Giosuè Calaciura
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Borgo vecchio
- Par hervegautier
- Le 23/07/2019
- Dans Giosuè Calaciura
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La Feuille Volante n° 1369 – Juillet 2019.
Borgo vecchio – Giosuè Calaciura – Les éditions Noir sur Blanc.
Traduit de l’italien par Lise Chapuis.
Borgo Vecchio, un vieux bourg de Sicile, un quartier de Palerme où, comme partout, tout le monde se connaît.
C’est le domaine de trois compères, trois enfants, Mimmo, le fils de Giovanni, le charcutier aigrefin, Cristofaro dont le père saoul lui administre chaque soir une raclée qui finira un jour par le tuer, Celeste, la fille disgracieuse de Carmela, la belle prostituée qui bouleverse les hommes et allume les passions par sa seule beauté et qui, pour se faire pardonner sa condition de pécheresse, voue un culte à la Madone jusque dans sa manière de faire l’amour, Totò l’insaisissable voleur maffieu qui terrorise les femmes riches du quartier où la police ne pénètre même plus. C’est que Minno est un sentimental, il parle volontiers à Nanà, un cheval qu’a acheté son père pour les courses clandestines qu’il gagne et dont le garçon s’occupe. Ils deviendront complices. Il attend aussi, dans l’odeur du pain chaud qui envahit Borgo Vecchio que Celestre dont il est amoureux soit seule sur le balcon de la chambre de sa mère aux persiennes fermées, parce qu’ainsi elle n’est pas le témoin de ses ébats luxurieux. Rien ne tarit cet amour, ni la misère quotidienne, ni le sirocco, ni les inondations du quartier qu’on attribue à une colère divine et bien sûr pas le temps qui passe. Par amitié pour Cristofaro, Mimmo va faire avec Totò un pari fou qui le délivrera peut-être de son calvaire quotidien et qui le transforme, lui le petit voleur, en un citoyen respecté de ce borgo vecchio. Cette description du quartier n’a d’égal que celle de la bataille que livrent ses habitants contre les forces de l’ordre et qui tend à accréditer l’idée qu’on est bien là dans une zone de non-droit où tout est permis, avec, en sus, la bénédiction de son curé, ou la façon sensuelle qu’a l’auteur d’évoquer la beauté de Carmela. C’est toute la vie au quotidien de ce petit village écrasé de soleil, de senteurs, de couleurs et de violence où la pauvreté fait tellement partie du décor qu’elle en devient invisible, qui se déroule sous les yeux du lecteur, avec en contre-point les cérémonies religieuses rituelles et l’ambiance de superstition, indissociables de cette Italie catholique.
Puis cette histoire prend la forme d’une fable qui s’épanouit dans les confidences que fait Nanà à Mimmo, dans le trajet « enchanté » de cette balle policière qui atteint son but comme on conclut une histoire par une fin morale, même si elle est triste, parce qu’on finissait même par avoir de la sympathie pour une petite frappe qui rentrait enfin dans le droit chemin. Puis, la vie reprends son rythme, avec ces périodes inscrites dans la mémoire collective, comme des moments de son histoire. L’épilogue aussi tient de la fable, une sorte de « happy end » que l’auteur laisse à chacun le soin d’imaginer, dans le sillage du ferry qui s’éloigne des rumeurs de la ville et dans le hurlement des sirènes, un avenir immédiat pour Mimmo et Celeste qui sans doute ne se quitteront plus et passeront ensemble une vie qui sera probablement comme celle de leurs parents avant eux, ni mieux ni plus belle et que le hasard, la liberté où les événements extérieurs se chargeront de sculpter pour eux, mais en tout cas loin, très loin de ce « Borgo vecchio »
L’auteur, entre humour et réalisme nous fait partager l’itinéraire de ces trois enfants qui pénètrent brutalement dans le monde des adultes, avec la trahison, l’hypocrisie, la souffrance, l’omertà, la misère et la mort qui rode, à l’image de ce dicton qu’on entend à Naples où nul n’est sûr d’être vivant à la fin de la journée.
J’ai particulièrement apprécié le déroulé du récit décliné alternativement dans l’intense émotion, le délire des mots, le style poétique et la qualité de la traduction qui rend bien l’exubérance de cette si belle et si musicale langue qu’est l’italien.
Je remercie des éditions Noir sur Blanc et Babelio de m’avoir fait découvrir ce roman.
©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com