la feuille volante

Luc Blanvillain

  • Le répondeur

    N° 1517 – Décembre 2020

     

    Le répondeur– Luc Blanvillain – Quidam éditeur.

     

    Baptiste est un jeune imitateur talentueux mais parfaitement inconnu qu’un célèbre écrivain, Jean Chozène, contacte pour une mission originale. L’homme de Lettres est l’objet, au téléphone de trop de sollicitations de la part de fâcheux et cela l’empêche d’écrire un livre difficile auquel il tient tout particulièrement. Il a donc besoin de calme et propose à Baptiste de répondre à sa place et avec sa voix à tous ses correspondants. L’occasion est trop belle et, à cause d’une situation des plus précaires, lui, le solitaire, accepte, mais pour cela il a besoin de s’approprier le personnage, de connaître son passé, ses passions, ses faiblesses. Ce faisant il passe du statut d’artiste à celui d’imposteur grassement payés, culpabilise légèrement mais s’amuse d’une situation où tout le monde tombe dans le panneau. Il a surtout, et pour la première fois, le sentiment de servir à quelque chose, d’être légitime après tant de mois de galère et de précarité.

    Cette situation originale ne peut que porter en elle beaucoup de quiproquos, d’autant qu’il se met à s’intéresser à Elsa, la fille de son « employeur » qui, elle non plus au début, ne voit rien de la supercherie. En réalité l’intrusion de Baptiste dans la vie de l’écrivain, le fait d’être ainsi son porte-voix, a des conséquences inattendues. Prendre ainsi en permanence la place de quelqu’un suppose qu’on se mette soi-même un peu entre parenthèses, qu’on s’efface devant lui au point de gommer sa propre vie. Non seulement, d’avoir endossé le personnage de Chozène fait ressurgir des moments de l’ histoire personnelle de Baptiste qu’il croyait enfouis, mais, à son corps défendant, il ravive des braises longtemps étouffées chez l’écrivain ce qui remet les choses à leur vraie place, transformant son rôle initial de truchement en celui d’un confident et même de complice des différents protagonistes, une fois l’ambiguïté levée. Mieux sans doute, il devient un catalyseur, un révélateur, celui qui, sans qu’il en ai conscience, va favoriser l’écriture difficile du roman de Chozène et être, à bien des titres, l’agent d’une véritable renaissance. S’il est un solitaire, sa présence dans l’univers familial et personnel de Chozène suscite des rapprochements, ravive des liens oubliés et tout dérape, y compris pour lui, au point d’avoir des doutes et des interrogations sur lui-même.

    Au départ, j’ai débuté ma lecture en me disant que l’idée était originale et portait en elle pas mal de situations cocasses. Pour autant le livre que Chozène souhaite écrire m’a paru une démarche plus intéressante, entre l’angoisse de la page blanche et la difficulté de dire vraiment ce qu’on porte en soi. Pour lui il s’agissait d’évoquer un personnage qui avait marqué sa vie et ainsi faire obstacle à l’oubli, d’évoquer sans doute des faits réels et ainsi de pouvoir s’en débarrasser ou de laisser la place à un imaginaire compensatoire. Cette exploration du passé autant que de l’inconscient mettait en valeur l’effet cathartique de l’écriture.

    Toute cette affaire commence par un canular comme il s’en est déjà produit dans le monde littéraire réel, ce qui n’est pas sans entraîner loufoqueries, mensonges et même règlements de compte, le téléphone étant ici un personnage secondaire mais indispensable. Baptiste qui était un solitaire, un artiste doué mais privé de notoriété, donc un homme de l’ombre qui, même s’il joue pendant un temps un rôle peu valorisant, entre de plain pied dans la lumière par le truchement d’Elsa et d’un portrait. Sa vie va en être complètement bouleversée mais cet épisode un peu mouvementé est peut-être sa chance ?.

    Le style de Luc Blanvillain est fluide, agréable à lire, poétique parfois.

     

     

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