Tristan Corbière
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Les amours jaunes
- Par hervegautier
- Le 17/04/2020
- Dans Tristan Corbière
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Les amours jaunes - Tristan Corbière.
Dans trois éditions, entre 1884 puis en 1888, Verlaine (1844-1896) publie un ouvrage « Les poètes maudits » dans lequel il rend hommage au Parnasse et à quelques autres poètes dont lui-même, caché sous un pseudonyme de Pauvre Lelian, et à Rimbaud notamment. L’expression remonte au romantisme et désigne des poètes incompris de leur vivant à cause de leurs textes difficiles et qui, rejetés par la société, se comportent d’une manière scandaleuse, dangereuse voire autodestructrice. On pense évidemment à Rimbaud. Dans cette liste il révèle le nom de Tristan Corbière, en réalité Edouard-Joachim dit Tristant (1845-1875), poète breton, épris d’aventures maritimes, complètement inconnu de son vivant, proche des symbolistes et auteur d’un seul recueil de poèmes « Les amours jaunes » publié à compte d’auteur en 1873 mais réédité en 1891. Mort à vingt neuf ans, il eut une enfance bourgeoise (il est le fils d’Édouard-Antoine Corbière, romancier et marin), voyageuse mais difficile, marquée par la maladie qui l’obligea à arrêter ses études, mena une vie parisienne marginale, solitaire, mélancolique et misérable. Il rencontra une petite actrice parisienne, Armida Josefina Cuchiani qui devint sa muse et qu’il nomme bizarrement « Marcelle », cigale italienne qui était la maîtresse du comte Rodolphe de Battine, et à qui il dédit deux poèmes éponymes qui encadrent le recueil et s’inspirent de la fable de La Fontaine. Il semblerait qu’elle ait été une femme volage qui maintint Corbière en dehors de sa vie et se refusa à lui, ne lui laissant que les pensionnaires du bordel qu’il nomme « cocotes ». Sous sa plume, la femme sera toujours associée à la nuit, cachée derrière le masque de l’hypocrisie, une sorte d’être un peu mystérieux, accessible mais lointain et vénal.
Ce titre est énigmatique, évoque peut-être la couleur de la trahison ou peut-être l’envie de rire(jaune) de lui-même qui est un être incompris et de ses échecs amoureux dus à sa laideur (« Le crapaud »), les villageois le surnommant «l'Akou » , la mort. L’ouvrage se présente d’une manière un peu hétéroclite en 7 parties, « Ça », « Les amours jaunes », « Sérénades des sérénades », « Raccrocs », « Armor », « Gens de mer », « Rondels pour après » en tout une centaine de poèmes. Corbière s’inspire de la ville, des rues, de la Bretagne et de ses légendes, de la mer, des marins. Sur le plan de la forme, la ponctuation est hachée, faite de tirets, de points d’exclamation et de suspension ce qui lui confère un rythme irrégulier, il use d’onomatopées, de l’argot mais aussi de mots latins, anglais, espagnols ou italiens, déstructure le sonnet (« Le crapaud »), pratique la rime, parfois un peu facile, adopte l’alexandrin mais en malmène la césure, fait des répétitions. On a l’impression d’une écriture quasi automatique (c’est sans doute pour cela que les surréalistes aimèrent Corbière), heurtée, brute, de laquelle il ressort un aspect tragique, une sorte de mal-être exprimé ainsi par un homme qui se sent exclu du monde, qui combat et exorcise ainsi cette solitude. Il y a, dans son écriture, une dimension spontanée et cathartique exceptionnelle.
L’art est pour l’homme une façon de témoigner de l’idée qu’il se fait de sa vie, de la partager avec le reste du monde et cela lui attire soit la notoriété, la critique ou pire l’indifférence de ses contemporains. Il le fait dans l’imitation des ses maîtres ou dans la volonté de faire évoluer les choses, de renverser la table, de marquer son passage sur terre, de s’inscrire en faux face aux courants littéraires de son époque. Corbière, qui n’a sûrement pas aimé sa vie et qui ne s’est sans doute pas aimé lui-même, a exprimé à sa manière toute la révolte et la violence qu’il portait en lui et, à titre personnel, je respecte cette voix d’autant qu’elle n’a vraiment résonné qu’après sa mort. Son cri est celui de la désespérance.
En ce qui me concerne, je demande à l’art en général et à la poésie en particulier, de me procurer ce petit supplément d’âme et d’émotion intime qui fait que je m’attache à un artiste à raison de ce qu’il nous a laissé en héritage. Corbière a pratiqué la sincérité et même l’impulsivité sans souci des règles de la prosodie et je retiens cela, mais je ne rencontre pas dans ses poèmes la couleur et la musique qui d’ordinaire me parlent et m’émeuvent.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com