Articles de ervian
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Or, encenset poussière
- Par ervian
- Le 27/03/2025
- Dans Valerio Varesi
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N°1973– Mars 2025.
Or, encens et poussière - Valerio Varesi - Aguillo.
Traduit de l'italien par Florence Rigollet.
Parme, son atmosphère hivernale lourde, brumeuse et crépusculaire. Un carambolage spectaculaire s'est produit sur l'autoroute à proximité d'un camp de tziganes avec bétaillère renversée et animaux errants au milieu des véhicules encastrés. Compte tenu de sa connaissance des lieux, le commissaire Soneri est envoyé sur place. Le policier découvre le cadavre à demi calciné d'une femme, apparemment jeté là avant l'accident qui est celui d'une fort jolie émigrée roumaine, liée au camp de tzigane et qui multipliait les amants riches de la société bourgeoise parmesane. Il y va de ses réflexions sociales sur la différence entre les riches et les pauvres, sur la respectabilité de la bourgeoisie, de ses tares, de son hypocrisie aussi puisque la clientèle de l’Église attachée à certains commerçants fait perdurer l'hypocrisie de la stabilité d'un couple alors que ce dernier est miné par l'adultère .
Le commissaire entame donc une enquête autour de ce cadavre de cette femme qui apparemment le fascine; L'autopsie ayant révélé qu'elle était enceinte, il pourrait bien s'agir d'un homicide. et ce même s'il doit bousculer un trafic d'or qui existe entre les Roms et la bourgeoisie de la ville.
J'ai retrouvé avec plaisir le commissaire Soneri, sa mélancolie, son côté rêveur, amateur de cigares de bonne chère et de vin chez son ami le restaurateur Alceste, un brin philosophe aussi quand il devise avec Sbarazza, un marginal qui a connu des jours meilleurs mais qui est toujours de bons conseils et jette sur la vie un regard désabusé. Les femmes, le hasard prennent une grande place dans ses enquêtes même s'il est quelque peu réticent à utiliser les ressources d'internet. C'est aussi dans ce roman un épisode dont il se passerait bien et qui va perturber le romantique qu'il est. Sa séduisante compagne avocate Angela vient de lui avouer avoir rencontré un autre homme et être sur le point de le quitter. Il sent bien qu'il ne peut plus vraiment lutter dans ce domaine. Protecteur de la société en tant que policier, il n'en est pas moins fragile, vulnérable, d'autant plus qu'on le sent d'un autre temps
Il y a certes des longueurs et cette histoire de violeurs qui détourne l'attention du lecteur mais ce roman bien écrit (bien traduit) m'a bien plu.
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Des mots et des actes
- Par ervian
- Le 23/03/2025
- Dans Jérôme GARCIN
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N°1972– Mars 2025.
Des mots et des actes (Les belles-lettres sous l’Occupation) – Jérôme Garcin – Gallimard.
Depuis les nombreuses années que cette chronique existe, j’ai toujours été attentif aux publications de Jérôme Garcin, d’abord parce que c’est bien écrit, agréable à lire et bien documenté, mais peut-être surtout, quand il en choisit le sujet, parce qu’ il met sa notoriété au service de gens de lettres dont la mémoire collective n’a retenu le parcours qu’à travers le nom d’une rue ou d’un établissement public.
Le sous-titre de cet ouvrage indique d’emblée que notre auteur va s’attaquer à une période difficile de notre histoire parce l’héroïsme et la trahison qui l’ont illustrée ont également été le fait d’écrivains, parce que l’occupant allemand, ou le gouvernement de Vichy, ont recherché leur appui ou favorisé leur carrière alors que d’autres ont choisi le combat et l’héroïsme, parfois dans l’anonymat, pour la libération de leur pays. Il va donc dresser le catalogue de ceux de ces deux camps avec une préférence, on s’en doute, pour les héros, réservant son talentueux fiel, sa formule assassine pour ceux qui ont trahi. Ainsi fustige-t-il Paul Morand, Roger Nimier, Céline, Cocteau, Robert Brasillac, et célèbre -t-il, les sortant peu ou prou d’un certain oubli, Jacques Decour, Jacques Lusseyran, Jean Guéhenno, Jean Prévost à qui, pour certains, il avait déjà consacré des ouvrages précédents ...sans oublier l’éditeur Bernard Grasset qui eut aussi sa période sombre sous l’Occupation ... et sa mort solitaire ensuite. Jérôme Garcin note opportunément que Pierre Seghers, le fondateur des éditions du même nom, fut non seulement un résistant de la première heure mais également l’auteur en 1943 d’une Anthologie des poètes où figurent les noms d’Eluard, d’Aragon, de Guillevic. Il rappelle utilement que la Royal Air Force parachuta en 1942 le poème d’Eluard, devenu célèbre sous le titre de « Liiberté » au-dessus des maquis français. La NRF avant d’être noyauté par Drieu La Rochelle, incarna la Résistance quand l’Académie française accueillait beaucoup de vichystes. Il note que « l’exercice de la littérature peut mener à l’insoumission comme à la soumission, à la bravoure comme à la lâcheté » et que le talent ne peut justifier ni le mensonge ni la traîtrise, que, séparer l’homme de l’artiste, reste une saine démarche. .
A la fin du XX° siècle on a republié des écrivains maudits illustrant cette constante de l’espèce humaine qu’est l’oubli. Il est aussi « la forme la plus raffinée, la plus hypocrite des trahisons ». Jérôme Garcin fait bien de le rappeler, même s’il n’oublie pas de commencer par parler de lui.
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Vermiglio
- Par ervian
- Le 15/03/2025
- Dans Cinéma italien
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N°1971– Mars 2025.
VERMIGLIO ou la Mariée des montagnes – Un film de Maura Delpero .
Grand prix du jury à la Mostra de Venise en 2024,sorti en France en mars 2025.
Vermiglio c’est d’abord une couleur (vermeil) mais c’est aussi le nom d’un petit village isolé dans les montagnes de l’Italie du nord en Février 1944, au cours d’un guerre qui, bien que lointaine, rappelle à ses habitants à sa réalité avec le retour d’Atillo (Santiago Fontevilla), à qui Pietro, un soldat sicilien (Guiseppe de Domenico), a sauvé la vie et a accompagné au village. Les villageois acceptent de le cacher en remerciement de son geste, l’armée italienne étant, à cette époque, déchirée en plusieurs camps. L’instituteur local, Cesare Graziadei (Tomasso Ragno) sorte de macho égoïste qui notamment s’achète des disques de grande musique au détriment des soins à apporter à sa famille, est aussi autoritaire et règne sur sa femme perpétuellement enceinte, sur sa famille nombreuse, et, dispensateur du savoir, sur son école et sur le village. Il a une fille aînée, Lucia (Martina Scrizi) qui voudrait faire des études mais son père a décidé qu’elle se marierait et fonderait une famille comme c’est le destin des femmes italiennes à cette époque, son traitement d’instituteur ne permettant qu’à un seul de ses enfants d’étudier, cette faculté sera réservé pour un autre, selon son propre choix. Lucia tombe follement amoureuse de Pietro et l’engage à lui faire un enfant pour précipiter son mariage . Amour sincère peut-être à moins que ce rapprochement avec Pietro ne soit inspiré par l’impossibilité de faire des études, conformément à la décision irrévocable de son père . Elle ne tarde pas à être enceinte et la cérémonie a donc lieu. La fin de la guerre intervient au printemps et Pietro part rejoindre sa famille en Sicile avec la promesse de revenir à Vermiglio. Lucia accouche d’une petite fille, apprend la mort de son mari et décide de partir seule pour la Sicile.
Ce film est un document sociologique qui se caractérise par la misogynie qui révèle le sort des femmes considérées comme des domestiques, vouées peut-être à la religion ou tout juste bonnes à enfanter. Il y a les préjugés fortement ancrés dans cette communauté, la guerre, certes lointaine mais bien réelle qui pèse sur le pays à travers les craintes des femmes d’être veuves, de ne pas voir revenir leurs fils ou leurs frères. Il montre l’énorme poids de l’Église catholique, l’incontournable culpabilisation judéo-chrétienne qu’elle suscite notamment auprès d’une des sœurs de Lucia qui s’invente des autopunitions ridicules pour ses péchés, les pénitences du curé ne lui semblant pas assez dures. Lucia elle-même, enceinte puis mère, ayant appris la mort de Pietro, persuadée qu’elle ne trouvera plus à se remarier, s’inflige de vivre en dehors des humains, comme une bête. Des lors, sans espoir de remariage et donc hors des normes de cette époque, son père pourtant notable, est respectueusement rejeté de la communauté.
On peut en revanche légitimement s’interroger sur l’attitude de Pietro face au mariage qu’il accepte avec Lucia compte tenu de sa situation personnelle volontairement non révélée. Sa mort dès son arrivée en Sicile s’explique ainsi.
C’est un film très personnel, une sorte d’acte de mémoire, inspiré par la vie du père de la réalisatrice, selon son propre aveu, mais ce qui prédomine, c’est la vie dure des montagnes avec des paysages de neige certes magnifiques mais aussi la mort qui rode et prend les jeunes enfants, le froid, la pauvreté que la vie en commun de ce petit village tente de combattre.
C’est un film de qualité qui s’inscrit dans le cadre du « Nouveau cinéma italien ».
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L'attachement
- Par ervian
- Le 11/03/2025
- Dans cinéma français
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N°1970– Mars 2025.
L’attachement – Un film de Carine Tardieu.
Sélectionné pour la Mostra de Venise en 2024,sorti en France en février 2025.
Il s’agit de l’adaptation d’un roman d’Alice Ferney, « l’intimité », paru en 2020.
Les premières images du film révèlent un couple dont la femme, Cécile, (Melissa Barbaud) va accoucher et qui confie son jeune fils de six ans, Elliot, (Cesar Botti) à sa voisine de palier qu’elle connaît à peine, Sandra, (Valeria Bruni Tedeschi), une cinquantenaire, féministe, célibataire et libérée. Sauf que Cécile va décéder lors de l’accouchement laissant son mari, Alex (Pïo Marmai), désemparé face à la petite Lucille qui vient de naître et à Elliot dont il n’est que le beau-père. Il assumera néanmoins ses nouvelles responsabilités paternelles sans renoncer aux anciennes. La mort de Cécile plane un temps sur cette famille désarticulée mais la vie va s’imposer grâce à Sandra qui, oubliant ses préjugés, s’attache à Elliot puis à Alex. Cela donne des réunions familiales un peu hétéroclites qui réunissent l’ex-de Cécile, David (Raphael Quenard), Marianne, la sœur de Sandra (Florence Muller), la mère de Cécile (Catherine Mouchet), la mère de Sandra et de Marianne (Marie-Christine Barrault). Un peu par hasard, Alex rencontre Emilia, une pédiatre (Vimala Pons) avec qui il se marie, laissant désespérée Sandra qui s’était entre-temps attachée à Elliot.
On rit beaucoup dans ce film qui pourtant est un drame à la fois pour Alex, pour Sandra et pour Elliot qui, malgré son jeune âge crève l’écran par sa présence. Pïo Marmai fait une prestation remarquée malgré une élocution par moments difficile à suivre. Valeria Bruni Tedeschi, toujours aussi talentueuse, campe une Sandra attachante qui sait rester discrète dans un contexte familial difficile et qui accepte, malgré son âge, ses convictions et ses choix personnels de se remettre en question et de bouleverser sa vie. Elle qui avait banni les enfants de son quotidien découvre avec Elliot et Lucille les choix et les joies inspirés par cette nouvelle famille.
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Pinocchio
- Par ervian
- Le 08/03/2025
- Dans Carlo Collodi
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N°1969– Mars 2025.
Pinocchio – Carlo Collodi - Mijade.
Illustrations de Quentin Greban - Traduit de l’italien par Claude Sartino.
Enfants, nous avons tous entendu parler du chef-d’œuvre du toscan Carlo Lorenzini dit Collodi (1826-1890) parce qu’il a fait l’objet d’innombrables adaptations pour le cinéma, le théâtre, la télévision, la bande dessinée et évidement les jouets. Né d’un morceau de bois vivant par les soins du vieux Geppetto , la marionnette a d’emblée des velléités d’indépendance malgré les conseils avisés du grillon et la protection de la Fée. Il connaît des aventures picaresques où la naïveté le dispute à l’égoïsme, à la paresse et et à la désobéissance. Il a de la chance, échappe à la mort plusieurs fois mais son absence bouleverse ceux qui l’aiment, le recherchent et à qui il promet de revenir dans le droit chemin. Ses vœux pieux ne sont jamais suivis d’effet et il succombe toujours aux diverses tentations pour finalement s’amender. Les fables comme toujours contiennent, malgré leurs apparences parfois puériles, toutes les vérités du monde.
Ce conte initiatique paru en 1881 s’adresse évidemment aux enfants mais également aux adultes. puisque tous les fabulistes du monde qui se sont succédé en écrivant des œuvres n’avaient pour modèle que leurs semblables et il leur suffisait de les observer pour les décrire. Le pauvre Pinocchio qui avait promis de se repentir mais qui retombait toujours, est sévèrement puni par les épreuves, la prison, la solitude, les métamorphoses visibles qui viennent lui rappeler ses manquements et ses mensonges. Tout finit par rentrer dans l’ordre et Pinocchio, après tant de malheurs devient raisonnable, un vrai bon fils en quelque sorte, une happy end digne des Bisounours, très moralisatrice et finalement pédagogiquement éducatrice. Cela c’est pour le roman.
Le livre refermé, le message est effectivement passé, la sagesse, le courage sont des vertus, l’éducation est essentielle pour la réussite dans la future vie de l’enfant, le fondement de sa culture et du respect d’autrui, ses espiègleries et ses erreurs sont oubliées, Geppetto qui s’est tant sacrifié pour lui est enfin récompensé… « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes » pour citer Voltaire . Ce petit garçon comprendra sans doute assez vite que le « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles ne pèse pas lourd quand chacun profite de l’autre jusqu’à éventuellement l’éliminer. Lui à qui on a tant reproché ses mensonges ne tardera pas à s’apercevoir que c’est une pratique courante dans le monde des adultes (surtout actuellement), que ces derniers succombent facilement aux tentations et n’hésitent pas à bouleverser la vie des autres pour servit leurs propres intérêts, que les diplômes s’assurent pas toujours la réussite... Mais c‘est une autre histoire !
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Le méridien de Greenwich
- Par ervian
- Le 06/03/2025
- Dans Jean ECHENOZ
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N°1968– Mars 2025.
Le méridien de Greenwich – Jean Echenoz – Les éditions de Minuit. .
De son propre aveux, l’intention de l’auteur était, pour son premier roman publié en 1979, d’écrire un roman policier ! Le moins que l’on puisse dire est que si on est en pleine fiction, on est loin du polar puisque ce livre est une somme de 34 courts récits dont l’action se situe dans une île imaginaire d’Océanie où passe le méridien de Greenwich, dans des quartiers de Paris et parfois ailleurs, avec des personnages qui passent de l’un à l’autre, des récits qui s’entrecroisent. Pour autant on passe de la description d’un tableau avec l’animation des personnages qui y sont représentés sur cette île imaginaire, aux antipodes où passe précisément le méridien de Greenwich,à un bar-tabac de la porte de La Villette où apparaît un improbable cobra charmé par un client jouant de la flûte. Il est même question des « trois lanciers du Bengale » Il y a bien des tueurs, une multitude de personnages qui apparaissent dans ces nouvelles où il y a souvent des armes à feu, des morts par vengeance ou au hasard de combats, des meurtres, sans qu’on sache vraiment s’il s’agit d’un acte gratuit, d’un contrat ou d’un improbable mobile sérieux ou de suicides parce que la vie est devenue insupportable. Il y est question de situations assez absconses, de voyages, de pérégrinations, d’exploration de la mémoire, avec une référence à ce fameux méridien et son rapport au temps qui passe, mais pas d’investigations policières et je me suis souvent demandé où l’auteur voulait vraiment en venir. Quant à l’épilogue, il pourrait parfaitement être celui d’un thriller. Pourquoi pas après tout puisque nous sommes dans l’univers d’Echenoz !
J’ai eu un peu de mal à entrer dans ce qui est présenté comme un roman et j’ai aussi eu des difficultés à suivre, mais c’était peut-être le but. Je n’ai peut-être rien compris et depuis que je lis Echenoz je suis souvent partagé entre l’étonnement et une légère déception, mais ce que je retiens c’est la jubilation avec laquelle notre auteur écrit, pratiquant à l’occasion des associations de mots assez inattendue d’où résultent des images originales, ce qui produit une musique assez agréable cependant.
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Vie de Gérard Fulmard
- Par ervian
- Le 28/02/2025
- Dans Jean ECHENOZ
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N°1967– Février 2025.
Vie de Gérard Fulmard – Jean Echenoz – Les éditions de Minuit. .
Décidément Jean Echenos aime bien les perdants. Dans une interview précédente il a fait remarquer que les romans de Flaubert parlent aussi largement de l’échec. A titre personnel ce choix ne me paraît pas mauvais surtout au moment où, dans nos sociétés, on prône la réussite comme unique critère de valeur.
Gérard Fulmard est donc un ex steward contraint à fréquenter l’Agence Pour l’emploi et qui s’improvise détective privé. Pourquoi pas ? Sauf que ses débuts n’étant pas convaincants il envisage une rapide reconversion qu’il décide néanmoins de différer à la suite de l’enlèvement de , Nicole Touneur, secrétaire générale d’un minable parti politique, le FPI, fédération populaire indépendante . ;
J’aime bien le style d’Echenoz, fluide, humoristique et agréable à lire, même si parfois il risque des formules sibyllines mais qui néanmoins sonnent bien, du genre « la moustache de Franck Terrail ne relève pas de l’assertorique mais de l’apodictique ». Cela dit, cette intrigue qu’on aurait pu supposer s’inscrire dans un polar est bien mince, tout comme sont sans épaisseur les nombreux personnages qui la peuplent. Leur histoire, par ailleurs sans grand intérêt, embrouille un peu le lecteur. Même Gérard Fulmard, devenu presque par hasard et surtout à la suite d’une proposition qui lui a été faite et qu’il ne pouvait pas refuser, homme de main dans le service d’ordre du FPI . Ses nouvelles fonctions bouleversent quelque peu sa vie !
Le lecteur apprend en outre les diverses aventures de la mère de Gérard dans la rue Erlanger (Paris XVI°) où elle habitait avant son décès, en rapport avec quelques faits divers authentiques. Alors, critique de la société, du jeu politique, mise en évidence de l’anti-héro, mise en lumière d’une rue parisienne un peu oubliée... pourquoi pas puisque c’est fait avec humour et même jubilation.
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Bristol
- Par ervian
- Le 24/02/2025
- Dans Jean ECHENOZ
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N°1966– Février 2025.
Bristol – Jean Echenoz – Les éditions de Minuit. .
Bristol, ce n’est ni une ville d’Angleterre, ni le nom d’un grand hôtel,ni un carton d’invitation mais celui d’un petit homme sans grande envergure, plutôt couleur muraille, obscur producteur de cinéma de son état, dont la journée commence plutôt mal. En ce matin d’automne parisien l’occupant du cinquième étage de son immeuble vient, dans le plus simple appareil, de se défenestrer. Cela ne le perturbe pas et il passe son chemin parce qu’il a en tête un film dont on comprend très vite qu’il ne figurera pas dans les annales du cinéma d’auteur, une vraie panouille. Nous le retrouverons plus tard dans une séquence amoureuse avec Geneviève, en Afrique pour l’incertain tournage de scènes ratées mais qui mettent en exergue à la fois une imagination fertile quoique incertaine et une opportune volonté de falsification des comptes trop dispendieux au goût de la production. Echenoz aime faire voyager ses personnages. Mais cette affaire bien mystérieuse de défenestration se trouve être le départ, non d’une instruction judiciaire comme on pouvait s’y attendre, mais d’aventures aussi inattendues qu’entremêlées, d’où il ressort un parfum d’échec, de solitude et de mélancolie déjà ressenti dans ses autres romans.
Il est bien digne de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle) dont il fut l’invité d’honneur en 2001 tant son style est original. Non seulement son écriture est parfois minimaliste, parfois à ce point précise qu’on peut aisément y voir une volonté de son auteur de pratiquer l’hypotypose qui est l’art de décrire une scène d’une façon tellement réaliste qu’on à l’impression d’y assister au moment même où elle est décrite, ce qui ne l’empêche pas, à l’occasion de multiplier les digressions qui peuvent égarer le lecteur. Elle empreinte beaucoup au cinéma dans son architecture même, multipliant les « gros plans » exprimés par des formules d’une étonnante précision, parlant du « nacré des cirro-cumulus », du « piqué des infrutescences », mais qui sonnent bien et des images parfois étonnantes voire incongrues qui révèlent une grande richesse de vocabulaire et un sens percutant de la formule. Il pousse même la complicité jusqu’à s’adresser directement à son lecteur, à lui confier ses remarques personnelles! Bref, comme je l’ai déjà dit dans cette chronique, j’aime bien son humour.
Je continue à découvrir l’œuvre d’Echenoz, toujours avec le même plaisir à cause du style, peut-être aussi du suspens et de la faculté qu’il a d’étonner son lecteur, même si ici l’épilogue m’a un peu déçu.
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Gomorra
- Par ervian
- Le 22/02/2025
- Dans Roberto Saviano
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N°1965– Février 2025.
Gomorra - Dans l’empire de la camorra– Roberto Saviano – Folio.
Roberto Saviano est un journaliste italien et c’est dans un style journalistique qu’il a écrit ce livre bien documenté, un peu comme un reportage. Il est aussi né à Naples et c’est presque naturellement qu’il enquête sur cette ville (et sur sa région) à laquelle on associe la Camorra ou plus exactement « le Système », organisation criminelle qui tire ses revenus de la drogue, des déchets toxiques illégalement enfouis au mépris des règles de l’environnement, des armes, des contrefaçons de qualité, sur fond de guerres de clans, de balles perdues, avec blanchiment de l’argent sale, trahisons, exécutions, liens avec le milieu politique et celui des affaires, violence, corruption, réglements de compte… Il révèle aussi l’importance des Chinois immigrés, du trafic dans le BTP et les marchés publics, dans les produits alimentaires, les tissus, du travail clandestin des pauvres exploités, employés dans la confection des vêtements et accessoires de luxe de grandes marques italiennes. Son livre a aussi une dimension sociologique puisqu’il évoque la vie de la population napolitaine vivant au cœur du système mafieux.
Il décrit avec moult détails les différents assassinats, en décrypte la mise en scène pour en révéler la signification, les codes. Il explique le rôle qu’y tiennent certaines femmes qui, en ce sens, sont l’égal des parrains au point d’être elles-mêmes exécutées contrairement à la tradition qui veut qu’on épargne les femmes. En revanche quant une jeune femme choisit, souvent par intérêt, de vivre avec un mafieux, l’organisation lui verse un salaire ou une aide si son compagnon vient à être tué ou emprisonné. Même les prêtres n’échappent pas au massacre quand ils sont une gêne pour le « Système », malgré les marques de religiosité affichées par les parrains de la Camorra. Il n’y a donc ni morale ni charité dans ce monde qui ne vit que pour le business, à part peut-être le code d’honneur entre membres. Ses investigations l’amènent à affirmer que cette organisation étend ses tentacules jusqu’en Espagne dans le domaine du tourisme et évidemment du narcotrafic d’Amérique du Sud. Et ce malgré le travail de la police, des juges anti-mafia et des révélations de repentis. L’auteur livre même un long chapitre sur la Kalachnikov, son usage par les mafieux, la signification de ses impacts sur leurs victimes, histoire de rappeler qu’ils sont sur leur territoire et qu’on leur doit le respect. Il rappelle que Naples est « un lieu où le mal est le mal absolu, où le bien est le bien absolu » et je comprends maintenant le dicton qui dit que c’est une ville où, quand on se réveille le matin on n’est pas sûr d’être en vie le soir. On est donc loin des traditionnelles cartes postales, du soleil, de la Dolce Vita, des « Gelati » des pâtes, des pizzas ou du cappuccino...
Avec de telles révélations qui résultent d’un travail à la fois précis et courageux, grâce à l’exceptionnelle audience de son livre traduit en de nombreuses langues et adapté au cinéma par Matteo Garrone (Grand prix du jury au Festival de Cannes en 2008), il a obtenu des prix et distinctions prestigieuses mais a un « contrat » sur sa tête et vit en permanence sous protection policière depuis 2006, date de la publication de son livre en Italie. Ce coup de pied dans la fourmilière mérite bien une lecture. C’est passionnant !
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La chambre d'à côté
- Par ervian
- Le 15/02/2025
- Dans cinéma espagnol
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N°1959– Janvier 2025.
La chambre d’à côté – Un film de Pedro Almodóvar.
Lion d’or à la Mostra de Venise 2024. - Sorti en France en 2025 ;
La sortie d’un film de Pedro Almodóvar est toujours un événement cinématographique. C’est apparemment de 25° long-métrage du cinéaste espagnol, l’adaptation d’un roman de l’écrivaine américaine Sigrid Nunez « Quel est donc ton tourment » ? qui met en scène, pour la première fois, deux actrices américaines dans un décor étasunien.
Deux amies new-yorkaises de longue date qui ont jadis été collègues dans le même journal et qui se sont perdues de vue pendant des années, se retrouvent un peu par hasard. L’une d’elles, Ingrid (Julianne Moore), est devenue écrivain tandis que l’autre, Martha (Tilda Swinton) qui est atteinte d’un cancer en phase terminale, a longtemps été correspondante de guerre. Martha qui souhaite mettre un terme à ses souffrances, demande à Ingrid de l’assister dans ses derniers moments qui précéderont l’absorption d’une pilule létale et d’occuper la chambre d’à côté de la sienne pour l’aider à partir sereinement. Elle sera donc à la fois un soutien amical, difficile pour elle, mais aussi une complice. Après une longue réflexion, elle accepte de l’accompagner mais c’est Martha qui s’administrera elle-même le médicament mortel donnant à ce geste la dimension d’un authentique suicide et non d’une euthanasie qui fait intervenir un tiers. Les deux femmes se remémorent leurs souvenirs communs, Ingrid qui a profité de la vie et Martha qui lui confie combien la guerre a marqué sa vie, celle du Vietnam tout d’abord qui l’a privée de son amour de jeunesse d’où est née une fille qui a disparu de la vie depuis longtemps, celles aussi qu’elle a couvertes professionnellement et dont elle a exorcisé la peur au quotidien en couchant avec de nombreux partenaires. Le sexe était pour elle une sorte de bouclier contre la violence et la peur de mourir, comme il l’était sans doute aussi pour le frère carme, homosexuel, qu’elle a rencontré lors d’un reportage.
Privée de père et confrontée aux absences professionnelles répétées de Martha, sa fille a pris durablement ses distances avec sa mère. Son apparition et les liens qu’elle tisse ensuite avec Ingrid, expriment une sorte de pardon, de réconciliation posthume en s’allongeant à l’endroit même où sa mère a voulu sa mort. Certes, sa fille, absente au moment des faits, ne l’a pas accompagnée au moment de sa mort mais, par son geste bien que décalé, elle remet en lumière l’habitude ancienne et traditionnelle de l’accompagnement familial d’un mourant.
Certes Martha choisit un moment d’absence d’Ingrid pour basculer dans le néant, illustrant d’une certaine façon la solitude intime devant la mort, mais elle le fait pour poser son geste à la fois pleinement et sereinement, pour partir en quelque sorte sur la pointe des pieds, puisque, comme la mort est inévitable, autant qu’elle soit douce.
C’est un film qui déroule son scénario en dehors de toute réflexion religieuse judéo-chrétienne qui aurait pu, par ses interdits, venir polluer la réflexion suscitée. C’est étonnant de la part d’Almodóvar qui fut élevé dans la foi catholique et la très religieuse Espagne autorise depuis peu l’euthanasie.
C’est un film sur la fuite qui se veut réparatrice d’injustices, une volonté d’y trouver une réponse par l’abandon de l’autre ou par la recherche du danger à la fois pour satisfaire un besoin égoïste et pour s’étourdir avec le risque de perdre sa propre vie. Des références à James Joyce et a Ernest Hemingway ponctuent leurs conversations.
C’est aussi un film sur l’amitié, celle d’Ingrid qui sait d’avance qu’elle va au devant d’une épreuve à laquelle elle n’était pas préparée et qui devra faire face aux interrogations de la police qui, dans un pays puritain, très marqué par la religion chrétienne, interdit l’euthanasie et le suicide. Elle sera en effet soupçonnée de complicité dans l’achat prohibé du médicament fatal au point de devoir constituer avocat face à un officier de police zélé et suspicieux, plus enclin à écouter sa foi qu’à instruire cette affaire objectivement et avec bienveillance, malgré les précisons écrites par Martha elle-même.
Ce que je retiens aussi c’est la beauté fragile du visage de ces deux femmes. Ingrid qui au départ respire une joie de vivre rayonnante exprime à travers ses traits dévastés par le projet de son amie à la fois toute sa réprobation puis sa complicité, sa crainte devant l’épilogue attendu, son espoir de voir peut-être son amie changer d’avis et la douleur devant la réalité. Martha dont le visage souvent filmé de près exprime alternativement la détermination, l’angoisse, le désespoir, la souffrance, donne à voir une esthétique à la fois émouvante et dévastée. Pourtant au seuil de son trépas volontaire, elle choisit des vêtements colorés qui tranchent avec sa vêture habituelle, peint ses lèvres d’un rouge vif et s’allonge face à une nature calme sur un transat de couleur vive à la façon d’un personnage de Edward Hopper, peintre à la fois de la solitude figée dans l’immobilité du quotidien et des sentiments exprimés dans les expressions du visage. L’apparence apaisée de Martha enfin délivrée de son supplice lui donne une sorte de douceur .
Ces deux portraits de femme sont remarquables.
C’est aussi une réflexion sur le destin, la vie injuste qui frappe de son sceau chaque être humain sans qu’il y puisse rien, sur la mort, inévitable pour chacun d’entre nous même si, en Occident elle peut parfois être marqué par un relatif déni né des progrès de la médecine. On nous parle même maintenant d’une improbable immortalité mais qui ici, pour Martha, se décline à travers une souffrance qui lui fait hâter volontairement sa fin. Pour tous la camarde aura ,certes, le dernier mot et interviendra souvent quand on s’y attend le moins, laissant aux condamnés à la peine capitale et aux agonisants le temps de s’y préparer. Cela ne signifie pas que, pour les malades incurables, cette attente soit à la fois résignée et douloureuse, conformément à une notion philosophique inspirée par le stoïcisme ou au nom d’une interprétation contestable du catholicisme qui a toujours considéré la souffrance comme rédemptrice voire sanctifiante, ou simplement comme l’expression d’une volonté divine.
Pouvoir choisir sa mort en toute liberté et dignité doit être considéré comme un droit humain, évidemment encadré dans des conditions très strictes. L’ euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés par peu de pays au monde actuellement, mais cette idée fait son chemin dans l’opinion française, suscitée par de récentes affaires, des lois existantes (Léonetti de 2005 puis Claeys-Leonetti de 2016), un projet de loi sur « l’aide à mourir » actuellement en attente de discussion au parlement et des groupes de paroles, ont maintenu ce débat ouvert. Ce film qui ne passera pas inaperçu contribuera sans doute a faire évoluer durablement les mentalités.
Accompagné par la musique d’Alberto Iglesias, porté sobrement par deux comédiennes d’exception, c’est un beau film sur le plan esthétique et qui provoque la réflexion en dehors de tout contexte religieux en osant bousculer le tabou du droit à mourir dans la dignité.
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Prima la vita
- Par ervian
- Le 15/02/2025
- Dans Cinéma italien
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N°1964– Février 2025.
Prima la vita - Un film de Francesca Comencini. (Sorti en France en février 2025)
C’est un film autobiographique entre deux personnages émouvants qui se déroule principalement en Italie sur une assez longue période qui est surtout marquée par les années de plomb et l’ assassinat du président de la « Démocratie chrétienne » Aldo Moro en 1978.
Le père Luigi Comencini (1916-2007), remarquablement représenté par Fabrizio Gufini, est un célèbre réalisateur italien à qui sa fille, incarnée par Romana Maggiora, rend un hommage vibrant. Cette relation père-fille sera évoquée à la fois avec intensité et simplification. On sait que que le père est marié ou l’a été puisqu’il porte toujours son alliance mais son épouse est absente de cette famille monoparentale portée par lui seul. Il ne s’agit donc pas d’une saga familiale au sens strict. Il y a en effet une complicité intense entre ces deux personnages, Luigi, avec son passé de pauvre émigré italien devenu réalisateur, se chargeant de l’éducation de sa fille en cherchant à lui retransmettre par l’exemple des valeurs traditionnelles comme la sincérité, la beauté de la nature, l’art, la confiance qu’il lui témoigne et qu’il exige aussi d’elle, le respect de cette petite fille qui s’éveille à la vie, entretenant le plus longtemps possible et en toutes occasions, notamment à travers son travail sur Pinocchio, réalisé en 1972, l’esprit d’enfance avec ses rêves et ses frayeurs, dans ce noyau familial restreint. Il y a en effet un parallèle sur la paternité entre ce pantin de bois, ses aventures naïves, et son vieux créateur. L’épisode où la marionnette est avalée par une baleine dans la fable de Carlo Collodi et qui fait peur à Francesca, sert en quelque sorte de transition à la deuxième partie du film où, devenue femme, elle sera confrontée aux réalités de la vie, la drogue, le mensonge, la volonté de révolution, l’amour, la maternité, l’échec et le relèvement , le temps qui passe avec la vieillesse de Luigi, la mort…
Ce parcours de vie me paraît marqué par la solitude, celle du père célibataire face à sa petite fille à qui il veut transmettre en permanence et par sa présence constante auprès d’elle, son message éducatif puis son soutien dans le cinéma dont elle fait elle aussi son métier, celle de Francesca devenue femme et mère face à un père vieillissant et malade. Elle voit lui échapper cet homme qui a toujours fait prévaloir la vie et elle. prend conscience qu’elle ne sera jamais à sa hauteur.
Je voudrais souligner le remarquable travail de maquillage réalisé sur la personne de Luigi qui ainsi marque cette fuite du temps comme référence au titre original « Il tempo che vuole » ( le temps qui veut)
C’est un émouvant témoignage consacré à la mémoire de son père à qui elle fait dire que, par-delà le cinéma qui est leur domaine d’expression, c’est d’abord la vie qui prime. « Prima la vita » ;
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Prima la vita
- Par ervian
- Le 15/02/2025
- Dans Francesca Comencini
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N°1964– Février 2025.
Prima la vita - Un film de Francesca Comencini. (Sorti en France en février 2025)
C’est un film autobiographique entre deux personnages émouvants qui se déroule principalement en Italie sur une assez longue période qui est surtout marquée par les années de plomb et l’ assassinat du président de la « Démocratie chrétienne » Aldo Moro en 1978.
Le père Luigi Comencini (1916-2007), remarquablement représenté par Fabrizio Gufini, est un célèbre réalisateur italien à qui sa fille, incarnée par Romana Maggiora, rend un hommage vibrant. Cette relation père-fille sera évoquée à la fois avec intensité et simplification. On sait que que le père est marié ou l’a été puisqu’il porte toujours son alliance mais son épouse est absente de cette famille monoparentale portée par lui seul. Il ne s’agit donc pas d’une saga familiale au sens strict. Il y a en effet une complicité intense entre ces deux personnages, Luigi, avec son passé de pauvre émigré italien devenu réalisateur, se chargeant de l’éducation de sa fille en cherchant à lui retransmettre par l’exemple des valeurs traditionnelles comme la sincérité, la beauté de la nature, l’art, la confiance qu’il lui témoigne et qu’il exige aussi d’elle, le respect de cette petite fille qui s’éveille à la vie, entretenant le plus longtemps possible et en toutes occasions, notamment à travers son travail sur Pinocchio, réalisé en 1972, l’esprit d’enfance avec ses rêves et ses frayeurs, dans ce noyau familial restreint. Il y a en effet un parallèle sur la paternité entre ce pantin de bois, ses aventures naïves, et son vieux créateur. L’épisode où la marionnette est avalée par une baleine dans la fable de Carlo Collodi et qui fait peur à Francesca, sert en quelque sorte de transition à la deuxième partie du film où, devenue femme, elle sera confrontée aux réalités de la vie, la drogue, le mensonge, la volonté de révolution, l’amour, la maternité, l’échec et le relèvement , le temps qui passe avec la vieillesse de Luigi, la mort…
Ce parcours de vie me paraît marqué par la solitude, celle du père célibataire face à sa petite fille à qui il veut transmettre en permanence et par sa présence constante auprès d’elle, son message éducatif puis son soutien dans le cinéma dont elle fait elle aussi son métier, celle de Francesca devenue femme et mère face à un père vieillissant et malade. Elle voit lui échapper cet homme qui a toujours fait prévaloir la vie et elle. prend conscience qu’elle ne sera jamais à sa hauteur.
Je voudrais souligner le remarquable travail de maquillage réalisé sur la personne de Luigi qui ainsi marque cette fuite du temps comme référence au titre original « Il tempo che vuole » ( le temps qui veut)
C’est un émouvant témoignage consacré à la mémoire de son père à qui elle fait dire que, par-delà le cinéma qui est leur domaine d’expression, c’est d’abord la vie qui prime. « Prima la vita » ;
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Nouvelles oubliées
- Par ervian
- Le 09/02/2025
- Dans DINO BUZZATI
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N°1963– Février 2025.
Nouvelles oubliées - Dino Buzzati – Robert Laffont.
Traduites de l’italien par Delphine Gachet.
Ce recueil de nouvelles inédites de Dino Buzzati (1906-1972) est paru en France en 2009, c’est à dire longtemps après la mort de l’auteur. Elles sont extraites de recueils publiés préalablement en Italie à des dates différentes après avoir, pour certaines, été diffusées dans « Le Corriere della Serra » où il travaillait en qualité de journaliste. Elles couvrent une période de plus de vingt cinq ans, de 1942 à 1968 et, après les différents recueils déjà publiés permet au lecteur français de disposer de la totalité de l’œuvre de Buzzati dans ce créneau..
En effet, l’œuvre de Buzzati ne se cantonne pas au théâtre, à la poésie et aux romans dont le plus emblématique est « Le désert des Tartares ». Il est également l’auteur de nombreux recueils de nouvelles.
Lus en italien ces textes tressés dans une écriture à la fois concise et poétique procurent une lecture agréable que la traduction ne trahit pas. Notre auteur maîtrise aussi à merveille l’art du suspens. Les thèmes traités sont traditionnellement les vices et les vertus de la condition humaine, ses états d’âme face aux choses de la vie, la superstition, la hantise des interdits et des dogmes religieux, l’angoisse qui accompagne la condition humaine, le fantastique, le fantasme qui s’invitent parfois dans la tête des hommes, le temps qui passe inexorablement et avec lui l’intuition d’ une sorte de vacuité de l’existence terrestre trahissant une certaine énigme de ce monde transitoire avec toute la désespérance qui va avec,. Le destin, la mort qui suscite la peur, la destruction de notre enveloppe charnelle, la solitude et l’oubli y sont aussi largement traités et témoignent des obsessions ordinaires. Il convient de faire une remarque particulière, d’ailleurs relevée dans la préface, sur la condition militaire (il a été correspondant de guerre pendant la Seconde Guerre Mondiale) avec tout ce qui concerne la routine, la hiérarchie, le destin individuel et dérisoire contre lequel on ne peut rien, les rêves de gloire souvent déçus face à un ennemi absent. Un autre texte « l’autre Venise » entraîne le lecteur dans une sorte de ville parallèle bien mystérieuse
L’écriture est une manière, certes insignifiante, de faire échec à l’inéluctable Camarde et c’est sans doute pour cela qu’il faut exercer cet art, comme il l’a fait, avec un mélange d humilité et d’urgente nécessité.
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Oedipe n'est pas coupable
- Par ervian
- Le 27/01/2025
- Dans Pierre Bayard
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N°1962– Janvier 2025.
Œdipe n’est pas coupable - Pierre Bayard – Les éditions de Minuit (2021).
Selon le tragédien grec Sophocle (-495-406), Laïos, roi de Thèbes et sa femme Jocaste eurent un fils Œdipe. A la naissance de ce dernier, ses parents apprennent par un oracle que cet enfant tuera son père et épousera sa mère. Pour éviter cela ses parents décident de l’exposer aux bêtes sauvages qui le dévoreront et, dans ce but, le confient à un berger qui néanmoins lui sauve la vie et l’enfant se retrouve élevé par le roi de Corinthe. Apprenant la prophétie et dans le but d’y faire échec, Œdipe, croyant être le fils de ce roi, fuit Corinthe et, sur la route de Thèbes rencontre, à un croisement, le convoi de Laïos. A la suite d’une altercation le tue sans savoir qu’il est son père, accomplissant ainsi la première partie de la prédiction, le parricide. Un sphinx (ou une sphinge) terrorise par ses questions les habitants qu’il (elle) met à mort s’ils n’y répondent pas correctement. Œdipe, plus rusé, résout l’énigme, tue le monstre, conquiert le trône de Thèbes et épouse Jocaste. Œdipe devient donc roi de Thèbes, réalisant ainsi sans le savoir, la deuxième partie de l’oracle, l’inceste. Celle qui est maintenant son épouse apprenant les faits et se souvenant de la prédiction, se suicide et Œdipe se crève les yeux et disparaît. Cela c’est pour la mythologie.
Une forte culpabilité pèse donc sur les épaules d’Œdipe pour le meurtre de son père, entretenue par la pièce de Sophocle qui nous est connue et par Freud qui a, bien plus tard, théorisé le « complexe d’Œdipe », repris par de nombreux écrivains, le vouant inexorablement et définitivement au parricide et à l’inceste. Pierre Bayard, également psychanalyste, ne peut évidemment faire l’impasse sur ce sujet. Il est aussi le fondateur de la « critique interventionniste » et conteste cependant sa culpabilité de la mort de Laîos, l’inceste étant par ailleurs légitime dans la société grecque et, au cas particulier Jocaste qui aurait bel et bien reconnu Œdipe, accepte de faire l’amour avec lui et d’avoir des enfants. Pour ce faire notre auteur effectue une lecture approfondie de la pièce du dramaturge grec mais aussi de deux autres, postérieures à « Œdipe roi » qui constituent une trilogie, « Œdipe à Colone » et « Antigone », ce qui permet, sur une plus longue période d’apprécier la personnalité et l’action d’autres personnages parfois absents dans la pièce initiale et de revisiter le statut d’Œdipe. Il conçoit sa démonstration comme un roman policier dont il serait l’unique enquêteur.
Le destin d’ Œdipe est connu depuis d’Antiquité où la vie des hommes était, contrairement à nous aujourd’hui, plus largement dépendante des devins et de leurs oracles et des dieux, de leurs interdits et de leurs malédictions comme c’est le cas de LaÏos avant lui pour avoir tué un des fils de son protecteur. La notion de vérité qui était la leur ne correspond pas vraiment à nos critères actuels. Pierre Bayard note qu’ Œdipe, connaissant le fatum qui pèse sur lui, fait ce qu’il peut pour le contrecarrer, illustrant cette idée obsédante pour moi qui consiste pour un humain à accomplir, le plus souvent volontairement, ce qu’il veut précisément éviter. D’autre la mythologie est pleine de violence, de conflits familiaux, de meurtres, de viols, de suicides et d’enlèvements qui incarnent les passions humaines. Pierre Bayard relève les nombreuses contradictions relatives aussi bien à l’oracle qu’à ceux qu’il concerne, sans oublier l’action des dieux sous forme de vengeances, de fatalités, parfois elles-mêmes contradictoires ou contrariées par l’homme, par exemple la blessure infligée aux pieds d’Œdipe à sa naissance lui aurait occasionné une telle infirmité que le meurtre de Laïos et de ses comparses se fût révélé impossible. Il fait la part du réel et de l’imaginaire puisqu’il s’agit de personnages de fiction qui se seraient échappés d’un livre et à qui il reconnaît liberté et conscience, c’est à dire une vie autonome par rapport à la mythologie. Il note également que des imprécisions relatives aux faits rapportés, qui varient en fonction des différents auteurs, n’aident pas vraiment à la manifestation de la vérité puisque nous sommes dans une enquête policière. De plus la volonté de Freud d’interpréter ce mythe sous le seul code sexuel peut apparaître réducteur, la psychanalyse pouvant elle-même être assimilée à une mythologie.
Pour venger la mort de Laïos, Apollon envoie la peste sur la ville de Thèbes et Œdipe, à la suite de l’enquête qu’il mène sur sa propre histoire, se convainc qu’il en est le seul responsable puisque qu’il est bien celui qui a tué l’homme au croisement de la route de Thèbes. Sa conviction est en effet confortée par les accusations du devin Tiresias. Dès lors, il accepte le rôle de « bouc émissaire » sacrificiel, aveuglement et bannissement, alors que rien ne l‘accuse objectivement, illustrant une attitude collective accusatrice systématique face à un désastre. On comprendra fort bien que notre auteur, dans sa recherche, ne retienne pas cette option.
Je l’ai dit, Pierre Bayard est également psychanalyste et c’est à ce titre qu’il entre dans le psychisme d‘Œdipe qui, convaincu de sa culpabilité, laisse parler son « surmoi » libérateur à seule fin de trouver une sorte de repos intérieur alors même qu’il n’est pas coupable. En effet les révélations qui lui ont été faites sur son histoire font qu’il est devenu son propre procureur.
Tout cela pourrait paraître un divertissement d’intellectuel, sans commune mesure avec les préoccupations d’un citoyen ordinaire par ailleurs peu familier des textes mythologiques et non versé ni dans les arcanes de la psychologie humaine ni dans les nombreuses références avancées. On peut effectivement voir les choses ainsi mais la démonstration faite par l’auteur dans un autre de ses ouvrages de l’erreur d’Agatha Christie est du même ordre ("La vérité sur Dix petits nègres"). Cette démonstration, par ailleurs passionnante, illustre cette « critique interventionniste », pour le moins originale et qui invite le lecteur (et le critique) à sortir de son rôle passif et de mettre en doute le texte qu’il vient de lire en en dénonçant les contradictions, sans pour autant en changer une virgule. Remettre en question les vérités les plus établies n‘est pas un travail du moindre intérêt et l’épilogue est convainquant .
Cette invitation m’évoque,a contrario, ma lointaine scolarité où mes dissertations, loin de s’inscrire dans cette méthode sans doute non encore clarifiée, s’inspiraient largement -le mot est faible-, au point d’en être souvent de pâles paraphrases-, des considérations de « Lagarde et Michard ».
Bien documenté et bien écrit, ce fut, comme d’habitude, un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER
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Oedipe n'est pas coupable
- Par ervian
- Le 27/01/2025
- Dans Pierre Bayard
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N°1962– Janvier 2025.
Œdipe n’est pas coupable - Pierre Bayard – Les éditions de Minuit (2021).
Selon le tragédien grec Sophocle (-495-406), Laïos, roi de Thèbes et sa femme Jocaste eurent un fils Œdipe. A la naissance de ce dernier, ses parents apprennent par un oracle que cet enfant tuera son père et épousera sa mère. Pour éviter cela ses parents décident de l’exposer aux bêtes sauvages qui le dévoreront et, dans ce but, le confient à un berger qui néanmoins lui sauve la vie et l’enfant se retrouve élevé par le roi de Corinthe. Apprenant la prophétie et dans le but d’y faire échec, Œdipe, croyant être le fils de ce roi, fuit Corinthe et, sur la route de Thèbes rencontre, à un croisement, le convoi de Laïos. A la suite d’une altercation le tue sans savoir qu’il est son père, accomplissant ainsi la première partie de la prédiction, le parricide. Un sphinx (ou une sphinge) terrorise par ses questions les habitants qu’il (elle) met à mort s’ils n’y répondent pas correctement. Œdipe, plus rusé, résout l’énigme, tue le monstre, conquiert le trône de Thèbes et épouse Jocaste. Œdipe devient donc roi de Thèbes, réalisant ainsi sans le savoir, la deuxième partie de l’oracle, l’inceste. Celle qui est maintenant son épouse apprenant les faits et se souvenant de la prédiction, se suicide et Œdipe se crève les yeux et disparaît. Cela c’est pour la mythologie.
Une forte culpabilité pèse donc sur les épaules d’Œdipe pour le meurtre de son père, entretenue par la pièce de Sophocle qui nous est connue et par Freud qui a, bien plus tard, théorisé le « complexe d’Œdipe », repris par de nombreux écrivains, le vouant inexorablement et définitivement au parricide et à l’inceste. Pierre Bayard, également psychanalyste, ne peut évidemment faire l’impasse sur ce sujet. Il est aussi le fondateur de la « critique interventionniste » et conteste cependant sa culpabilité de la mort de Laîos, l’inceste étant par ailleurs légitime dans la société grecque et, au cas particulier Jocaste qui aurait bel et bien reconnu Œdipe, accepte de faire l’amour avec lui et d’avoir des enfants. Pour ce faire notre auteur effectue une lecture approfondie de la pièce du dramaturge grec mais aussi de deux autres, postérieures à « Œdipe roi » qui constituent une trilogie, « Œdipe à Colone » et « Antigone », ce qui permet, sur une plus longue période d’apprécier la personnalité et l’action d’autres personnages parfois absents dans la pièce initiale et de revisiter le statut d’Œdipe. Il conçoit sa démonstration comme un roman policier dont il serait l’unique enquêteur.
Le destin d’ Œdipe est connu depuis d’Antiquité où la vie des hommes était, contrairement à nous aujourd’hui, plus largement dépendante des devins et de leurs oracles et des dieux, de leurs interdits et de leurs malédictions comme c’est le cas de LaÏos avant lui pour avoir tué un des fils de son protecteur. La notion de vérité qui était la leur ne correspond pas vraiment à nos critères actuels. Pierre Bayard note qu’ Œdipe, connaissant le fatum qui pèse sur lui, fait ce qu’il peut pour le contrecarrer bien que la mythologie soit pleine de violence, de conflits familiaux, de meurtres, de viols, de suicides et d’enlèvements qui incarnent les passions humaines. Pierre Bayard relève les nombreuses contradictions relatives aussi bien à l’oracle qu’à ceux qu’il concerne, sans oublier l’action des dieux sous forme de vengeances, de fatalités, parfois elles-mêmes contradictoires ou contrariées par l’homme, par exemple la blessure infligée aux pieds d’Œdipe à sa naissance lui aurait occasionné une telle infirmité que le meurtre de Laïos et de ses comparses se fût révélé impossible. Il fait la part du réel et de l’imaginaire puisqu’il s’agit de personnages de fiction qui se seraient échappés d’un livre et à qui il reconnaît liberté et conscience, c’est à dire une vie autonome par rapport à la mythologie. Il note également que des imprécisions relatives aux faits rapportés, qui varient en fonction des différents auteurs, n’aident pas vraiment à la manifestation de la vérité puisque nous sommes dans une enquête policière. De plus la volonté de Freud d’interpréter ce mythe sous le seul code sexuel peut apparaître réducteur, la psychanalyse pouvant elle-même être assimilée à une mythologie.
Pour venger la mort de Laïos, Apollon envoie la peste sur la ville de Thèbes et Œdipe, à la suite de l’enquête qu’il mène sur sa propre histoire, se convainc qu’il en est le seul responsable puisque qu’il est bien celui qui a tué l’homme au croisement de la route de Thèbes. Sa conviction est en effet confortée par les accusations du devin Tiresias. Dès lors, il accepte le rôle de « bouc émissaire » sacrificiel, aveuglement et bannissement, alors que rien ne l‘accuse objectivement, illustrant une attitude collective accusatrice systématique face à un désastre. On comprendra fort bien que notre auteur, dans sa recherche, ne retienne pas cette option.
Je l’ai dit, Pierre Bayard est également psychanalyste et c’est à ce titre qu’il entre dans le psychisme d‘Œdipe qui, convaincu de sa culpabilité, laisse parler son « surmoi » libérateur à seule fin de trouver une sorte de repos intérieur alors même qu’il n’est pas coupable. En effet les révélations qui lui ont été faites sur son histoire font qu’il est devenu son propre procureur.
Tout cela pourrait paraître un divertissement d’intellectuel sans commune mesure avec les préoccupations d’un citoyen ordinaire par ailleurs peu familier des textes mythologiques et non versé ni dans les arcanes de la psychologie humaine ni dans les nombreuses références avancées. On peut effectivement voir les choses ainsi mais la démonstration faite par l’auteur dans un autre de ses ouvrages de l’erreur d’Agatha Christie est du même ordre. Cette démonstration, par ailleurs passionnante, illustre cette « critique interventionniste », pour le moins originale et qui invite le lecteur (et le critique) à sortir de son rôle passif et de mettre en doute le texte qu’il vient de lire en en dénonçant les contradictions, sans pour autant en changer une virgule. Remettre en question les vérités les plus établies n‘est pas un travail du moindre intérêt et l’épilogue est convainquant .
Cette invitation m’évoque,a contrario, ma lointaine scolarité où mes dissertations, loin de s’inscrire dans cette méthode sans doute non encore clarifiée, s’inspiraient largement -le mot est faible-, au point d’en être souvent de pâles paraphrases-, des considérations de « Lagarde et Michard ».
Bien documenté et bien écrit, ce fut, comme d’habitude, un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER
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La vérité sur "Dix petits nègres"
- Par ervian
- Le 24/01/2025
- Dans Pierre Bayard
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N°1961– Janvier 2025.
La vérité sur « Dix petits nègres » - Pierre Bayard – Les éditions de Minuit (2019).
Pierre Bayard se livre à une lecture critique de ce roman emblématique d’Agatha Christie paru en 1939 que l’usage actuel bien-pensant a rebaptisé « Ils étaient dix », estimant que l’auteure s’est trompée dans la désignation du coupable.
Dans le roman d’Agatha Christie, dix personnes qui ne se connaissent pas sont invitées sur l’île du Nègre sur la côte du Devon en Angleterre par un certain O’Nyme, mystérieusement absent. Chaque invité appartient à une classe sociale différente mais ils ont tous été dans le passé, accusé de meurtres pour lesquels ils n’ont pas été poursuivis par la justice. Dès leur arrivée dans l’île, ils sont interpelés par la voix étrange d’un gramophone. En outre, ils découvrent dans leur chambre une comptine racontant l’histoire de dix petits nègres qui meurent les uns après les autres. Ce roman est très célèbre et Pierre Bayard le résume en quelques pages, énumérant les morts qui se succèdent en même temps que disparaissent des statuettes censées représenter chacun d’eux mais conteste le dénouement.
D’une manière générale, il est clair que, dans un roman, l’auteur qui tient la plume, comme on dit quand on a des Lettres, est le seul maître du jeu et déroule son histoire conformément à l’épilogue qu’il a imaginé. Comme c’est un roman policier, Il attend la fin, avec tout le suspens qui convient et qui égare le lecteur vigilant, pour dévoiler le nom du coupable. Le livre refermé, le lecteur peut se contenter d’acquiescer mais n’est cependant pas obligé d’adhérer à la conclusion proposée, certaines d’entre elles étant bancales voire invraisemblables. Ici Pierre Bayard s’attache à noter les nombreuses contradictions et à démontrer scientifiquement qu’il y a des erreurs manifestes dans la démonstration d’Agatha Christie et pour se faire donne la parole au véritable coupable qui s’adresse directement au lecteur, C’est l’un des personnages que Pierre Bayard fait sortir du roman pour en quelque sorte se dénoncer (Sans vouloir minimiser les mérites et surtout sa faculté de déduction et de prévision de cette courageuse personne, les arguments développés et des citations notées trahissent une remarquable érudition!). C’est une technique originale mais qui illustre bien un sujet de réflexion qui a donné lieu à des dissertations parfois hasardeuses de la part de générations de potaches, c’est à dire la liberté des personnages de fiction qui traditionnellement sont esclaves de l’auteur du roman mais qui en réalité jouissent d’une liberté à la fois réelle mais incomplète comme le note Pierre Bayard. Ce personnage prend logiquement le contre-pied du texte d’Agatha Christie, notant les nombreuses contradictions, énumérant les pistes restées vierges, se posant des questions non soulevées par l’enquête, en étayant son propos de nombreuses références à la littérature policière. La chose n’est pourtant pas aisée tant le roman a été favorablement accueilli dans le public lors de sa publication et considéré comme la perfection en matière d’intrigue policière. Pour ce faire, ce personnage dont nous ne saurons le nom qu’à la fin, ne se prive pas de citer souvent les travaux de… Pierre Bayard soi-même !
Cette démarche critique qui remet en question les conclusions d’un thriller, pourtant d’autant mieux accueilli qu’il émane d’un auteur connu et reconnu, n’est pas unique. Pierre Bayard s’est également attaché à remettre en question le dénouement du célèbre film Hitchcock « Fenêtre sur cour » (« Hitchcock s’est trompé » - 2023).
© Hervé GAUTIER
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Comment parler des faits qui ne se sont pas produits
- Par ervian
- Le 22/01/2025
- Dans Pierre Bayard
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N°1960– Janvier 2025.
Comment parler des faits qui ne se sont pas produits ? – Pierre Bayard – Les éditions de Minuit.
D’emblée le titre peut logiquement poser question mais à la réflexion c’est un peu la définition du mensonge, de la mythomanie, de l’affabulation qui existent dans la vie courante et dont le résultat peut se révéler désastreux simplement parce que plus le mensonge est gros plus il prend. En littérature, qui est principalement le domaine de la fiction, c’est différent puisque la chose est connue du lecteur et a donc moins de conséquences même si certains auteurs peuvent être tentés de présenter sous la forme d’une récit véridique une histoire parfaitement imaginaire. L’auteur, également psychanalyste, invoque «la réalité subjective» explicable comme une activité de compensation de la part de l’écrivain mais dénonce également la crédulité initiale du lecteur dont la propension à croire aux contes de fées et à en être à la fois ravi et terrifié remonte à l’enfance.
Pour un romancier, créer des situations et des personnages fictifs, mêler vérité factuelle et vérité littéraire n’a rien d’exceptionnel puisqu’il parvient ainsi à l’essentiel grâce à son imagination, c’est à dire à exprimer ce que lui-même ressent ou ce qu’il désire croire et qu’il communique à son lecteur.
La psychanalyse influe sur la création artistique dans la mesure où selon la théorie freudienne, la pulsion sexuelle déplace son but sexuel initial vers un autre but, la création par exemple, une partie de l’énergie sexuelle pouvant être détournée vers la création selon le principe de sublimation. Dès lors, comment expliquer que des écrivains ont décrit avec précisions des faits qui ne se sont pas encore produits au moment où ils les évoquent ? La fabulation dont ils ont fait preuve n’a d’égal que leur volonté manipulatrice de créer leur propre mythe littéraire personnel en falsifiant leurs propres documents, en s’inspirant de l’œuvre des autres ou en révélant après coup des écrits imaginaires et secrets. La tentation est grande en effet de modeler une image actuelle de soi en inventant un personnage antérieur. Une vie amoureuse complexe oblige à inventer des mensonges en permanence à destination de ses nombreux partenaires. Cette situation complexe est de nature à solliciter l’imagination et donc de parler de faits qui ne se sont pas produits ou à en créer d’autres qui ne sont que mensonges, créateurs de liberté pour leur auteur mais en faisant le moins de mal possible à ses amants. Dans le domaine politique, les faits sont peut-être plus marquants dans la mesure c’est le domaine de l’idéalisation qui lui-même est sous-tendu par une conviction profonde préalable (qui a dit que les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient ?) et il est donc plus naturel de faire l’éloge d’un régime politique quand on est soi-même profondément convaincu de ses bienfaits, ce qui ne manque pas de créer des circonstances pour le moins contradictoires. S’agissant de l’imagination, « la folle du logis » de Pascal, qui est la compagne de la « pulsion narrative » elle favorise la déformation et la recomposition du réel par la falsification consciente des faits de la part des auteurs, souvent journalistes, créant pour un certain public moins averti, angoisse et même terreur par accès aux mondes parallèles hérités de notre enfance. Pierre Bayard, qui est aussi un homme de Lettres, a soin de préciser, non sans un certain humour, que la création d’un personnage littéraire prend une autre dimension.
Le livre refermé, j’ai tenté de réfléchir à ce que je venais de lire attentivement (en n’étant pas sûr d’avoir tout compris) et de l’appliquer à moi-même, le psychanalyste qu’est l’auteur ne manquerait pas d’y trouver la nature d’un éventuel dérangement personnel. Ma malchance ordinaire m’a très tôt amené à compenser en imaginant des faits et des situations qui m’étaient favorables mais qui ne se sont évidemment jamais produits, des illusions, de véritables « plans sur la comète ». Je n’y crois évidemment pas mais ce processus naît de lui-même et s’efface aussi vite qu’il est venu. De la même façon, cette imagination quelque peu débordante a généré une envie d’écrire dans le domaine de la fiction et, obéissant à cette pulsion narrative, évidemment affabulatrice dont parle l’auteur, il m’arrive d’imaginer, et donc de parler pour moi-même, des débuts de romans, c’est à dire des faits qui ne se produiront jamais et qui par ailleurs s’évanouissent vite dans les méandres de ma mémoire.
Pour avoir assisté récemment à une de ses conférences par ailleurs passionnante, je peux mesurer l’intérêt de son approche « critique interventionniste » de la lecture, notamment dans le domaine de la littérature policière, sa manière particulière d’entrer dans un roman, ainsi que dans l’exploration des mondes parallèles. Cet essai très documenté et très intéressant m’incite à explorer encore davantage l’univers de l’auteur.
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La chambre d'à côté
- Par ervian
- Le 19/01/2025
- Dans Pedro Almodovar
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N°1959– Janvier 2025.
La chambre d’à côté – Un film de Pedro Almodóvar.
Lion d’or à la Mostra de Venise 2024. - Sorti en France en 2025 ;
La sortie d’un film de Pedro Almodóvar est toujours un événement cinématographique. C’est apparemment de 25° long-métrage du cinéaste espagnol, l’adaptation d’un roman de l’écrivaine américaine Sigrid Nunez « Quel est donc ton tourment » ? qui met en scène, pour la première fois, deux actrices américaines dans un décor étasunien.
Deux amies new-yorkaises de longue date qui ont jadis été collègues dans le même journal et qui se sont perdues de vue pendant des années, se retrouvent un peu par hasard. L’une d’elles, Ingrid (Julianne Moore), est devenue écrivain tandis que l’autre, Martha (Tilda Swinton) qui est atteinte d’un cancer en phase terminale, a longtemps été correspondante de guerre. Martha qui souhaite mettre un terme à ses souffrances, demande à Ingrid de l’assister dans ses derniers moments qui précéderont l’absorption d’une pilule létale et d’occuper la chambre d’à côté de la sienne pour l’aider à partir sereinement. Elle sera donc à la fois un soutien amical, difficile pour elle, mais aussi une complice. Après une longue réflexion, elle accepte de l’accompagner mais c’est Martha qui s’administrera elle-même le médicament mortel donnant à ce geste la dimension d’un authentique suicide et non d’une euthanasie qui fait intervenir un tiers. Les deux femmes se remémorent leurs souvenirs communs, Ingrid qui a profité de la vie et Martha qui lui confie combien la guerre a marqué sa vie, celle du Vietnam tout d’abord qui l’a privée de son amour de jeunesse d’où est née une fille qui a disparu de la vie depuis longtemps, celles aussi qu’elle a couvertes professionnellement et dont elle a exorcisé la peur au quotidien en couchant avec de nombreux partenaires. Le sexe était pour elle une sorte de bouclier contre la violence et la peur de mourir, comme il l’était sans doute aussi pour le frère carme, homosexuel, qu’elle a rencontré lors d’un reportage.
Privée de père et confrontée aux absences professionnelles répétées de Martha, sa fille a pris durablement ses distances avec sa mère. Son apparition et les liens qu’elle tisse ensuite avec Ingrid, expriment une sorte de pardon, de réconciliation posthume en s’allongeant à l’endroit même où sa mère a voulu sa mort. Certes, sa fille, absente au moment des faits, ne l’a pas accompagnée au moment de sa mort mais, par son geste bien que décalé, elle remet en lumière l’habitude ancienne et traditionnelle de l’accompagnement familial d’un mourant.
Certes Martha choisit un moment d’absence d’Ingrid pour basculer dans le néant, illustrant d’une certaine façon la solitude intime devant la mort, mais elle le fait pour poser son geste à la fois pleinement et sereinement, pour partir en quelque sorte sur la pointe des pieds, puisque, comme la mort est inévitable, autant qu’elle soit douce.
C’est un film qui déroule son scénario en dehors de toute réflexion religieuse judéo-chrétienne qui aurait pu, par ses interdits, venir polluer la réflexion suscitée. C’est étonnant de la part d’Almodóvar qui fut élevé dans la foi catholique et la très religieuse Espagne autorise depuis peu l’euthanasie.
C’est un film sur la fuite qui se veut réparatrice d’injustices, une volonté d’y trouver une réponse par l’abandon de l’autre ou par la recherche du danger à la fois pour satisfaire un besoin égoïste et pour s’étourdir avec le risque de perdre sa propre vie. Des références à James Joyce et a Ernest Hemingway ponctuent leurs conversations.
C’est aussi un film sur l’amitié, celle d’Ingrid qui sait d’avance qu’elle va au devant d’une épreuve à laquelle elle n’était pas préparée et qui devra faire face aux interrogations de la police qui, dans un pays puritain, très marqué par la religion chrétienne, interdit l’euthanasie et le suicide. Elle sera en effet soupçonnée de complicité dans l’achat prohibé du médicament fatal au point de devoir constituer avocat face à un officier de police zélé et suspicieux, plus enclin à écouter sa foi qu’à instruire cette affaire objectivement et avec bienveillance, malgré les précisons écrites par Martha elle-même.
Ce que je retiens aussi c’est la beauté fragile du visage de ces deux femmes. Ingrid qui au départ respire une joie de vivre rayonnante exprime à travers ses traits dévastés par le projet de son amie à la fois toute sa réprobation puis sa complicité, sa crainte devant l’épilogue attendu, son espoir de voir peut-être son amie changer d’avis et la douleur devant la réalité. Martha dont le visage souvent filmé de près exprime alternativement la détermination, l’angoisse, le désespoir, la souffrance, donne à voir une esthétique à la fois émouvante et dévastée. Pourtant au seuil de son trépas volontaire, elle choisit des vêtements colorés qui tranchent avec sa vêture habituelle, peint ses lèvres d’un rouge vif et s’allonge face à une nature calme sur un transat de couleur vive à la façon d’un personnage de Edward Hopper, peintre à la fois de la solitude figée dans l’immobilité du quotidien et des sentiments exprimés dans les expressions du visage. L’apparence apaisée de Martha enfin délivrée de son supplice lui donne une sorte de douceur .
Ces deux portraits de femme sont remarquables.
C’est aussi une réflexion sur le destin, la vie injuste qui frappe de son sceau chaque être humain sans qu’il y puisse rien, sur la mort, inévitable pour chacun d’entre nous même si, en Occident elle peut parfois être marqué par un relatif déni né des progrès de la médecine. On nous parle même maintenant d’une improbable immortalité mais qui ici, pour Martha, se décline à travers une souffrance qui lui fait hâter volontairement sa fin. Pour tous la camarde aura ,certes, le dernier mot et interviendra souvent quand on s’y attend le moins, laissant aux condamnés à la peine capitale et aux agonisants le temps de s’y préparer. Cela ne signifie pas que, pour les malades incurables, cette attente soit à la fois résignée et douloureuse, conformément à une notion philosophique inspirée par le stoïcisme ou au nom d’une interprétation contestable du catholicisme qui a toujours considéré la souffrance comme rédemptrice voire sanctifiante, ou simplement comme l’expression d’une volonté divine.
Pouvoir choisir sa mort en toute liberté et dignité doit être considéré comme un droit humain, évidemment encadré dans des conditions très strictes. L’ euthanasie ou le suicide assisté sont autorisés par peu de pays au monde actuellement, mais cette idée fait son chemin dans l’opinion française, suscitée par de récentes affaires, des lois existantes (Léonetti de 2005 puis Claeys-Leonetti de 2016), un projet de loi sur « l’aide à mourir » actuellement en attente de discussion au parlement et des groupes de paroles, ont maintenu ce débat ouvert. Ce film qui ne passera pas inaperçu contribuera sans doute a faire évoluer durablement les mentalités.
Accompagné par la musique d’Alberto Iglesias, porté sobrement par deux comédiennes d’exception, c’est un beau film sur le plan esthétique et qui provoque la réflexion en dehors de tout contexte religieux en osant bousculer le tabou du droit à mourir dans la dignité.
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La pension de la via Saffi
- Par ervian
- Le 18/01/2025
- Dans Valerio Varesi
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N°1958– Janvier 2025 ;
La pension de la via Saffi – Valerio Valesi – Éditions Frassinelli.
Ce roman est paru en Italie sous le titre « L’affittacamere ».
Nous sommes à Parmes, à quelques jours de Noël, dans le froid et la brume.
Ghitta Tagliavini, la vielle propriétaire d’une pension dans le centre historique de la ville a été retrouvée assassinée d’une manière très particulière dans son appartement. Le commissaire Soneri entame sans grand enthousiasme cette enquête simplement parce que, il y a quelques années il connaissait bien Ghitta et que c’est dans cette pension qu’il a connu sa femme, Ada, prématurément décédée en accouchant d’un enfant mort-né. Ainsi est-il amené, après toutes ces années d’absence, à reconsidérer toutes ses certitudes et tous ses souvenirs à propos de Ghitta qui ne logeait plus comme auparavant des étudiants mais avait transformé sa pension en hôtel de rendez-vous pour riches couples illégitimes, était devenue un femme manipulatrice, sans scrupules, enrichie illégalement, entre chantage et corruption, avortements clandestins et pots-de-vin. Plus il progresse dans ses investigations plus ça représente une enquête sur lui-même que sa compagne, la pétulant Angela, peine à lui faire oublier. De plus au cours de ses investigations le commissaire retrouve une vieille photo d‘Ada au côté d’un autre homme inconnu ce qui l’amène à s’interroger sur les relations qu’elle entretenait avec Ghitta. De plus il découvre un petit carnet garni de surnoms cachant sans doute des clients de son établissement et qui pourraient bien cacher un assassin potentiel qui aurait agi par peur ou par vengeance. Son enquête se déroule donc dans ce quartier peuplé de migrants inquiétants, avec la silhouette d’un homme élégant mais aussi fuyant autant dans son attitude que dans ses réponses, le concours d’un ecclésiastique dévoué mais qui ne trahira évidemment pas le secret de la confession, la collaboration méfiante d’un SDF, une voisine énigmatique, une résidente de la pension qui a réponse à tout, des révélations inattendues sur Ghitta décidément bien mystérieuse. Bref, il y a autant de brouillard dans le cerveau du commissaire que dans la ville !
Soneri devra admettre que le temps a passé, que cette ville qu’il a connue plus jeune présente maintenant une forme de décomposition, qu’il devra affronter des fantômes, admettre des réalités qui lui avaient échappées.
L’épilogue se clôt sur une remarque mi-philosophique mi-réaliste du commissaire qui, de par ses fonctions, connaît bien les humains. Cette affaire un peu ténébreuse se termine leur désir, par-delà la mort de rédimer une vie amorale, de se venger peut-être de ses semblables et de laisser une trace de leur passage sur terre après leur mort.
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Bird
- Par ervian
- Le 15/01/2025
- Dans Andrea Arnold
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Bird – Un film de Andrea Arnold (2024)
Prix de la Citoyenneté -Festival de Cannes 2024 ;
Dans un décor digne de Ken Loach, mais version « jeunes », avec violence, drogue, squat misérable, tatouages et musiques psychédéliques, Bailey (Nykiya Adams), 12 ans, une jeune métisse, tiraillée entre sont père et sa mère séparés, fait ce qu’elle peut – et ce n’est pas facile- pour soutenir son frère Hunter (Jason Buda) et sa sœur Peyton (Jasmin Jobson). Elle vit avec son frère chez son père (Barry Koeghan) qui les élève seul après sa séparation avec leur mère (Jasmin Johson) et qui va épouser sa nouvelle compagne qu’il connaît à peine. Sans qu’on sache très bien pourquoi, il fait des projets un peu fous sur les bienfaits supposés de la bave de crapaud. La mère de Bailey qui a gardé ses enfants plus petits vit avec un hommes à la fois colérique, violent et grossier qui terrorise tout le monde. Voilà pour le décor de cette région du Kent, la misère.
Bailey, dans ce quotidien un peu bousculé, s’accorde des parenthèses d’évasion dans la nature ou avec les animaux ce qui lui procure un ailleurs bienvenu. Lors d’une de ses escapades elle rencontre un personnage étrange, Bird (Franz Rogovski) qui va changer sa vie et dont on fini par comprendre qu’il est à la recherche de son père qui l’a très tôt abandonné.
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C’est parfois un peu confus, parfois poétique mais l’un des thèmes de ce film porte sur la paternité, celle qu’on rejette dans le cas de Bird, celle qu’on accepte et qu’on assume dans le cas d’un copain de Hunter qui, à 16 ans a mis enceinte une fille de 14 ans . Il est certes question d’avortement vite oublié quand le père du copain rappelle à son fils qu’il aurait pu ne pas être là s’il y avait eu recours et que la vie d’un enfant est un espoir et doit être respectée. Dans ce milieu hétéroclite, c’est plutôt rassurant.
Il y a des scènes surréalistes qui nous rappellent que nous sommes dans un conte fantastique, le combat de Bird devenu oiseau qui élimine l’amant violent de la mère de Bailey et qui revient ensuite sous forme humaine, le chien qui est tué puis qui ressuscite, le père de Bailey qui fait une déclaration d’amour touchante à sa toute jeune épouse, la présence furtive d’oiseaux de mer.
Malgré une musique un peu forte et même entêtante et des moments d’hyper violence, c’est finalement un film assez moral dans un contexte de familles recomposées qui bien souvent, dans leur décomposition, oublient les enfants tiraillées entre les deux foyers et font preuve de solidarité, surprenant aussi par son côté fantastique. Ce film, sorti en France en janvier 2025 donne aussi une image de la société un peu folle dans laquelle nous vivons actuellement
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Comme c’est souvent la cas chez Andrea Arnold, les portraits de femmes sont très marqués comme ici celui de la bienveillante Bailey. ; . ;
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Qui a tué mon père
- Par ervian
- Le 08/01/2025
- Dans Édouard Louis
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N°1956– Janvier 2025.
Qui a tué mon père – Édouard Louis- Seuil.
Avec ce roman autobiographique paru en 2018, Édouard Louis retrace la figure de son père. Après des années de séparation, l’auteur revient chez son père qui vit dans une petite ville du Nord, grise et froide avec une autre femme que sa mère. Il retrouve un homme diminué par la souffrance et la maladie dont la vie peut s’échapper à tout instant. Ce sera sans doute la dernière visite de ce fils pourtant rejeté par ce père à cause de sa sensibilité, de sa fragilité, de son homosexualité et qui, devenu adulte, a réussi par son talent à briser la moule familial de la pauvreté, de l’alcoolisme, du chômage, de la précarité en embrassant une carrière d’homme de Lettres reconnu qui fait quand même la fierté de son père.
Cette rencontre est pour lui l’occasion de remonter le temps, de se remémorer les relations difficiles qu’ils a eues avec lui, entre violence, incompréhension, regrets et peut-être amour mais compte tenu du contexte culturel, des préjugés sociaux, du rejet de son orientation sexuelle, je ne suis pas sûr qu’il y ait eu entre eux véritablement de l’amour. Ce que je retiens c’est surtout cette opposition constante entre eux, cette ambiance familiale délétère où les coups de gueule, les larmes, les cris étaient plus fréquents que les rires et les moments de complicité. Cette entrevue a été l’occasion de se parler, un peu comme une ultime tentative d’explication voire de rédemption
Reste la question posée (sans point d’interrogation). Sans aucune ambiguïté, Édouard Louis accuse les hommes politiques, de Chirac à Macron qu’il juge responsables de l’abandon des plus déshérités. Son père, victime d’un accident du travail est devenu un assisté, un oublié de la société, un humilié, capable seulement de subir des décisions qui lui sont défavorables. C’est peut-être cette injustice qui le rapproche de son père, davantage que les souvenirs personnels quelque peu délétères qu’il évoque. Cette détresse, cette révolte ainsi exprimées me paraissent même bien plus importantes que le récit biographique. Au moment où les politiciens, chargés de représenter le peuple à qui ils doivent leur situation avantageuse, nous donnent l’image de gens plus préoccupés par leur réélection et donc leur carrière que par l’intérêt général qu’ils sont censés défendre, ces remarques exprimées dans la 3° partie de ce court ouvrage m’ont paru des plus pertinentes. La démagogie, le mensonge, la mauvaise foi, la trahison, les flagorneries et les palinodies des politiciens ne plaident évidemment pas en leur faveur. Ils sont à ce point coupés des réalités quotidiennes, des difficultés de ceux dont ils régentent la vie par leurs décisions qu’il est possible d’y voir de l’incompréhension, l’indifférence, du désintérêt. Au fil du temps ils sont devenus des profiteurs, des parasites de la société. La politique est une chose passionnante, ceux qui la font le sont nettement moins.
Les motivations de l’écriture sont diverses entre la conservation de la mémoire, la volonté de porter témoignage, de régler des comptes, celle de partager des réflexions personnelles et ainsi d’aider d’éventuels lecteurs, voire celle d’augmenter son œuvre personnelle en occupant le terrain médiatique… Pourquoi, depuis que le suis le parcours créatif d’ Édouard Louis, ai-je souvent l’impression, comme ici, que l’auteur recherche dans les mots une sorte de rédemption pour ses romans précédents écrits sur sa famille ?
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Le chien des étoiles.
- Par ervian
- Le 06/01/2025
- Dans Dimitri Rouchon-Borie
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N°1955– Janvier 2025.
Le chien des étoiles - Dimitri Rouchon-Borie – Le tripode.
Gio, 20 ans, un grand gaillard, a, lors d’une rixe, reçu un tournevis dans la tête, ce qui lui a valu un long séjour à l ‘hôpital mais il a heureusement survécu et revient dans son clan gitan. Il a une grande cicatrice, ressent les choses différemment et sa balafre vibre bizarrement quand il contemple la nuit ou devant une situation étrange. Pour son père et ses oncles la vengeance s’impose mais lui s’y oppose. Il choisit donc la fuite, flanqué de Papillon, un gamin muet qui ne s’exprime qu’avec le mouvement de ses bras et Dolorès un adolescente qui, un peu malgré elle, fait tourner la tête de tous les hommes qu’elle croise. Leur pérégrination hasardeuse les conduit dans une communauté qui vit de trafic clandestin, alcool, drogue, prostitution, violence. Là où ces trois compères qui n’ont pas vraiment été gâtés par la vie avaient vu une chance de s’en sortir, ils se rendent compte que la réalité est bien différente, malgré les références à la religion pour égarer les consciences. Pour Gio qui distille autour de lui une ambiance faite de curiosité et de peur mêlées, c’est à nouveau la fuite, mais une fuite solitaire, jouet de son propre destin, hors de la société des hommes qui se caractérise par la violence et cette habitude qu’elle a de rejeter ce qui ne lui ressemble pas. Seul un homme le comprend et l’accueille mais la réalité est la plus forte malgré ses rêves.
Le livre refermé, j’ai eu le sentiment d’avoir lu un conte pas si extraordinaire que cela, une sorte d’épopée prenante, l’illustration de l’existence du bien face au mal, l’histoire d’un homme différent des autres, amoché, un peu idéaliste, un peu naïf aussi, quelqu’un en tout cas qui sait qu’il n’a pas sa place ici et préfère autre chose qui peut ressembler aux étoiles ou peut-être au néant. La perte d’êtres chers, leur absence, génèrent pour Gio une vaine errance et la création artistique fait revivre un moment l’amour qu’il leur portait. Je n’ai peut-être rien compris mais j’y ai lu une révolte contre cette société violente, cruelle et de plus en plus incompréhensible. J’ai eu le sentiment que cette écriture, brute et sans fioriture littéraire, poétique d’une manière assez originale, avait, à la fin, entraîné son auteur dans un monde imaginaire et sûrement idéal, inconnu de lui au départ et qui est l’illustration d’une chose à laquelle j’ai toujours été attentif, la liberté des personnages et le pouvoir extraordinaire de la création mue par l’inspiration. Une phrase de la 4 ° de couverture me paraît illustrer cette remarque « ‘C’est la nuit qui parle, pas moi »
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L'effondrement
- Par ervian
- Le 04/01/2025
- Dans Édouard Louis
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N°1954– Janvier 2025.
L’effondrement – Édouard Louis - Éditions du Seuil.(2024)
Le roman se présente comme un froid rapport de police établissant des faits. C’est pourtant bien d’une sorte d’enquête très personnelle dont il s’agit, un retour dans le passé, une tentative d’explication. L’auteur apprend la mort à 38 ans de son demi-frère (et non pas son frère comme il le dit), né d’un précédent mariage de sa mère. On parle même d’un éventuel suicide. La disparition d’un être cher entraîne, pour ceux qui restent , colère, révolte, chagrin et ce ne sont pas les fallacieuses promesses religieuses qui peuvent adoucir un deuil. A la réflexion, l’auteur prend conscience qu’il n’avait aucun lien avec lui à cause notamment de son homophobie, de sa posture provocatrice, qu’il ne savait pas grand-chose de cet homme, ouvrier pauvre, rêveur aux rêves démesurés et inacessibles, idéaliste mais incapable d’aimer les femmes qui ont partagé sa vie, à ce point contradictoire qu’il pouvait être à la fois violent et affable, animé de la volonté de sortir de ses addictions mais fuyant ceux qui voulaient l’y aider, révolté par la solitude mais désarmé face à elle. Il s’interroge sur son histoire balbutiante, sordide, désespérée puis délinquante, bouleversée par le divorce de ses parents et par son abandon. Il a été meurtri par l’indifférence d’un père alcoolique et violent dont il a reproduit l’exemple, blessé par la recomposition d’un foyer où il n’avait pas sa place et que son beau-père humiliait, avec la passivité voire la complicité de sa mère. C’était un homme contradictoire qui fuyait sa nouvelle famille qui ne lui témoignait que de l’indifférence, de l’incompréhension voire une volonté d’exclusion mais admirait la réussite d’Édouard, son frère. L’auteur parle avec raison de la blessure de son frère, un véritable abandon, une souffrance qui l’a poursuivi toute sa vie et qu’il a combattu, gauchement, à sa manière notamment en prenant des décisions inattendues et parfois désastreuses. Elles avaient, aux yeux de sa famille, l’avantage de l’éloigner d’elle. Pire peut-être puisque, selon lui, son frère n’avait jamais eu l’opportunité d’en parler, à cause de son appartenance à la classe ouvrière défavorisée où ce mode d’expression n’existe pas, comme si les autres couches plus favorisées de la population en étaient exemptes et que les enfants-victimes pouvaient s’exprimer plus facilement, ne connaissaient ni la dépression ni le rejet. Il est évident qu’il y avait entre l’auteur et son demi-frère dont on ne connaît même pas le prénom, des différences flagrantes même si lui-même n’a pas été épargné par les humiliations paternelles et la passivité maternelle. En outre, l’auteur évoque l‘attitude de sa mère face à la mort de ce fils, son impuissance, son indignation, son rejet de la réalité devant le décès de son fils mais dénonce aussi la posture passée d’une femme sous l’influence d’un mari agressif.
J’ai lu ce roman avec une attention toute personnelle parce qu’il me semble que les adultes qui donnent naissance à des enfants puis se séparent pour refaire leur vie ailleurs, ont une attitude égoïste et ne songent guère à ceux à qui non seulement ils ont imposé la vie mais qui, par leur décision, la leur compliquent considérablement. Quand d’autres enfants naissent des unions suivantes, des différences, apparaissent inévitablement au sein de la famille recomposée, plus ou moins sciemment entretenues par les membres de la parentèle. Quoiqu’on en dise, ce genre de situation se banalise inévitablement, des injustices, des rivalités, voire des conflits naissent et se développent qui laissent des traces indélébiles sur les enfants du couple qui se sépare, mais le refus d’Édouard Louis de rencontrer ce frère gravement malade, celui de participer financièrement à l’enterrement, sont révélateurs . Son improbable dialogue avec son fantôme a quelque chose d’artificiel et même d’inconvenant, cette évocation d’une vie dévastée sonne pour moi comme une bien tardive tentative de rédemption où les mots ne pèsent rien. Cette analyse de la déréliction d’un être mal-aimé et incapable d’aimer ses semblables est à la fois pertinente et bouleversante.
Dans ce contexte les larmes des vivants n’ont pas vraiment leur place sauf à jouer une comédie hypocrite convenue dans de telles circonstances. J’y ai vu dans ce roman quelque chose qui ressemblait davantage à la prise de conscience tardive d’une culpabilité à l’égard de cet homme, à cause des postures mais aussi des révélations faites par l’auteur sur sa famille, de son refus de voir les réalités en face. Nous savons tous que les mots n’ont pas le pouvoir de conjurer les erreurs.
Je me suis toujours interrogé sur le style d’Édouard Louis, brut et assez froid, pas vraiment littéraire. Selon l’auteur, il traduit ici la distance qui existait entre lui et son demi-frère et estime que l’emploi de son langage serait susceptible de mieux le comprendre. Voire !
Il y a sans doute dans cette démarche d’écriture de la part de l’auteur une dimension de déculpabilisation eu égard à la distance qui existait entre eux, de la haine qu’il lui témoignait, de ce qu’il avait écrit à son propos, au regard aussi de l’attitude de sa mère qui réalise bien tard, et peut-être avec une certaine tartuferie, tout ce qu’elle n’a pas fait pour lui. Sa tentative me paraît vaine et même quelque peu artificielle et je ne crois pas que les les mots aient réellement ce pouvoir d’exorcisme.
C’est le 7° roman d’Édouard Louis qui poursuit ici sa réflexion sur la famille et au cas particulier de la courte vie désordonnée de ce demi-frère. Il le fait en intellectuel, évoquant la psychologie, la sociologie, la psychanalyse comme autant d’explications mais, dans cette démarche, il ne m’a pas paru convaincant.
J’ai longtemps suivi l’itinéraire créatif de cet auteur. Sa vie a certes quelque chose d’original, voire d’extraordinairement réussi, malgré toute l’opposition familiale qu’ont suscité ses révélations. En dehors de quelques réflexions personnelles, j’ai attentivement lu ce roman avec un mélange de curiosité et de désaccord. En revanche, à travers la courte vie de son frère, il soulève ici un problème de société récurrent et cela me paraît beaucoup intéressant que ses révélations des ouvrages précédents, même si je ne suis pas sûr de l’avoir suivi dans son argumentaire volontairement déculpabilisant et quelque peu laborieux.
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Combats et métamorphoses d'une femme
- Par ervian
- Le 31/12/2024
- Dans Édouard Louis
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N°1953– Décembre 2024.
Combats et métamorphoses d’une femme – Édouard Louis - Éditions du Seuil.
Dans ce court texte, j’ai eu l’impression de relire un autre roman biographique du même auteur « Monique s’évade ». Dans ce volume, Édouard Louis nous fait partager à nouveau le triste destin de sa mère, une jeune femme pauvre dans un Nord pauvre et triste, soumise à un premier mari, puis à un second, dans un contexte de violence, d’humiliations, d’alcoolisme, de solitude, d’abandon, surtout pour elle. Je note cependant que l’incompréhension, la violence, l’abandon, ne sont pas l’apanage des classes populaires et défavorisées. Cela touche aussi les autres couches de populations plus aisées, mais là le non-dit et l’hypocrisie l’emportent sur la dénonciation.
Quand il est entré en littérature, l’auteur a fait des révélations sur sa famille, ce qui n’a guère plu à sa mère et on peut aisément le comprendre. Avec ce texte il m’a semblé qu’il voulait en quelque sorte se racheter en la réhabilitant. Rendre hommage à sa mère, une femme courageuse, me paraît parfaitement légitime. J’ai déjà dit dans cette chronique que l’autobiographie d’un auteur était une source intéressante de création et ce n’est sans doute pas Annie Ernaux et Patrick Modiano, notamment, tous les deux nobélisés, qui diront le contraire.
Édouard le fait un peu pour lui aussi puisque c’est grâce à son ascension spectaculaire, à sa valeur, à la chance qu’il a eue de rencontrer les bonnes personnes qui l’ont assisté, à ses relations dans le monde de la culture, que Monique, sa mère, a pu ainsi s’extraire de ce milieu toxique et ainsi reprendre goût à la vie en rencontrant des personnalités quelle n’aurait pas imaginer côtoyer. C’est évidemment émouvant et sans doute de nature à encourager d’autres femmes à changer de vie, même si cette entreprise, dans un contexte différent, n’est pas forcément assurée d’un succès. Tout le monde n’a pas un fils écrivain célèbre !
C’est aussi un récit humain à dimension sociologique indéniable et cette tentative réussie d’échapper à sa condition reste un exemple que la littérature a, en quelque sorte consacré.
Il reste que je suis assez partagé face au style de l’auteur. Je le trouve banal, sans grande originalité, même si ce texte se lit bien. Sans être déçu par ce livre, j’en retiens une impression mitigée.
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Le chevalier inexistant
- Par ervian
- Le 30/12/2024
- Dans Italo Calvino
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N°1952– Décembre 2024.
Le chevalier inexistant – Italo Calvino – Le Seuil.
Sous un titre assez sibyllin, c ‘est une drôle d’histoire qui nous est contée par une nonne, sœur Theodora, celle d’un chevalier, Agilulhe, au nom complet démesurément long qui prétend avoir été sacré à la suite de son intervention pour sauver l’honneur d’une femme. Son titre est remis en question et pour faire la preuve de sa bonne foi, il entreprend une pérégrination au long cours et quelque peu déjantée, cherchant, en compagnie de son écuyer un peu folklorique, Gouidoulou, à démontrer la virginité de cette dame. Au cours de cette quête, il croise différents personnages alternativement burlesques, animés d’un idéal chevaleresque ou simplement amoureux. Cette histoire est d’autant plus incroyable que, plus elle écrit plus sœur Theodora se sent dépassée par son récit, un peu comme si elle en devenait prisonnière ou bien qu’il lui échappait complètement. Une manière de montrer un des paradoxes de l’écriture, d’illustrer la solitude de l’écrivain face à la feuille vierge, celle des personnages, poursuivants et poursuivis, esclaves autant de leurs recherches que de leur parole donnée et de leur idéal. Mais l’incroyable ne s’arrête pas là et ce chevalier ne se présente que constamment revêtu de son armure, visière baissée, pour la seule raison qu’elle est vide !
Italo Calvino clos avec ce roman publié en 1959 sa « trilogie héraldique » intitulée « Nos ancêtres », un peu dans le même esprit quelque peu surréaliste du «Vicomte pourfendu »(1952) et du « Baron perché » (1957). Il associe l’idéal chevaleresque, l’errance, la chanson de geste, l’amour courtois, le respect des femmes, la quête du Graal, la soumission aux rituels religieux, la recherche d’un idéal matérialisé par la poursuite de quelque chose ou de quelqu’un, à une histoire un peu folle où pourtant s’impose l’idée de la solitude et la recherche de soi-même. Quant à l’homme idéal tel que nous est décrit le chevalier dans la littérature médiévale, il ne peut s’agir que d’une satire, ce genre de personnage étant bien éloigné de l’espèce humaine, pas plus que, à l’époque, l’abolition des privilèges des nobles. Quant à cette idée de parenté, entre inceste supposé et filiation naturelle, c’est carrément dément ou peut-être simplement oulipien. Ce n’est que lors de l’épilogue qu’on réussit à savoir qui est qui. Goudoulou me paraît être beaucoup plus terre à terre et en ce sens, bien plus humain.
J’ai retrouvé ici le fabuliste plein d’humour mais aussi l’auteur d’une sorte de conte philosophique qu’a été Italo Calvino (1923-1985).
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Houris
- Par ervian
- Le 27/12/2024
- Dans Kamel Daoud
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N°1951– Décembre 2024.
Houris – Kamel Daoud – Gallimard.
Prix Goncourt 2024.
Fajr (Aube) est une ,jeune algérienne célibataire de 26 ans qui a survécu, alors âgée de 5 ans, au massacre des habitants de son douar, le 31 décembre 1999, perpétré par les islamistes pendant la guerre civile. Échappant miraculeusement à la mort, à moitié égorgée, les cordes vocales détruites, ce jour est pour elle comme une deuxième naissance. Il ne lui restera qu’une cicatrice de 17 centimètres, comme un sourire qui dérange ses interlocuteurs, tout comme ses yeux d’une exceptionnelle beauté. Elle ne respire plus qu’avec une canule et la greffe est impossible malgré toutes les démarches de sa seconde mère, celle qui l’a sauvée.
Fajr est enceinte, sans mari et bien qu’elle soit muette pour le monde extérieur, s’adresse à sa fille à naître dans sa langue intérieure, un long monologue, pour lui raconter une guerre, pas celle contre les Français qu’elle n’a pas connue, mais la guerre civile de 1990 à 2002, ces milliers de morts, et les égorgeurs qui ont détruit sa vie et sacrifié celle de sa sœur qui n’a pas survécu, l’injustice qui leur accorda le pardon au nom de la « réconciliation nationale », les tentatives de faire taire la petite fille mutilée dont la survivance dérangeait. puis peu à peu, avec le temps et le mensonge, l’oubli de leurs crimes, comme une abolition de la mémoire . Elle lui décrit cette société qui ne reconnaît les femmes que soumises aux hommes et une guerre qui tue au nom de Dieu. Elle l’appelle « Houri » du nom des vierges qui, selon le Coran sont destinées à un fidèle musulman au paradis, mais refuse de la mettre au monde dans un pays qui fait si peu de cas des femmes. Il ne reste plus que l’avortement, interdit dans ce pays, contenu dans trois pilules abortives et cela devient pour elle une obsession. Pourtant elle est une femme libre, célibataire, qui possède son propre salon de beauté à Oran et se révolte contre ce pays, cette société, cette religion et l’imam qui l’incarne et qui suscite sa mise au banc d’une communauté privée de liberté et fanatisée par la religion…A sa voix se mêle celle d’Aïssa, un libraire, rescapé lui aussi mais épargné par les tueurs et chargé par eux de témoigner des assassinats qu’ils a vus. Grace à sa mémoire phénoménale, il énumère, chiffres à l’appui, les atrocités perpétrées par les tueurs de Dieu, un peu comme si, malgré eux, il conservait leur souvenir mais les autorités lui imposeront le silence qui nourrit amnésie. C’est pourtant grâce à son érudition que toute cette barbarie nous est rappelée. Vient s’y ajouter celle de l’imam de « l’endroit mort » où elle choisit de revenir vingt et un ans après, où sa famille a été exterminée par les barbus du FIS au moment de l’Aïd-El-Kebir, une fête religieuse où on égorge des moutons. Pour elle ce « pèlerinage » est une épreuve supplémentaire, un véritable chemin de croix. C’est ici qu’elle veut avaler ses pilules abortives, en refusant la vie à sa fille à naître, tout un symbole. Cette voix venue on ne sait d’où a bizarrement des accents d’explications, parle d’un frère jumeau absent, de dédoublement, de destin et peut-être une demande de pardon adressée à Fraj au nom d’Allah. La mort s’y mêle à la vie dans un tourbillon de mots et de signes, de souvenirs aussi, celui de sa sœur égorgée pour qu’elle, Fajr, puisse vivre, de refus de cette mort programmé pour sa fille...
Grace au monologue de Fajr, au savoir d’Assaï, aux accents de l’imam et malgré la loi d’amnistie qui institue l’oubli et même l’amnésie générale suite à cette période troublée, l’épilogue à des accents de vie, d’avenir, d’amour ...
Ce roman à la fois émouvant et fascinant, poétique parfois, se lit facilement malgré un style est haché, un peu répétitif, à la dimension de la révolte obsessionnelle qu’il porte et qui emprunte beaucoup à la réalité... pour faire échec à l’oubli. Apparemment le but recherché a été atteint puisque ce livre, objet de polémiques, est interdit en Algérie et que son auteur est contraint de vivre en France parce qu’en Algérie la loi interdit qu’on évoque cette guerre civile. La notion de liberté d’expression y est bien différente dans ces deux pays.
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Monique s'évade
- Par ervian
- Le 21/12/2024
- Dans Édouard Louis
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N°1950– Décembre 2024.
Monique s’évade – Édouard Louis – Seuil.
Monique , c’est la mère de l’auteur. Une nuit, alors qu’il était à l’étranger, il reçoit un appel téléphonique désespéré de celle-ci lui annonçant sa décision de quitter l’homme, coléreux, violent et alcoolique, avec qui elle vivait depuis quelques années. Elle avait quitté son père pour les mêmes raisons et se retrouvait dans la même situation à laquelle elle avait voulu échapper. Cette relation n’a malheureusement rien d’exceptionnel et j’y vois l’impossibilité à échapper à son destin, un peu comme si quoiqu’on fasse on se retrouve dans la même situation que celle à laquelle on avait voulu précisément échapper.
L’auteur se remémore sa jeunesse avec ses parents, son père, violent, dénonçant l’homosexualité de son fils, sa mère adoptant une attitude passive… Suit toute série de situations où cette malheureuse femme, livrée à elle-même, doit se débrouiller seule pour reconstruire sa vie dans la solitude, ses autres enfants adultes ayant par ailleurs des difficultés pour s’occuper de leur propre famille. L’auteur, ayant réussi socialement et financièrement, se considère dans l’obligation morale de sauver sa mère et d’organiser sa fuite. C‘est ce qu’il fait tout en notant des détails bien inutiles au demeurant.
C’est malheureusement la chronique quasi ordinaire des couples qui se désagrègent au fil du temps, quelle que soit la responsabilité de chacun des deux époux. L’actualité, le procès de Gisèle Pelicot, toutes choses égales par ailleurs, remet en lumière les intolérables violences faites aux femmes qui, par un effet de balancier et après avoir été longtemps occultées, reviennent sur le devant de la scène. L’homme a bien souvent le pire rôle et l’épouse, souvent sans qualification et dans un contexte de pauvreté, ne peut que subir une vie commune à laquelle elle ne peut échapper.
J’ai suivi le parcours créatif d’Edouard Louis qui a largement confié à son lecteur les épisodes de sa vie qui constituent globalement son œuvre littéraire. L’évocation de son enfance, dans un premier roman, n’a guère plu à sa mère et cela peut se comprendre. C’est sans doute ce qui a motivé l’écriture de ce présent récit biographique qui prenait ainsi une dimension d’absolution. Mais la littérature peut-elle tout dire ? Est-elle nécessaire pour que l’auteur trouve dans les mots, et sous couvert d’écrire une œuvre originale, une occasion de se déculpabiliser ou de se libérer d’obsessions intimes ? J’avoue que j’ai peu adhéré aux différentes remarques de l’auteur sur la fuite de sa mère, sur ses conséquences, sur la longue impossibilité d’y recourir, sur l’homme que Monique quittait. En revanche je le suis volontiers dans son hymne à la solitude, un peu comme si elle était le symbole du bonheur auquel chaque être humain aspire pendant son passage sur terre. Je le suis aussi sur la manière émouvante d’exprimer sa fierté au regard de l’attitude de sa mère.
Le livre refermé, j’en garde une impression mitigée.
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Pour mourir, le monde
- Par ervian
- Le 17/12/2024
- Dans Yan Lespoux
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N°1949– Décembre 2024.
Pour mourir, le monde – Yan Lespoux- Agullo.
Ce roman tire son titre un peu énigmatique d’une citation du jésuite portugais Antonio Vieira (« Un lopin de terre pour naître ; la terre entière pour mourir.Pour naître, le Portugal ; pour mourir, le monde ») . Il évoque la vie de trois héros anonymes du XVII°siècle ; Marie, une jeune fille de caractère qui vit sur la côte landaise et qui, pour échapper aux autorités qui la recherchent à la suite d’une rixe avec un homme qui voulait la violer se réfugie dans la communauté des résiniers puis dans celle des pilleurs d’épaves, Fernando, un jeune homme pauvre de l’Alentejo enrôlé de force, à 15 ans, dans l’armée portugaise et envoyé à Goa et dans les comptoirs portugais des Indes, et Diogo, jeune Brésilien qui assiste à la chute de São Salvador de Bahia prise par les Hollandais pendant laquelle ses parents sont tués. Recueilli par les pères jésuites qui tentaient de convertir les indiens Tupinanbas, il entre en résistance se retrouve embarqué sur un navire portugais qui fait naufrage sur les côtes du Médoc. Ce sont donc trois destins de jeunes êtres qui ont en commun la volonté d’échapper à leur condition misérable et pour qui la vie n’a jamais été un long fleuve tranquille. Chacun cherche à survivre dans un univers violent et déshumanisé, fait de luttes constantes entre eux, avec la mort en embuscade. Au début ils ne se connaissent évidemment pas, mais un matin de 1627, une tempête dantesque drossa sur la côte basque le navire sur lequel s’était embarqué Diogo et jeta Fernando, sur une plage du Médoc après avoir échoué la caraque portugaise sur laquelle il naviguait. Les richesses des épaves, essentiellement des diamants, excitent les convoitises mais le hasard de ce naufrage va provoquer la rencontre de Fernando avec Marie, devenue pilleuse d’épave. Elle lui sauvera la vie et fuira avec lui, à la fois cette société interlope et violente mais aussi son passé, Diogo miraculeusement sauvé fera partie de cette équipée un peu sanglante.
Les personnages sont nombreux qui gravitent autour de cette histoire. Capitaines, soldats ou indiens, résiniers... Ils sont en commun le projet de s’enrichir malgré la violence qui les accompagne, avec cette volonté de profiter du moment présent, de faire parfois prévaloir les sentiments, d’affirmer son autorité, de respecter Dieu et la prière, de mettre en avant son honneur pour les aristocrates ou plus simplement de survivre malgré la peur, et le fatalisme, sans oublier que l’instant d’après peut définitivement les empêcher de vieillir,
Au long de plus de 400 pages, avec de nombreux analepses , le lecteur est immergé dans un récit historico-fictif bien documenté, à la fois agréablement écrit avec beaucoup de réalisme et passionnant.
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Nous nous sommes tant aimés
- Par ervian
- Le 09/12/2024
- Dans Cinéma italien
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N°1948– Décembre 2024.
Nous nous sommes tant aimés (C’eravamo tanto amati) - Un film d’Etore Scola (1974)
C’est l’histoire d’une amitié tissée en 1940 dans une fraternité d’armes de la lutte contre des Allemands entre Gianni (Vittorio Gasmann), Antonio (Nino Manfreddi) et Nicolas (Stefano Santa Flores). A la libération, un monde nouveau s’offre à eux et, pleins d’illusions, ils ont bien l’intention d’y imprimer leur marque mais se heurtent à la réalité d’un quotidien minable. Dans leur vie, ils ont croisé Luciana (Stefania Sandrelli) à la beauté éblouissante qui se destine à une carrière d’actrice et avec qui chacun d’eux a eu une aventure amoureuse (elle représente pour chacun d’eux la promesse d’une vie différente), mais les évènements politiques les séparent. Giani est avocat mais le manque de clientèle l’amène à épouser Elide (Giovana Ralli), fille d’un promoteur véreux (Aldo Fabrizi), mais devient veuf à la suite d’un accident, Nicola qui se voyait bien critique de cinéma manque sa carrière et se retrouve enseignant en province mais abandonne sa famille pour tenter sa chance à Rome, Antonio, simple brancardier dans un hôpital de Rome a une carrière en dents de scie et finit par épouser Luciana. La vie cependant les sépare mais le hasard s’en mêle. Éternel raté, Antonio rencontre Giani par hasard, vingt cinq ans plus tard, dans un parking dont il le suppose gardien . Des trois compères, c’est Giani qui a le mieux réussi mais en apparences seulement et surtout il n’a pas cessé de penser à Luciana qu’il tente en vain de reconquérir. Les deux autres connaissent des galères et les trois amis décident de se retrouver comme avant, dans leurs vie d’illusions et de projets fous mais la constation est amère. Non seulement Antonio et Nicola n’ont plus rien de commun avec Giani, le charme est rompu et la communication est difficile entre eux « Nous voulions changer le monde mais le monde nous a changés ».
Ce film, à la fois dramatique, humoristique et émouvant s’inscrit dans trente ans d’histoire de l’Italie suscitée par des images d’archives. Il a connu un succès international. Les références au septième art fourmillent dans cette œuvre qui accueille aussi, pour une participation éphémère Frederico Fellini, Marcello Mastroianni , Mike Bongiorno, Vittorio de Sica (à qui il est dédié). Les chimères qui s’érodent à la faveur du temps qui passe, les destins qui séparent les hommes, les projets qui s’évanouissent malgré nous, les amours qui s’érodent, le changement dans les mentalités de ceux qui ont réussi socialement et fuient leurs anciens amis, l’amnésie qui est une des grandes caractéristiques de la nature humaine, tout cela est résumé dans les dernières images du film où les deux amis et Luciana prennent conscience de la réalité des choses de cette vie avec toutes les désillusions qui vont avec. Cela a quelque chose de profondément humain. Un classique du cinéma italien.
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l'impossible retour
- Par ervian
- Le 04/12/2024
- Dans Amélie Nothomb
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N°1947– Décembre 2024.
L’IMPOSSIBLE RETOUR - Amélie Nothomb – Albin Michel.
Amélie Nothomb publie son habituel roman annuel.
Le thème de ce roman est un voyage au Japon qu’Amélie Nothomb est amenée à faire, en 2023, invitée par la photographe Pep Beni qui a gagné un prix qui est un voyage au Japon. Elle lui servira de guide à travers le pays. Amélie, fille de diplomate a vécu une partie de son enfance dans ce pays où elle a effectué plusieurs voyages ensuite. Elle a pour lui une véritable vénération et c’est donc une sorte de retour qu’elle effectuera. C’est l’occasion pour le lecteur d’accéder à la culture, à l’art de vivre, à la beauté, à la discipline, à la politesse nippone que retrouve avec plaisir l’auteure mais ce qui tranche avec la psychologie occidentale un peu brute incarnée par Pep. C’est pour Amélie l’occasion d’évoquer la personnalité de son père, ancien ambassadeur de Belgique au Japon, féru de culture nippone, décédé depuis, dont elle était très proche et qui lui a légué sa profonde fascination pour ce pays. Ce retour sur son passé ne se fait pas sans une bonne dose de nostalgie, mais , bizarrement, le retour à Tokyo où elle a pourtant vécu, correspond à un amnésie totale des lieux pourtant jadis fréquentés et c’est à la fois une vraie redécouverte mais aussi la manifestation du « syndrome de Stendhal » tant elle aime ce pays. Elle attribue oubli à la personnalité de son père.
Sa démarche intime avec le Japon se complète avec la relecture d’un roman de Huymans, « à rebours ». Ce thème me paraît très intéressant parce qu’il est, à mon sens, très humain dans son paradoxe même. Qu’un lieu où on est né, où on a passé sa jeunesse ou simplement qui s’est imprimé dans notre mémoire lors d’un moment fugace d’une sensibilité extrême est finalement très ordinaire tout comme l’est notre volonté d’y passer le reste de notre vie. Que ce lieu se dérobe et devienne une impossibilité définitive pour soi, me paraît certes frustrant mais assez commun, un peu comme tout ce qu’on veut réaliser pour soi et qui est constamment voué à l’échec sans que nous y puissions rien.
J’ai déjà écrit dans cette chronique que je goûtait modérément les romans d’Amélie Nothomb mais que je les lisais simplement pour être capable d’en parler puisque leur auteure fait partie du paysage littéraire. J’aime également son style fluide qui procure une agréable lecture. J’ai apprécié « Stupeur et tremblements » ainsi que « Premier sang » .Ici, sans être déçu, je ne suis que peu entré dans son voyage.
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Mes fragiles
- Par ervian
- Le 29/11/2024
- Dans Jérôme GARCIN
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N°1945– Novembre 2024.
Mes fragiles – Jérôme GARCIN – Gallimard.
Je retrouve ici avec plaisir un auteur dont je suis depuis de nombreuses années le parcours créatif. Comme toujours j’ai apprécié le style à la fois clair et plein de sensibilité. J’y ai lu la solitude de l’homme devant la mort qui n’a pas épargné sa famille, son impuissance face à la progression inexorable de la maladie, sa résilience devant la souffrance, sa révolte face à la génétique qui a handicapé son frère Laurent, la mémoire de ces moments de bonheur enfuis, la légèreté des mots face à tout ce qui fait notre condition humaine avec ses vains efforts, le poids du destin et les injustices de cette vie qui est avant tout fragile.
Ici , il est entre autre, question de génétique, où se transmettent de génération en génération des chromosomes responsables de maladies, de retard mental, un mal sournois, invisible souvent sans traitement et que les parents, sans le savoir, donnent à leurs enfants avec la vie. Celui-là a nom « X fragile » dont est atteint Laurent et que l’auteur a, malgré lui, a transmis à ses enfants, avec toute l’impuissance devant l’adversité et la culpabilité que cela implique.
On a beau dire que la mort fait partie de la vie, qu’elle est inévitable parce que la condition humaine s’impose à chacun de nous, quand elle emporte des êtres chers avec une telle brutalité, elle devient révoltante et inadmissible dans sa cruauté, et ceux qui survivent portent ce fardeau qui chaque jour s’alourdit. On peut se réfugier dans la foi religieuse qui peut être une consolation, mais il n’est pas illogique de douter ainsi de la bonté tant proclamée d’un Dieu devenu soudain bien absent ou plus prosaïquement de dénoncer l’acharnement d’un sort aveugle. Les dogmes et les rituels religieux ne pèsent rien face à la réalité de la mort et c’est un peu comme si la camarde prenait plaisir à vous serrer de près à travers le chapelet de ceux que vous aimez et dont elle a interrompu le souffle parfois brutalement, ne serait-ce que pour vous rappeler que la vie est fragile que vous serez sa prochaine victime, surtout quand vous vous y attendrez le moins ou qu’au contraire elle vous épargne temporairement pour vous laisser profiter du meilleur de cette vie et pour mieux vous le faire regretter. On peut, certes, compter sur le soutien de proches mais ce genre de situation nous révèle souvent l’indifférence, voire la gène ou l’oubli de ceux qu’on croyait ses amis. L’art, la création, sont des armes mais personnellement je doute de l’effet cathartique de l’écriture même si l’auteur nous livre avec sincérité toute sa souffrance et sans doute sa volonté d’aider ses lecteurs ainsi frappés. La résilience existe mais la douleur, loin de s’apaiser avec le temps, s’installe à en devenir banale.
Jérôme Garcin choisit donc de s’adresser au premier lecteur venu pour confier au papier un combat intime parce que la douleur dont il parle est universelle.
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Prodigieuses
- Par ervian
- Le 27/11/2024
- Dans Frédéric et Valentin Potier
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N°1946– Novembre 2024.
Prodigieuses - Un film de Frédéric et Valentin Potier (2024)
Pour être portée à l’écran, il n’est rien de tel qu’une histoire vraie parce qu’elle est avant tout une aventure humaine , comme celle des sœurs Audrey et Diane Pleynet dont le scénario de ce film s’est inspiré. Elles poursuivent leur carrière de virtuose et sont les seules à avoir mis au point cette technique originale.
Dans la famille Vallois, Claire (Camille Razat) et Jeanne (Mélanie Robert) sont jumelles et toute leur vie a été consacrée au piano par la volonté inébranlable de leur père, Serge (Franck Dubosq), un ancien champion désormais handicapé qui veut absolument la réussite de ses filles qui bénéficient aussi du soutien de leur mère, Catherine (Isabelle Carré). Claire et Jeanne sont des virtuoses du piano et elles sont admises dans la prestigieuse université musicale de Karlsruhe, sous la direction de l’intraitable professeur Klaus Lenhardt (August Vinttgenstein). La gémellité les a toujours renforcées mais l’accès à cette formation d’excellence met en évidence une compétition qui risque de détruire leur traditionnelle connivence. Alors qu’un avenir prometteur s’ouvre devant elles, une maladie orpheline transmise génétiquement les affecte toutes les deux, qui attaque les articulations des poignets et leur interdit la moindre carrière dans leur domaine. Face à cette catastrophe, malgré leur découragement, dans le plus grand secret et grâce à leur complicité unique et leur volonté commune, elles mettent au point elles-mêmes une technique basée sur le mouvement des mains, ce qui leur permet de jouer ensemble un morceau normalement exécuté par un soliste et ainsi de forcer leur destin contraire. Elles sont vraiment prodigieuses.
La musique classique sert de fil conducteur à ce film et jalonne les efforts communs soutenus par la volonté fusionnelle de Claire et de Jeanne .
La distribution est particulièrement réussie et Claire et Jeanne donnent une grande dimension émotionnelle à ce film que porte également leur mère Catherine. Je voudrais faire une mention toute particulière pour Franck Dubost qui joue d’ordinaire dans un tout autre registre. Lui confier le rôle dramatique d’un père intransigeant a été sans doute une gageure mais a démontré un talent insoupçonné du public, le faisant sortir du rôle d’amuseur où il était sans doute enfermé. Ce n’est pas la première fois qu’un comédien dont le répertoire s’inscrit dans le comique se voit offrir un rôle émouvant et dramatique. Cela a été une bonne idée et une révélation.
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J'ai péché, péché dans le plaisir
- Par ervian
- Le 23/11/2024
- Dans Abnousse Shalmani
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N°1944– Novembre 2024.
J’ai péché, péché dans le plaisir – Abnousse Shalmani – Grasset.
D’abord une rencontre imaginaire, dans le Téhéran des années 50 de Forough Farrolkhzad, 26 ans, divorcée et scandaleuse à cause de sa vie sentimentale et de ses poèmes sensuels et de Cyrus Alir Maziari, un timide étudiant de 20 ans. Il traduit pour elle en persan les poèmes érotiques de Pierre Louÿs inspirés par sa liaison avec Marie de Régnier à la Belle Époque en France. Forough, malgré la morale pesante de son temps et bien que presque tout oppose ces deux femmes, en fait un modèle de vie, un symbole de liberté, s’approprie cette écriture qui la déculpabilise et veut que ses amours ressemblent à celles de Pierre et de Marie face à un Cyrius qui la désire et qui lui délivre son message pour mieux la posséder. Pendant douze ans ils vont vivre un amour baigné par l’exemple de leurs modèles au point de leur ressembler.
Ce roman met donc en respective deux vies réelles, celle de l’Iranienne Forough Farrolkhzad (1934-1967), poète, actrice, réalisatrice de cinéma et celle de la Française Marie de Régnier (1875-1963), femme de Lettres, fille de José-Maria de Hérédia. Ce rapprochement est réalisé par le miracle de l’écriture romanesque par le truchement de Cyrus, un personnage imaginaire lui aussi, qui raconte à sa maîtresse la vie librement amoureuse et tumultueuse de Marie à qui elle veut de plus en plus ressembler. Malgré un mariage arrangé pour de basses raisons financières, Marie est amoureuse de Pierre Louÿs (1870-1925), un dandy séducteur, poète et romancier et avec qui elle vivra un amour mouvementé, passionné, fuyant parfois . Elle fixe les limites de ce mariage qui défient les règles sociales de son milieu autant que les convenances, mais correspondent bien à son époque de salons littéraires parisiens, de dîners mondains et de recherche effrénée du plaisir sous toutes ses formes, multipliant les amants, et pas seulement, en face d’un mari complaisant. L’histoire de Marie et de Pierre rappelle que l’amour fou existe, avec ses moments intenses et ses souffrances, entre bonheur et malheur et qu’une première passion ne s’oublie jamais. La vie de Farough est bien différente, animée elle aussi par la passion de la poésie, nourrie au départ par l’amour d’un mari mais qui finit par la décevoir. Après son divorce elle pratique une sensualité déchaînée, la recherche d’une jouissance sans frein ni lendemain, à l’imitation de la tolérance de l’occident, malgré tout le poids d’une société où elle ne se sent pas à sa place et qui couvre d’opprobre les femmes poètes, les femmes libres. Son aventure romanesque avec Cyrus s’achève, comme sa courte vie par un banal accident mais il reste comme orphelin de Forouhg, partagé entre ses racines persanes et sa vie parisienne, ému par une rencontre avec une Marie vieillissante mais encore belle. Les vies de ces deux femmes se rejoignent dans le bonheur de l’écriture, la recherche effrénée de l’amour et du plaisir, leur rejet d’une société hypocrite, une ode à l‘indépendance et peut-être un certain poids du destin. Ce roman replonge le lecteur à la fois dans la Belle Époque et dans un Orient qui a toujours fasciné les Européens, dans la vie qui impose son cours, ses épreuves et sa solitude, dans l’acte d’écrire qui s’impose ou se dérobe mais, quand il existe qui reste un jalon souvent plein de nostalgie et de remords.
Bien documenté, plein de sensibilité, de sensualité, ce roman est remarquablement écrit et procure une agréable lecture. Tout au long de près de 200 pages Abnousse Shalmani, de Téhéran à Paris, déroule son parti-pris romanesque, la vie amoureuse de ces deux femmes. J’ai même, mais c’est une interprétation personnelle, aperçu quelques traits communs entre l’auteure et certains personnages de ce roman.
J’ai déjà dit dans cette chronique que je suivais avec intérêt les interventions journalistiques télévisées d’Abnousse Shalmani autant que son parcours créatif. J’ajoute que j’apprécie qu’elle ait choisi la langue française, qu’elle se la soit appropriée, elle, l’Iranienne, arrivée en France à l’âge de huit ans, pour s’exprimer et dérouler une œuvre à laquelle je suis attentif. En ce sens l’immigration est bien une richesse. J’apprécie aussi qu’elle remette en lumière l’amour dans la poésie qui est une forme d’expression délicate et émouvante et spécialement la poésie érotique à travers l’œuvre de Pierre Louÿs, poète quelque peu oublié, la créativité de Marie de Régnier, également un peu négligée par les programmes scolaires et celle de Forough Farrolkhzad, peu connue en France et dont le titre de ce roman s’inspire. En outre cette œuvre s’inscrit parfaitement dans le contexte actuel de la reconnaissance de la liberté des femmes face au machisme et de leur droit à disposer de leur corps. Ce roman est à cheval entre l’Orient et l’Occident, avec leurs spécificités morales, culturelles, religieuses, nous donne une autre vision de l’Iran que celle que l’actualité nous délivre. Il a été couronné cette année par le « Prix Simone Veil » dont un des buts est de mettre en lumière des femmes exceptionnelles quelque peu oubliées et également par le « Prix Gisèle Halimi » qui consacre le combat des femmes pour leur liberté et la lutte pour l’égalité des sexes.
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Les exilés meurent aussi d'amour
- Par ervian
- Le 08/11/2024
- Dans Abnousse Shalmani
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N°1943– Novembre 2024.
Les exilés meurent aussi d’amour. – Abnousse Shalmani – Grasset.(2018)
Shirin , neuf ans, arrive de Téhéran avec ses parents à Paris. Ils fuient la révolution islamique et retrouvent en France les sœurs de sa mère, Mitra, autoritaire, perfide, Tala et Zizi, communistes et dominatrices qui les hébergent. C’est l’histoire de cette famille d’exilés pauvres, les Hedayat, la mère enceinte (elle mettra au monde un fils qui deviendra un empoisonneur) est effacée et esclave de ses sœurs, prisonnière des traditions qui brident son amour pour ses enfants, mais aussi magicienne du quotidien et accessoirement voyante dans le marc de café. Le père est un homme brillant, cultivé mais résigné face aux critiques de ses belles-sœurs, le grand-père est morphinomane, autoritaire et pervers. Rien à voir avec leur vie d’avant en Iran. Une fugue de Shirin lui permet de connaître Omid, l’amant de Tala. C’est lui, un juif, qui lui donnera des cours de français et dont elle tombera amoureuse et grâce à qui elle prendra conscience d’elle-même. Il sera le grand amour de sa vie. C’est lui aussi qui lui montrera comment rire de tout. Puis ce sera Amid, un terroriste, qui viendra compléter le tableau. Shirin est l’’héritière d’une famille décalée et quelque peu honteuse et parle d’abondance de l’exil à travers son enfance, son adolescence et de l’âge adulte, évoque la découverte de la France, de sa culture, de son art de vivre, des plaisirs de l’amour à travers ses compagnons, pas forcément amants, jeunes révolutionnaires de salon mais qui ne manqueront pas de s’embourgeoiser avec le temps, les soubresauts et l’absurdité de la révolution avec l’argent et les violences. Pour tout ce petit monde français elle reste cependant une métèque
Abnousse Shlmani, journaliste dont j’ai toujours plaisir à écouter les chroniques télévisées, née à Téhéran n’est française que depuis peu de temps et donc héritière de deux cultures, de deux langues. L’exil reste, cependant, dans ce premier roman de cette auteure, largement teinté d’autobiographie mais aussi, par la magie de l’écriture, d’un peu de fiction. Il est au centre d’une démarche complexe qui tient à la volonté de s’intégrer à son nouveau pays, notamment par l’apprentissage de sa langue, sans oublier ses racines persanes, une manière d’exister entre souvenir et espoir. Ainsi mêle-t-elle dans ce livre des pans de notre histoire, de nos coutumes aux traditions et contes orientaux, réels ou imaginés, découvre la vie de France des années 80 mais aussi le terrorisme, la politique, la vie de ses proches parfois marginaux et idéalistes mais aussi celle de sa famille, engluée dans le silence, les mensonges et les non-dits. Il y a cette empreinte, un métissage assumé qui fait sa richesse intérieure et également la fierté de notre pays. Au fil des pages le lecteur fait connaissance avec Shirin, son enfance, son adolescence quelque peu perturbée, elle grandit dans une atmosphère révolutionnaire, devient petit à petit une femme avec sa volonté de séduire mais aussi avec cette envie d’exprimer ce qui se passe en elle, d’y mettre des mots, de devenir écrivain. Elle refait l’histoire mouvementée et parfois cachée de sa famille, de son ascendance, une manière de se découvrir et de s’accepter elle-même, de conjurer le destin, d’admettre sa condition de métèque, coincée entre l’orient et l’occident mais aussi comme une fierté constructive. Ainsi se fait-elle aussi l’apôtre de la liberté si contestée dans son pays d’origine et plus spécialement celle des femmes dans leur combat pour leur droit à exister en tant que telles, de ne plus porter le voile que le pouvoir politico-religieux leur impose et de disposer librement de leur corps. Cela remet la femme au centre du présent et je trouve cela très bien.
J’ai lu ce roman avec curiosité et attention à cause sans doute de la généalogie compliquée de cette famille parfois toxique et des sursauts qui l’affectent mais aussi par les informations qu’il contient sur la culture persane; j’ai bien aimé cette lecture. Ça se lit bien, c’est écrit avec une passion et un certain humour qui est aussi une arme efficace contre l’adversité. Tout cela a créé pour moi un attachement que je ne m’explique pas moi-même et qui est en tout cas bien différent de ce que procure une lecture ordinaire. Le livre refermé, j’ai le sentiment d’être entré, à son invite, dans la vie de Shirin, de sa passion pour l’écriture et pour son pays d’adoption.
A titre plus personnel, et toutes choses égales par ailleurs, l’ histoire un peu mouvementée de cette famille m’a redonné le goût d’écrire.
C’est donc un roman riche en émotions et rebondissements et pour moi une véritable invitation a explorer davantage l’univers créatif de cette auteure.
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Les gens de Bilbao naissent où ils veulent
- Par ervian
- Le 02/11/2024
- Dans Maria Larrea
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N°1942– Octobre 2024.
Les gens de Bilbao naissent où ils veulent – Maria Larrea - Éditions Grasset & Fasquelle.
Le titre est un paradoxe car on ne naît évidemment pas où on veut. C’est plutôt une marque d’orgueil pour les Bilbayens d’être nés dans cette ville emblématique, comme l’auteure.
C’est la triste histoire de deux abandons d’enfants à cause de la misère dans cette Espagne franquiste. Dans un petit village, une femme pauvre et malheureuse en ménage met au monde une fille qu’elle confie aux sœurs du couvent qui lui donnent le prénom de Victoria. A cette même époque, à Bilbao, une prostituée donne naissance à un fils, Julian, qu’elle confie aux jésuites. Bien entendu, ces deux enfants, après une jeunesse difficile, se croisèrent, s’aimèrent, se marièrent et quittèrent le pays basque pour la France. Ils resteront des immigrés espagnols pauvres dans le Paris des Trente glorieuses, domestiques des riches et Maria, leur fille unique , vivra sa vie difficile, entre drogue, alcool, excès, avortements et rêves de cinéma. Le père est violent, alcoolique, passionné d’armes et la mère est effacée. C’est l’histoire à la fois triste et parfois picaresque, avec des fantômes aussi célèbres que furtifs, de ces trois destins que les arcanes de la cartomancie viennent bousculer par une révélation. C’est elle qui, à la première personne, est la narratrice et donc le témoin de ce roman qu’elle déroule avec force analepses, entre fiction et autobiographie, par l’alchimie de l’écriture.
Je suis entré dans ce récit, pas tant à cause du style simple, libre et sans fioriture qui procure une lecture aisée, mais bien plutôt à cause du fort attachement qu’il suscite. De plus, tout au long de ma lecture, j’ai eu le sentiment, toutes choses égales par ailleurs, que l’abandon dont ont été victimes Julian et Victoria, leur vie pendant laquelle ils sont passés à côté du bonheur, m’ont évoqué quelque chose de personnel. J’ai donc lu ce roman sans désemparer avec une curiosité mêlée d’émotion. La narratrice à 27 ans quand, par hasard, elle découvre qu’elle a été adoptée et cherche à savoir d’où elle vient, sans doute pour faciliter et maîtriser enfin son parcours futur.
C’est un roman en deux parties d’inégale longueur, une première consacrée à la vie difficile de trois générations d Espagnols, les secrets, les mystères et la misère qui les entourent, la seconde axée sur une improbable quête d’identité de la narratrice à travers une hypothétique gémellité sur fond de trafic d’enfants et d’une recherche légitime mais non moins hasardeuse de ses géniteurs. En matière de filiation, le droit organise les choses avec la constante préoccupation de l’Ordre public et la conception d’une vie reste un secret face la folie passagère d’un soir, une toquade amoureuse, un coup de foudre, les guerres et les brassages de population...
A chaque fois que je lis une autobiographie, je me pose les mêmes questions. Écrit-on sa propre vie, avec tout ce qu’il y a d’intime, pour l’exorciser, régler des comptes, répondre à ses propres interrogations, conjurer son possible mal de vivre, laisser à la génération suivante une trace généalogique originale, garder le souvenir de ceux qu’on a connus et aimés , aider peut-être un hypothétique lecteur qui se sera reconnu dans cette démarche? Je crois comprendre que cette quête a été libératrice pour l’auteure. C’est peut-être la bonne réponse à cette quête.
Je me suis laissé un peu entraîné sur le problème de l’immigration et sur les idées fausses et lénifiantes véhiculées sur ce sujet, sur la France pays accueillant, celui des droits de l’homme et de la liberté, la recherche et l’acceptation de soi-même, le mensonge qu’on tisse, le non-dit qu’on cultive, le silence qu’on respecte parce que cela arrange tout le monde, le hasard qui invite à lever tous ces voiles et l’écriture qui libère, tout cela est pour moi autant d’interrogations.
Ce texte a été mis en scène au théâtre Marigny en octobre 2024 et la comédienne Bérénice Bejo y incarne plusieurs personnages de ce roman.
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Changer: méthode
- Par ervian
- Le 21/10/2024
- Dans Édouard Louis
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N°1941– Octobre 2024.
Changer : méthode – Édouard Louis - Éditions du Seuil.
« L’histoire de ma vie est une succession d’amitiés brisées » Cette simple phrase résume à elle seule ce livre au titre à la fois laconique et ambitieux. L’auteur n’a en effet que 26 ans quand il entame cette autobiographie partielle dont je retiens une volonté acharnée de réussite personnelle face à laquelle rien ne résiste, pas même les amitiés qui y ont contribué. Elles ont été sacrifiées par lui dans ce seul but. Eddy Belleguelle qui deviendra Édouard Louis n’est pas né dans une famille d’intellectuels mais au contraire dans un milieu social pauvre et rural, Il est un de ces écorchés de la vie, rejeté par ses parents, avec en prime la misère qui n’a même pas le soleil pour être supportée comme le dit la chanson, ostracisé par son homosexualité, bouleversé par les épreuves familiales. Il deviendra pourtant un intellectuel diplômé et un écrivain célèbre .
Une deuxième interrogation est la chance qu’il a eue de pouvoir s’en sortir, rencontrant les bonnes personnes qui l’ont aidé, soutenu, sa rencontre avec Elena, sa vie au sein de sa famille, cela m’a paru d’autant plus surréaliste qu’il semble ne pas y avoir de secrets entre eux et c’est elle qui initie son épanouissement par la lecture, la culture, c’est grâce à elle qu’il abandonne ses manies de prolétaire pour adopter les codes de la bourgeoisie. Ils s’aiment réciproquement, il n’y a entre eux que des relations amicales, platoniques, mais c’est lui qui choisira de l’abandonner quand son avenir se dessinera à Paris, ville qui selon une tradition bien ancrée mais parfois illusoire, est le symbole de l’espoir et parfois de la réussite. Ce sont cependant les hommes, ses amants, qui l’aident à oser assumer son orientation sexuelle, puis plus tard sa rencontre avec un auteur homosexuel, Didier Eribon, à devenir lui-même écrivain, sans doute pour l’imiter. Hasard, destin, chance, c’est comme on voudra ! Je note cependant que parmi toutes ces personnes qu’il croise, il y a quand même quelques femmes. ! Il a eu également la chance de retenir l’attention d’un grand éditeur quand tant d’autres avaient refusé le tapuscrit de son premier roman. Il y a la baraka, certes, la volonté de ses amis de lui venir en aide à cause peut-être du magnétisme (de la beauté ?) qui se dégage de sa personne, sa volonté à lui de s’en sortir et il ne ménage pas ses efforts pour la susciter, par opportunisme, par séduction, par la quête légitime du bonheur ne serait-ce que pour consolider sa position que que le sexe lui procure, pour se sauver, pour ne pas revenir dans son ancienne situation précaire. Pourtant nombre de ses amants de passage ne voient en lui qu’un objet sexuel transitoire, qu’une simple toquade quand lui recherche désespérément l’amour, une condition stable qui l’aidera à sceller sa situation, à fuir ce passé qui l’obsède. Malheureusement ses tentatives, pourtant menées de bonne foi, se sont révélées vaines, soulignant son isolement.
Il commence donc son récit, par besoin de relater son passé, pour s’en débarrasser dit-il, mais je ne suis pas bien sûr que cela soit vraiment possible, l’écriture n’ayant pas, à mes yeux, un effet cathartique, bien au contraire. En effet, chercher, à titre personnel, à le faire revivre produit bien souvent l’effet inverse et y mettre des mots pour l’exorciser m’a toujours paru illusoire, cet exercice ne pesant rien face à l’intolérance, à la solitude, aux remords. Certes il prétend que la lecture, puis l’étude, et plus tard l’écriture ont été essentielles dans sa métamorphose, mais j’observe que, à un certain moment, l’écriture est allée au-delà de l’exorcisme de son passé, puisqu’il recherchait grâce à elle à échapper à l’angoisse de n’être pas à sa place dans une société parisienne où il n’était qu’un étranger. Même l’accès à la prestigieuse École Normale ne lui a pas vraiment permis cette émancipation , face au complexe de classe et d’origine. Seul le présent comptait, avec ses rencontres de hasard, parfois prestigieuses qui suscitaient pour lui un fol espoir, souvent déçu. Ce n’est que plus tard, grâce à ses soutiens, à son talent, à sa persévérance, que cet exercice laborieux et parfois périlleux qui consiste à mettre des mots sur ses maux, que la littérature et la notoriété ont officialisé et récompensé cette quête.
Raconter sa propre histoire est souvent le moteur de la création littéraire où des lecteurs peuvent se retrouver et puiser de l’énergie pour eux-mêmes, Vouloir changer sa vie, faire échec à un avenir tout tracé, laborieux, limité et qui ne nous convient pas, vouloir échapper à un milieu où on ne sent pas à sa place ou qu’on rejette, tout cela est légitime, surtout si on en a la volonté et qu’on s’en donne les moyens. Le faire à travers la culture et les disciplines intellectuelles procurent une sorte de vertige, la certitude d’appartenir à une élite, de vivre une vie exceptionnelle. Cela dit, les chemins de la réussite seront toujours pour moi un mystère. Cette exploration intime et ce besoin d’en porter témoignage mettent en évidence une sorte de dédoublement de sa personnalité, une partie de lui aurait voulu rester auprès d’Elena et vivre avec elle dans l’anonymat et l’autre partie a voulu forcer le destin, l’attirer vers la réussite et la célébrité, et c’est cette deuxième option qu’il choisit , même s’il en conçoit un peu de honte et donc de déchirement. D’autre part conserver sa nouvelle vie faite de culture et de plaisirs, par la fréquentation des bibliothèques mais aussi des hôtels de luxe et des grands restaurants, tout ce qui lui a manqué dans sa jeunesse, reste une obsession. Il ne veut à aucun prix retomber dans sa vie d’avant, dans la pauvreté, dans l’injustice de cette situation. Écrire est un refuge face à cette souffrance et même si l’apaisement personnel n’est pas au rendez-vous, sa volonté de s’inscrire dans un milieu littéraire avec la certitude d’avoir quelque chose à dire qui sort de l’ordinaire par son authenticité même et celle de profiter des plaisirs de la vie, reste intacte comme est intacte sa quête du véritable amour. Mais écrire est aussi une souffrance, un combat intime, un épuisement, parfois une impossibilité et dont le résultat est souvent la désillusion et l’échec. C’est un exemple que je salue et si on nous parle volontiers de ceux qui ont réussi, on omet souvent de ceux, et ils sont nombreux, qui ont connu l’échec. Pourtant, sa vie, telle qu’il la relate me semble s’apparenter à une fuite constante, de sa famille d’abord, de son village puis de la ville d’Amiens, d’Elena, de sa vie d’avant et même celle du présent et peu importe si tout cela génère des trahisons successives qu’il assume. C’est donc cette méthode qu’il privilégie.
Je note qu’il présente ce livre comme une série d’ explications successives mais fictives avec son père, avec Elena. C’est un moyen de se justifier, une occasion de fixer les choses pour lui-même, de s’expliquer, mais ce qui est un soliloque est aussi un refus de dialogue, un réquisitoire forcément tronqué parce que c’est lui qui tient la plume. C’est aussi l’itinéraire, évidemment pas idyllique mais courageux et plein d’abnégations de celui qui a réussi, parce que, devenant un écrivain connu et reconnu, il a tenté d’exorcisé son passé.
J’avais déjà abordé cet auteur avec « En finir avec Eddy Bellegueulle » qui était son premier roman. Changer, certes, quant à la méthode qu’il met en avant, il me paraît évident que sans la chance dont il a bénéficié, cela n’aurait pas fonctionné. Le livre refermé, je reste perplexe face à cette confession de plus de trois cents pages mais cet ouvrage me paraît s’inscrire dans le prolongement des témoignages d’Annie Ernaux et Didier Eribon notamment sur l’émancipation par l’écriture d’un auteur originellement issu d’une classe populaire culturellement défavorisée.
J’ai lu ce livre jusqu’à la fin pour en savoir d’avantage sur le cheminement de cet auteur, notamment parce que plus j’en tournais les pages plus mon intérêt grandissait. J’ai fait certes quelques remarques, quelques réserves mais j’ai apprécié ce texte parce qu’il est bien écrit, dans un style simple, sans artifice littéraire et facile à lire. Je le ressens comme un écrivain dont je suivrai volontiers le parcours créatif.
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Au fond de la poche droite
- Par ervian
- Le 12/10/2024
- Dans Jyannis MAKRIDAKIS
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N°1940– Octobre 2024.
Au fond de la poche droite – Jyannis Makridakis – Éditions Cambourakis.
Traduit du grec par Monique Lyrhans.
La lecture de ce livre m’a laissé un peu perplexe. Le titre a quelque chose d’étrange et la lecture de la 4° de couverture semble annoncer un texte qualifié d’universaliste, l’histoire d’un moine orthodoxe, Vikentios qui, à un certain moment de sa vie, va devoir prendre des décisions qui lui apporteront peut-être l’apaisement.
C’est vrai que, pour le lecteur, ce roman réserve de belles images offertes par cette petite île grecque où la vie simple, proche de la nature et quelque peu mystique semble être réglée par ce monastère en ruines qui, après avoir été florissant, n’est plus habité que par un seul moine, Vikentios, qui, entré ici à 17 ans par vocation, y a passé 23 ans de sa vie. Le premier chapitre nous apprend que l’archevêque, primat de l’Église de Grèce, vient de mourir et que le même jour, la chienne du moine vient de donner le jour à une portée de chiots dont un seul survivra avant qu’elle-même ne meurt. L’homme d’église déploiera de louables efforts pour garder en vie le petit animal qui égaie sa solitude. Sa vie simple, austère, faite de prières, de privations, de solitude et de méditation nous est largement décrite. Apparemment elle lui procure une paix intérieure, loin de « l’odeur fétide de la vie sociale » et ne diffère en rien de la vie monastique de ce qu’un mécréant comme moi peut imaginer. Le monde autour de lui s’agite pour trouver un successeur au prélat décédé et la visite que lui font deux personnages mystérieux aux questions quelque peu inquisitoires et à qui il raconte son parcours, donne à penser au lecteur qu’un avenir différent est peut-être possible pour lui, mais il n’en est rien et sa vie solitaire et routinière et quelque peu misanthrope se poursuivra ici jusqu’à sa mort. Les dernières lignes donnent à penser que la sérénité de ce décor est partagé par un touriste de passage sur cette île.
J’ai poursuivi ma lecture malgré le peu d’attrait de l’écriture, à mes yeux bien conventionnelle, pour vérifier ce que ce court roman promettait. Certes les images de la Grèce, le bleu de la mer Égée, ont toujours quelque chose d’envoûtant mais, pour ce qui concerne ce moine et son histoire, je m’attendais à autre chose. Pas vraiment déçu, mais pas enthousiaste non plus.
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Là-bas
- Par ervian
- Le 10/10/2024
- Dans Joris Karl Huysmans.
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N°1939– Octobre 2024.
Là-bas – Joris-Karl Huysmans Flammarion.
Je poursuis ma recherche sur Charles-Marie Georges Huysmans (1848-1907) plus connu sous son nom de plume Joris-Karl Huysmans, écrivain de critique d’art français, avec cet ouvrage paru 1891 en feuilleton dans « L’écho de Paris ».
En réalité Huysmans traverse à cette époque de sa vie une crise créative puisqu’il rompt avec le naturalisme dont il fut jadis très proche tout en reconnaissant son importance, et découvre le catholicisme. Il y a eu certes dans sa démarche littérature, une rupture avec le naturalisme de Zola notamment à partir de la publication de son roman « A rebours » (1884). Son écriture évoluera par la suite vers le symbolisme mais, dans ce livre il reste encore quelque peu marqué par ce mouvement initial. Dans ce roman, l’auteur met en scène, dans un dialogue initial avec un certain des Hermies, médecin, Durtal, un auteur, érudit célibataire et parisien, qui apparaîtra dans des œuvres ultérieures, telles « En route » ou « La cathédrale », qui peut être considéré comme le double de Huysmans et. qui se consacre à une biographie de Gilles de Rais, par curiosité personnelle sans doute. Ce personnage historique a été accusé au XV° siècle d’avoir violé, tué des dizaines d’enfants et d’avoir pratiqué le satanisme, il fut brûlé à Nantes. Les détails biographiques sur sa vie ainsi que sur les sciences occultes sont particulièrement précis, mais ce genre risquant de ne pas intéresser ses lecteurs, il ajoute une intrigue amoureuse entre Durtal et Mme Chantelouve, épouse adultère, puisque, à cette époque, Huysmans vivait une passade avec une maîtresse un peu mystérieuse, Berthe Courrière. Par ailleurs ce roman fait référence à une correspondance féminine reçue par l’auteur. Le mélange de ces deux thèmes auquel il faut ajouter un œil critique sur son temps et sur une partie du clergé, peut être regardé comme une hardiesse littéraire pour l’époque et traduit une évolution majeure dans sa recherche créative. C‘est par le biais de Mme Chantelouve, personnage fictif en lien avec un chanoine sataniste que Durtal introduit la question du satanisme qui évidemment n’était pas absente de sa recherche sur Gilles de Rais dont il souhaite parler dans son livre ainsi que d’une messe noire à laquelle sa maîtresse lui permet d’assister. Ce thème est un peu étonnant de la part d’un homme découvre le catholicisme et qui deviendra oblat. En effet il ne se convertit pas au sens strict puisqu’il a été baptisé à sa naissance mais il affirme, par la bouche de Durtal « Il faut croire au catholicisme… ce n’est pas le Bouddhisme et les autres culte de ce gabarit qui sont de taille à lutter contre la religion du Christ ». Il n’en est pas moins vrai cependant que pour les catholiques, Satan, incarnation du mal, reste une obsession.
Le style de Hysmans est certes un peu désuet pour un lecteur d’aujourd’hui mais, à titre personnel, il ne me déplaît pas, je le trouve agréable à lire. Il y a certes une recherche de vocabulaire et une pratique originale de la syntaxe qui honorent notre belle langue française mais je déplore que cet auteur majeur de la littérature française soit injustement oublié
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Meurtre au 31° étage
- Par ervian
- Le 07/10/2024
- Dans Per Walhoo
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N°1938– Octobre 2024.
Meurtre au 31° étage – Per Walhöö- Le Mascaret -1988 .
Traduit du suédois par Philippe Bouquet et Joëlle Sanchez.
Dans une ville de Suède, un grand groupe d’édition vient de recevoir une lettre anonyme menaçant de faire sauter le siège social en représailles à un meurtre. Vu l’importance de l’entreprise, cette affaire remue jusqu’au ministère et on charge le commissaire Jensen d’investiguer, tout en lui faisant moultes recommandations de ne pas faire de vagues, ne lui laissant que 7 jours pour son enquête et sa hiérarchie le presse de limiter ses investigations à l’auteur de la lettre. En réalité ce n’était qu’une plaisanterie découverte rapidement par un autre service . Tout ce qu’il avait fait n’avait donc servi à rien. Pourtant il s’est avéré que celui qui avait avoué n’était pas le vrai coupable et Jensen fut donc invité à poursuivre ses recherches mais toujours à l’intérieur du délai indiqué. Dans ce groupe on rencontre des choses bizarres au regard du travail et du niveau intellectuel des cadres de cette entreprise ;
Ce roman a été écrit en 1964 et dépeint une société aseptisée, standardisée, aux ordres et sous le contrôle des autorités. C’était sans doute une sorte de photographie sociologique de cette époque, mais le fait qu’elle soit minée par alcoolisme, la drogue et les suicides peut donner à penser qu’elle n’est pas idéale et qu’elle a quelque chose de douloureusement actuel. Ce qui a retenu mon attention c’est le personnage du commissaire, d’une servilité affligeante face à sa hiérarchie tout en étant lui-même autoritaire vis à vis de ses autres collègues placés sous son autorité. Il obéis docilement à ses supérieurs et attend la même attitude de la part de ses subordonnés ! Cela nous donne des dialogues limités et quelque peu dénués d’intérêt. Je ne suis pas vraiment familier des polars nordiques mais je me fais une autre idée d’un commissaire de police en enquête même si le mode du travail lui-même est bien souvent baigné par ce genre d’attitude. Tout au long de la deuxième partie de son enquête il y a une atmosphère pesante, le commissaire faisant partie de ce système inquisitorial et en accepte les règles sans broncher, parlant le moins possible à ses interlocuteurs, n’éprouvant rien et combattant lui-même ce mal-être par l’absorption d’alcool pourtant prohibé.
Je ne suis pas fan de l’hémoglobine et de la violence, tant s’en faut, j’ai pourtant poursuivi ma lecture jusqu’à la fin pour connaître l’épilogue de ce livre mais je m’attendais à autre chose, à une autre sorte de crime, à une autre révélation à propos de ce fameux 31° étage et des mystères qu’il semblait receler. Le titre autant que la collection (Le mascaret noir) me donnaient à penser que j’allais lire un roman policier classique. J’ai été un peu déçu par ma première approche de cet auteur.
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La prima cosa bella
- Par ervian
- Le 07/10/2024
- Dans Paolo Virzi
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N°1937– Octobre 2024.
La prima cosa bella- Un film de Paolo Virzi.
« La prima cosa bella » (la première belle chose) c’est d’abord une chanson écrite par Giulio Rapetti Mogol en 1970, mise en musique par Nicolas de Bari à l’occasion de la naissance de sa fille et par Gian Franco Riverberi, qui célèbre l’émerveillement du premier amour. Présentée au festival de San Remo la même année, elle est devenue un véritable succès en Italie. Elle a été reprise en France par Dalida sous le titre de « Si c’était à refaire ». C’est la bande originale chantée par Malika Ayane. Ce film a obtenu de nombreux prix.
Ce titre est repris par Paolo Virzi pour son film dont l’action débute en 1970 à Livourne, une station balnéaire célèbre, pour se terminer en 2010. Anna Michelucci , jeune et jolie femme frivole est élue « La plus belle maman de l’été » et ce fait anodin va bouleverser la vie de cette famille pendant de nombreuses années. Chassée par son mari jaloux, elle trimballe ses deux enfants, Bruno et Valeria de l’appartement de sa sœur en hôtels sordides , mène une vie de bohème entre figuration éphémère dans le cinéma et insouciance, changeant souvent de travail et d’amants.
De nos jours, le fils d’Anna, Bruno, la quarantaine, professeur de littérature dans un lycée hôtelier de Milan est mal dans sa peau au point de flirter avec la drogue et l’alcool. Sa sœur Valeria qui lui a toujours été attachée, le ramène à Livourne, leur ville natale, où leur mère souffre d’un cancer en phase terminale. C’est pour lui la douloureuse occasion de se remémorer sa jeunesse bousculée et meurtrie par cette mère insouciante et flamboyante jusqu’à la fin et de réveiller ses vieilles rancœurs. La maladie d’Anna n’a pas entamé sa joie de vivre voire son inconscience mais elle n’a pas réussi a transmettre cet optimisme à ses enfants, à l’exception peut-être de sa fille. Cet épisode sera aussi pour Bruno et Valeria l’occasion de lever le voile sur un secret de famille qui réunira ces membres longtemps dispersés.
Les personnages sont parfois drôles, parfois émouvants mais toujours justes dans cette œuvre proustienne.
Ce film est quelque peu éloigné du thème de la chanson qui lui donne son titre et dont l’action, parfois difficile à suivre, s’étage dans le temps avec beaucoup de flash-back et des acteurs différents en fonction de l’âge des personnages. Il alterne rires et larmes, mélancolie et humour, une sorte de comédie amère traitée cependant à l’italienne qui est l’illustration de l’impact que l’enfance a sur notre vie.
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Naissance d'un pont
- Par ervian
- Le 06/10/2024
- Dans Maylis de Kerangal
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N°1936– Octobre 2024.
Naissance d’un pont – Maylis de Kerangal – Gallimard.
Coca, une ville californienne imaginaire de nos jours. Son mégalomane de maire, John Johnson dit Le Boa s’est imaginé la doter d’un gigantesque pont suspendu à six voix jeté au-dessus du fleuve et d’un port. On vient du monde entier avec sa spécialité pour participer à cette réalisation sous la direction de l’architecte Georges Diderot mais aussi on recrute localement une foule de prolétaires qui édifieront l’ouvrage et dragueront le fleuve. Le projet attire aussi des ouvriers professionnels très pointus comme Sanche, grutier.
Il y a beaucoup de personnages qui viennent sur ce chantier avec leur histoire, leurs fantasmes, leurs regrets, leurs espoirs et on comprend bien qu’on n’est pas ici dans un monde idéal ; Il y a de la violence, des règlements de comptes, des accidents, du sexe, de l’argent, de l’alcool...
Il y a l’histoire de ce pont qui révolutionne cette région perdue que rien ne prédisposait à recevoir une telle réalisation, cette ville qui maintenant prend des proportions inquiétantes pour l’avenir. C’est en creux l’éternel débat entre la tradition et la modernité face aux indiens qui habitent ici depuis des siècles et défendent leurs terres, la réalité de la lutte des classes au sein même de ce chantier, le profit des actionnaires, les délais à respecter, la rentabilité contre le travail au quotidien avec ses dangers, la différence de vie entre la chaleur des bureaux où se prennent les décisions et le chantier dangereux et glacial. On n’échappe pas aux mouvements sociaux, aux grèves pour un meilleur salaire, aux interruption temporaires pour causes écologiques, à la fierté des ouvriers de participer à un tel chantier, à la violence, aux histoires d’amour incontournables et éphémères quand le monde du travail met en situation des hommes et des femmes ... Je suis entré dans cette histoire ainsi racontée, je m’y suis laissé entraîné non seulement pour connaître la fin de ce roman mais aussi pour faire plus ample connaissance avec cette auteure dont j’entends dire beaucoup de bien et donc pour pouvoir, à mon tour m’en faire une idée et en parler. Pourtant l’épilogue ne m’a pas convaincu ; Je m’attendais à autre chose un peu comme si la fin des travaux relâchaient soudain les tensions longtemps contenues, autorisaient toutes les folies. Certains ouvriers tournent simplement la page et envisagent un avenir immédiat et ordinaire, Sanche se lâchent complètement et Diderot changera de vie . Cependant c’est l’écriture qui m’a un peu arrêté. J’avais fait la connaissance de l’auteure avec la lecture de « Corniche Kennedy » dont je n’avais guère goûté le style décousu et le langage tortueux. Ici, même si c’est différent avec de nombreuses précisions parfois techniques, une expression foisonnante, compliquée, riche (parfois trop) et abondante, bruyante, un peu artificielle qui raconte froidement une fiction sans vraiment traduire des impressions éventuellement ressenties par l’auteure. Mon avis est don mitigé et j’ai même été un peu déçu.
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Le fleuve des brumes
- Par ervian
- Le 01/10/2024
- Dans Valerio Varesi
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N°1935– Septembre 2024.
Le fleuve des brumes – Valerio Varesi – Agullo éditions.
Traduit de l’italien par Sarah Amrani.
Le Pô est en crue et la péniche à la dérive d’Antoneo Tonna a été retrouvée vide, fichée dans une digue. A l’hôpital, on vient de retrouver un cadavre d’un homme qui apparemment s’est suicidé en se défenestrant, son nom Décimo Tonna. Seuls quelques kilomètres séparent ces deux étranges affaires, peut-être un double meurtre qui concerne les deux frères tant les interrogations du commissaire Soneri sont nombreuses. Le début de ses investigations ressemble au paysage qui l’entoure, nébuleux et mystérieux et, si on veut le voir ainsi, Le Pô est aussi un personnage de ce roman avec ses crues, ses brouillards, ses températures d’hiver, ses secrets, ses paysages et les gens qui s’y accrochent. Le fleuve participe même à cette affaire malgré lui. Le policier ne peut guère compter sur la complicité des gens du cru. Ils parlent pourtant, même s’ils sont plutôt taiseux et farouches et font allusion à la seconde guerre mondiale, terminée pourtant depuis cinquante ans, mais qui a laissé de vieilles rancœurs dans la région autour des combats entre fascistes et communistes. Le conflit, avec le souvenir de exactions et des atrocités commises, la culpabilité d’y avoir participé et la volonté de vengeance sont peut-être une source d’explications. Il y a ce billet sibyllin, l’exploration des cimetières et des sépultures, les errements et les doutes d’une enquête laborieuse qui s’embourbe tous les jours un peu plus à cause de cette omerta. Le commissaire Soneri ne tarde pas à fouiller dans le passé des deux frères, deux fascistes dans une zone où les combats ont fait rage entre les deux camps et que l’oubli n’a pas suffi à estomper. Il peine aussi à démêler les secrets de famille, à comprendre ce mystérieux incendie, ces allusions à un combattant exécuté pendant la guerre, quant à cette histoire de village immergé...
J’ai bien aimé ce commissaire à la fois flegmatique et réaliste qui mène ses investigations avec son équipe mais n’oublie pas de solliciter le curé de l’endroit que rencontrait souvent le vieil Antoneo, désireux sans doute compte tenu de son âge, de se mettre en règle avec Dieu avant de lui remettre son âme, mais l’ecclésiastique ne transige évidemment pas avec le secret de la confession. Il n’a finalement pas besoin de lui pour interpréter les différentes révélations faites au cours de cette enquête et qui ressemblent à des symboles, même si apparemment elles n’ont aucun lien entre elles.
Ce que découvre le commissaire, entre deux assauts d’Angela, une avocate qui est aussi sa coquine maîtresse et qui ne le lâche guère, n‘a rien à voir avec la transport de céréales pourtant répertorié sur le livre de bord mais il comprend aussi que la mort concomitante des deux frères Tonna n’est pas un hasard.
Le suspens est entretenu jusqu’à la fin, le texte est bien écrit (traduit?) et agréable à lire qui casse l’image d’ordinaire ensoleillée de l’Italie.
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Corniche Kennedy
- Par ervian
- Le 28/09/2024
- Dans Maylis de Kerangal
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N°1934– Septembre 2024.
Corniche Kennedy – Maylis de Kerangal – Gallimard.
Une bande d’ados un peu paumés se retrouvent sur une corniche qui surplombe la mer Méditerranée à différents niveaux. Ils plongent, défiant la peur, le risque, la mort peut-être. C’est leur rituel leur façon de s’affirmer face à une société qu’ils fuient, face à l’interdit, face aux autres jeunes moins hardis, d’exprimer leur liberté, leur volonté d’être différents. On peut dire que c’est de leur âge. Sauf que cet exercice n’est pas du goût du maire qui a décidé de faire cessé cette manifestation d’entrave à l’Ordre public et a chargé le commissaire Sylvestre Opéra de les surveiller. Tel est le thème du roman.
Le thème était intéressant mais j’ai rapidement été lassé par un style décousu, l’écriture tortueuse et sans grand attrait pour moi, peut-être conforme à ce qui s’écrit actuellement mais que j’ai eu du mal à apprécier, poursuivant cependant ma lecture jusqu’à la fin dans le seul but de découvrir une auteure inconnue.
Je n’ai pas été convaincu par l’histoire non plus. Certes il y a cette aventure de ces jeunes gens et leur volonté de se démarquer mais je ne suis pas sûr qu’ils iront au bout de leur démarche, sauf à tomber dans la délinquance, la vraie, ce qu’il ne veulent sûrement pas. On est loin de l’idée de liberté du début. L‘idylle entre Eddy, le marginal chef de bande et Suzanne, bien différente de lui ne durera que le temps d’un été. Les épisodes de prostitution et de drogue sont peut-être inévitables mais m’ont paru un peu convenus, quand au commissaire, addict à la vodka et au tabac, rendu poussif par le diabète , il ne m’a pas paru convainquant non plus.
Je suis peut-être passé à côté d’un bon roman, par ailleurs incarné au cinéma dans un film éponyme de Dominique Cabrera, mais je n’ai pas accroché, peut-être pas compris.
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Au commencement était la guerre
- Par ervian
- Le 26/09/2024
- Dans Alain Bauer
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N°1932 – Septembre 2024.
Au commencement était la guerre – Alain Bauer – Fayard.
J’écoute toujours avec un réel plaisir les interventions télévisées d’Alain Bauer tant il est bien informé de la marche du monde. Ses remarques sur l’actualité et sur l’histoire sont toujours pertinentes et éclairent grandement ses contemporains sur les décisions des responsables politiques et ce qui risque d’en résulter.
Dans cet essai, l’auteur nous rappelle opportunément que, depuis que le monde existe, il a été en perpétuel état de guerre, que la paix n’est pas autre chose qu’un moment de tranquillité entre deux conflits armés et que, malgré les traités et les alliances les amis peuvent devenir des ennemis. Les espérances des philosophes et des penseurs, les tentatives internationales visant à créer un ordre mondial et les idéaux religieux n’y font rien, la guerre s’impose, notamment en Europe. Même si d’autres existent sur notre planète, deux conflits monopolisent actuellement l’attention du monde, celui d’Israël et celui d’Ukraine qui lui est sur le territoire européen et si notre pire ennemi est l’amnésie sans oublier les conflits d’intérêts et l’ignorance de la géopolitique, les positions divergent quant aux réponses a y apporter et ce d’autant que nous avons fait semblant de croire que la paix, génératrice de richesses et donc de bonheur pouvait être perpétuelle sur notre vieux continent. Même si ce concept de « paix perpétuelle » n’est pas nouveau et a été quelque peu entamé, le budget de la défense a servi en France de variable d’ajustement qui a mené à une inquiétante démilitarisation de notre armée et une vulnérabilité de notre territoire. Notre auteur revient sur toutes les guerres qui ont émaillé l’histoire du monde et les leçons qui en ont, ou non, été tirées. Il revient sur la guerre en Ukraine devenue à la fois un terrain d’expérimentation pour un nouvel armement (drones, cyberattaque, contributions des citoyens...) et une nouvelle doctrine de combat face à la Russie mais aussi, par certains côtés, le retour à la guerre de tranchées traditionnelle et au respect relatif du droit international souvent ignoré face aux crimes de guerre et contre l’humanité, le tout dans un contexte d’atteinte aux populations, le respect des installations nucléaires civiles et la menace de la solution ultime et dévastatrice. Ce conflit se caractérise aussi par la volonté russe d’éliminer le peuple ukrainien et sa culture par l’usage des déportations massives et le pillage des œuvres d’art.
Le concept de paix s’éloigne de plus en plus. Les remarques d’ Alain Bauer, ses révélations et ses analyses de l’ évolution des différentes doctrines militaires. sont des plus intéressantes. Dans ce vaste tableau, notre auteur passe en revue tout les foyers potentiels de conflits, de la Chine de plus en plus en pointe dans le domaine de l’armement et son conflit latent avec les États-Unis à propos de Taïwan, en passant par ses voisins turbulents tels que la Corée du Nord, toujours désireuse d’être considérée comme une menace, sans oublier le Moyen-Orient où la démocratie israélienne, en guerre depuis sa création en 1948, le tout sans oublier la menace nucléaire qui, même si elle est théorique, plane toujours sur l’Europe. Il note la vulnérabilité des démocraties, notamment celle des États-Unis longtemps considérés comme un rempart, la fragilité des états face aux terrorisme, aux cyberattaques et aux méfaits potentiels de l’intelligence artificielle dans un monde en crise, notamment sanitaire( mais pas seulement) mais également soumis à la chute de la natalité et au vieillissement de la population.
Ouvrage passionnant et richement documenté notamment au niveau historique, bien écrit, explicite, qui se lit facilement en dépit du grand nombre de pages (près de 500) et la complexité des sujets traités. C’est une invitation à réfléchir sur notre monde et son avenir
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Les graines du figuier sauvage
- Par ervian
- Le 23/09/2024
- Dans Mohammad Rasoulof
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N°1933– Septembre 2024.
Les graines du figuier sauvage – Un film de Mohammad Rasoulof.
Prix spécial du jury Cannes 2024.
Téhéran, de nos jours.
Iman, marié et père de deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, vient d’être nommé juge. Il est originaire d’un petit village perdu dans les montagnes et a intégré les instances du régime grâce à sa foi religieuse mais aussi sans doute grâce au zèle qu’il met à le servir. Il a élevé ses enfants dans l’observance de la loi coranique qui prône notamment l’effacement de la femme et la prière. Il est partagé entre le respect des préceptes de la foi et la lutte contre les manifestations de plus en plus nombreuses contre le port du voile qui risquent de faire basculer le pouvoir dont il est un rouage. Ses nouvelles fonctions lui assurent une certaine aisance mais l’expose. Les manifestations incessantes de la rue le perturbent et les condamnations à mort qu’il doit signer le bouleversent.
Son ascension sociale est soutenue par son épouse Najmeh mais ses deux filles, pourtant élevées dans les règles de l’islam, se retrouvent au milieu du mouvement contestataire qu’elles soutiennent. La perte inexpliquée de son arme de service signifie pour lui la déchéance et la prison et, avant d’en faire la déclaration officielle, la paranoïa s’installe et il accuse sans preuve les membres de sa propre famille de lui mentir.
Ce film est entrecoupé de nombreuses séquences diffusées sur les réseaux sociaux attestant la contestation des femmes et notamment la mort de Jina Mahsa Amini, assassinée dans un commissariat de police pour port incorrect du voile. Ces déviances d'une théocratie qui s'apparente à une dictature religieuse nous sont connues aujourd'hui mais dans quelques dizaines d'années, quand ce régime aura disparu (si cela est possible), l'oubli qui fait tellement partie de la condition humaine aura fait son œuvre et de tels témoignages attesteront de cette réalité historique.
Puis le film se concentre sur l’ambiance familiale devenue délétère depuis la perte de l’arme d’Iman et si Rezvan, l’aînée, milite pour un changement radical de la loi et d’une plus grande liberté pour les femmes, Sana, la cadette, souhaite davantage porter les cheveux bleus et du vernis à ongles. Cela va bien au-delà de l’opposition traditionnelle parents-enfants à l’adolescence. Le père, aimant et attentif qu’ était Iman, devient pour les siens, à la fois au nom de la religion, de la défense du régime des ayatollahs, et peut-être aussi pour lui qui est parti de rien, de sa carrière, un bourreau domestique. A l'occasion d'un retour dans son village, de la dégradation de l'ambiance et d'accusations portées contre lui, son épouse traditionnellement soumise, prend la défense de ses filles et c'est un peu comme si ces événements politiques tragiques du pays étaient transposés dans cette famille, le père devenant l'oppresseur face à ses femmes qui se révoltent. Le spectateur occidental prend très vite fait et cause pour elles et l’épilogue, malgré quelques longueurs, est parfaitement prévisible.
Ce film, tourné en partie dans la clandestinité, rend compte de la société iranienne actuelle et nous fait prendre conscience de la chance que nous avons de vivre dans un pays libre, démocratique et laïc et de la vigilance qui doit être la nôtre face à la menace d’un basculement toujours possible.
En tout cas un film bouleversant.
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Était -ce lui?
- Par ervian
- Le 21/09/2024
- Dans Stefan Zweig
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N°1931 – Septembre 2024.
Était-ce lui ? Stefan Zweig -Gallimard.
Traduit de l’allemand par Laure Bernardi et Isabelle Kalinowski.
Stefan Zweig (1881-1942) s’est très tôt fait connaître par ses poèmes et surtout par ses nouvelles. Ce petit volume en comporte deux. « Un homme qu’on oublie pas » et « Était-ce lui ? » qui lui donne son titre.
La première, écrite à la première personne, met en scène Anton, un homme
exceptionnel, quasi clochard, mais que tout le monde connaît et estime, détaché des biens de ce monde et qui passe son temps à aider ses semblables sans rien leur demander en échange. D’autre part le témoignage qu’en fait le narrateur, intellectuel connu, qui admet que l’exemple de ce marginal a été pour lui une leçon de liberté et d’indépendance, est d’une grande importance. Ce texte est-il l’évocation d’une rencontre effective de l’auteur avec un tel homme (il sous-titre ce titre par la mention « histoire vécue ») ou est-ce le modèle humain auquel il aspire ? Zweig est un idéaliste et ce type d’individu, certes singulier dans ce monde gouverné par l’argent, peut parfaitement incarner sa vision de l’homme.
La seconde tient un peu du polar et donne la parole à Betsy qui passe sa retraite avec son mari près d’une petite ville anglaise. Vient s’installer près de chez eux un jeune couple sans enfant dont elle évoque le quotidien avec force détails, insistant sur l’analyse psychologique des personnages et notamment sur le mari. Il adopte un chien dont il devient quasiment l’esclave, mais les choses changent avec la naissance inespérée d’un enfant. L’atmosphère du récit devient pesante et le lecteur partage également l’angoisse et la question que se pose à elle-même la narratrice et qui donne son titre à cette nouvelle (Était-ce lui?). Le suspens est entretenu jusqu’à la fin et le texte, évidemment fort bien écrit (traduit), ajoute au plaisir du lecteur.
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Les yeux de Mona
- Par ervian
- Le 17/09/2024
- Dans Thomas Schlesser
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N°1929 – Septembre 2024.
Les yeux de Mona – Thomas Schlesser – Albin Michel
Mona, neuf ans, va perdre définitivement la vue. Elle va donc devoir consulter différents spécialistes et notamment chez un psychologue. C’est son grand-père Henry, son « Dadé », un être taiseux depuis la mort de sa femme mais aussi un érudit un peu fantasque qui se propose de l’accompagner chaque mercredi. En réalité il a aussi l’intention de lui faire découvrir les œuvres d’art des grands musées parisiens, Le Louvre, Beaubourg, Orsay…, c’est à dire de lui donner l’occasion de voir ce qu’il y a de plus beau au monde avant qu’elle ne perde l’usage de ses yeux. Ce seront donc 52 rendez-vous que son « Dadé » lui propose avec Léonard de Vinci, Raphaël, Cézannne, Picasso...en se concentrant sur une seule œuvre d’un artiste. Il termine cette initiation par Pierre Soulages et ses noirs. C’est à la fois une bonne conclusion de ces rendez-vous puisque c’est elle qui commente un de ses tableaux mais aussi une triste respective pour elle puisque le noir sera aussi, bientôt, son univers
Non seulement le vieil homme lui fait découvrir ces œuvres mais aussi il l’initie à la vie avec les doutes et les révoltes qu’elle inspire, à l’histoire et en particulier celle de l’art et des artistes, à la connaissance des choses et des gens, suscite sa curiosité, ses réflexions, ses remarques souvent pertinentes, provoque chez elle l’intérêt pour la création artistique et l’éveil de son esprit critique...
C’est un peu comme si l’initiation que le vieil homme mène au profit de sa petite-fille qui sa devenir aveugle, le faisait lui aussi revenir à la vie non seulement en partageant avec elle ses connaissances mais aussi en réalisant ainsi une sorte d’initiation, comme s’il y avait entre eux une démarche complémentaire, Mona va perdre la vue,et son grand-père veut que sa mémoire emmagasine de belles choses et Henry lui va perdre a vie mais avant cela il veut que cette enfant profite de son érudition avant de disparaître .
J’ai trouvé la relation grand-père-petite-fille à la fois émouvante et authentique et les informations données par le vieil homme fort intéressantes et précises.
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La madre
- Par ervian
- Le 15/09/2024
- Dans Grazia Deledda
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N°1930 – Septembre 2024.
La Madre – Grazia Deledda – Stock.
Traduit de l’italien par Madeleine Santschi.
Court roman paru en 1919, en feuilleton, puis édité en 1920. Cette œuvre traduit le trouble de Maria Maddalena, la mère de Paulo, devenu le curé d’un pauvre village sarde et qui a suivi son fils dans son ministère. Il est entré dans les ordres davantage pour échapper à la misère que par foi religieuse. Accueilli comme le Messie à son arrivée, il ne tarde pas à tomber amoureux d’Agnese, une femme riche et seule qu’il va retrouver la nuit. Cette relation risque de devenir publique à cause d’elle, agacée par les hésitations de Paulo. Tout le roman repose sur les réflexions, les remords de cette mère qui a suscité chez son fils cette vocation pour la prêtrise, face au péché irrémédiable du jeune ecclésiastique. Paulo n’est pas exempt de troubles psychologiques, lui qui a consacré sa vie à la purification des âmes de ses semblables et doit tenir ce rôle vis à vis de ses paroissiens, mais ne parvient pas à se libérer de cet amour caché mais authentique qui doit évidement, rester secret. Les pensées douloureuses de ces deux protagonistes s’entremêlent au cours de ces pages. C’est aussi la certitude que, pour un homme, l’amour de la femme doit passer par de détachement de la mère, à la fois gardienne respectée des traditions et frein au bonheur. Ce roman illustre le combat entre l’amour de Dieu et la tentation de la chair, entre la vie et la mort, la fatalité, l’expiation du péché, la culpabilité, l’interdit de l’amour mais aussi des questions récurrentes, le célibat des prêtres, la chasteté, l ‘hypocrisie, le mensonge …
Les événements évoqués se déroulent sur deux jours et les émotions se mêlent à l’action, aux évocations du passé, aux remords, à un impossible avenir.... Le doute, les hésitations viennent brouiller les décisions de ces deux personnages tourmentés, avec en contre-point la figure incontournable du diable, symbolisé par le vent, mais aussi de fantômes du passé et de miracles apparents qui troublent l’esprit des paysans.
Il y a une opposition entre ces deux femmes, Maria Maddalena, très présente qui incarne l’image non seulement de la mère, vertueuse, aimante mais torturée mais aussi celle de la servante dévouée, effacée, de la pieuse femme sarde à la foi archaïque et superstitieuse, et Agnese qui dans ce roman incarne l’ image de la tentation et du péché mais aussi de l’incitation à bouleverser un ordre social établi et immuable .
Il y a un autre personnage, Antioco, l’enfant de chœur, naïf et innocent qui admire le jeune curé et veut devenir prêtre comme lui mais ne sait rien de ses états d’âme et de sa conduite. Il interprète l’image que lui donne ce dernier comme des manifestations de la sainteté de Paulo et de la grandeur de son ministère. Avec Maria Maddalena et Agnese, il illustre les contradictions du prêtre.
Ce roman ne passa pas inaperçu à sa publication puisqu’il fut préfacé par D.H. Lawrence et traduit en anglais.
Grazia Deledda (1871-1936) est l’auteure d’une abondante création littéraire, plus de 50 volumes, romans et nouvelles dont beaucoup publiés en français, mais aussi théâtre poésie et traduction. Elle a été la première femme italienne à recevoir le Prix Nobel de littérature en 1926. En 2013 le réalisateur italien Angelo Maresca s’est inspiré de ce roman pour son film éponyme. Elle a publié ses premiers textes à l’âge de 17 ans ce qui, pour une jeune fille de cette époque qui devait restée discrète, était exceptionnel. Elle s’est affirmée comme une écrivain sarde, amoureuse de son île et de son peuple, un univers rigide et archaïque dont elle s’est fait le témoin dans toute son œuvre sans oublier d’évoquer la condition des femmes. Elle a également choisi de traiter notamment de l’inceste dans son roman Elias Portolu, considéré comme son chef d’œuvre ce qui, pour une femme de cette époque témoigne d’un certain courage. Ici s’entremêlent les thèmes de l’amour et de la mort, mais aussi pour l’homme celui du choix de la soutane et du refus de l’amour face au scandale. Là aussi il y a renoncement et choix de la religion comme seule réponse face à la solitude de la femme.
Son style est influencé par le vérisme, Mouvement artistique italien de la fin du XIX° siècle, à peu près analogue au naturalisme français incarné par Émile Zola. Grazia Deledda, bien que vilipendée à son époque est en effet une auteure majeure, témoin de son temps, au style simple, sans érotisme , aussi pertinent dans les analyses des sentiments des personnages qu’il est agréable à lire dans les descriptions de paysages.
© Hervé GAUTIER – La Feuille Volante - http://hervegautier.e-monsite.com]
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C'e ancora domani
- Par ervian
- Le 09/09/2024
- Dans Cinéma italien
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N°1850 – Mars 2024.
Il reste encore demain (C’é ancora domani)– Un film de Paola Cortellesi. (2023)
Nous sommes à Rome dans un quartier pauvre, en 1946 . L’Italie post-fasciste se relève difficilement de la guerre. Delia (Paola Cortellesi), une mère italienne souhaite donner à ses trois enfants un avenir meilleur que le sien et en particulier à sa fille aînée, Marcella (Romana Maggiora)
Delia se débat face dans un quotidien sans joie avec un mari autoritaire et violent, Ivano (Valerio Mastrandrea), le type même du mâle qui considère sa femme comme sa chose, en abuse, la gifle sans raison tous les matins. Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa (Emanuela Fanelli) que pour quelques moments de légèreté et grâce à de petits boulots ingrats qu’elle multiplie pour compléter le maigre salaire de son mari. Les humiliations quotidiennes qu’elle subit révoltent Marcella qui ne manque pas de le lui faire savoir. Cela passe à ses yeux pour de la lâcheté, pire peut-être pour de la soumission à un ordre établi qui fait de l’épouse un être servile et consentant, chargé du foyer, des enfants et des envies de son mari dont elle est la propriété. L’argent que gagne Ivano, il le dépense au bistrot ou au bordel, mais le tableau ne s’arrête pas là, la famille héberge également son beau-père, un vieillard lubrique et autoritaire qui inspire la conduite de son fils, et deux garçons gâtés. Délia voit dans les fiançailles de Marcella avec Giulio, d’une classe sociale plus élevée, une perspective différente pour elle mais l’attitude du jeune homme, malgré les serments et les promesses, lui donne à penser que rien ne changera. Elle y substitue une solution plus efficace à ses yeux.
Heureusement l’arrivée inespérée d’une lettre va tout changer pour Delia, et pas seulement pour elle.
Paola Cortellesi, comédienne appréciée chez nos amis italiens qui tient ici le rôle principal, passe pour la première fois derrière la caméra pour réaliser ce film en noir et blanc qui remet le spectateur dans l’ambiance de l’époque. Il reprend les codes du néo-réalisme italien des années d’après-guerre incarnés par Vittorio de Sica (Le voleur de bicyclettes) Ettore Scola (Une journée particulière) ou Luchino Visconti (Les amants diaboliques). C’est certes une critique de la situation des femmes dans cette Italie traditionnelle de l’après-guerre qui pose aussi d’autres questions éternelles. Comment un homme jadis amoureux et prévenant avec sa fiancé devient-il violent avec elle une fois marié et ce malgré le trait d’humour qui transforme, à la grande surprise de Délia, en danse improvisée ce qui aurait pu être une série ordinaire de coups. Son courage et son abnégation recueillent la sympathie du spectateur quand elle s’oppose à l’avenir de sa fille qu’elle juge délétère, avec la complicité d’un militaire américain noir, c’est à dire lui aussi habitué à la violence ségrégationniste. Cette empathie va jusqu’à comprendre et admettre qu’elle quitte ce foyer, répondant à une demande d’un amour de jeunesse pour une autre vie malgré les enfants, l’interdit de l’Église, la mort de son beau-père...
C’est un film, pas vraiment dans l’air du temps qui étonne le spectateur et l’égare dans les arcanes des possibles mais qui se révèle être bien autre chose, autrement porteur d’espoirs qu’un banal adultère et qui a fait en Italie un nombre impressionnant d’entrées dans un cinéma italien en crise. Il a même été projeté dans les écoles pour prévenir les féminicides importants dans la péninsule et notamment l’affaire du meurtre de Guilia Cecchettin, 22 ans, poignardée en novembre dernier par son compagnon. Il a même enthousiasmé jusqu’à la Cheffe du gouvernement italien d’obédience post-fasciste, Georgia Meloni, qui l’a qualifié de « courageux et stimulant ».
Je termine cette chronique en faisant une mention spéciale à la bande-son particulièrement originale.
Alors, retour de la nostalgie ou évocation du combat des femmes pour leur nécessaire émancipation dans une Italie minée par la tradition, le bernusconisme et l’influence de l’Église ? Ce film qui non seulement bouscule toutes les tendances actuelles du cinéma ne passera sûrement pas inaperçu en France où le droit des femmes vient d’être encore une fois renforcé et officialisé.
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La nouvelle femme
- Par ervian
- Le 09/09/2024
- Dans Cinéma italien
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N°1857– Avril 2024.
La nouvelle femme - Un film franco-italien de Lea Todorov. (2023)
L’éducation est un moyen essentiel dans l’émancipation de l’homme et de sa réalisation personnelle. Cette affirmation prend toute son importance quand il s’agit de personnes handicapées qui ont comme les autres le droit à la vie. Face à ce problème, le régimes totalitaires ont apporté une solution d’élimination quand les démocraties cherchent à y apporter une réponse plus adaptée. Ce fut un long combat, il est vrai souvent caractérisé par des initiatives individuelles quand la collectivité choisissait souvent d’ignorer voire de cacher ceux qui en étaient atteints.
Nous sommes à Rome en 1900 et Lili d’Alengy, une prostituée qui a fui Paris, cache sa fille idiote qui entrave sa carrière. Elle y rencontre Maria Montessori (1870-1952), une femme médecin qui travaille dans un institut pour enfants déficients et qui a développé une méthode d’éducation pour les aider à se réadapter. Il naît entre ces deux femmes que tout oppose une relation faite d’empathie, de compréhension et de volonté d’aide face à une détresse solitaire, celle de Lilli qui souhaite dissimuler la présence de sa fille et celle de Maria qui veut faire reconnaître son action. Maria elle aussi cache un fils, certes normal, mais né hors mariage, ce qui a l’époque est pour une femme célibataire un motif d’exclusion de cette société bourgeoise, bien pensante et hypocrite. De plus, pour une femme, être médecin est tout simplement inconcevable dans un monde réservé aux hommes et son action personnelle en faveur des enfants est éclipsée au profit de son collègue, le père de son fils, Guisepe Montesano, codirecteur de l’institut. Lilli fait profiter à Maria de sa connaissance du monde masculin et de la façon de se comporter face à lui pour lui résister et Maria aide efficacement sa fille à progresser. Maria qui auparavant ne vivait que pour la science et pour son travail se révèle être cette « nouvelle femme » qui va s’affirmer. Ce sont les deux personnalités féminines de ce film. Cette opposition entre ces deux femmes, l’une réelle, Maria Montessori (Jasmine Trinca) et l’autre fictive incarnée par Leila Bekti est bienvenue. Elle met en prescriptive la personnalisé de la première, autoritaire, ambitieuse et surtout désireuse de s’imposer dans un monde qui la rejette et la seconde qui reste une demi-mondaine mais une femme libre et indépendante qui va aider Maria à conquérir son autonomie financière , fonder son propre centre et imposer la méthode qui va porter son nom et révolutionner l’école de son temps. Elle est encore utilisée aujourd’hui.
Un autre aspect important est la relation entre Maria et son compagnon, le père de son fils qui co-dirige l’institut, Guisepe Montesano (Rafaele Esposito) qui souhaiterait qu’ils se marient, notamment pour légitimer leur fils, mais Maria refuse puisqu’elle perdrait du même coup son indépendance, la femme mariée était à l’époque sous la tutelle exclusive de son époux. La reconnaissance de son fils par son père, qui par ailleurs de marie avec une autre femme, fait perdre à Maria ses droits sur son fils dont elle doit se séparer pendant 12 ans. C’est le douloureux prix qu’elle doit payer pour être reconnue.
Ce film est important parce qu’il met en scène des enfants réellement déficients mais dont la direction s’est adaptée à leur handicap. En outre il s’inspire directement du journal intime de Maria.
Ce long métrage s’inscrit parfaitement dans la difficile conquête des droits de l‘enfant inadapté mais aussi la prise en compte du long combat des femmes pour la reconnaissance de leur statut au sein de la société. Le cinéma italien s’en fait actuellement l’écho, mais dans un tout autre registre, notamment avec le film de Paola Cortellesi « C’e ancora domani » (il reste encore demain) et celui de Maria Savina (« Prima donna »)
C’est le premier film de Lea Todorov, connue par ailleurs dans le domaine de réalisation de documentaires et c’est une réussite.