L'effondrement
- Par ervian
- Le 04/01/2025
- Dans Édouard Louis
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N°1954– Janvier 2025.
L’effondrement – Édouard Louis - Éditions du Seuil.(2024)
Le roman se présente comme un froid rapport de police établissant des faits. C’est pourtant bien d’une sorte d’enquête très personnelle dont il s’agit, un retour dans le passé, une tentative d’explication. L’auteur apprend la mort à 38 ans de son demi-frère (et non pas son frère comme il le dit), né d’un précédent mariage de sa mère. On parle même d’un éventuel suicide. La disparition d’un être cher entraîne, pour ceux qui restent , colère, révolte, chagrin et ce ne sont pas les fallacieuses promesses religieuses qui peuvent adoucir un deuil. A la réflexion, l’auteur prend conscience qu’il n’avait aucun lien avec lui à cause notamment de son homophobie, de sa posture provocatrice, qu’il ne savait pas grand-chose de cet homme, ouvrier pauvre, rêveur aux rêves démesurés et inacessibles, idéaliste mais incapable d’aimer les femmes qui ont partagé sa vie, à ce point contradictoire qu’il pouvait être à la fois violent et affable, animé de la volonté de sortir de ses addictions mais fuyant ceux qui voulaient l’y aider, révolté par la solitude mais désarmé face à elle. Il s’interroge sur son histoire balbutiante, sordide, désespérée puis délinquante, bouleversée par le divorce de ses parents et par son abandon. Il a été meurtri par l’indifférence d’un père alcoolique et violent dont il a reproduit l’exemple, blessé par la recomposition d’un foyer où il n’avait pas sa place et que son beau-père humiliait, avec la passivité voire la complicité de sa mère. C’était un homme contradictoire qui fuyait sa nouvelle famille qui ne lui témoignait que de l’indifférence, de l’incompréhension voire une volonté d’exclusion mais admirait la réussite d’Édouard, son frère. L’auteur parle avec raison de la blessure de son frère, un véritable abandon, une souffrance qui l’a poursuivi toute sa vie et qu’il a combattu, gauchement, à sa manière notamment en prenant des décisions inattendues et parfois désastreuses. Elles avaient, aux yeux de sa famille, l’avantage de l’éloigner d’elle. Pire peut-être puisque, selon lui, son frère n’avait jamais eu l’opportunité d’en parler, à cause de son appartenance à la classe ouvrière défavorisée où ce mode d’expression n’existe pas, comme si les autres couches plus favorisées de la population en étaient exemptes et que les enfants-victimes pouvaient s’exprimer plus facilement, ne connaissaient ni la dépression ni le rejet. Il est évident qu’il y avait entre l’auteur et son demi-frère dont on ne connaît même pas le prénom, des différences flagrantes même si lui-même n’a pas été épargné par les humiliations paternelles et la passivité maternelle. En outre, l’auteur évoque l‘attitude de sa mère face à la mort de ce fils, son impuissance, son indignation, son rejet de la réalité devant le décès de son fils mais dénonce aussi la posture passée d’une femme sous l’influence d’un mari agressif.
J’ai lu ce roman avec une attention toute personnelle parce qu’il me semble que les adultes qui donnent naissance à des enfants puis se séparent pour refaire leur vie ailleurs, ont une attitude égoïste et ne songent guère à ceux à qui non seulement ils ont imposé la vie mais qui, par leur décision, la leur compliquent considérablement. Quand d’autres enfants naissent des unions suivantes, des différences, apparaissent inévitablement au sein de la famille recomposée, plus ou moins sciemment entretenues par les membres de la parentèle. Quoiqu’on en dise, ce genre de situation se banalise inévitablement, des injustices, des rivalités, voire des conflits naissent et se développent qui laissent des traces indélébiles sur les enfants du couple qui se sépare, mais le refus d’Édouard Louis de rencontrer ce frère gravement malade, celui de participer financièrement à l’enterrement, sont révélateurs . Son improbable dialogue avec son fantôme a quelque chose d’artificiel et même d’inconvenant, cette évocation d’une vie dévastée sonne pour moi comme une bien tardive tentative de rédemption où les mots ne pèsent rien. Cette analyse de la déréliction d’un être mal-aimé et incapable d’aimer ses semblables est à la fois pertinente et bouleversante.
Dans ce contexte les larmes des vivants n’ont pas vraiment leur place sauf à jouer une comédie hypocrite convenue dans de telles circonstances. J’y ai vu dans ce roman quelque chose qui ressemblait davantage à la prise de conscience tardive d’une culpabilité à l’égard de cet homme, à cause des postures mais aussi des révélations faites par l’auteur sur sa famille, de son refus de voir les réalités en face. Nous savons tous que les mots n’ont pas le pouvoir de conjurer les erreurs.
Je me suis toujours interrogé sur le style d’Édouard Louis, brut et assez froid, pas vraiment littéraire. Selon l’auteur, il traduit ici la distance qui existait entre lui et son demi-frère et estime que l’emploi de son langage serait susceptible de mieux le comprendre. Voire !
Il y a sans doute dans cette démarche d’écriture de la part de l’auteur une dimension de déculpabilisation eu égard à la distance qui existait entre eux, de la haine qu’il lui témoignait, de ce qu’il avait écrit à son propos, au regard aussi de l’attitude de sa mère qui réalise bien tard, et peut-être avec une certaine tartuferie, tout ce qu’elle n’a pas fait pour lui. Sa tentative me paraît vaine et même quelque peu artificielle et je ne crois pas que les les mots aient réellement ce pouvoir d’exorcisme.
C’est le 7° roman d’Édouard Louis qui poursuit ici sa réflexion sur la famille et au cas particulier de la courte vie désordonnée de ce demi-frère. Il le fait en intellectuel, évoquant la psychologie, la sociologie, la psychanalyse comme autant d’explications mais, dans cette démarche, il ne m’a pas paru convaincant.
J’ai longtemps suivi l’itinéraire créatif de cet auteur. Sa vie a certes quelque chose d’original, voire d’extraordinairement réussi, malgré toute l’opposition familiale qu’ont suscité ses révélations. En dehors de quelques réflexions personnelles, j’ai attentivement lu ce roman avec un mélange de curiosité et de désaccord. En revanche, à travers la courte vie de son frère, il soulève ici un problème de société récurrent et cela me paraît beaucoup intéressant que ses révélations des ouvrages précédents, même si je ne suis pas sûr de l’avoir suivi dans son argumentaire volontairement déculpabilisant et quelque peu laborieux.
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