Sébastien Spitzer
-
Ces rêves qu'on piétine
- Par hervegautier
- Le 19/03/2019
- Dans Sébastien Spitzer
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1335 – Mai 2019
Ces rêves qu'on piétine – Sébastien Spitzer- Éditions de l'Observatoire.
Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions de l'Observatoire de m'avoir fait découvrir ce roman.
Ce livre s'ouvre sur un concert, le dernier qui sera donné à Berlin et les notes de l'orchestre le disputent au bruit des orgues de Staline tirées aux portes de la capitale du Reich. C'est la fin des rêves de la grande Allemagne. Magda est la reine de cette ultime moment parce qu'elle est non seulement une fort belle femme mais elle est aussi l'épouse de Joseph Goebbels, le ministre de la propagande. C'est dans ce genre de circonstances, quand tout s'effondre autour de soi et qu'on sent la fin, qu'on refait le chemin parcouru jusque là. Dans le bunker berlinois d'Hitler, qui sera bientôt son tombeau et celui de ses enfants, elle se revoit jeune fille pauvre mais heureuse, puis mariée à un homme riche et influent dont elle divorcera. Elle sera fascinée par le nazisme et par ce petit homme boiteux qui parle si bien et qu'elle finira par épouser. Il est pourtant bien dépourvu des caractéristiques aryennes exigées par le nouveau pouvoir, mais cela lui importe peu après tout, ce qui compte pour elle c'est de faire partie des puissants du régime, de satisfaire ses ambitions. Magda est le type de femme qui n'aime qu'elle-même et qui sait jouer de sa séduction, qui accepte les nombreux adultères de son mari pour arriver à ses fins. Ses rêves à elle ont été satisfaits puisqu'elle est « la première dame du Reich » et un modèle pour tous. Elle a seulement un attachement pour Harold, un fils qu'elle a eu d'un premier mariage à qui elle écrit une dernière lettre pleine d'espoirs dans le nazisme mais n'hésitera pas à assassiner ses six enfants dans une sorte de rituel avant de se donner la mort avec son mari. Elle a réussi à cacher ses origines juives comme l'ont fait beaucoup de dignitaires du III° Reich.
L'auteur s'approprie l'Histoire, y mêle de la fiction, imagine que le père de Magda, Richard Friedländer, prisonnier à Buchenwald où il sera exécuté, lui écrit des lettres pour lui demander de l'aide. On a du mal à imaginer que ces lettres ont pu lui parvenir et même quitter le camp et, de fait, c'est une invention de Spitzer. Le vrai Friedländer, qui n'était d'ailleurs que son père adoptif, s'était effectivement occupé d'elle, enfant, et avait eu, à son égard, toutes les attentions d'un père. Il est mort sans laisser de traces, comme la plupart d'entre nous. Compte tenu de la personnalité de Magda, on peut parfaitement imaginer que, si ces lettres eussent existé et eussent été portées à sa connaissance, elle les eût ignorées parce que simplement cela eût détruit un fragile édifice qu'elle avait mis tant de temps et de compromissions à édifier. Cela aussi eût piétiné ses rêves.
Il avait des rêves lui aussi, ce pauvre M. Friedländer, des rêves de libération et de vie normale, mais ils ont été foulés par les bottes des SS, comme toutes les victimes de la Shoah persécutés et tués pour la seule raison qu'ils étaient juifs.
Il n'est pas besoin de faire appel à la fiction pour illustrer cette caractéristique de l'espèce humaine, capable du pire comme du meilleur, mais bien souvent du pire. C'est l’égoïsme qui s'exerce jusques et y compris contre les membres de sa propre famille quand ils sont une gêne pour ses propres intérêts immédiats et contre lesquels on n'hésite pas à pratiquer l'oubli, le mensonge, la trahison voire l'élimination. C'est peut-être difficile à admettre, cela va à l'encontre de toutes les affirmations lénifiantes qu'on a pu nous asséner depuis des lustres, mais c'est une réalité que ne rachètent pas tous les abbé Pierre et tous les Coluche du monde. Nous ne pouvons l'ignorer parce que simplement, nous faisons, nous tous, partie de cette espèce humaine.
En parallèle, on assiste aux derniers moments des prisonniers des camps assassinés par les SS puis à la fuite désespérée de ceux qui, un temps, échappent à la mort puis succombent, pour se focaliser sur Fela, cette femme violée dans le camp, favorite du commandant qu'elle présente comme le père d'Ava, sa fille. Quand tant d'autres bébés étaient assassinés dès leur naissance, cette pauvre petite enfant née dans le camp, sans père et sans nom, croisera par les hasards de la vie Lee Meyer, une belle correspondante de guerre pour « Vogue » et qui révélera cette histoire, « avatar » d'une authentique mannequin, Lee Miller, amie intime de Man Ray et de Picasso et photographe de guerre dont les clichés porteront témoignage des atrocités de Dachau.
L'auteur rappelle également que de grandes entreprises allemandes, actuellement prospères et cotées en bourse et qui produisent encore aujourd'hui des articles de luxe qui sont l'emblème de la réussite sociale de ceux qui les possèdent, ont fait leur fortune sous le III° Reich.
J'ai bien aimé ce livre, même s'il est glaçant, pour le message qu'il délivre, mais aussi parce qu'il est bien écrit, bien documenté.
©H.L.