Antoine Sénanque
-
L'ami de jeunesse
- Par hervegautier
- Le 11/06/2019
- Dans Antoine Sénanque
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1356 – Juin 2019.
L’ami de jeunesse – Antoine Sénanque – Grasset.
Il y a beaucoup s
de similitudes dans ce roman d’Antoine Sénanque avec celui que j’ai lu (« Étienne regrette »-La Feuille Volante n° 1353). Le personnage principal, ici Antoine, la cinquantaine, est un psychiatre avec cabinet et clientèle aussi fidèle que sa femme Élisabeth ne l’est pas et qui a, avec sa famille des liens assez distendus. Comme Étienne du roman précédent, il est aussi peu fan de sa vie qui s’égrène inexorablement, qu’il subit et il ne s’épanouit pas dans son métier, pire peut-être, il n’y croit plus. Il soigne son état dépressif par l’alcool et les médicaments. Il a un ami, Félix, qu’il qualifie de meilleur (j’ai toujours une interrogation sur ce qualificatif tant l’espèce humaine est friande de trahisons et d’inconstance, quant au lien, l’ancienneté ne fait rien à l’affaire), restaurateur de son état, menteur, jouisseur et fourbe, aussi épicurien que l’était Denis Larbeau dans l’autre livre. Il n’y a rien d’étonnant que, blasé comme il est, Antoine ait envie de changer de vie. Il veut devenir prof d’histoire, pour cela passer une licence et surtout entraîner dans cette aventure le pauvre Félix qui n’est guère enthousiaste. Cet ami de jeunesse l’accompagne dans toutes ces entreprises, même les plus hasardeuses et le soutient, bien qu’il soit son exact contraire, ce qui se vérifie encore une fois en matière de femmes comme de succès universitaires! Pour Antoine c’est non seulement une remise en question mais surtout une perte importante de revenu. Cet aparté intellectuel lui donne l’occasion de régler quelques comptes avec l’université et son univers kafkaïen, mais aussi avec sa famille, son frère aîné, chômeur professionnel qui vit à ses crochets. Puis ça part très vite sur autre chose, le latin et sa grammaire, les enfants, l’hôpital, la médecine, Venise, Dieu, les femmes… Les aphorisme de Sénanque sont savoureux, comme si de tout cela, de sa vie, Antoine en avait un peu marre, comme s’il réglait ainsi d’ultimes comptes.
J’ai peu lu Sénanque mais ce que je retiens de lui c’est une analyse pertinente de l’espèce humaine, présentée comme il convient sous l’angle d’un humour parfois acerbe. Quand j’ai ouvert ce roman, je ne comprenais pas pourquoi Antoine avait choisi de se remettre ainsi en question par l’obtention d’une improbable licence d’histoire. Ce n’est que vers le milieu du roman que l’explication m’est clairement apparue. J’imagine que jusque là, la vie conjugale l’a si peu comblé, que dans son inconscient, et bien qu’il affirme le contraire et veuille peut-être se le cacher à lui-même en faisant semblant de croire aux serments amoureux perpétuels, il avait l’intuition de la trahison et du mensonge qui l’entouraient. Sa réaction était plutôt inattendue pour son entourage mais elle pouvait vouloir signifier qu’il était libre d’être autre chose qu’un pourvoyeur de deniers, qu’il avait lui aussi le droit de faire ce qu’il voulait, mais dans le respect de la morale et des bonnes mœurs. Cela a pu échapper au psychiatre qu’il est, mais comme nous le savons ce sont les cordonniers les plus mal chaussés. Après la surprise, les questions viennent et avec elles l’humiliation, la certitude de s’être trompé bien avant de l’avoir été, la déconvenue, la prise de conscience de l’erreur, des illusions et la culpabilisation d’y avoir succombé. Que lui reste-t-il ? La vengeance dans l’imitation de la séduction, la fréquentation plus assidue du cocktail alcool-médicaments qu’il pratique déjà, une aspiration vers la solitude, facteur de joie et de bonheur ou une plongée analytico-psychiatrique dans son passé pour connaître les racines de son mal conjugal. Pourquoi pas avec Charlotte ?
Il est beaucoup question de l’amour dans ce roman. C’est, nous le savons, une chose consomptible et transitoire, mais dans ce contexte les habitudes, les illusions passées, la peur de l’avenir et de la solitude prennent le relai et on s’accommode de tout, jusqu’à faire semblant, entre compromis et compromissions. Au début on s’embarque dans le mariage avec des certitudes optimistes et qui se révèlent plus ou moins rapidement surréalistes et dont l’abandon obligatoire est d’autant difficile à accepter qu’on est bien obligé d’admettre d’en avoir été le premier responsable. Pourtant Antoine a peur du changement, des femmes, de l’avenir, il est dépendant, culpabilisé, angoissé et ne choisira pas. C’est peut-être dans sa nature mais Élisabeth, par son choix, a brisé quelque chose et cette brisure est définitive. Elle a révélé son vrai visage et le naturel est revenu au galop, même s’il a été suivi plus tard de résipiscences, de retour et de remords. Les choses s’établiront ainsi, dans l’hypocrisie et les habitudes parce que c’est aussi comme cela que vit l’espèce humaine à laquelle nous appartenons tous, et nous n’y pouvons rien.
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
-
Etienne regrette
- Par hervegautier
- Le 02/06/2019
- Dans Antoine Sénanque
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1353 – Juin 2019.
Étienne regrette – Antoine Sénanque – Grasset
Étienne Fusain, 54 ans, professeur hypocondriaque de philosophie à St Denis, a la désagréable surprise de voir graver sur son pupitre de la salle de cours « Fusain est un con ». Au vrai, c’est plutôt banal et qui n’a jamais été traité ainsi par ses semblables ? Sauf que lui le prend très mal parce que ça vient d’un de ses élèves, un anonyme qui le restera et, à force d’y réfléchir et de se torturer l’esprit, il constate finalement que la philosophie, que pourtant il enseigne et qui est censée être la science de la sagesse, ne lui sert à rien. Il ne peut s’en ouvrir à ses collègues parce qu’aucun n’est vraiment un ami digne de cette confidence et côté famille ce n’est guère mieux. Pourtant, avec le temps qui guérit tout, ce genre d’affront intime s’effacera après une parenthèse dans son quotidien convenu et ordinaire.
Son quotidien, et d’ailleurs celui de son ami d’enfance, Denis Larbeau, célibataire, plus épicurien que lui, médecin légiste et écrivain manqué (ce détail revient dans les deux romans que j’ai lus de cet auteur et d’ailleurs beaucoup de personnages plus furtifs, ont cette caractéristique), est bien morne alors pourquoi faire une fixation sur ce graffiti. Au vrai, c’est une insulte banale, sans recherche, et celui qui en est l’auteur manque cruellement d’imagination et d’originalité, pourtant c’est un signal que Fusain attendait depuis longtemps, sans même le savoir, pour changer de vie, une vie trop tranquille et insipide, faite de beaucoup de routine, de renoncements, de regrets. Il quitte donc sa femme, se fait porter pâle au collège… pour aller vivre chez Larbeau. Finalement il reste 43 jours absent de son domicile puis retrouve sa femme et ses secrets à elle aussi et bien entendu, il garde les siens. A bien y regarder, ce personnage est plus intéressant qu’il y paraît. Apparemment il a la famille en horreur, la sienne d’abord (il n’a apparemment avec sa femme et sa fille que des liens très distendus) et avec sa belle-famille c’est encore pire ( je ne sais pas qui a qualifié de « beau » ce lien juridique rarement affectif avec des gens avec qui on n’a souvent rien à voir). Il est capable de tomber amoureux d’une silhouette furtive de femme et de tout remettre en question pour Lily, une amourette d’adolescence non oubliée et retrouvée un peu par hasard, il attache à l’amitié et spécialement celle qui prend ses racines dans la jeunesse, une valeur qui dépasse le temps et l’efface peut-être… Au fil des pages il est devenu un personnage attachant.
Il est beaucoup question de mort et de suicide, mais sur un mode léger. Pour la mort c’est normal, nous sommes tous mortels et c’est présenté comme la fin normale de la vie. Il en parle sans plus de fioriture et hors des fantasmes et des peurs habituels, comme une fatalité incontournable mais pas larmoyante, sans regret pas vraiment heureuse mais en tout cas pas malheureuse. L’auteur s’en sert même d’une certaine façon pour arranger les choses de cette fiction à travers les propos de son ami Larbeau dont le métier de légiste la lui fait côtoyer. Pour le suicide c’est autre chose, c’est une décision qui en principe bouleverse le cours des choses et qui pose une multitude de questions, pour son auteur et pour ceux qui restent… Au cas particulier de Fusain on subodore un traumatisme trop présent et qui pourrit son quotidien.
L’auteur fait honneur à sa qualité de médecin, à son érudition et enveloppe tout cela dans un style enlevé, plein d’un humour subtil et pertinent ; cela justifie de nombreuses diversions qu’apparemment il affectionne. Dans ces courts chapitres j’ai ressenti une sorte de solitude individuelle de chacun des acteurs de ce roman, une sorte de malaise qui leur colle à la peau, mais que l’amitié et peut-être aussi cet intermède amoureux, parviennent cependant à cautériser.
C’est le deuxième roman que je lis de cet auteur et si le premier (« Salut Marie ») m’avait laissé une impression plutôt insipide, celui-là, au contraire m’a paru plein d’intérêt. Je crois même que je l’ai apprécié nonobstant la fin, un peu trop en forme de « happy end » mais finalement pas si invraisemblable que cela. Ce fut pour moi un bon moment de lecture. Quant aux regrets d’Étienne je les imagine...
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com
-
Salut Marie
- Par hervegautier
- Le 31/05/2019
- Dans Antoine Sénanque
- 0 commentaire
La Feuille Volante n° 1352 – Mai 2019.
Salut Marie – Antoine Sénanque – Grasset
A lire le titre et la 4° de couverture, on a le choix entre le début d’une prière classique mais revisitée sur le mode osé et des salutations adressées à une femme. Pierre Mourange, vétérinaire de son état, veuf, 51 ans, hypocondriaque, écrivain manqué, catholique non pratiquant, a vu la Vierge lui apparaître, silencieuse, le 1° avril 2008 et même si la date ne fait pas très sérieux, il y croit mais cela l'inquiète. Il y a des précédents et, en principe, ensuite, on entre dans les ordres ce qu’il ne semble pas avoir envie de faire. Il s’en tirera avec un pèlerinage à Lourdes, à cause de son apparition sans doute, mais après une réflexion un peu lente et fumeuse sur la religion qu’il ne pratique pas, sur Dieu, sur l’au-delà... Du coup des questions l'assaillent. Pourquoi lui? Est-ce une hallucination? Qu'est ce que cela signifie? Ne ce serait pas plutôt mauvais signe, genre peur de la mort pour lui ou rappelle de celle de son épouse et de l’amour qu’il lui portait… La conversation avec un prêtre et la fréquentation de psychiatres ne sont n'est pas vraiment de nature à le rassurer, pas plus que les examens médicaux, ou alors cela traduit-il simplement son besoin d’une femme. Lui, qui était plutôt solitaire depuis dix ans et la disparition de son épouse, devient d’un coup, pour toutes les grenouilles de bénitier de la paroisse, un véritable faiseur de miracles et un intercesseur. Puis, on s’égare un peu dans sa vie familiale et sentimentale d’ailleurs plutôt tristes et on revient à ses apparitions, parce qu’il y en a une autre, à l’occasion d’une rencontre avec Mariette, un diminutif de Marie, une veuve convertie aux médecines douces, aux soins palliatifs pour animaux et à la recherche spirituelle et qui ne lui est pas indifférente. Mine de rien, s’insère dans sa vie. Il n’en faut pas plus pour semer le doute dans son esprit !
Cette apparition embarrasse l’Église qui l’accueille avec scepticisme comme jadis elle les recherchait activement, et cela fait naître plus de doutes que de certitudes. Tout au plus y voit-elle une occasion de prosélytisme en invitant Pierre a plus d’humilité, de culpabilité et surtout à davantage de pratique religieuse en lui rappelant les dogmes, les mystères, les évidences qui ne le sont pas pour lui, pauvre mécréant. L’auteur en profite pour glisser quelques remarques de bon sens au sujet de cette religion qui ne peuvent pas ne pas avoir au moins effleuré tous ceux qui n’en sont pas des inconditionnels et personnellement je trouve cela plutôt bien.
Au début, cela menaçait d’être intéressant dans une période où les apparitions divines sont de plus en plus rares, que les églises se vident et que la hiérarchie catholique est quelque peu bousculée et que, dans d'autres religions, dieu se manifeste davantage, même si ce message inspire autour de lui meurtres et dévastations. Au lieu de cela le lecteur est plongé dans la vie familiale et sentimentale pas vraiment passionnante du narrateur, est amené à connaître pas mal de digressions loufoques que j’ai eu du mal à rapprocher du thème de ce roman, il est informé de ses états d’âme, de son évolution intérieure. Quant aux apparitions, on peut toujours y voir une occasion de réflexion même si la mort, le deuil, la dépression, l’envie de spiritualité, les relations familiales difficiles, sont aussi suscités.
Ça tient sans doute à moi qui n’ai sans doute pas compris grand-chose peut-être parce que quand je lis un roman qui évoque cette religion, j’ai tendance à vouloir passer à autre chose mais le livre a bien souvent failli me tomber des mains. J’en ai poursuivi la lecture je me demande encore pourquoi. Pourtant cela se lit bien, le style est fluide, un tantinet caustique avec pas mal d’humour. Par les temps qui courent il vaut mieux rire de tout ! Ce qui finalement m’a plu le plus dans ce roman, c’est l’exergue « A Quinila, parce qu’elle est bien jolie ». Les écrivains devraient toujours dédier leur roman à une jolie femme !
©Hervé Gautier.http://hervegautier.e-monsite.com