise plus, tout cela ne sert à rien et on finit par attendre sa propre mort comme une délivrance. Il leur faudra faire face seuls à la gêne des autres qui s’éclipseront à leur passage, à l’amnésie qui est le propre de la nature humaine, à sa propre révolte contre cette injustice mais aussi affronter un procès qui mettra en évidence l’hypocrisie de l’État, les mouvements d’opinion déstabilisants, la malveillance des journalistes, les démonstrations culpabilisantes des avocats, une justice parfois trop laxiste, la pensée obsédante que malgré tout les responsables sont en vie et son son enfant est mort par leur faute … Encore d’autres épreuves ! Le couple n’en sortira pas indemne comme ici puisque les parents d’Hugo restent ensemble mais ils vont trembler pour Enzo, leur autre fils devenu l’enfant unique qui ne manquera pas d’être tourmenté par l’exemple et l’absence de son frère , parce que, malgré tout, la vie continue.

     

    A mes yeux, le rôle de l’écrivain est d’être de son temps et donc d’en refléter la réalité même s’il doit en dénoncer les travers. Même si ce n’est pas la première fois que notre auteur choisit de parler de la mort, même si le thème évoqué est révoltant, j’ai eu plaisir à le lire parce que sa phrase est toujours aussi limpide avec ici une dimension particulièrement émouvante. .

     

  • Petite histoire de La Rochelle.

    N° 2002 – Août 2025.

     

    Petite histoire de La Rochelle -- Jean-Louis Mahé – La Geste.

     

    La Rochelle, le nom de cette ville résonne dans la tête de chacun d’entre nous comme celui d’une cité exceptionnelle à la fois chargée d’histoire et désormais incontournable et pleine de mystères. Pour y être né et y avoir vécu mes années d’adolescence, je crois me souvenir qu’à cette époque, c’est à dire dans le première moitié du XX° siècle, cette ville n’’avait pas exactement cette aura culturelle et attractive qu’elle a actuellement, mais avait plutôt une dimension industrieuse et commerciale d’un port tourné vers le large. Cela dit quel que soit l’endroit où j’habite, je serai toujours, et définitivement, un «  Rochelais ».

    Les choses changent et c’est très bien et ce petit volume, forcément abrégé, refait l’histoire de ce petit village de pêcheurs devenu, au fil du temps, une cité prospère et même un « état dans l’État » que l’autorité de Louis XIII jugeait incompatible avec l’idée qu’il  se faisait du pouvoir royal absolu. Ce fut le siège de la ville de 1627-1628 que l’Histoire a retenu avec l’ombre du cardinal de Richelieu et celle de Jean Guitton, les souffrances des Rochelais, la reddition puis le renouveau. Ce fut davantage une reconquête de la part de l’autorité royale qu’une véritable lutte des catholiques contre les protestants puisque dans ce conflit, les confessions n’étaient que secondaires. Historiquement, la ville fut d’ailleurs administrée alternativement par des maires des deux religions mais sous l’autorité du roi comme l’attestent les trois fleurs de lys présentes sur son écusson. Ce célèbre siège n’était pas le premier ce ne sera pas non plus le dernier et c’est l’apanage des villes d’exception que d’être ainsi convoitées.

    Si on se réfère au Poitou on peut attribuer la création de la ville à la fée bâtisseuse Mélusine et ainsi donner à la cité une dimension à la fois merveilleuse et quasi divine. Sa devise, « Servabor retore deo », qu’on peut approximativement traduire par « Je serai sauvé par Dieu qui sera mon guide » donne aussi toute la dimension religieuse de ce qui a été son parcours historique, puisque la ville a été alternativement administrée par des catholiques te des protestants, par ailleurs adorateurs du même Dieu. Les églises et les temples qu’on peut y voir attestent d’un bel esprit de tolérance.

    On l’a dite « Belle et rebelle » et ce ne sont pas là que des mots puisque les monuments et hôtels particuliers sont maintenant beaucoup plus attrayants qu’ils ne l’étaient du temps de ma jeunesse. Quant son côté rebelle, elle l’ a montré à différentes reprises et l’attitude de son maire, Léonce Vieljeux, face aux vainqueurs allemands en est une brillante illustration. Sa modernité actuelle n’est pas le moindre attrait de cette ville tournée vers la mer, vouée au commerce, à l’industrie et à la culture qui font sa richesse et son attrait

    C’est donc un livre pédagogique avec des chapitres particuliers consacrés à des grandes figures rochelaises qui ont donné leur noms aux rues ou de grands moments ou mouvements qui ont émaillé son histoire.

     

     

  • Vingt ans ma belle âge

    N° 2000 – Août 2025.

     

    Vingt ans ma belle âge . Louis Guilloux – Gallimard (1976).

     

    D’ordinaire un recueil de contes ou de nouvelles reprend un thème. Ici ce n’est pas le cas puisque ce livre, paru en 1999, soit longtemps après la mort de Louis Guilloux (1899-1980), rassemble des textes publiés dans des revues ou des journaux entre 1926 et 1950.

    Je dois dire que, le livre refermé, je ne fais pas bien la différence entre les contes et les nouvelles.

    La première nouvelle qui donne son titre au recueil évoque paradoxalement la misère, la solitude, l’abandon un jeune homme dans le Paris des années 20, celles de « La belle époque » qui ne l’était pas pour tout le monde. A titre personnel, j’ai toujours pensé qu’avoir 20 ans n’était pas synonyme de bonheur, de plaisir ou de liberté mais bien plutôt d’illusions qui ne manqueront pas d’être déçues et qui feront basculer notre vie future, souvent avec la manœuvres de sa propre parentèle. On passe dans la foulée au mensonge qui est un grand classique de l’espèce humaine et aussi au conte de fée qui transforme, par le miracle d’une gifle, une jeune bretonne pauvre mais belle en une reine. On peut mettre cela sur le compte du destin pour une fois favorable, même si cela n’arrive que dans les livres.

    Ce sont des textes relativement disparates, souvent assez courts qui dépeignent la condition humaine dans ce qu’elle a de plus sordide, pas vraiment la vie qu’on aimerait vivre, plutôt celle que la malchance impose avec un goût amer, avec en prime la médiocrité. Entre les lignes je sens la solitude, le mal de vivre, l’abandon, l’oubli, le temps qui passe et qui nous détruit, la routine de cette vie qui n’est pas autre chose que des jours qui succèdent aux jours avec au bout la mort comme la fin d’un triste voyage.

    L’écriture de Louis Guilloux est sèche, sans fioriture et je crois adhérer pleinement à sa vision des choses.

     

     

  • Salido

    N°1999 – Août 2025.

     

    Salido . Louis Guilloux – Gallimard (1976).

     

    Nous sommes en septembre 1939 et la France vient d’entrer en guerre. Louis Guilloux, le narrateur, était responsable, au sein du « Secours rouge » de l’assistance apportée aux réfugiés espagnols du camp de Gouëdic à Saint-Brieuc, en réalité une ancienne usine désaffectée et délabrée, gardée par des gardes mobiles et entourée de barbelés. Personne pouvait y entrer. avant leur transfert dans celui du Vernet en Ariège. Il se souvient qu’Ils sont là depuis 1936, dans le plus grand dénuement et notre auteur a fait ce qu’il a pu pour leur venir en aide. Salido a refusé ce transport et a projeté son évasion pour gagner Paris puis l’URSS pour lutter contre le fascisme.  Il a donc fallu organiser son évasion ce dont se sont chargés des militant communistes et Guilloux qui vient d’apprendre qu’il n’est plus rien au sein de cette organisation caritative.

    Salido c’est le nom d’un lieutenant espagnol républicain, un personnage silencieux, toujours sur ses gardes, mais qui ne parlait pas un mot de français ! La solution retenue pour cette évasion était originale mais l‘intendance ne suivit pas et ce fut’ un échec et pire encore .

    Comme à son habitude, l’écriture est simple, sans artifice. Il y décrit la déconvenue qui est la sienne d’avoir été démis de ses responsabilité dans cette organisation caritative alors qu’il y œuvrait avec dévouement. Cet épisode se déroule à Saint-Brieuc qui est la ville de naissance de Louis Guilloux, et qu’il n’a jamais oubliée.

    Ce que Guilloux ne dit pas c’est l’état de détresse de ces Espagnols que la France traita avec le plus grand mépris, alors même qu’ils n’étaient pas nos ennemis, les laissant sans soin dans des camps comme celui de Saint-Cyprien dans les Pyrénées orientales. Cet épisode peu glorieux pour notre histoire est notamment relaté par Luis Bonet Lopez dans son ouvrage « Mémoire d’exil d un Espagnol » (Éditions le Croît Vif). Non seulement ces pauvres gens étaient des vaincus, des exilés, mais ils avaient rejoint la France, « Pays des droits de l’homme et de la liberté » qui ne fut pas à la hauteur de sa réputation. Ils étaient cependant d’authentiques antifascistes puisque pour la plupart ils ont lutté sur notre territoire dans la Résistance et il faut se souvenir que les premiers éléments de la division Leclerc qui libéra Paris était majoritairement composée d’Espagnols républicains. Ce fut « la nueve » aux ordres du capitaine Dronne.

     

    Louis Guilloux, écrivain majeur du XX° siècle paraît aujourd’hui injustement oublié.

     

  • O.K. Joe

    N°1998 – Août 2025.

     

    O.K. Joe . Louis Guilloux – Gallimard (1976)

     

    Je viens de lire le récit de Fabienne Juhel, « La chaise n°14 » qui traite de la vengeance d’une jeune fille, Maria, tondue à la Libération pour avoir aimé un officier allemand. J’ai été intrigué par la présence dans ce livre d’un personnage, le secrétaire du maire de Saint-Brieuc, qui se retrouve, à la demande des autorités militaires, interprète chargé d‘aider à l’instruction d’exactions perpétrées par des soldas américains sur le sol français. A ce titre il porte un uniforme américain et les insignes de lieutenant. Maria qui a été publiquement humiliée entend recevoir des excuses de tous ceux qui ont assisté à cet outrage sans réagir et spécialement le jeune maquisard qui l’a commandé, un ancien amoureux qu’elle avait éconduit. Ce lieutenant-interprète qui l’aida dans cette démarche était aussi écrivain et il relate à son tout cet épisode. La personnalité de ce Français m’avait intéressé.

     

    Ce livre évoque cette période de sa vie où il fréquenta les tribunaux militaires et assista les officiers chargés d’instruire les affaires judiciaires en tant qu’interprète de l’armée de libération. Il nota qu’il s’agissait souvent de viols, suivis de meurtres et lorsqu’ils étaient commis par des noirs le verdict était la mort. Il était différent quand l’accusé était blanc à cause de sécessionnisme de l’armée. Cette injustice, suivie d’autres dont il fut le témoin, sont collationnées par ses soins dans ce récit plein d’amertume . Joe est son chauffeur et cette interjection américaine qui figure dans le titre revient souvent au cours de ce texte.

     

    Le style est sobre, dénué d’artifice, témoigne d’un vrai talent de conteur. La lecture de ce livre est l’occasion de se souvenir de Louis Guilloux (1899-1980), romancier breton, également un temps journaliste, marqué à gauche, mais qui, même s’il est issu du peuple, refuse l’étiquette « d’écrivain prolétarien », cette formule étant à ses yeux, trop réductrice et aliénante de sa liberté créatrice. Il s’essaie à d’autres formes d’écriture mais la publication en 1935 de « Sang noir », refusé par le jury Goncourt, assoie sa notoriété littéraire. Son roman « Jeu de patience » obtient le Prix Renaudot en 1949. Il ne renie cependant pas son engagement social auprès des plus défavorisés, des pauvres, des exilés, des exclus et s’affirme comme un écrivain breton. Ses romans sont souvent teintés de détails autobiographiques mais il reste fondamentalement un écrivain humaniste. Son œuvre n’est pas passée inaperçue auprès de ses pairs, du public, de la critique et de l’université et un prix littéraire porte son nom.

     

     


     

  • La chaise numéro 14

    N°1997 – Juillet 2025.

     

    La chaise numéro 14 – Fabienne Juhel – Éditions du Rouerge.

    Ce livre qui n’est pas répertorié comme un roman, évoque une page sombre de notre histoire, celle de l’épuration qui a fait suite à l’Occupation et plus spécialement l’épisode peu glorieux des femmes tondues pour avoir eu des relations intimes avec un Allemand. Il parle de l’humiliation subie par une jeune fille bretonne, Maria, livrée ainsi à la vindicte publique alors même que cette relation amoureuse n’avait donné lieu ni à des dénonciations ni à des arrestations. Elle avait accepté cette épreuve avec courage, tout en gardant le droit de se venger de ceux qui s’étaient rendus coupables de cette bassesse. S’attaquer à des femmes sans défense n’était certes pas glorieux pour ceux qui étaient souvent des résistants de la dernière heure et ce d’autant plus que, agissant ainsi, ils exorcisaient souvent leur lâcheté devant l’ennemi et que surtout il n’y avait plus de risque.

    A la Libération beaucoup ont payé leur attitude coupable pendant la guerre même si certains de ceux qui perdirent la vie furent victimes de dénonciations mensongères et ne durent souvent leur malheur qu’à la jalousie de leurs voisins. Pour les femmes s’était un peu différent. Ce qu’on leur reprochait ce n’était pas d’avoir dénoncé mais simplement d’avoir couché avec l’occupant, ce qui arrive à l’occasion de toutes les guerres avec occupation de territoire. La sanction ne pouvait donc pas être la mort mais l’humiliation publique en s’attaquant à un symbole de leur féminité, leur chevelure. On les exhiba dans les rues, parfois à demi dénudées, en leur crachant dessus et ce d’autant plus volontiers que ceux qui leur infligeaient cette honte avaient souvent été éconduits par leur victime, comme c’est le cas dans ce témoignage. Quant au pardon, c’est une autre histoire.

    Ce que je retiens ce sont les mots de Paul Eluard « Comprenne qui voudra moi mon remords ce fut la malheureuse qui resta sur le pavé, la victime raisonnable à la robe déchirée, au regard d’enfant perdu, découronnée, défigurée, celle qui ressemble aux morts, qui sont morts pour être aimés ».


     


     


     

  • Mersault, contre-enquête

    N°1996 – Juillet 2025.

     

    Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud – Actes Sud (2014).

    Nous avons tous lu « L’étranger » d’Albert Camus qui a connu un succès mondial. Dans ce roman paru en 1942, Meursault, un trentenaire habitant d’Alger, tue un arabe, sur une plage inondée de chaleur, à cause de la chaleur, du sel dans ses yeux et de l’oisiveté. Il finira guillotiné mais lors de son procès on parlera davantage de son indifférence face au décès récent de sa mère que de ce meurtre. Cette œuvre s’inscrit dans dans le « cycle de l’absurde » de Camus.

    Dans son roman, Kamel Daoud donne la parole à Haroun, le frère cadet de Moussa, cet arabe assassiné par Meursault. Il a attendu 70 ans pour s’exprimer sur ce fait, pour se débarrasser de cette histoire racontée de multiples fois par sa mère. Ce vieillard accueille un universitaire dans un bar d’Oran qui sert encore du vin. Pour lui, il évoque ce roman de Camus, redonne un prénom à la victime, Moussa, qui n’était qu’un arabe anonyme, parle de lui, lui donne une vie, une mère, M’ma qui régnait monstrueusement sur cette famille et un père absent, disparu. Haroun a vécu durement toute sa vie avec le fantôme de son frère et quelques coupures de journaux relatant ses faits qu’il devait lire et relire à sa mère illettrée, les histoires à la fois chaotiques, fantasmées, redoutées et culpabilisantes de cette mère à la recherche surréaliste d’un corps introuvable et remet en question à la fois la justice, le colonialisme puisque le roman de Camus se déroule dans les années 40 au moment où en l’Algérie existe une discrimination, des inégalités et des tensions entre les colons et les autochtones considérés comme des êtres de seconde zone et dépossédés de leurs terres. C’est une remise en perspective d’une période désormais révolue mais qui appartient à l’histoire, une sorte de rappel de la vérité. Puis vient pour Haroun l’heure de prendre le maquis, ce qu’il ne fait pas, mais tue un Français qui, le jour de la libération s’était réfugié chez eux. Cet assassinat n’a rien de rituel, il est seulement le contrepoids à la mort de Moussa vingt ans auparavant parce que sa mère le lui ordonne. C’est aussi une libération pour Haroun qui ainsi exorcise son long deuil . Ainsi, dans une sorte de deuxième partie, il égrène son histoire à lui, labyrinthique et désordonnée, de son absence de croyances religieuses, de sa défiance envers les femmes, à cause de sa mère sans doute, à l’exception de Meriem, son seul amour platonique et fantasmé, de son arrestation, des questions sur son non-engagement contre les Français pendant la guerre d’indépendance, davantage que le meurtre de sa victime intervenu un peu tardivement aux yeux des autorités pour être héroïque, puis sa libération.

    C’est aussi une étude de personnages, Meursault est un modeste bureaucrate oranais sans passions ni émotions, indifférent au quotidien face à l’absurdité de son existence et à la mort de sa mère. Il y a aussi Haroun, victime lui aussi de cette histoire, désireux de trouver un sens à sa vie malgré l’amour impossible qu’il éprouve, souhaitant sortir de cette tragédie où il cohabite avec Mersault et Moussa, deux morts, sa mère encore vivante et le fantôme de Meriem. Il veut redonner une identité à son frère, se libérer de sa mère, envahissante, abusive, obsédée par la mort de son fils et par sa quête effrénée et un peu folle. Ce que je retiens à titre personnel, c’est la réalité de l’absurdité de l’existence et il me semble qu’il y a beaucoup de ressemblance entre Mersault et Haroun, notamment sur l’absurde de la vie, sur sa révolte, notamment au regard de Dieu. Elle fait de nous les victimes innocentes de circonstances extérieures, du hasard ou de notre destin et nous met en face de notre inextricable solitude face à la mort. Haroun est seul devant ce qu’il regarde comme des échecs personnels, un étranger à son tour, dans cette vie que les circonstances lui ont volé.

    Ce livre refermé, j’ai apprécié ce roman remarquablement et poétiquement écrit en français, couronné par de multiples prix et traduits en de nombreuses langues, adapté au théâtre et bientôt au cinéma. C’est bien sûr une fiction dans laquelle je suis entré, à cause du style mais aussi parce qu’elle évoque le roman de Camus qui prend ainsi une sorte de dimension véridique par la technique de la métafiction. A mon sens le roman de Kamel Daoud n’est pas une suite de celui d’’Albert Camus, mais au contraire comme une autre histoire qui a à la fois pourri la vie de ce pauvre homme mais qui un jour a croisé Meriem dont la beauté l’a à la fois bouleversé par sa présence et meurtri par son départ, le laissant orphelin d’un amour impossible, faisant de lui un solitaire définitif. C’est un vieil homme qui va mourir mais peu lui importe puisqu’il est déjà mort et qu’il a redonné vie à ce frère, à ce personnage de papier. La lecture du roman de Kaml Daoud m’a donné envie de relire Albert Camus.


     

  • Le palais de l'infortune

    N°1995 – Juillet 2025.


     

    Le palais de l’infortune - Donna Leon – Calman-Levy.

    Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gabriella Zimmermann.

    D’emblée le titre anglais «  So shall you reap » qu’on peut traduire par « on récolte ce que l’on sème » donne le ton.

    Ce palais c’est le « Plazzo Zaffo dei Leoni » à Venise. On découvre dans les canaux, le cadavre d’un homme, Inesh, un ouvrier quinquagénaire sri-lankais apparemment sans histoire, de sensibilité bouddhiste, habitant dans une dépendance de ce vieux palais depuis 8 ans. De plus il s’avère que la victime avait un os de doigt humain dans son gousset. Or, il se trouve que e commissaire Guido Brunetti l’avait rencontré la veille de sa mort, par hasard, à propos de l’éventuelle mise en vente de ce palais.  Il est donc chargé de cette enquête et ses investigations révèlent la présence chez Inesh de documents sur les années 70-80 en Italie, période sombre marquée par les attentats, les enlèvements, les demandes de rançons et les assassinats politiques de la part des « Brigades rouges ». De plus il découvre des écrits de jeunesse d’hommes devenus depuis d’éminents universitaires et hommes politiques, Il devient dès lors étonnant que de tels documents soient en possession d’Inesh et que cela pourrait bien expliquer sa mort.

    Le livre refermé, ce 32° roman de Donna Leon m’a paru un peu lent au début avec des considérations sur l’homosexualité d’un des collègues de Guido, sur le racisme, l’immigration, les déconvenues de la jeunesse, la vie familiale heureuse de notre commissaire et les talents culinaires de son épouse Paola. Il faut en effet attendre la page 80 pour entrer dans le vif du sujet et mon attention n’a véritablement été éveillée que vers la fin, avec l’intervention d’une religieuse… et d’un chien.

    Ce n’est pas inutile de le rappeler, mais à Venise on ne peut que marcher et les investigations que notre commissaire y mène vont au rythme de cette déambulation. On n’échappe pas, et c’est inévitable, aux évocations sur le passé glorieux et sur les richesses culturelles de la cité des doges et c’est évidemment un plaisir de retrouver toutes ces descriptions vues à travers les yeux du commissaire qui est aussi un homme cultivé. On retrouve le vice-questeur Patta, inconsistant chef de service et surtout l’indispensable Elettra et ses recherches sur internet. L’étude des documents trouvés chez Inesh l’invitent à replonger dans le passé et les écrits révolutionnaires de ceux qui maintenant sont des notables respectés. Cette mémoire de papier est toujours intéressante à explorer… et pleine de surprises.

    Donc un roman assez lent à suivre au départ que j’ai cependant continué à lire, parce que c’était une œuvre de Donna Leone que par ailleurs j’apprécie(un livre est le résultat d’un travail et le lire jusqu’au bout est un hommage à son auteur) mais surtout parce que, vers la fin seulement, cela devient passionnant.

    C‘est certes bien écrit (bien traduit) mais l’ensemble m’a paru un peu décevant.

    N°1995 – Juillet 2025.


     

     

  • nostalgia

    N°1994 – Juillet 2025.


     

    Nostalgia – Un film de Mario Martone (2022)

    Arte le 23/7/2025


     

    On se demande ce qui est passé par la tête de Felice Lasco ( Pierfrancesco Favino) de revenir, après quarante ans d’absence dans sa ville natale de Naples et plus spécialement dans le quartier de la Sanità où sa vielle mère, Teresa, (Aurra Quattrochi) habite dans des condtions désormais plus que précaires. Lui qui a réussi dans les affaires, au Caire où il vit avec son épouse, aurait sans doute dû méditer cette pensée d’Albert Camus selon laquelle on ne revit pas à quarante ans de la même manière les années qu’on a vécues à vingt.

    Quand il y revient, il rencontre Raffaele (Nello Mascia) un ancien amant de sa mère qui lui conseille fortement de retourner en Egypte après la mort de celle-ci. On ne sait trop pourquoi, alors que les évènements autour de lui l’incitent à disparaître puisque son retour n’est pas passé inaperçu, il s’entête à vouloir tout quitter pour s’installer à Naples avec son épouse. Après l’enterrement de Teresa, Felice révèle au curé de la paroisse, Don Luigi Rega (Francesco di Leva), un prêtre respecté, son intention de s’installer définivement à Naples mais surtout de revoir son ancien ami Oresto Spasiano (Tommaso Ragno) devenu un dangereux mafieu solitaire que tout le monde craint. Le prêtre est aussi l’ennemi d’Oresto et tente avec ses faibles moyens d’inciter les jeunes de sa paroisse à échapper à la mafia. C’est vers lui que se tourne Felice qui se confie à lui, lui révélant les liens qui l’attachent à Oresto. Après de longues tractations Felice finit par rencontrer son ancien ami qui lui intime l’ordre de quitter la ville et fait tout ce qu’il faut pour l’y inciter. Felice comprend que leur ancienne amitié n’existe plus mais il s’obstine. C’est que sa présence réveille chez Oresto une vieille affaire de cambriolage qui a mal tourné et s’est conclue par le meurtre du propriétaire des lieux, assassiné par Oresto. A l’époque, les deux adolescents ont quinze ans et sont deux minables petites frappes mais c’est Felice, poussé par sa famille, qui choisit de disparaître au Moyen-Orient. Sa fuite attire sur lui la responsabilité du meurtre mais bizarrement il n’est pas inquiété, son départ étant sans doute interprété comme la traditionnelle migration des Italiens du sud. Son retour à Naples est vécu par lui comme un bonheur, il déambule dans son quartier, achète un appartement, décide son épouse à venir s’installer définivement à Naples, ce qui lui sera fatal.

    La conduite de Felice m’a paru assez irrationnelle et il aurait dû sans doute se souvenir du dicton qui veut que, quand on se réveille le matin dans cette ville on n’est pas sûr d’être encore en vie le soir. Je veux bien que Naples possède ce tropisme qui attire ceux qui y sont nés et les détermine à revenir y mourir, mais quand même. Les circonstances auraient dû l’en dissuader et on comprend mal qu’il impose à son épouse qui n’est pas napolitaine de vivre dans le quartier de la Sanità qui a gardé son aspect lépreux et surtout dangereux puisque tous ici, ses amis comme ses ennemis, lui conseillent de disparaître. Dans ce film, Naples qui est aussi un personnage, n’est pas vraiment montrée sous un jour favorable et la caméra s’attarde davantage sur la violence qui y règne et sur l’aspect labyrinthique et inquiétant de ce quartier pauvre.

    Ce film dramatique sorti en 2022 est l’adaptaion d’un roman éponyme d’Emmano Rea (1927- 2016) m’a un peu déçu malgè la prestation de Pierfrancesco Favino et surtout de celle de Francesco di Leva, meilleur second rôle.


     


     

  • A mani vuote

    N°1992 – Juillet 2025.

     

    A mani vuote (Les mains vides) – Valerio Varesi – Frassinelli.

    .

    Dans Parme écrasée par la canicule le commissaire Soneri est bizarrement sollicité pour le vol d’un accordéon au préjudice d’un pauvre musicien de rue, Gondo, qui ne connaît que l’air de « Bella Ciao ». A quelques mètres de son emplacement traditionnel on a retrouvé le cadavre d’un homme dans son appartement. Il s’agit de Francesco Galluzzo, issu d’une riche famille de commerçants. Les pièces sont en désordre mais le coffre-fort n’a pas été touché, ce qui exclut le mobile du vol qu’on aurait pu légitimement retenir. Il n’a donc pas été tué pour son argent, mais il a été préalablement battu à mort, peut-être parce qu’il est aussi homosexuel, ce qui peut être un mobile. Ses investigations conduisent cependant Soneri à un usurier bien connu, Gerlanda, qui était créancier de la victime mais également vers une piste qui sent la drogue. Au fur et à mesure de ses recherches, le commissaire s’aperçoit que ce meurtre peut n’être qu’un détail qui cache une réalité bien plus grave qui pourrait affecter la ville elle-même, gangrenée par un nouveau type de criminalité où les sociétés financières et immobilières tirent les ficelles, le tout dans la plus grande hypocrisie.

    Je ne suis pas vraiment spécialiste des romans de Varesi que j’apprécie cependant mais d’ordinaire cette ville de Parme est plutôt noyée dans le brouillard et le froid. Ici c’est un peu comme si la canicule endormait les habitants. En plus de tous les rebondissements de cette affaire où tous ne disent pas ce qu’ils savent et, de plus, Soneri devra faire face à Capuozzo, le questeur, très sourcilleux sur les résultats de son subordonné et peu enclin à prendre en compte ses états d’âme. Non seulement cette opposition nuira à son enquête mais surtout mettra en évidence le véritable visage de cette ville pervertie par la corruption, pas vraiment la Parme qu’il connaissait. Face à l’apathie ou, pour ceux qui savent et qui refusent de parler, notre commissaire se réfugie dans la nostalgie qui naît du souvenir de son passé personnel et peut-être aussi dans le sommeil qu’il oppose au découragement qu’il connaît lors de ses investigations. Pourtant il se ressaisira et continuera de poursuivre inlassablement la vérité qui permettra aux magistrats de rendre une justice équitable.

    Dans ce roman, qui est le septième de Varesi, la ville de Parme se dévoile sous un jour différent. Le commissaire paraît vaciller malgré sa forte personnalité qui, pour une fois peut-être, relègue quelque peu au second plan ses traditionnels compagnons habituels, à l’exception peut-être d’Angela, la femme qu’il aime. J’ai retrouvé avec plaisir ce personnage, à la fois timide, cultivé, bon vivant, attaché à ses origines paysannes, ce qui est pour lui une aide dans la conduite de ses enquêtes..

     

     

  • La Feuille Volante a 45 ans

    N°1993 – Juillet 2025.

     

    La feuille volante a 45 ans.


     

    Le simple fait d’écrire ce titre me donne le vertige, d’autant que je ne suis même pas sûr de la date de création, officiellement 1980 , les premiers articles rédigés par mes soins, sur une idée de mon ami le regretté Marjan (1918-1998), n’étaient ni datés ni numérotés. Je ne faisais ainsi que répondre à ses sollicitations puisque, poète humoriste mais aussi animateur de nombreuses revues de poésie, il recevait des recueils qu’il n’avait pas temps de lire. J’ai donc été chargé par lui de tenir cette rubrique. A l’origine, ce qui est devenu une chronique, était tapée et photocopiée sur une feuille volante, d’où son nom, et jointe dans le courrier de Marjan mais sa diffusion était ridiculement modeste. Le dessinateur « Arfoll » (1927-2006) m’a fait l’amitié de l’illustrer à sa manière, accompagnant spontanément cette aventure. A l’origine elle était destinée à parler de ceux dont on ne parle jamais, les poètes, et cela a duré quelques années, puis, passionné de lecture, j’ai commencé à y intégrer mes notes sur les romans, nouvelles, essais que je lisais, c’est à dire à rédiger ce que mes nombreux professeurs de français avaient souhaité me voir effectuer, mais en vain, pendant ma lointaine scolarité. Ce n’est que lorsque internet a été popularisé que cette chronique est devenue « blog » et que je me suis laissé porté par ce tourbillon médiatique. Sa présentation volontairement spartiate est un choix personnel, d’autant que j’ignore toutes les possibilités que cette nouvelle technique permet. L’âge venant et avec lui l’effritement de ma mémoire, cette chronique m’a au moins servi, à titre personnel, à collationner et à me souvenir de mes remarques sur les livres que j’ai lus et plus récemment à propos des films que j’ai vus puisque, depuis peu, je me suis essayé à la chronique cinéma.

    Cette publication est depuis le début gratuite et le restera jusqu’à la fin, tout comme elle n’a jamais eu et n’aura jamais aucun abonné. Elle n’est pas exempte d’imperfections que ceux qui me font l’honneur de me lire me pardonneront je l’espère puisque je ne suis qu’un modeste amateur, solitaire de surcroît. J’ai beau me relire plusieurs fois avant chaque publication, des erreurs subsistent néanmoins que je ne vois pas. C’est sans doute à cette solitude je dois cette relative longévité puisque la durée moyenne de vie de ce genre de bulletin est limitée dans le temps et que je m’entends encore assez bien avec moi-même !

    Que ressort-il de cette longue période de curiosité personnelle, d’activité secrète, de cette expérience que je n’ai jamais voulu appeler ni critique ni littéraire ? En fait pas grand-chose. Peu de réactions donc, mais ça n’a jamais été le but, ce qui me fait dire que l’audience est restée très confidentielle puisque j’ai choisi de ne faire ni dans la controverse systématique ni dans le scandale. Je ne mets pas non plus en avant un taux élevé de fréquentation des lecteurs, puisque, selon moi, il doit beaucoup au hasard, à des erreurs de recherches et aux liens hypertextes. De plus, je n’ai eu que peu d’échanges avec les auteurs, et quand ces derniers, au début de leur carrière, m’ont fait l’honneur d’un échange épistolaire, ils en ont tous perdu l’habitude quand la célébrité a donné un élan à leur carrière. Je n’ai par ailleurs jamais souhaité me targuer d’une correspondance avec des gens de lettres prestigieux. Il s’agit seulement d’un enrichissement intime de ma culture personnelle, la satisfaction du désir de lire c’est à dire d’apprendre, de me cultiver et de maintenir en éveil mes facultés intellectuelles mais surtout le grand plaisir toujours intact, même s’il est parfois laborieux, que j’ai à écrire, à mettre des mots sur une impression ou un sentiment de simple lecteur, évidemment sans aucune dimension polémique puisque je respecte le travail de l’auteur. Je ne perds pas de vue non plus qu’on ne me demande rien ! Ai-je besoin de le préciser, mes modestes écrits n’ont rien à voir avec intelligence artificielle qui est souvent plus artificielle qu’intelligente.

    L’Ecclésiaste nous enseigne qu’il y a un temps pour parler et un temps pour se taire. Avec cette revue,j’ai largement utilisé le premier pour maintenant respecter le second. Tout cela va donc progressivement se terminer comme cela a commencé, c’est à dire dans l’indifférence et l’anonymat. Je n’ai jamais recherché le vedettariat ni la lumière, ni quoique ce soit de nature à me singulariser, à me mettre en avant puisque l’ombre me va très bien. Je garderai, je l’espère, cet attachement à la lecture et à l’écriture qui sont aussi des addictions d’anachorète en me demandant pourquoi j’ai participé si longtemps à cette agitation médiatique existentielle, autant dérisoire qu’inutile. Par vanité sans doute, avec peut-être l’espoir secret de me distinguer avec une autre forme d’écriture, dédiée celle-là à la création et qui se déclinait pour moi en poèmes, nouvelles et romans variés, mais là aussi tout cela est resté lettre morte et toutes ces feuilles noircies d’encre se recouvrent maintenant de poussière dans mes tiroirs ou s’entassent sur le disque dur de mon ordinateur puisque la recherche de l’éditeur s’est révélée globalement vaine et que l’édition à compte d’auteur, quelque forme qu’elle prenne, est un leurre quand cela n’est pas parfois une arnaque. La raison en est peut-être le peu de soutien de mon entourage, la malchance que je traîne avec moi depuis si longtemps, le destin qui m’a toujours été contraire, les illusions que j’ai tressées et entretenues, le manque de talent aussi. J’ai simplement essayé, en vain certes, et tant pis si les évènements ne m’ont pas servi, toutes ces tentatives avortées ont rejoint la liste déjà longue de mes échecs.

    Dès lors il est devenu illusoire d’opposer la moindre résistance à ce sens des choses et nécessaire de se laisser glisser vers la pente naturelle.

     

     

     

     

  • Non ce n'est pas un énième hommage à Gainsbourg

     

    LA FEUILLE VOLANTE

    La Feuille Volante n’a pas de prix, sa diffusion est gratuite, elle voyage dans la correspondance privée et maintenant sur Internet.

     

     

    Avril 1991

    n°56

     

    NON, CE N’EST PAS UN ENIEME HOMMAGE A GAINSBOUG. – (A propos de l’article republié le 6 mars 1991 dans « Le Canard Enchaîné », article daté du 12 novembre 1958 et signé Boris Vian).

     

    La Feuille Volante n’est pas un journal. Elle ne rend pas compte de l’actualité. Pourtant, je ferai une exception puisque la mort de Gainsbourg nous concerne tous. Le personnage ne laissait pas indifférent. On avait pour lui de la sympathie, du dégoût, mais on avait un avis ! Le Canard Enchaîné publie un article daté de 1958 consacré à Gainsbourg (il avait trente ans) et signé Boris Vian.

     

    Qu’y avait-il de commun entre le « Satrape » du collège de Pataphysique et ce chanteur « unanimement flingué par la critique de l’époque » ? (Ils s’étaient peu connus, mais beaucoup appréciés). Peut-être le goût de la musique, de la poésie, de cette marginalité littéraire si opportunément cultivée qui fait dire que la réussite ne sera jamais vraiment au rendez-vous ? Tous les deux ont fait du cinéma, du spectacle et Gainsbourg, on le sait moins était aussi romancier. La provocation cachait chez ses deux personnages une sensibilité exacerbée qu’ils camouflaient mal derrière l’homme public. Ils jouaient avec la vie tout en sachant mieux que personne qu’elle est éphémère et qu’il convient de la brûler aussi complètement que possible. Tous les deux étaient des « touche à tout » de génie, morts singulièrement de la même façon, ayant peut-être choisi, à l’instar du comédien qui quitta la scène, de tirer à un moment précis leur révérence au public (« Quand je veux » dit un personnage de Boris Vian), ayant peut-être, au fond de la poitrine ce nénuphar de Chloé dans l’écume des jours qui se nourrit de sa propre souffrance. Oui, chacun jouait à se faire peur avec pour enjeu cette mort que bizarrement ils avaient prévue, parce qu’ils portaient en eux qu’ils savaient pouvoir les emporter (« Je n’atteindrai pas 40 ans » avait prophétisé Vian, comme s’il savait que chaque note sortie de sa trompette était une mesure de plus pour sa propre symphonie funèbre)

     

    Chacun d’eux avait quelque chose de rabelaisien et il convenait de briser l’os des apparences pour atteindre la substantifique moelle de la sensibilité. Tous les deux ont connu cette soif, mais surtout ce mal de vivre qu’ils ont combattu par le tabac, l’alcool… mais qui a donné cette œuvre qui ne peut sortir que du bouillonnement intérieur d’un écorché vif.

     

    Pourtant une chose les sépare peut-être, c’est l’hommage populaire, toutes générations confondues. La disparition de Gainsbourg arrache des larmes à l’adolescent comme au retraité qui ainsi se retrouvent dans la perte de quelqu’un qu’ils aimaient. Pour lui les fleurs, mais surtout, témoignage dérisoire ou clin d’œil du destin des paquets de Gitanes, des cigarettes brisées, des bouteilles de whisky, des gens qui restent devant un mur ou un cercueil, en silence ou en chanson, en se disant qu’il est parti trop tôt et ne veulent pas y croire. « Quand je serai refroidi, ce qui me gène le plus sera de faire pleurer mes enfants » disait Serge ; Il n’y a pas que ses enfants qui ont pleuré ou plutôt si, puisque grâce à lui c’était un peu le gamin frondeur et contestataire qui dort en chacun de nous qui se réveillait et redevenait pour un moment joueur de billes, pilleur de troncs ou passionnément amoureux comme l’était Boris.

     

    C’est vrai, c’est à chaque fois la même chose « Quand il est mort le poète … ». Ce qui compte le plus c’est l’hommage des gens, de ceux qui ne l’ont connu qu’à travers la presse, la télévision où il était parfois absent, mais maintenant qu’il est mort, il ne scandalisera plus, on n’aura plus à redouter ses écarts de langage ou de conduite qui mettaient si mal à l’aise les animateurs BCBG. Gainsbourg et Vian ont bien connu dame Censure !

     

    C’est vrai que Serge n’échappe pas à la tradition qui veut qu’on dise surtout du bien des morts, même si ces mêmes louanges sont restées au fond des gorges de son vivant ! Heureusement, les média qui peuvent enfin parler que quelqu’un qui intéresse (et fait monter les ventes et l’indice d’écoute) car la Guerre du Golfe a mis quelque peu en exergue la pauvreté de l’information ces derniers temps !

     

    « Ce qui restera ce sont ses chansons, je les fredonnerai toujours ! » a dit une vieille dame claudicante de retour du cimetière. C’est vrai que nous continuerons à fredonner « Le Poinçonneur des Lilas » de même que « Le déserteur » reste dans toutes les mémoires…

     

    La chanson, vous avez dit « art mineur » ?

     

    © H.G.

  • Les saisons de ma mémoire

    N°1990 – Juillet 2025.

     

    Les saisons de ma mémoire – Dany Dick-Chabrut – Arkane éditions.

     

    Vieillir ce n’est pas seulement mesurer le poids des années qui rendent plus pénibles les mouvements du quotidien, c’est aussi arpenter le souvenir de ce parcours terrestre avec ses joies, ses victoires, ses jalons, ses épreuves, ses deuils, ses regrets... Avec des photos jaunies, Coco, 89 ans refait avec son amie Rose, 87 ans ce chemin à l’envers, convoque le passé avec la naïveté et les non-dits de leur enfance commune, la nostalgie que distille ces souvenirs face au progrès en marche tout en collationnant ces petits gestes d’autonomie et de liberté qu’elle pose avec gourmandise pour s’affirmer elle-même, en prenant conscience que le temps a passé, que ce monde a changé trop vite, que, même si’ elle n’est pas encore bonne pour l’ EHPAD, elle n’y a plus vraiment sa place. Elle met le doigt sur la transformation des générations avec l’évolution des mentalités, sur le fait que les êtres humains ne sont plus appréciés qu’à l’aune de leur rentabilité, avec en prime l’incompréhension et la suffisance des plus jeunes, les anciens, rendus fragiles et dépendants et qui ne sont plus regardés que comme une charge pour la société.

    L’auteure nous invite à ce cheminement dans un passé pas si lointain, avec toute la volonté collective de construire un monde neuf et prospère mais qui laisse de plus en plus la place à une société en pleine mutation, devenue folle et égoïste qui a perdu ses repères , ses boussoles et aussi pas mal de ses valeurs anciennes à l’image de l’école qui portait en elle le respect de l’autorité et l’envie d’apprendre. Ce récit est plein de mélancolie, de sentiments éprouvés par un être humain face à la marche inexorable du temps dont les changements se déclinent en modernité mais aussi en incivilités, volontés de destruction, solitudes, désillusions et marginalisations. C’est un constat amer et sans concession de notre société amnésique, fracturée, sans véritable espoir de changement tant les choses sont figées dans l’immobilisme, vouée à l’injustice, à l’oubli, minées par l’appât du gain, confortées par les certitudes immuables, définitives, dans une Histoire qui menace de bégayer.

    C’est aussi l’opposition de deux personnalités avec ses côtés contradictoires. Coco déplore ces transformations, l’abandon de la terre traditionnelle source de richesse, mais elle l’a pourtant quittée pour faire une belle carrière de cadre dans un grande entreprise et ainsi participer à ce mouvement irréversible. Rose, son amie, plus artiste et créatrice, qui a mené son parcours différemment, s’est polarisée sur la famille, ses incohérences et ses frustrations, sur les incongruités du couple. Trop idéaliste sans doute elle a refusé de donner la vie à un enfant, de le précipiter dans ce chaos. Elle a cultivé son indépendance, sa liberté de femme, maîtresse autant des anagrammes que des recettes de cuisine. Pourtant il y a entre elles une complicité mêlée au fatalisme et leur regard posé sur le monde, à la fois désabusé et paisible, s’accommode de ces petits plaisirs et de de l’humour face aux douleurs et à la fin de vie, au temps qui fuit, à la dégradation des corps, à la perte de mémoire, toutes ces choses qu’il faut accepter, à l’effacement progressif, à l’abandon seulement interrompu par la volonté de s’adapter, à la modernité et la pratique du soliloque, simples artifices pour faire oublier l’inévitable mort qui veille, simplement parce que la jeunesse éternelle n’existe pas.

    Manipuler des photographies n’est jamais neutre. Cette incursion dans le passé ravive les souvenirs, entretient les spéculations, mais aussi la culpabilité de n’avoir pas fait ou pas dit ce qu’il fallait à un moment précis et cela pourrit la vie. Les clichés, qu’ils soient de famille ou de classe figent le temps et représentent des gens qui souvent ne sont plus là, évoquent les arcanes du passé avec son lot de bons et de mauvais moments vécus, de bonnes et de mauvaises personnes rencontrées avec, en contre-point, la recherche légitime du bonheur .

    En forme d’épilogue, il y a cette constatation que la France, notre pays, s’est fait dans l’effort et la souffrance, que les femmes y ont pris leur part et qu’il convient qu’elles revendiquent leur place dans cette lutte en s’affirmant contre les hommes, en sortant de leur rôle traditionnel lié aux anciennes normes. Cela dit, cette volonté de changer la vie peut paraître une splendide illusion face aux temps qui changent , face au temps qui passe.

     

    En lisant le titre de ce livre je m’attendais à autre chose, une exploration de la mémoire intime de l’auteure, un bilan de sa vie. Il y a certes un plongeon dans le passé de Rose et de Coco, à l’invite des clichés jaunis qui défilent sous leurs yeux et qui font revivre leur jeunesse et leurs fantômes, les hommes qui les ont aimées et le vide laissé par leur absence, par leur fuite parfois et qui ressemble à un échec, entre fantasmes et désillusions. Pour le reste, je partage le regard posé sur le monde, l’évocation des méandres du passé, l’amnésie de cette société, ses dérives et ses espoirs d’amélioration, à cause de mon âge sans doute.

    C’est agréablement écrit et l’auteure s’attache facilement son lecteur.

     

    Écrire un livre est dans la vie de son auteur(e), un moment fort. La dédicace est souvent laconique, économe en mots. Celle qui débute cet ouvrage me paraît originale et digne d’intérêt pour sa rédaction même, par son message aussi. Quant à la paix, nous la méritons tous.

     

    © – Juillet 2025.

     

     

     

     

     

     

  • Les dragons

    N°1991 – Juillet 2025.

     

    Les dragons - Jérôme Colin – Allary éditions.

     

    Jérôme, 35 ans, homme de radio, éprouve le besoin de faire une pause dans la vie de couple qu’il mène avec Léa depuis dix ans. C’est qu’il a peur de rentrer dans la norme, d’avoir un enfant comme le souhaite sa compagne. Pour exorciser ce mal-être, cette solitude, ses cicatrices d’enfance qui lui pourrissent la vie mais aussi celle des autres, il va écrire son histoire, pour s’en débarrasser peut-être ?

    Il a quinze ans, fils unique, puceau, en décrochage scolaire, en opposition constante avec ses parents qu’il ne supporte pas, il refuse la normalité et les efforts qu’ils font pour lui. Sa vie marginale se déroule ainsi entre avec violence contre son père, la drogue et il se retrouve placé par la justice dans un établissement psychiatrique. On peut légitimement pensé qu’il va s’opposer à ce placement, prononcé contre son gré, dans cet établissement où chacun vit avec son histoire sordide. Lui dont l’obsession était d’ « entrer dans une fille » va croiser Colette, encore plus dévastée que lui et s’attacher à elle. Lui qui estime n’être rien va se révéler à travers elle ainsi qu’à travers les mots puisque, bizarrement, il s’inscrit dans un atelier de thérapie par l’écriture et rejoint la jeune fille dans la lecture. Cela l’aide à combattre les «monstres » qui l’entourent et son imagination débordante tisse une improbable histoire d’amour avec elle, avec l’Italie pour décor et pour guide une pensée de Steinbeck conseillant d’aimer le faible. Lui qui refusait tout se met, dans l‘ombre de cette jeune fille perturbée, à porter attention au discours du psychiatre, à croire qu’un ailleurs est possible avec Colette. Elle lui parle, lui raconte son parcours qui aboutit à l’automutilation pour se punir d’être née, pour continuer à accepter sa vie qui s’inscrit dans un monde qu’elle n’accepte pas, avec la mort en contre-point.

    Le livre refermé, cette triste et émouvante histoire narrée sans fioriture rappelle qu’on a le droit de refuser une vie qu’on n’a pas demandée, surtout si elle est devenue un fardeau et ce malgré la peine infligée à ceux qui restent, que la religion, ses rituels et ces oiseux discours sur la vie après la mort ne sert à rien et même entretient des illusions malsaines, que ceux qu’on a mis à part, invisibles, anormaux, méritent qu’on ne les rejette pas. Ce cheminent effectué sur une citation de de Philip Roth reproduite en exergue et qui rythme ce roman est long, douloureux parce que les mots pour le réaliser tardent à sortir. Nous le savons, le livre est aussi un univers douloureux, écrire est une souffrance, un témoignage mais aussi l’expression d’une solitude, d’un désespoir face à cette compétition constant et le culte de la réussite, de l’argent, du paraître.

    L’épilogue a des accents de « happy end » qui concluent généralement les romans, un retour à une vie familiale normale, heureuse, une de ces nombreuses parenthèses qui bouleversent une vie de couple.

    J’aimerais, à titre personnel, que l’écriture soit vraiment une libération, qu’elle aide à se guérir d’une enfance faite d’incompréhensions et de rejets et qui génère souvent dans l’âge adulte les mêmes circonstances douloureuses qu’on a connues aurapavant. On refait pourtant et même malgré soi l’exemple qu’on voulait éviter, comme si une sorte de destin malsain pesait sur nos épaules. Puisque les citations ont émaillé ce roman, j’en ajouterai une de Mac Aurèle qui n’y figure pas « Habitue-toi à tout ce qui te décourage ».

    ;

    ,

  • Zinedine Zidane, une sortie très honorable.

    N°256 Juillet 2006

     

     

    Monsieur Zinedine Zidane – Une sortie très honorable.

     

    Que mon improbable lecteur me pardonne, mais l’actualité me fait réagir comme tout le monde et je me permets donc de sortir du créneau que j’ai moi-même choisi pour cette revue qui se veut littéraire. Je veux évidemment parler du geste de Zinédine Zidane.

     

    Quelques remarques d’abord. J’ai fait, il y a bien longtemps mes humanités, comme on disait alors, et dans les textes, on faisait l’éloge des champions grecs et latins que la victoire aux jeux, du stade ou du cirque, consacrait à l’égal des dieux. A l’époque, je me souviens m’en être étonné. Je me rassure aujourd’hui, notre époque est semblable et nous n’avons rien à envier aux Romains qui réclamaient « du pain et des jeux ».

     

    Mais j’en viens à mon propos et je veux apporter ma part de réflexion à ce qui a été un événement national. Zidane avait fait part de son intention de quitter la compétition après cette coupe du monde et chacun d’y voir un heureux présage, une deuxième étoile d’or sur le maillot bleu, une consécration pour notre héros national, la coupe du monde revenue chez nous… Au lieu de tout cela, tout à fait autre chose, un joueur expulsé, un peu désabusé, regagnant seul les vestiaires, passant sans le regarder devant le trophée doré qu’il ne brandira pas, à dix minutes de la fin du match…preuve que rien n’est jamais écrit à l’avance et qu’Aragon avait bien raison de proclamer «  Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse ni son cœur, et quand il croit ouvrir les bras son ombre est celle d’une croix, sa vie est un étrange et douloureux divorce… »

     

    Nous connaissions un peu l’homme, parce qu’il s’était, à l’occasion, dévoilé au cours de sa vie publique. Il avait lui-même parlé de sa part d’ombre… mais nous garderons tous l’image de ce dieu du stade, adulé et célèbre à la fois pour son talent mais aussi pour son esprit de tolérance, sa simplicité, son calme, ses qualités humaines. C’est pour tout cela que nous l’aimons. Mais voilà que sa part d’ombre est réapparue en pleine lumière, et devant les caméras de télévision du monde entier… Et chacun de déplorer la chute de cette icône, la statue du commandeur qui devient subitement impulsive, c’est à dire humaine, tout simplement !

     

    Zidane s’est expliqué et alors les choses se sont éclairées. Materazzi, l’a insulté par trois fois pendant le match, s’en prenant à ce qu’il a de plus précieux au monde, sa famille. Au passage, le joueur italien a bien opportunément oublié les sacro-saintes valeurs du sport, celles qu’on enseigne aux enfants et qu’on répète à l’envi. Le but du jeu, si je puis dire, était de déstabiliser Zidane pour le faire expulser du terrain et ainsi priver l’équipe de France de son meneur de jeu. Cela a fonctionné ! Et chacun de s’étonner que cela puisse se produire sur un terrain de football, à ce niveau de compétition. Ce déplorable incident a donc été aussi un révélateur. Malgré toutes les idées reçues, toutes les valeurs dont nous aimerions bien qu’il fût porteur, le monde du sport n’est ni meilleur ni pire que les autres, il en est l’exacte réplique, le miroir. Il est très précisément semblable au monde du travail où la compétition est quotidienne, la réussite est la règle incontournable sinon l’unique but, même s’il faut pour cela déstabiliser l’autre, l’écraser pour prendre sa place et ainsi le détruire… Tout cela pour l’illusoire impression de la reconnaissance, de la valorisation personnelle.

     

    Zidane a résisté aux lazzis de l’Italien et tout à coup a craqué, parce que sa réaction a suivi les provocations. Le dieu est tout à coup redevenu humain, ce qu’il n’a jamais cessé d’être, en réalité : un homme qui a su faire passer son honneur avant son intérêt et qu’il l’a défendu.

     

    On peut dire ce qu'on veut de ce geste et Zidane s’est excusé auprès des enfants qui sont ses meilleurs supporters parce qu’il est leur modèle. Il a précisé toutefois, qu’il ne le regrettait pas parce que cela aurait été donner raison aux provocations. Eh bien, je n’ai pas peur d’affirmer ici qu’il est effectivement un modèle pour nous tous, celui d’un homme qui n’a pas eu peur de briser publiquement son image et aussi peut-être nos rêves de victoire parce qu’on avait porté atteinte à son honneur et à celui de sa famille ! Le geste de Zidane est peut-être un mauvais exemple pour les jeunes, mais pour nous, adultes, je proclame ici qu’il y a de la noblesse dans cette réaction.

     

    Même si ce n’est pas exactement ce que nous attendions tous, c’est une très honorable sortie que celle de Zidane et son geste mérite admiration et respect.

     

     

  • La méthode Werber

     

    N°353– Juillet 2009.

    La méthode Werber – Article de Jacques Drillon – Le Nouvel Observateur n°2331 du 9 au 15/7/2009 p 89.

     

    Dans la série « Nous vivons une époque formidable », mon attention a été attirée par l'article de Jacques Drillon. Bernard Werber qui n'est pas un inconnu pour cette revue [La Feuille Volante n° 317 – Octobre 2008] avait convié 400 de ses lecteurs à L'institut Océanographique de Paris pour un « atelier d'écriture ».

     

    Personnellement, j'ai toujours pensé [en le vérifiant] qu'une telle activité [l'atelier d'écriture] ressemblait beaucoup à une arnaque et qu'il fallait se garder de tomber dans le panneau. Cela avait pour effet, sinon pour but, d'apprendre aux « stagiaires » ce qu'ils savaient déjà faire, tout en les ponctionnant largement au passage... avec leur consentement et leur satisfaction et surtout en leur donnant l'impression qu'ils sont meilleurs « écrivants », sinon écrivains, qu'avant leur passage dans cet atelier!

     

    C'est peut-être un signe des temps, la preuve que la crise n'est pas pour tout le monde, mais, n'ayant pas été invité et surtout ayant des moyens limités [25 euros quand même pour participer à la séance!], je n'y ai pas assisté et je me suis donc contenté des propos du journaliste.

     

    Si j'en juge d'après le texte du Nouvel Observateur, cette intervention du maître s'est transformée en une opération de promotion personnelle pour un écrivain à succès qui n'en n'a pas vraiment besoin, l'occasion de pratiquer l'autosatisfaction, sorte d'explication de texte de l'auteur lui-même sur ses propres ouvrages, un sondage « in situ » sur l'œuvre... Après tout c'est de bonne guerre, même si les questions posées par Werber, si elles l'ont effectivement été telles qu'elles sont relatées, ne font pas vraiment preuve d'un sens accompli de l'expression française!

     

    Vient ensuite l'objet de la rencontre. Au moins l'auteur met en garde son auditoire et indique que si l'écriture est un plaisir, ce n'est pas une chose facile parce que le travail fait aussi partie du processus[Pourtant, je me m'explique pas sa remarque précisant « l'écriture est un métier de feignant »!], que, même si on est convaincu de son propre talent, le succès ne sera pas forcément au rendez-vous. Il rappelle avec raison que si l'écriture peut être jubilatoire, le livre est souvent un univers douloureux, même si la folie , et même l'audace, font un peu partie du décor et que l'observation du quotidien est finalement une bonne école, que l'inspiration réserve parfois de bonnes surprises à l'auteur lui-même parce que l'imagination reste la plus forte face à la feuille blanche.

    Ce sont là beaucoup de banalités, distillées pour un prix manifestement exorbitant, alors que la meilleurs façon d'écrire, c'est certes de s'entrainer à le faire, mais surtout de lire les bons auteurs!

    En revanche, je ne m'explique pas que l'auteur des « Fourmis » puisse affirmer que « tout roman peut se résumer à une blague » et je ne suis pas bien sûr que les participants aient été capables, avec de tels conseils, d'écrire ensuite leur propre best-seller!

     

    Je suis pour autant d'accord avec Jacques Drillon, une telle intervention à quelque chose d'édifiant!

     

    © Hervé GAUTIER – Juillet 2009.http://hervegautier.e-monsite.com

     

     

     

     

     

     

  • Le fruit le plus rare ou la vie d'Edmond Albius

    N°1989 – Juillet 2025.

     

    Le fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius – Gaëlle Bélem – Gallimard. 'h

     

    Au XIX° siècle dans la lointaine ’île Bourbon (la Réunion), la rencontre improbable entre Edmond, un nourrisson noir orphelin et fils d’esclaves et Ferréol Bellier-Beaumont, un veuf propriétaire terrien , passionné de botanique et d’orchidées. Une adoption s’en suivra qui viendra égailler la vie de son père de substitution et être pour ce dernier le prétexte à une éducation horticole. Ce geste menace le vieil homme de l’exclusion de la communauté des Blancs, pire peut-être Edmond qui est analphabète veut être botaniste, se passionne pour l’insémination de la vanille qui a tenu en haleine bien des chercheurs européens. C’est pourtant lui qui, en s’inspirant des citrouilles, entre pistil et étamine, pollinise à la main les fleurs du vanillier... à l’âge de 12 ans ! 

    Notre auteure remonte le temps et explore la géographie pour nous conter l’histoire de la vanille, cette liane énigmatique venue du Mexique avec les conquistadors et que les botanistes européens veulent depuis longtemps faire fructifier, en vain. Évidemment Ferréol s’y intéresse et Edmond aussi qui découvre ainsi une épice nouvelle à l’arôme délicat et aussi le fruit le plus rare qu’on déclinera à l’infini de l’autre côté de l’équateur.

     

    C’est bien écrit, bien documenté, poétique, humoristique, pertinent aussi et donc agréable à lire, avec, en prime, une avalanche de formes, de couleurs et de senteurs, des fleurs et des arbres aux noms latins et exotiques. Le texte prend parfois l’allure d’une fable où se mêlent des bribes de l’Histoire en marche qui bouleverse à la fois le quotidien et les espérances d’un peuple devenu libre mais tout aussi asservi qu’avant. Pour Edmond, on cherchera à s’approprier sa découverte , il connaîtra l’injustice, la trahison, la solitude, le deuil, la misère, une vie longue et triste qui se terminera dans le plus complet dénuement en ce mois d’août 1880, sans la moindre reconnaissance pour ses travaux.

     

    J’ai lu sans désemparer ce roman avec l’intérêt de celui qui apprend quelque chose et apprécie le texte qu’il lit . Je suis toujours attentif à ceux dont le travail et le talent font revivre des hommes oubliés par l’Histoire comme ce fut le cas d’Edmond Albius dont le nom nous est cependant parvenu malgré l’amnésie qui est l’apanage de l’espèce humaine

    .

     

  • Elegie pour Patrick

    Élégie pour Patrick.

     

    A mon ami Patrick Roy, décédé accidentellement en septembre 1969

     

    Cela fait dix ans déjà que tu as disparu, dix ans, peut-être moins, qu’importe.

    Je te connaissais peu, seule la sympathie nous unissait et c’était déjà beaucoup.

    Cependant je me souviens de toi comme d’un ami, comme d’un être d’exception dont, où qu’on aille, il est impossible d’oublier la voix, le visage, la présence.

    L’espace et le temps se fondent là où tu es et je crains de t’avoir perdu à jamais car nulle résurrection n’existe, nul être ne revient plus.

    Je te connaissais peu, c’est vrai, mais ces quelques années de vie, je puis affirmer que tu les as vécues intensément, ivre de ces plaisirs que nous procurent les nourritures terrestres, rassasié de ce tangage goûté auprès du corps des femmes, jouissance plus enivrante encore que celle que nous procure l’alcool.

    Ta vie, tu l’as bien brûlée, au bord de flammes incertaines d’innombrables brasiers, tu l’as consumée comme j’aurais voulu le faire moi-même, complètement, puissamment, profitant des nuits et des jours pour percer le mystère du beau autant que du plaisir sans te soucier des lendemains hasardeux.

    Toi aussi tu avais compris que chaque être n’a qu’une vie et qu’il doit en jouir pleinement…

    La mort t’a emporté à la fin d’un été où tu m’avais parlé du soleil de la Suède, une carte postale sobre et belle, qui te ressemblait…

    Et puis ce fut cet accident stupide, cette voiture disloquée dans la transparence de septembre, sur une route du Poitou… La mort t’a arraché à la vie comme un aimant qu’on arrache au métal. J’ai écrit quelque part une manière d’apologie du suicide, mais quand je pense à toi, j’ai honte d’avoir écrit ces lignes…

    Tu es mort sans souffrir, sans avoir fait souffrir aussi, que ceux que tu laisses derrière toi, dans ton souvenir.

    (1978)

  • Valli

    Valli (1)

     

    Pendant cet hiver froid, Valli est morte sur un lit d’hôpital.

    Son cœur s’est arrêté de battre.

    Nous nous retrouvions chez elle une fois par semaine

    Pour parler italien.

    Elle corrigeait notre accent et nos fautes de vocabulaire

    Nous aimions ces rencontres au goût de café et de soleil

    Dans cet appartement qui domine la ville…

    Une semaine auparavant nous avions avec elle arpenté un quartier

    Nous avions découvert des venelles et fait le tour d’une maison toscane

    Le temps était doux pour la saison et la balade lui avait plu.

    Elle venait d’Italie mais sa longue vie s’est arrêtée ici, dans ce coin de France.

    Nous savons bien que nous ne sommes que de passage

    Que la mort nous guette à chaque pas, qu’elle ne prévient pas

    Mais nous ne pouvons rien quand l’heure est venue

    Et que la vie s’en va.

    Nous ne la reverrons plus.

     

    Niort, le 23/1/2022

    A la mémoire de Valli VIGNA.

     

  • Ils vont tous bien

    N°1986 – Juin 2025.

     

    Ils vont tous bien (Tutti stanno bene) - Un film de Guiseppe Tornatore (1991)

     

    Matteo Scuro (Marcello Mastroianni) est un veuf sicilien de 74 ans, obscur( comme son nom l'indique) retraité de l’État-civil qui vit dans un monde peuplé de souvenirs et de questions naïves. Avec Angela, sa femme décédée mais à qui il parle constamment, ils ont eu cinq enfants à qui ils ont donné des prénoms de personnages d'opéra à cause de la passion de Matteo pour cet art. Ils ont tous réussi et font la fierté de leur père mais la vie les a dispersés dans toute l'Italie et ils ne se manifestent que très rarement, trop occupés sans doute. Il les a, encore une fois, invités à un repas familial comme il le fait chaque été, mais personne n'est venu. Il décide donc de leur rendre visite, sans les prévenir, pour leur faire une surprise.

    Ce voyage qui sera probablement le dernier pour Matteo est une dure prise de conscience de la réalité. Non seulement la réussite de ses enfants n'existe pas comme il le croyait ainsi que le souligne le rôle de sa fille Tosca (Valeria Cavalli). Il prend conscience que les choses ont changé sans qu'il s'en rende compte, les villes sont devenues bruyantes, spectrales, les habitants individualistes, violents, indifférents, pressés, à l'images de ces gares où les gens se figent, où les oiseaux viennent mourir dans la fontaine de Trevi. Cette évidence va petit à petit lui s'insinuer en lui, avec sa rencontre imprévue dans un train avec une vieille dame apaisée et clairvoyante (Michèle Morgan) qui l'aidera sans doute à accepter les choses avec lucidité avant de mourir, même s'il ne comprend pas tout ce qu'il voit. Il finira par réunir sa petite famille autour de lui, mais pas vraiment comme il l'aurait voulu et restera, ou fera semblant de rester dans cet ancien monde plein de nostalgie en confiant à son épouse la conclusion de son voyage. "Ils vont tous bien" lui dira-t-il, alors qu'il n'en est rien.

    Il y a une dimension symbolique à travers le voyage qu'effectue Matteo venu du sud avec ses valeurs familiales et le contexte de pauvreté. Ses enfants ont émigré vers le nord et ses grandes villes à la recherche d'une vie meilleure, pas forcément au rendez-vous.

    Après le succès de "Cinema paradiso", ce troisième film du même réalisateur s'inscrit, sur une musique d'Ennio Morricone, dans la nostalgie du changement irrémédiable des choses qu'on ne maîtrise pas mais qu'on peut seulement constater, impuissant. Ce film est aussi un hommage à Frederico Fellini et Ettore Scola. C'est un des derniers rôles de Mastroianni, décédé en 1996, qui campe ici un vieil homme, à la fois solitaire et déphasé mais avec une dimension à la fois pathétique et poétique

    Ce film date de 1990 et a été remastérisé récemment.

     

     

  • L'héritage

    N°1988 – Juin 2025.

     

    L'héritage - Guy de Maupassant - Librio.

     

    Cette nouvelle assez longue, parue en 1884 dans le recueil "Miss Harriet" reprend un conte intitulé "Un million" du même auteur. L'action se passe sur à peu près quatre années et le thème en est la cupidité.

    En effet César Cachelin, veuf, ancien sous-officier réformé de l'infanterie de marine est commis principal au ministère de la marine. Il s'est mis dans la tête de faire épouser sa fille Coraline par un de ses jeunes collègues Léoplod Lesable. Le mariage a donc lieu d'autant plus rapidement que la vieille sœur célibataire et dévote de César, Charlotte, qui vit avec lui, a fait devant Léopold étalage de sa fortune. Elle entend cependant des jeunes mariés une rapide descendance. Au bureau l'avancement de Lesable se trouve contrarié à cause de sa future fortune, ce qui le désole. Au décès de la vieille tante on découvre que l'héritage revient à sa nièce mais à la condition qu'elle mette au monde un enfant ans les trois ans faute de quoi tout l' argent ira aux pauvres.

    Cette condition sine qua non mérite bien qu'on s'en préoccupe et l'intérêt bien compris des jeunes époux commande d'outrepasser bien des contingences personnelles et morales et qu'on suppléé les manques, les impossibilités qui pourraient se faire jour en n'oubliant pas que la fin justifie les moyens et que, dans ce cas, l’hypocrisie est de mise.

    Cela commence par l'évocation de l'ambiance d'un bureau de ministère où l'auteur a passé quelques années de sa vie. Le monde du travail à cette particularité de réunir en un même lieu et pour de longues périodes, des gens différents et cela n'a pas échappé à Maupassant qui, remarquable observateur, énumère les personnalités et surtout les travers de tous les membres de ce service administratif. Il note évidemment l'atmosphère un peu délétère parfois qui y règne à cause des inimitiés viscérales, des têtes de Turc ordinaires, des critiques intolérantes, des plaisanteries douteuses, des flagorneurs invétérés, des remarques désobligeantes, des primes et promotions obtenues et jugées imméritées... Les raisons ne manquent pas pour pourrir l'atmosphère de ce microcosme. Quant à l'univers du mariage et de la vie commune qui n'est pas aussi idyllique qu'on pouvait le croire au début, cela ne lui est pas étranger non plus. Il excelle également dans la description des paysages ce qui fait de lui un remarquable conteur et c'est un plaisir de le lire

  • Un monstre est là, derrière la porte

    N°1987 – Juin 2025.

     

    Un monstre est là, derrière la porte - Gaëlle BELEM - GALLIMARD.

     

    Les histoires de famille ne sont pas toujours passionnantes mais certaines réservent parfois quelques surprises. Celle des Dessaintes, au nord de l'île de la Réunion des années 80 a cette particularité que l'homme et la femme qui la composent au départ sont barjots. Le hasard fait qu'ils ont une fille pas vraiment désirée et donc pas aimée et qui sera évidemment laissée pour compte et qu'il faudra supporter. L'ennui c'est que, très tôt, cette enfant qui décidément ne ressemble pas à ses parents, se met a revendiquer sa liberté, son indépendance ce que ses géniteurs traduisent par de la turbulence, de la remise en cause de l'autorité, de l'opposition, de la révolte, au point qu'on envisage pour elle qu'ils ont préalablement et copieusement dénigrée et rabaissée, la "maison de correction" c'est à dire une façon peu élégante de se débarrasser d'elle. On n’hésite pas à la qualifier de monstre insupportable pour justifier une telle décision. Cette petite fille qui grandit vite comprend le sort qu'on lui réserve et, entre menaces et conseils y fait échec par la fréquentation assidue de l'école, la lecture, l'aide apportée aux tâches ménagères, les marques d'attachement à ses deux parents, le tout sur fond de mésentente conjugale et de délitement familial, avec soumission à la facilité, violences, mysticisme chrétien, sorcellerie et désertion paternelle, ce qui lui fait prendre conscience du monde des adultes est fait de haine, de mensonges, de trahisons, d'hypocrisies. Sa réaction oscille entre l'idée du suicide et la sauvegarde de la vie sous la forme de l'écriture.

     

    Je ne sais pourquoi la lecture de la 4° de couverture avait fait naître ne moi quelques réticences. La lecture de ce roman, m'a révélé un parcours pétri de malchance qui a mûri sa victime plus vite que les autres. Ce genre de vie vous fait détester la vie qui heureusement passe vite sans imprimer beaucoup la mémoire, vous fait accepter la solitude avec fatalisme et désirer la mort comme une délivrance en vous armant de patience. C'est vrai que la guigne accompagne partout les Dessaintes, et donc aussi notre narratrice qui n'échappe pas à son destin. Entre fugue et chômage, elle tente une quasi-insertion qui pourtant lui fait rejoindre sa parentèle qui oscille depuis toujours entre démence et délinquance, mais c'est l'écriture qui est sa vraie liberté. De tout cela la narratrice accepte d'en rire et de le faire partager à travers un style vif et humoristique qui m'a bien plu et qui m'a fait aimer ce roman.

     

     

  • Réflexions sur l'écriture, l'édition.

    N°1985 – Juin 2025.

     

    Réflexion sur l'écriture, l'édition..

     

    Sur internet, je suis étonné de l'offre de plus en plus importante d'aides à l'écriture de romans. Cela répond sans doute à une demande, mais ça m'interpelle. Après tout, écrire un roman, une biographie, une saga, un recueil de nouvelles ou de poèmes, est légitime, ne serait-ce que pour marquer son passage sur terre, laisser quelque chose de personnel à ses héritiers d'une autre nature qu'une succession taxée ou sortir de son vivant de l'anonymat, bref vouloir faire une chose originale qui ne soit pas illégale ou immorale, dans une société de plus en plus folle qui perd chaque jour ses traditionnels repères.

    Depuis longtemps les "ateliers d'écriture" font recette. Nous avons tous appris à écrire, à l'école, au collège, au lycée, parfois à l’université et la vie en société est là pour entretenir ce mode d’expression indispensable. Même si l'écriture littéraire peut être quelque peu différente, la lecture de bons auteurs enrichit notre vocabulaire, nos connaissances, notre culture et nourrit notre propre créativité en nous permettant, le cas échéant, de créer notre propre style. Cela devrait donc pouvoir suffire pour tisser une trame imaginative autour de notre envie de raconter une histoire aux éventuels lecteurs. Tout est perfectible et la sensibilité individuelle et son expression n'échappent pas à cette règle, les offres dont il s'agit sont donc une bonne idée qui mérite réflexion d'autant que certains écrivains célèbres y prêtent leur concours, ce qui, à priori ne peut être qu'un gage de sérieux et de qualité.

    A ce propos, je suis assez attentif à la propriété intellectuelle et je me souviens de cette mésaventure, il y a quelques années, d'un admirateur de Marcel Aymé à qui il avait envoyé une de ses nouvelles pour solliciter son avis. Il n'avait jamais reçu de réponse, en revanche il avait reconnu son texte, longtemps après, intégralement reproduit, dans un recueil de son écrivain préféré.

    Ces offres sont évidemment payantes, et parfois même très onéreuses, et le tapuscrit ainsi offert à la correction sera effectivement lu, discuté, critiqué, et l'impétrant sera sûrement invité à revoir sa copie à la lumière des conseils prodigués; les maisons d'édition sérieuses ne font d'ailleurs pas autre chose quand elles ne se limitent pas à un refus pur et simple d'un manuscrit d'un auteur inconnu. On peut donc légitimement penser que ce à quoi tout aspirant-écrivain rêve a ainsi de bonnes chances de se réaliser. Quoiqu’il en soit, le contrat initial d'aide aura donc été honoré sans contestation possible. Il y a cependant de fortes chances pour que ces perfectionnements proposés, aussi bons soient-ils, s'inscrivent dans un contexte classique d'où l'originalité sera exclue. Ces aides spécifiques n'existaient pas à l'époque de Verlaine, de Marcel Proust, d’Apollinaire, de Blaise Cendrars, de Louis-Ferdiand Céline, de Georges Perec, de Boris Vian, pour ne citer que ceux-là, mais heureusement leur talent a été révélé et reste encore offert à notre plaisir de lecteur.

    Dès lors que faire du texte ainsi remanié sinon l'éditer? L’acceptation d'un manuscrit par un professionnel de l'édition répond à des impératifs de qualité mais aussi de rentabilité. Les éditeurs indépendants ont rarement la possibilité de parier sur un inconnu dans une société où le profit est la règle et être publié par eux reste rare. Quand aux grandes maisons d'éditions, il est sans doute préférable de bénéficier d'un parrainage pour y accéder, même si, paraît-il, cela arrive. Restent l'autoédition, le compte d'auteur, la souscription, l'édition participative...Les formules ne manquent pas, avec leur cortège d'avantages potentiels qui sont de nature à créer l'illusion chez l'auteur qui verra son nom inscrit sur la couverture d'un livre et qui pourra ainsi rêver à des séances de dédicaces, à des rencontres littéraires, à des interviews, à des créations en résidence... Certes les coûts d'impression sont élevés mais les moyens actuels de l'informatique et de diffusion par internet devraient simplifier les choses, mais il semblerait qu'il n'en soit rien dans un pays majoritairement habitué au support papier. Un autre mouvement se fait jour sur internet, les maisons d'édition qui recherchent les auteurs et leurs manuscrits. C'est sans doute nouveau mais c'est oublier un peu vite le prix qu'il faut payer pour cela et c'est bien souvent rédhibitoire d'autant que le succès n'est pas souvent au rendez-vous. Autrement dit, si on souhaite une édition à compte d'éditeur, ce qui devrait être la règle puisque le rôle d'un tel professionnel est la découverte de talents, il vaut mieux s'armer de patience et d'être chanceux. Dès lors il y a de fortes chances pour que le tapuscrit, rectifié ou non, reste en l'état au fond d'un tiroir ou sur le disque dur d'un ordinateur, avec en prime le découragement qui va avec ou, s'il est publié, évidemment aux frais de l'auteur, que les exemplaires prennent rapidement la poussière sur des étagères.

    Alors qu'en est-il de ces différentes offres qui prétendent améliorer ou faire la promotion de votre écriture? Elles sont attirantes mais personnellement, après un long parcours quelque peu décevant je m'en abstiendrai parce que, à titre personnel, je ne veux pas entrer dans un processus illusoire qui consiste à se donner l'impression qu'un inconnu peut entrer dans ce milieu éminemment fermé. De plus, le nombre de livres imprimés croît chaque année d'une manière exponentielle et le succès d'une œuvre tient beaucoup à la publicité qui est faite autour d'elle par les médias auxquels l'auteur inconnu a difficilement accès. Il y a toutes les chances pour que l'apprenti-écrivain, même avec un texte bonifié, ne puisse jamais s’inscrire dans un mouvement promotionnel et connaisse ainsi la consécration de son talent.

     

     

  • La felicità del lupo

    N°1984 – Juin 2025.

     

    La felictà del lupo - Paolo Cogneti - Einaudi.

     

    La montagne est le lieu idéal pour se ressourcer et faire le point quand la vie vous invite à réfléchir sur votre parcours. La petite station de ski alpine de Fontana Fredda accueille au début de l’automne Fausto, la quarantaine, qui a choisi de quitter la vie étouffante de Milan et son mariage raté pour revenir seul et pour une durée indéterminée dans ce village du val d'Aoste où il a passé ses vacances d'enfant. Il vient chercher dans ce paysage montagneux un nouvel élan pour son écriture un peu en berne et pour survivre se fait cuisinier dans le restaurant de Babette qui elle aussi fuit le brouhaha du monde. Dans ce lieu solitaire il rencontre Santorso, ancien garde forestier, un peu ermite et donc taiseux mais qui aime et respecte la nature et Silvia, une jeune serveuse mais aussi artiste-peintre de vingt sept ans, de passage, un peu perdue elle aussi et qui recherche un ailleurs. Le temps change et vient l'hiver et avec lui la neige, les paysages qui changent, les employés des pistes, les bucherons, les skieurs qui animent ce lieu, mais aussi le retour possible du loup, animal longtemps chassé, à la fois dangereux et fascinant mais dans son milieu naturel. J'y ai vu une ressemblance avec ces personnages, dans leur recherche d'une certaine sérénité dans la liberté.

    Avec le retour du printemps Fausto et SIlvia, aussi instables l'un que l'autre vont s'aimer mais aussi quitter Fontana Fredda, elle pour monter plus haut vers le glacier Felik, lui pour la ville où il espère régler son divorce.

    Il y a l'histoire d'amour, somme toute assez banale, avec ses hésitations et ses questions, le parcours de ces personnages qui fuient le monde mais aussi et surtout la montagne, ses paysages sauvages, sa solitude qui convient bien à chacun d'eux, la vie rude et simple qu'elle offre, ses habitants qui vivent au rythme ses saisons, une opportunité pour Fausto et Silvia de faire le point sur leur vie, leur parcours... C'est aussi une réflexion sur la beauté de la nature, sa flore et sa faune et le respect que l'homme lui doit, plus souvent amené à la détruite pour des questions financières,

    Le style est agréable et ce n'est pas première fois que Paolo Cognetti choisit la montage comme décor de ses romans, "Les huit montagnes" a été couronné par le prix Strega en Italie et en 2017 par le prix Médicis étranger en France.

     

     

  • Le dernier thé de maître Sohô

    N°1983– Mai 2025.

     

    Le dernier thé de maître Sohô - Cyril Gely - Arléa.

     

    Nous somme en en 1853 et le Japon s'ouvre au monde, notamment par le commerce. Ibukii est une jeune femme qui veut bousculer les traditions et devenir samouraï, une carrière pourtant exclusivement réservée aux hommes. Elle refuse de vendre du saké comme son père. de se marier avec Matsuo à qui elle est très attachée, c'est à dire renonce à un avenir à la fois confortable et lucratif. Avec l'évolution des choses, la volonté de l'empereur, le Japon a cessé d'être un pays traditionnel de guerriers pour se tourner vers la modernité, vers l'avenir où les samouraïs n'ont plus leur place et trahissent parfois leur idéal pour survivre. Apprendre la voie du sabre suppose le déguisement d'Ibuki en garçon et son départ pour la lointaine maison de Sohô, un vieux maître samouraï, retiré du monde et qui se consacre à la méditation. Le long trajet effectué par Ibuki à pied, par tous les temps, a quelque chose d'initiatique.

    C'est une rencontre de deux personnages que rien ne prédisposait à se croiser et qui vont faire ensemble un parcours exceptionnel, l'un respectant l'autre, avec ce jeu subtil du travestissement de la jeune fille sans qu'on sache vraiment jusqu'à quel point le vieil homme en est dupe. Il s'ensuit tout un apprentissage ésotérique pour Ibuki et un retour à la vie pour Sohô où il est question de sabre, de code d'honneur mais aussi de thé, toute une philosophie, tout un paradoxe aussi puisque le premier prend la vie et le second la donne. Ces deux destins complices, se réaliseront chacun à leur manière, mais dans une sorte de halo lumineux où l'expérience de l'un enrichie la connaissance de l'autre dans un monde qui s'efface et un autre qui naît .

    C'est bien écrit avec des phrases courtes et une narration agréable, dans un style très japonais. J’ai lu ce roman comme un conte poétique qui se déroule hors du temps. J'ai apprécié autant le dépaysement que le décor traditionnel, la documentation spécifiquement nippone avec un intérêt tout particulier pour les différentes catégories de thé et la cérémonie de leur préparation dont l'auteur parle avec plaisir et l'écriture du "jiseiku", un poème à forme fixe (cinq vers et trente et une syllabes) et que le samouraï écrit avant de quitter la vie. j'ai aussi aimé l'épilogue où l'attachement de de Sohô à Ibuki perdure par-delà la mort du vieil homme, à travers les saveurs du thé.

    Ce fut pour moi un bon moment de lecture.

  • La stratégie du lezard

    N°1982– Mai 2025.

     

    La stratégie du lézard- Valerio Varesi - Agullo.

    Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

     

    Parme est engluée dans la neige, le brouillard et de froid humide des bords du Pô, ce qui va bien au commissaire Soneri, bougon, pessimiste, nostalgique. Heureusement, sa délicieuse compagne Angela, la cuisine et le bon vin sont là pour le sortir de son apathie, mais aussi parce qu'il est aussi policier et qu'à ce titre il doit veiller sur la population. On lui signale, venant de la digue, des musiques nocturnes bizarres, la mort d'un vieil homme souffrant de démence dans l'escalier de secours d'un hospice privé, une bagarre autour d'un cercueil, l'agression d'un curé et par dessus tout cela la disparition du maire officiellement parti faire du ski. Soneri est dubitatif mais ce qu'il sait c'est que cette ville est corrompue jusqu'à la moelle, avec le trafic d'influence et de drogue, la spéculation sur les marchés publics, le blanchiment d'argent sale, les dessous de table, les atermoiements de la justice et la paralysie provoquée de la police, le tout camouflé sous des dehors parfaitement légaux, avec de généreux actes d'altruisme, des montages juridiques compliqués, des prête-noms... C'est sans compter les magouilles politiques de tout bord avec des élus sont en délicatesse avec la justice, des notables qui manipulent les comptes et les gens, la mafia qui investit les entreprises, le pouvoir et le pervertit. Une véritable stratégie employée par les mafieux et les politiciens pour cacher leurs activités criminelles, un peu comme le lézard qui sacrifie sa queue pour ne pas être pris. Au départ, ce qui n'était qu'un fait anodin débouche sur un enchaînement de circonstances qui amène le commissaire à enquêter, un peu avec l'aide du hasard.

    Comme toujours sous la plume de Varesi, la ville de Parme est un authentique personnage de ce roman passionnant, bien écrit (bien traduit?) plein d'un suspense de bon aloi et agréable à lire, même si l'image qu'il en donne n'est pas vraiment à son avantage.

     

    ;

  • Familia

    N°1981– Mai 2025.

     

    Familia - un film de Francesco Costabile. (2024)

     

    Rome, 1980. Licia Celeste (Barbara Ronchi) élève difficilement et seule ses deux fils, Gigi et Alessandro puisque leur père, Franco (Francesco di Leva) est en prison à la suite d'un braquage de banque manqué et surtout de violences sur son épouse. L'absence du père et sa brutalité ont marqué leur enfance.

    Après dix ans d'absence, Franco réapparaît, souhaitant réintégrer ce qu'il considère comme son foyer, mais Gigi (Francesco Gheghi) s'est intégré à un groupe fasciste et le suit aveuglément, reproduisant le schéma paterne de la violence. Tout le film est fait d'une alternance de brutalités à la fois à l'intérieur de cette famille déchirée et à l’extérieur avec une dimension politique et nostalgique du fascisme et de tendresses d'Alessandro pour sa mère. Le film aborde également la notion d'emprise et avec elle la manipulation psychologique. Licia, malgré toutes ses démarches pour gommer Franco de sa vie l'accepte finalement dans son nouveau foyer malgré toutes ses dérives. La reproduction de l'échec me parait un thème intéressant soit qu'on l’attribut à des causes génétiques soit, et c'est plus cruel, à une sorte de destin qui contrecarre les efforts qu'on fait précisément pour éviter ce clonage, autrement dit on cherche à ne pas reproduire le modèle mais, malgré soit, il s'impose à nous.

    Certes, ce film, le deuxième de ce réalisateur, s'inscrit dans une sorte de renaissance bienvenue du cinéma italien et aborde le difficile et trop longtemps négligé thème de la violence faites aux femmes et spécialement dans le microcosme familial.

    La violence semble être un des thèmes favoris de Francesco Costabile puisque son premier long métrage "Una femmina" (2022) traite de la lutte d'une femme contre la puissante mafia calabraise. Il semble également favoriser la biographie puisque ces deux films sont directement inspirés de faits réels.

    Sans négliger aucunement les autres formes de créations artistiques, ce que je demande au cinéma, et à la littérature, c'est d'être le miroir de leur époque, surtout dans une société de plus en plus folle qui a perdu ses certitudes, ses repères et sa boussole. L'espèce humaine est capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire et oublie souvent l'élémentaire bon sens. Je suis quand même sorti de ce film secoué par cette violence anxiogène.

  • Le fate ignoranti

    N°1980– Mai 2025.

     

    Le fate ignoranti (tableau de famille)- Un film italien de Ferzan Özeptek (2001).

     

    Antonia (Margherita Buy), biologiste à Rome, quadragénaire, découvre après la mort tragique de Massimo (Andrea Renzi), son mari, un tableau ayant appartenu à ce dernier et dédicacé "La tua fata ignorante" (ta fée qui ne sait rien). Elle suppose que Massimo avait une maîtresse et malgré le deuil se met en devoir de la retrouver. Après quelques recherches elle acquiert la certitude qu'il s'agissait, non pas d'une femme... mais d'un homme et que leur liaison durait depuis sept ans. Elle qui vivait confortablement dans un quartier résidentiel se retrouve dans cette communauté homosexuelle d'hommes et de femmes logés dans un immeuble d'un quartier populaire romain. Bouleversée par ce contraste, elle finit par s'intégrer à cette nouvelle tribu à la fois spontanée et cordiale où on mange et boit beaucoup, au point de se lier avec Michele (Stefano Accorsi), ancien amant de Massimo.

    Ce film m'a inspiré nombre de réflexions eu égard aux différents thèmes qu'il évoque. Le deuil brutal dans lequel est plongée Antonia mais aussi sa révolte devant la trahison de son mari sont d'autant plus forts qu'elle était à ce point attachée à Massimo qu'ils rejouaient volontiers, après dix ans de mariage, les circonstances de leur première rencontre. Non seulement elle n'a rien vu de cette liaison avec Michele et a été "une fée ignorante" à sa manière, mais il m'a semblé qu'elle ressentait une sorte de culpabilité face à la révélation de la bisexualité de son mari. Elle restera cependant attachée à lui en mettant au monde l'enfant qu'elle porte.

    La présence des femmes me parait essentielle. Celle de la mère d'Antonia (Erika Blanc) qui vient la soutenir mais aussi l'inviter à vivre librement après cette épreuve. Cette liberté toute neuve me semble aussi être symbolisée par Serra (Serra YIlmaz) qui anime cette communauté faite d'amour et de tolérance et dont les nombreux membres qui la composent sont, avec leur spontanéité et leur naturel, eux aussi des "Fées ignorantes". Antonia acceptant cette nouvelle forme de vie, s'intégrera à ce phalanstère où finalement elle se sent bien et même utile puisque, en tant que médecin, elle soigne un de ses membres atteint du Sida qui a cependant épargné Michele et Massimo.

    Un grand film servis par de bons acteurs.

    Ferzan Ospetek, a créé une série télévisée inspirée par ce film.

  • Les guerriers de l'hiver

    N°1979– Mai  2025.

     

    Les guerriers de l'hiver - Olivier Norek - Michel Lafon.

     

    Nous sommes en novembre 1939 et Staline envahit la Finlande à la suite de l'échec des négociations visant à créer sur son territoire une zone tampon pour protéger la ville de Leningrad d'une attaque allemande. Cette "guerre d'hiver" qui ne dura que 105 jours (jusqu'en mars 1940) opposa la petite armée finnoise à l"armada soviétique. A l'issue de ce conflit, la Finlande perd certes 10% de son territoire mais est cependant considéré comme un désastre russe parce que ces combats ont mis en évidence l'extraordinaire combativité des Finlandais dont l'un d'eux, le sniper Simo Häyhä, un simple paysan mobilisé, particulièrement doué pour le tir et à l'étonnante facilité d'adaptation, a réussi à lui seul à éliminer un nombre impressionnant d'ennemis au point de mériter le surnom de "La mort blanche". Ce roman est aussi un acte de mémoire pour tous ceux qui sont morts pour la défense de leur pays;

    Cette "guerre d'hiver" se déroule quand la France connaît la "drôle de guerre" selon l'expression de Roland Dorgelès, et après la signature du pacte germano-soviétique d’août 1939. Elle a donné lieu à une réprobation officielle des démocraties européennes et s'est terminée par une perte de territoires pour la Finlande mais ce confit a mis en évidence les faiblesses de l'armée russe et inspirera sans doute Hitler pour l'invasion de la Russie. Cela n’empêcha pas Staline de donner l’ordre à son armée de continuer le combat malgré la signature de l’armistice avec la Finlande.

    L'histoire égaillerait-elle dans cette partie du monde puisque l'actuel conflit en Ukraine ressemble étonnement à cette "guerre d'hiver"dont les leçons sont à méditer. Même agresseur russe, mêmes fausses raisons avancées pour l'agression injuste de la Finlande, même disproportion des forces armées, même mépris des Russes pour la vie de leurs propres soldats, mêmes bombardements aveugles pour terroriser les populations civiles, mêmes mensonges officiels servant la propagande, mêmes erreurs de stratégie des officiers survivants des purges de Staline, mêmes dissimulations de la réalité des combats face à un dictateur redouté, même sous-équipement des agressés face à la puissance envahissante, mais aussi de la part des agressés, même façon de s'adapter intelligemment et courageusement aux circonstances face à l’obéissance aveugle de l'ennemi aux ordres du Kremlin.

     

    OlivIer Norek, surtout connu pour ses thrillers, change ici de registre pour le roman historique puisque l'histoire passionnante et fort bien écrite de Simo Häyhä (1905-2002), est authentique comme l'est celle des autres personnages. qui peuplent ce moment historique. C'est un roman bienvenu dans la mesure où il révèle une guerre un peu oubliée, en marge de la Seconde guerre mondiale, où les Européens ont abandonné les Finlandais mais la nation finlandaise en est sortie renforcée. Il nous invite aussi à retenir les leçon de l'Histoire.

     

     

  • Poèmes pour Valli

    Ce matin (Valli-3)

     

    Ce matin Valli est partie

    Nous l’avons accompagnée

    Ce n’était pas triste

    Il y a eu des paroles, de la musique

    des sourires ou simplement une présence,

    Venus de loin ou d’à côté, pour tous être là était important

    Parce que nous l‘aimions beaucoup

    Elle reposera en Ombrie, parmi les siens,

    Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que nous reparlerons d’elle

    pendant longtemps alors que l’oubli menace les mémoires

    Peut-être parce que , malgré sa modestie ,

    Elle ne laissait personne indifférent

     

    © H.G.

    A la mémoire de Valli Vigna  décédée en 2021.

     

  • Surtensions

    N°1978– Avril 2025.

     

    Surtensions - Olivier Norek - Michel Lafon.

     

    Le départ de toute cette histoire est le rapt avec demande de rançon de David Sebag, 19 ans, fils de Marc Sebag , patron d'une grosse boite de consulting informatique. Le groupe du capitaine Coste du SDPJ 93 se charge de cette affaire mais eu égard à la notoriété de Sébag, de sa réussite et peut-être aussi de sa confession juive dans un contexte très antisémite, c'est la BRI (antigang) prend le relais puis d'autres services, cantonnant le groupe de Coste aux recherches accessoires. La rançon tardant à être payée, les ravisseurs tuent David.

    D'autre part, le frère d'Alexandra Mosconi, Nunzio est en préventive pour une montre de luxe qu'il portait et qui aurait été reconnue comme faisant partie du braquage d'une importante bijouterie. Le but d'Alexandra est de faire libérer son frère avec des complices peu recommandables et un avocat douteux qui imagine un plan audacieux non dénué d'arrières pensées ce qui n'est pas sans brouiller un peu plus cette affaire.

    L'auteur, ancien capitaine de police, n'épargne rien au lecteur des techniques investigations et d'interrogations policières mais aussi des procédures à respecter en cas d’intervention de l'IGPN, non plus d'ailleurs que les astuces des délinquants pour ne pas être repérés, les manœuvres des avocats pour couvrir leurs clients. Il se fait un devoir de relater l'atmosphère malsaine des prisons et les violences, y compris sexuelles, qui y ont lieu, la guerre interne des services de police, les querelles hiérarchiques, les abus d'autorité, les jalousies d’alcôves, mais aussi la cohésion du groupe, la psychologie des policiers en cas d'accidents, le tout sur un rythme soutenu plein de suspens qui laisse le lecteur en tension.

    Une des choses que j'attends de la littérature, et le roman policier en fait évidemment partie, c'est d'être le reflet de son temps. L'espèce humaine est telle qu'elle ne peut que servir de modèle à ce genre de création puisque notre société est de plus en plus folle et violente. Je suis assez fan des romans policiers mais pas forcément de ce genre haletant avec agressions . Pourtant, au fil des pages, pris par l'action un peu compliquée de ce roman et malgré un style assez brut qui pourtant se lit bien, je me suis lissé happé par l'histoire.

  • Lettres sicilennes

    N°1977– Avril 2025.

     

    Lettres siciliennes (iddu) - Un film de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza -(sorti en avril 2025 en France)

     

    La mafia est indissociable de l'Italie et particulièrement de la Sicile dont elle est le berceau. Elle a beaucoup inspiré les auteurs, surtout italiens.

    Nous sommes au début des années 2000 Catello Palumbo (Toni Servillo) sort d'une longue peine de prison pour collusion avec la mafia. C'est un homme politique aguerri, ancien maire, ancien proviseur, rusé, mais il a tout perdu. Il est approché par les services secrets italiens pour aider à capturer son filleul, Matteo Messina Denaro (Elio Germano) surnommé Iddu(celui qu'on ne nomme pas), successeur de son défunt père, dernier chef maffieux en cavale depuis de nombreuses années. qui vit reclus chez une veuve (Barbora Bobulova) qui le protège parce qu'il a tué l'assassin de son mari, tout en continuant à se cultiver par la lecture, ce qui tranche sur l'analphabétisme traditionnel des maffieux, et à régler ses affaires sous des prête-noms. Il est ainsi devenu une sorte de fantôme propice à la légende. C'est pour Catello l'occasion unique de revenir sur le devant de la scène politique. Nous assistons donc à la lutte de deux personnalités de générations différentes, l'un qui collabore avec la police malgré les risques, l'autre qui se cache. Catello entame donc avec Matteo une correspondance faites de feuilles pliées et scotchées, les pizzini, d’où le titre du film, livrées par des intermédiaires dévoués. C'est un film inspiré de faits réels mais largement ouvert à l'imagination des auteurs.

    Les réalisateurs qui avaient déjà traité de ce sujet (Salvo en 2013, Sicilian ghost story en 2017), mais pas vraiment de la même manière, nous offrent ici avec un scenario un peu confus et malgré un épilogue tragique, une comédie noire un peu burlesque avec suspens, sur un mafieux en cavale et son parrain, tous deux également égocentriques et orgueilleux où ils montrent que la mafia infiltre toutes les couches de la société, où tout le monde se méfie de tout le monde mais aussi où les femmes, même si elles sont reléguées un rôle domestique traditionnel ne se gênent pas pour critiquer les hommes qui les entourent. Une mention particulière pour la jeune et intègre policière (Daniela Marra) qui sera broyée par cette lutte contre la maffia qui la dépasse, face à une hiérarchie policière qui temporise.

    Malgré la talentueuse prestation de Tony Servillo, célèbre acteur italien multi récompensé, et également celle de Elio Germano, le film m'a paru sonner faux. Le scénario est librement inspiré de la vie de Denaro, le plus recherché d'Italie, condamné plusieurs fois à perpétuité par contumace pour de nombreux meurtres, attentats, enlèvements et pour son rôle dans l'assassinat des juges Falcone et Borselino en 1992. Il est mort en hôpital-prison à 61 ans après 30 ans de cavale à cause d'un cancer qu'il soignait sous un faux nom dans une clinique privée de Palerme où la police le cueillit en 2023. Une vie et une fin tristes à la mesure de ce triste personnage.

    Pour le film, je suis un peu déçu quand même.

  • Eux sur la photo

    N°1976– Avril 2025.

     

    Eux sur la photo - Helène Gestern - Arlea.

     

    Ce roman débute par une petite annonce passée par Hélène Hivert, trente huit ans, qui n'a plus de famille et aucun souvenir de sa mère, Nathalie, décédée en 1972. Cette annonce est accompagnée d'une photo représentant deux hommes et une femme, sa mère, tous jeunes et un article de presse précisant qu'ils ont gagné ensemble un petit tournoi de tennis. Un biologiste anglais, Stéphane Crüsten lui répond qu'il se trouve être le fils d'un de ces hommes, Pierre, et c'est le début d'un échange épistolaire, y compris par mails, complété par des textes extérieurs, au cours duquel une histoire se dévoile malgré les disparitions, les mémoires qui s'effacent ou qui parfois s'éclairent, les secrets familiaux, les longs silences, les mensonges.

    Au fil des lettres, des photos, des rencontres et des documents échangés, des voiles se lèvent et les relations entre Hélène et Stéphane deviennent de plus en plus amicales et amoureuses avec cependant un long usage du voussoiement, comme pour retarder quasi volontairement cet épilogue personnel. Cette liaison due au hasard, cette correspondance, réveillent des fantômes et éclairent des zones de l'histoire de cet homme et de cette femme restée dans l'ombre qui se sont connus jadis mais se sont mariés chacun de leur côté avec un conjoint différent. Jusque là, ils n'étaient que des quasi inconnus et cette correspondance d'une année révèle leur parcours commun et intime et éclaire le peu que Hélène et Stéphane savaient d'eux, ce qui n'autorise pas pour autant les supputations les plus fantasques. Cela m'a semblé, au fil des pages, être pour eux une recherche éperdue de ces deux êtres avec la crainte de découvrir quelque chose de dérangeant, à cause peut-être du destin, de l'amour, du hasard et de la vie qui se livrent parfois, au détriment des pauvres humains, à un jeu bien cruel. Au terme de ces lentes et parfois hésitantes investigations, faites de photographies découvertes dans les archives familiales, de suppositions parfois démenties, il en résulte des chocs face au passé et surtout un long questionnement assorti de décevantes certitudes et de prégnantes culpabilités nées de convenances sociales d'un autres temps, une volonté aussi de pardonner aux morts et d'aller ensemble de l'avant parce que l'amour est avant tout le domaine des vivants.

    La quête de ses origines est légitime, surtout dans ce contexte très particulier. L’émotion que distille ce texte ne m'a pas quitté tout au long de ma lecture. A titre personnel, je suis toujours intrigué par le mystère que les photographies portent en elles, l'histoire intime des personnages qui y figurent et que la mort a emportés, leurs joies et leurs drames, leurs lâchetés, les secrets, les silences et les failles qu'elles cachent, les injustices imposées par les autres, l’hypocrisie et la solitude derrière les sourires et les visages momifiés dans les sels d'argent, le temps qu'elles figent, le souvenir qu'elles perpétuent sur un fragile support. D’ordinaire je n'aime guère les romans épistolaires. Je ferai volontiers une exception pour celui-ci.

    Cet ouvrage est noté comme un roman, c'est à dire une fiction et je m'interroge toujours sur l'aspect biographique, personnel ou emprunté de la démarche surtout quand les détails de nature photographiques, visages et paysages sont si précis et poétiques, au point qu'on peut parler d'une forme d'hypotypose.

    Je l'ai déjà dit dans cette chronique, j'apprécie le style fluide de cette auteure qui s'attache son lecteur au fil des pages et ça a été pour moi un vrai plaisir de la lire. J'ai déjà lu d'autres romans d'Hélène Gestern, je ne regrette pas d'avoir découvert celui-ci qui est son premier.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • 555 (Cinq cent cinquante-cinq)

    N°1975– Avril 2025.

     

    555 - Hélène Gestern - Arlea.

     

    555, c'est le nombre de sonates pour clavecin qu'a composées Domenico Scarlatti (1685 - 1757).

     

    Alors qu'il s’apprête à rénover un étui à violon, Grégoire Coblence, ébéniste, découvre dans sa doublure une partition qui lui semble être le manuscrit d'une œuvre pour clavecin et qu'il montre à son associé Giancarlo Albizon, un luthier renommé mais surtout endetté qui l'invite à solliciter Manig Terzian, une célébrissime claveciniste et spécialiste de Scarlatti. Cette partition qui pourrait bien venir s'ajouter à la liste impressionnante du virtuose italien disparaît dans un cambriolage alors même que le propriétaire de l'étui semblait ignorer l'existence de cette partition. Dès lors, entrent en scène deux autres personnages, Rodolphe Luzin-Farge, professeur à la Sorbonne et spécialiste reconnu de Scarlatti et Joris de Jonghe, un richissime collectionneur belge un peu fantasque. Le roman s’articule autour de ces cinq personnages qui interviennent chacun à leur tour à la mesure de l'intérêt qu'ils ont à retrouver cette partition. Il faut en ajouter un sixième, énigmatique, qui aurait tout organisé et tirerait les ficelles. Ses interventions figurent en italique dans ce roman.

     

    C'est aussi l'occasion de parler des femmes qui ont aussi leur importance dans ce roman, Flo, la compagne de Coblence qui l'a abandonné mais dont il est encore amoureux, Beatrice, l'épouse décédée de Joris de Jonghe, mais qui vit avec lui par la pensée et bien entendu Manig Terzian ans oublier Alice, sa petite nièce également musicienne qui est amoureuse de Grégoire.

    Cette découverte réveille l'avidité des spécialistes de Scarlatti autant qu'elle fait redouter l'action d'un faussaire. Cela ouvre à notre auteure une possibilité de revirements, de coups de théâtre, d"histoires d'amour et elle ne s'en prive pas dans ce qui peut être regardé comme une intrigue policière. C'est l'occasion pour chacun de revenir sur son passé, avec ses trahisons, ses fragilités et les blessures qui le jalonnent. C'est aussi l'occasion de faire découvrir ce génial musicien italien.

     

    J'ai apprécié le suspens, malgré quelques longueurs mais surtout le style. C'est vraiment bien écrit.

  • L'éloge de la marâtre

    En hommage à Mario Vargas LLOSA qui vient de nous quitter.

     

    N°279 – Août 2007

     

    L'ELOGE DE LA MARATRE – Mario VARGAS LLOSA - Gallimard Editeur.

     

     

    Loin du registre qui a fait sa notoriété, l'auteur explore un univers familial particulier, celui, vu à la fois avec les yeux d'adulte et ceux d'un enfant, d'une femme, non seulement épouse mais aussi maîtresse, en ce qu'elle est la complice active des jeux de l'amour, mais surtout la belle-mère. Cette dernière emprunte son lien de parenté au mariage, c'est à dire qu'elle apparaît un peu par hasard dans la vie de gens qui n'ont rien fait pour la connaître. Elle est souvent l'intruse, le mauvais côté de l'image de la femme. Ici, il s'agit de la marâtre, terme un peu péjoratif qui désigne la deuxième femme du père, souvent plus jeune que lui, à la suite de cette détestable habitude qu'ont les hommes d'épouser, surtout en secondes noces, des femmes-enfants! Ils puisent en elles leur vitalité retrouvée, la volonté de combattre les affres de la vieillesse qui vient et parfois l'échec de leur premier mariage. Elle est porteuse de symboles mais aussi de promesses qu'elle ne doit pas décevoir. Pour l'enfant, dit « du premier lit »elle remplace la mère disparue ou partie, sans pour autant prendre sa place, bien au contraire. Il l'accueille souvent mal et s'engage entre eux un combat fait de subtils attaques ou d'affrontements violents peut-être parce que le complexe d'œdipe s'habille ici d'autres apparences, que chacun marque son territoire et tient à ses prérogatives parfois durement acquises...

     

    Mais le titre nous indique qu'il s'agit d'un éloge et donc que vont être battues en brèche les idées reçues que le sujet génère. Il s'agit d'une mise en perspective d'un trio, le père, Don Rigoberto, jouisseur-esthète et fort amoureux de Lucrecia, sa deuxième épouse, marâtre de son fils Alfonso. On pourrait croire qu'il va s'agir du théâtre d'une lutte entre ces trois personnages. D'ailleurs, l'auteur sollicite à la fois la culture et l'attention de son lecteur, par l'évocation qu'il fait de tableaux aussi différents que ceux de Jacob Jordeans, du Titien, de Fra Angélico ou de Fernando de Szyszlo. Les époques et les écoles s'y mélangent, comme le figuratif et l'abstrait. Vargas Llossa y livre sa lecture de ces œuvres où se retrouve toujours un trio, et, en filigrane, une histoire d'amour. Cet amour est à la fois chaste et jouisseur, emprunt de retenue ou de licence, humain et divin. Le corps de la femme y est alternativement montré et caché, mais aussi joliment évoqué avec des mots choisis. Un troisième personnage vient souvent s'immiscer dans le tableau, soit qu'il y est déjà et parle, soit qu'il en est le commentateur extérieur qui, à la manière du chœur antique traduit pour le lecteur-témoin les pensées de la femme ou se charge de débroussailler le subtil écheveau de ses désirs secrets, oscillant entre lubricité et vertu parce qu' ainsi va la vie et que le plaisir procède de ces deux facettes.

     

    En même temps, la femme, prétexte aux désirs masculins est présentée alternativement comme objet mais aussi comme sujet de l'action amoureuse, à la fois passive et active. L'auteur nous rappelle, à travers ces fables écrotico-esthétiques, en réalité de longs poèmes, que l'amour n'est pas un acte bestial, voué à la seule procréation ou a l'assouvissement d'instincts animaux, la démarche, et ce qu'il en résulte est au contraire toute en nuances, faite de prolégomènes et de soins des apparences sans lesquels la séduction spontanée paraît impossible. En filigrane, je souhaite voir l'image de la mort, pendant de celle de l'amour et qui en est parfois la conséquence comme l'est paradoxalement la vie avec tous les fantasmes inhérents aux relations ambiguës hommes-femmes, mais aussi enfants-adultes.

     

    Je choisis de voir dans ce texte, non un éloge comme l'indique le titre, mais une vengeance subtilement accomplie du beau-fils qui amène habillement sa marâtre à se compromettre et grâce à un écrit anodin, sorte de mise en abyme du livre de Vargas Llosa, à dénoncer l'adultère, à amener son père à se séparer de cette épouse infidèle ainsi démasquée, à le forcer peut-être à rester fidèle à son ancienne épouse, même si, pour cela, il doit perdre sa joie de vivre retrouvée et pénétrer de plain-pied dans la mort. C'est probablement une manière de retrouver son père et peut-être aussi de le détruire, tant les relations entre les humains sont complexes, faites d'amour et de haine, de luttes et d'apaisements, de sincérité et de mensonge.

  • aurais-je été sans peur et sans reproche?

    N°1974– Avril 2025.

     

    Aurais-je été sans peur et sans reproche? Pierre Bayard - Les Éditions de Minuit.

     

    Après avoir lu 'Aurais-je été résistant ou bourreau?" et "Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer?", ouvrages fondés sur une expérience personnelle supposée, l'auteur qui nous affirme être le descendant du chevalier Bayard (1473-1524), s'interroge à nouveau. Aurait-il été digne de cette devise attachée à son nom et dont tous les potaches de ma génération ont gardé la mémoire, de même que 1515 et l’adoubement de François 1°en tant que chevalier par ses soins.

    Sur sa descendance, pourquoi pas? Un saut fictif dans le passé pour le rencontrer, pourquoi pas? Il présente Bayard comme un soldat dévoué et soumis à son roi pour qui il se bat au point de lui sacrifier sa vie, ce qu'il fera. Cette obéissance est absolue et peut contrecarrer les préceptes religieux et l'amitié. Cela ne signifie par pour autant qu'il n'a pas connu la peur puisque dans les combats au corps à corps qu'il pratiquait, l'instinct de conservation est souvent baptisé à tort "courage!

    Sur le parcours du chevalier, tout entier voué aux guerres d'Italie qui furent nombreuses (pas moins de 11), meurtrières, absurdes, faites de retournements d'alliances et inutiles, c'est à dire une vie consacrée à tuer des gens qui ne lui avaient rien fait et qui appartenaient à la même religion que lui alors que l’Évangile le lui interdisait et que de nombreuses voix d'humanistes s'élevaient contre la guerre, on peut effectivement s'interroger. Pour éclaircir cette démarche, l'auteur met en scène un frère cadet du chevalier devenu bénédictin, un "personnage-délégué" dont notre auteur revêtira la robe de bure notamment pour se faire l’écho des qualités d'empathie reconnues du chevalier, de sa biographie, mais aussi en l’interpelant, ne s'interdisant pas de changer éventuellement le cours des événements, modifiant la vie de son ancêtre confronté à un choix obéissance et même le cours de l'Histoire. Il observe aussi toute les difficultés liées à l’anachronisme, c'est à dire à la façon de penser nécessairement différente à la Renaissance et de nos jours.

    Reste la question posée qui sert de titre à l'essai et je ne suis pas sûr d'avoir tout compris. On est à la fois dans l'utopie, dans l'anticonformisme, dans les univers parallèles mais l'auteur s'attache à montrer que le chevalier partageait nombre de nos doutes d'aujourd'hui malgré l'anachronisme. La démarche littéraire de Pierre Bayard est un exercice de pensée, c'est à dire le recours à une situation fictive différente avec saut dans le passé à la rencontre de ce valeureux chevalier. C’est, comme d'habitude, une brillante démonstration d'un intellectuel érudit notamment en histoire, d'autre part que notre auteur veuille prendre la défense de celui qu'il présente comme son ancêtre est légitime, même si, le livre refermé, je n'ai pas été vraiment convaincu.

     

     

     

  • Or, encenset poussière

    N°1973– Mars 2025.

     

    Or, encens et poussière - Valerio Varesi - Aguillo.

    Traduit de l'italien par Florence Rigollet.

     

    Parme, son atmosphère hivernale lourde, brumeuse et crépusculaire. Un carambolage spectaculaire s'est produit sur l'autoroute à proximité d'un camp de tziganes avec bétaillère renversée et animaux errants au milieu des véhicules encastrés. Compte tenu de sa connaissance des lieux, le commissaire Soneri est envoyé sur place. Le policier découvre le cadavre à demi calciné d'une femme, apparemment jeté là avant l'accident qui est celui d'une fort jolie émigrée roumaine, liée au camp de tzigane et qui multipliait les amants riches de la société bourgeoise parmesane. Il y va de ses réflexions sociales sur la différence entre les riches et les pauvres, sur la respectabilité de la bourgeoisie, de ses tares, de son hypocrisie aussi puisque la clientèle de l’Église attachée à certains commerçants fait perdurer l'hypocrisie de la stabilité d'un couple alors que ce dernier est miné par l'adultère .

    Le commissaire entame donc une enquête autour de ce cadavre de cette femme qui apparemment le fascine; L'autopsie ayant révélé qu'elle était enceinte, il pourrait bien s'agir d'un homicide. et ce même s'il doit bousculer un trafic d'or qui existe entre les Roms et la bourgeoisie de la ville.

     

    J'ai retrouvé avec plaisir le commissaire Soneri, sa mélancolie, son côté rêveur, amateur de cigares de bonne chère et de vin chez son ami le restaurateur Alceste, un brin philosophe aussi quand il devise avec Sbarazza, un marginal qui a connu des jours meilleurs mais qui est toujours de bons conseils et jette sur la vie un regard désabusé. Les femmes, le hasard prennent une grande place dans ses enquêtes même s'il est quelque peu réticent à utiliser les ressources d'internet. C'est aussi dans ce roman un épisode dont il se passerait bien et qui va perturber le romantique qu'il est. Sa séduisante compagne avocate Angela vient de lui avouer avoir rencontré un autre homme et être sur le point de le quitter. Il sent bien qu'il ne peut plus vraiment lutter dans ce domaine. Protecteur de la société en tant que policier, il n'en est pas moins fragile, vulnérable, d'autant plus qu'on le sent d'un autre temps

    Il y a certes des longueurs et cette histoire de violeurs qui détourne l'attention du lecteur mais ce roman bien écrit (bien traduit) m'a bien plu.

     

     

     

  • Des mots et des actes

    N°1972– Mars 2025.

     

    Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation) – Jérôme Garcin – Gallimard.

     

    Depuis les nombreuses années que cette chronique existe, j’ai toujours été attentif aux publications de Jérôme Garcin, d’abord parce que c’est bien écrit, agréable à lire et bien documenté, mais peut-être surtout, quand il en choisit le sujet, parce qu’ il met sa notoriété au service de gens de lettres dont la mémoire collective n’a retenu le parcours qu’à travers le nom d’une rue ou d’un établissement public.

    Le sous-titre de cet ouvrage indique d’emblée que notre auteur va s’attaquer à une période difficile de notre histoire parce l’héroïsme et la trahison qui l’ont illustrée ont également été le fait d’écrivains, parce que l’occupant allemand, ou le gouvernement de Vichy, ont recherché leur appui ou favorisé leur carrière alors que d’autres ont choisi le combat et l’héroïsme, parfois dans l’anonymat, pour la libération de leur pays. Il va donc dresser le catalogue de ceux de ces deux camps avec une préférence, on s’en doute, pour les héros, réservant son talentueux fiel, sa formule assassine pour ceux qui ont trahi. Ainsi fustige-t-il Paul Morand, Roger Nimier, Céline, Cocteau, Robert Brasillac, et célèbre -t-il, les sortant peu ou prou d’un certain oubli, Jacques Decour, Jacques Lusseyran, Jean Guéhenno, Jean Prévost à qui, pour certains, il avait déjà consacré des ouvrages précédents ...sans oublier l’éditeur Bernard Grasset qui eut aussi sa période sombre sous l’Occupation ... et sa mort solitaire ensuite. Jérôme Garcin note opportunément que Pierre Seghers, le fondateur des éditions du même nom, fut non seulement un résistant de la première heure mais également l’auteur en 1943 d’une Anthologie des poètes où figurent les noms d’Eluard, d’Aragon, de Guillevic. Il rappelle utilement que la Royal Air Force parachuta en 1942 le poème d’Eluard, devenu célèbre sous le titre de « Liiberté » au-dessus des maquis français. La NRF avant d’être noyauté par Drieu La Rochelle, incarna la Résistance quand l’Académie française accueillait beaucoup de vichystes. Il note que « l’exercice de la littérature peut mener à l’insoumission comme à la soumission, à la bravoure comme à la lâcheté » et que le talent ne peut justifier ni le mensonge ni la traîtrise, que, séparer l’homme de l’artiste, reste une saine démarche. .

    A la fin du XX° siècle on a republié des écrivains maudits illustrant cette constante de l’espèce humaine qu’est l’oubli. Il est aussi « la forme la plus raffinée, la plus hypocrite des trahisons ». Jérôme Garcin fait bien de le rappeler, même s’il n’oublie pas de commencer par parler de lui.

     

  • Vermiglio

    N°1971– Mars 2025.

     

    VERMIGLIO ou la Mariée des montagnes – Un film de Maura Delpero .

    Grand prix du jury à la Mostra de Venise en 2024,sorti en France en mars 2025.

     

    Vermiglio c’est d’abord une couleur (vermeil) mais c’est aussi le nom d’un petit village isolé dans les montagnes de l’Italie du nord en Février 1944, au cours d’un guerre qui, bien que lointaine, rappelle à ses habitants à sa réalité avec le retour d’Atillo (Santiago Fontevilla), à qui Pietro, un soldat sicilien (Guiseppe de Domenico), a sauvé la vie et a accompagné au village. Les villageois acceptent de le cacher en remerciement de son geste, l’armée italienne étant, à cette époque, déchirée en plusieurs camps. L’instituteur local, Cesare Graziadei (Tomasso Ragno) sorte de macho égoïste qui notamment s’achète des disques de grande musique au détriment des soins à apporter à sa famille, est aussi autoritaire et règne sur sa femme perpétuellement enceinte, sur sa famille nombreuse, et, dispensateur du savoir, sur son école et sur le village. Il a une fille aînée, Lucia (Martina Scrizi) qui voudrait faire des études mais son père a décidé qu’elle se marierait et fonderait une famille comme c’est le destin des femmes italiennes à cette époque, son traitement d’instituteur ne permettant qu’à un seul de ses enfants d’étudier, cette faculté sera réservé pour un autre, selon son propre choix. Lucia tombe follement amoureuse de Pietro et l’engage à lui faire un enfant pour précipiter son mariage . Amour sincère peut-être à moins que ce rapprochement avec Pietro ne soit inspiré par l’impossibilité de faire des études, conformément à la décision irrévocable de son père . Elle ne tarde pas à être enceinte et la cérémonie a donc lieu. La fin de la guerre intervient au printemps et Pietro part rejoindre sa famille en Sicile avec la promesse de revenir à Vermiglio. Lucia accouche d’une petite fille, apprend la mort de son mari et décide de partir seule pour la Sicile.

    Ce film est un document sociologique qui se caractérise par la misogynie qui révèle le sort des femmes considérées comme des domestiques, vouées peut-être à la religion ou tout juste bonnes à enfanter. Il y a les préjugés fortement ancrés dans cette communauté, la guerre, certes lointaine mais bien réelle qui pèse sur le pays à travers les craintes des femmes d’être veuves, de ne pas voir revenir leurs fils ou leurs frères. Il montre l’énorme poids de l’Église catholique, l’incontournable culpabilisation judéo-chrétienne qu’elle suscite notamment auprès d’une des sœurs de Lucia qui s’invente des autopunitions ridicules pour ses péchés, les pénitences du curé ne lui semblant pas assez dures. Lucia elle-même, enceinte puis mère, ayant appris la mort de Pietro, persuadée qu’elle ne trouvera plus à se remarier, s’inflige de vivre en dehors des humains, comme une bête. Des lors, sans espoir de remariage et donc hors des normes de cette époque, son père pourtant notable, est respectueusement rejeté de la communauté.

    On peut en revanche légitimement s’interroger sur l’attitude de Pietro face au mariage qu’il accepte avec Lucia compte tenu de sa situation personnelle volontairement non révélée. Sa mort dès son arrivée en Sicile s’explique ainsi.

    C’est un film très personnel, une sorte d’acte de mémoire, inspiré par la vie du père de la réalisatrice, selon son propre aveu, mais ce qui prédomine, c’est la vie dure des montagnes avec des paysages de neige certes magnifiques mais aussi la mort qui rode et prend les jeunes enfants, le froid, la pauvreté que la vie en commun de ce petit village tente de combattre.

     

    C’est un film de qualité qui s’inscrit dans le cadre du « Nouveau cinéma italien ».

     

     

  • L'attachement

    N°1970– Mars 2025.

     

    L’attachement – Un film de Carine Tardieu.

    Sélectionné pour la Mostra de Venise en 2024,sorti en France en février 2025.

     

    Il s’agit de l’adaptation d’un roman d’Alice Ferney, « l’intimité », paru en 2020.

    Les premières images du film révèlent un couple dont la femme, Cécile, (Melissa Barbaud) va accoucher et qui confie son jeune fils de six ans, Elliot, (Cesar Botti) à sa voisine de palier qu’elle connaît à peine, Sandra, (Valeria Bruni Tedeschi), une cinquantenaire, féministe, célibataire et libérée. Sauf que Cécile va décéder lors de l’accouchement laissant son mari, Alex (Pïo Marmai), désemparé face à la petite Lucille qui vient de naître et à Elliot dont il n’est que le beau-père. Il assumera néanmoins ses nouvelles responsabilités paternelles sans renoncer aux anciennes. La mort de Cécile plane un temps sur cette famille désarticulée mais la vie va s’imposer grâce à Sandra qui, oubliant ses préjugés, s’attache à Elliot puis à Alex. Cela donne des réunions familiales un peu hétéroclites qui réunissent l’ex-de Cécile, David (Raphael Quenard), Marianne, la sœur de Sandra (Florence Muller), la mère de Cécile (Catherine Mouchet), la mère de Sandra et de Marianne (Marie-Christine Barrault). Un peu par hasard, Alex rencontre Emilia, une pédiatre (Vimala Pons) avec qui il se marie, laissant désespérée Sandra qui s’était entre-temps attachée à Elliot.

    On rit beaucoup dans ce film qui pourtant est un drame à la fois pour Alex, pour Sandra et pour Elliot qui, malgré son jeune âge crève l’écran par sa présence. Pïo Marmai fait une prestation remarquée malgré une élocution par moments difficile à suivre. Valeria Bruni Tedeschi, toujours aussi talentueuse, campe une Sandra attachante qui sait rester discrète dans un contexte familial difficile et qui accepte, malgré son âge, ses convictions et ses choix personnels de se remettre en question et de bouleverser sa vie. Elle qui avait banni les enfants de son quotidien découvre avec Elliot et Lucille les choix et les joies inspirés par cette nouvelle famille.

    ;

×