Guy Boley
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Quand Dieu boxait en amateur
- Par hervegautier
- Le 21/03/2019
- Dans Guy Boley
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La Feuille Volante n° 1309
Quand Dieu boxait en amateur – Guy Boley – Bernard Grasset.
C'est souvent le cas pour un écrivain, le décès d'un proche est, par l'émotion qu'il suscite, par la naissance du besoin qu'il y a de mettre des mots sur le parcours de celui que la vie vient d'abandonner, par la nécessité d'être le complice de la trace que malgré lui il laissera, l'occasion de confier à la feuille blanche une somme de souvenirs diffus et confus au début, mais qui, avec le temps, s'organisent presque d'eux-mêmes. C'est en tout cas une action contre l'oubli qui est le propre de l'espèce humaine. Cet hommage de la mémoire se porte ici, pour l'auteur, sur son père, René Boley. C'est souvent une figure tutélaire, un exemple pour un fils qui, après un parcours cahoteux et surtout protéiforme, devient romancier et choisit de relater tout ce que son existence et parfois celle des autres lui ont apporté de richesses intérieures et d'échecs. C'est, dans l'Est rural de la France, la jeunesse de cet homme qui est d'abord évoquée, une vie d'orphelin, avec une mère pauvre et revêche, qu'un précoce veuvage a rendu acariâtre et méchante, pour qui le travail seul compte et qui se méfie des livres. C'est un garçon qui n'a pas pu faire d'études, mais qui est pourtant amoureux des mots et des livres et qui est vite confronté au travail manuel et à la boxe, pour l'endurcir et le préparer aux futurs épreuves de l'existence.
Comme cela arrive souvent, René rencontre Pierrot, aussi timide, malingre et intellectuel qu'il est fort et bricoleur, une authentique amitié que les livres souderont. Pour Pierre ce sera la Bible en passant par toutes les mythologies, alors que René aura une fasciation pour les mots inusités et rares du Dictionnaire Larousse ! L'un deviendra forgeron et l'autre prêtre ! L'âge adulte les réunira mais pas la religion qui sera toute la vie de Pierrot que son ami, même s'il continue à le tutoyer, ne pourra plus nommer désormais que « Père Abbé », à cause de la fonction, de la soutane ou de je ne sais quelle raison ! René pratiquera la boxe au point de devenir champion de France dans la catégorie amateur mais ne goûtera du catholicisme ni les rites ni les pompes, découvrira l 'opérette mais surtout le théâtre, ce qui couronnera cette histoire d'amitié et donnera tout son sens à ce titre de roman quelque peu abscons. Le temps passe et les temps changent et même si René n'entend rien au christianisme, c'est pourtant Pierrot qui va lui offrir un rôle de vedette, une sorte de carrière de comédien local, certes amateur, quand, jusque là, on ne lui avait offert que des rôles obscurs ou de figuration. Mais le personnage qu'il doit incarner ne souffre pas la médiocrité et sa force physique, sa beauté, sa notoriété de boxeur ne sauraient tenir lieu de talent. Être bon sur un ring ou dans une forge n'implique pas de l'être sur les planches ! A force de travail, de répétitions, il finira par habiter le personnage, par littéralement l'incarner.
Jusqu'à ce moment du roman, fortement inspiré par la biographie de cet homme, j'avais trouvé les choses intéressantes, non seulement par son parcours mais aussi par la façon qu'à l'auteur de le raconter. Il y a les épreuves, les résiliences, les déchéances, les abandons, les démissions, rien que de très normal après tout puisque, contrairement à ce qu'on nous dit, cette vie n'est pas si belle, Il faut que chacun se réalise, tente sa chance, fasse son parcours, comme on dit et les enfants qu'on a ne sont pas destinés à nous appartenir. J'ai eu le sentiment que l'auteur a écrit ce roman non comme un acte de mémoire comme il semble vouloir le dire au début, mais comme un véritable acte de contrition laïc et surtout éminemment personnel, s'excusant face au vide du néant où vont tous les morts, de tout ce qu'il n'avait pas su faire ou su dire du vivant de ce père, de tout ce qu'il a pu faire contre lui. On ressemble toujours à quelqu'un, à un géniteur proche ou à un lointain ancêtre, la roulette de la génétique a des initiatives parfois étonnantes ! J'ai fini par me dire que l'auteur, en choisissant de rendre hommage à son père, voulait finalement parler de lui, de sa lente descente vers l'alcool, expliquant que la déchéance de René, pas forcément due uniquement à l'âge, était un peu la sienne, comme s'il se livrait ici à une confession intime à l'absolution hasardeuse. L'écriture a-t-elle ce pouvoir ? Je n'en suis pas bien sûr et même si Guy Bolet puise dans cette histoire finalement authentiquement émouvante la matière d'un roman, s'il souhaite exorciser avec les mots si fascinants pour René des erreurs, des douleurs et des malheurs, c'est aussi un peu pour lui qu'il le fait
C'est écrit dans un style spontané, presque populaire, avec cependant des moments émouvants et même poétiques, surtout dans ses évocations et descriptions, avec un sens de la formule où se mêlent, l'air de rien, l'humour, le dérisoire, la sensibilité, l'irrévérence et la tendresse, une façon d'écrire qui à la fois fascine par son côté simple et impertinent, mais qu'on a tendance à rejeter parce que, instinctivement, et sans peut être se l'avouer ni savoir pourquoi, on attend autre chose d'un écrivain.
C'est le hasard d'une bibliothèque qui m'a fait connaître cet auteur. Alors, pour les mots, pour les images, pour le ton et la démarche d'écriture, oui, j'ai bien aimé ce livre.
©Hervé GAUTIER – Janvier 2019.http://hervegautier.e-monsite.com
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Fils du feu
- Par hervegautier
- Le 21/03/2019
- Dans Guy Boley
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La Feuille Volante n° 1336 – Mars2019
Fils du feu – Guy Bolet – Grasset.
J'ai fait connaissance avec cet auteur un peu par hasard, à l'occasion de la lecture de son roman « Quand Dieu boxait en amateur » (La Feuille Volante n° 1309). J'avais trouvé cela fort bien et j'avais eu envie de faire un bout de chemin avec lui.
Ici aussi, il refait le chemin de la mémoire. Il parle de son enfance du côté de Besançon, dans les années 1950 auprès de ses parents, un père forgeron (d'où le titre), une mère lavandière mais aussi de Jacky, l'ouvrier de la forge, de sa grand-mère, grande tueuse de grenouilles devant l’Éternel, des voisins, M. Lucien époux de Fernande, et Marguerite-des-oiseaux surnommée mystérieusement ainsi malgré son « cul de jument comtoise ». Il a grandi au milieu de l'odeur de la lessive, des senteurs d'eau de toilette de Lucien, des flammes de l'atelier et de la fumée blanche des locomotives parce leur maison jouxtait le dépôt. Une vie entre l'univers des hommes et le monde des femmes. Il nous confie ses craintes des cours de récréation face aux plus grands, son habitude de se réfugier dans les latrines malodorantes, mais c'est aussi dans ce lieu insane qu'il prend conscience des choses de ce monde, de la réalité du ventre des femmes sur lequel, enfant, il fantasme un peu, y voit l'origine du monde (on songe ici au tableau de Courbet, mais avec plus de pudeur, de retenue à cause de son âge). Nous sortons tous du ventre d'une femme, lui comme son petit frère qui, quelques années après sa naissance, a été happé par la mort, ce qui a non seulement bouleversé cette famille mais a donné à chacun une idée précise de ce que sont l'absence, le vide, l'injustice, l'abandon, tout ce qui rend les vivants fous et les morts trop présents. Personne, et surtout pas les prêtres au discours surréaliste fait de concepts aussi fumeux que le ciel, la vie éternelle, la résurrection des morts, ne pourra jamais apaiser le chagrin né de la mort d'un enfant. Ils ne seront jamais convaincants sur ce point ; on ne met pas un enfant au monde pour aller à son enterrement, face à cela, l'amour supposé de Dieu pour les hommes passe pour une cruelle billevesée et l'enfer prend soudain une réalité bien terrestre. Cette mort rappelle celle du fils de Marguerite. Elle est tellement dans le déni qu'elle l'attend toujours pour déjeuner, une assiette à la main, bien des années après sa disparition. Mais voilà, le temps continue sa course, indifférent à la douleur des hommes, censé seulement l'aplanir, l'apaiser, mais cela n'est qu'une fiction ridicule qu'on habille de mots lénifiants et d'apparences trompeuses. Il n'y a que la mort de ceux qui les ressentent pour éteindre cette douleur et ce deuil qui dès lors fait partie de leur vie, jusqu'à la fin.
Le progrès s'installe, qu'on a baptisé plus tard du nom des « Trente glorieuses », la forge s'est éteinte, le père est devenu représentant de commerce, la mère et la grand-mère se sont fondues dans une sorte de religiosité ridicule, faite de prières, de visites au cimetière avec fleurs et bondieuseries, et lui, le narrateur, a fini par enfiler une armure et revêtir un masque, c'est à dire adopter le mensonge et l'hypocrisie qui est une manière de supporter la vie, de l'exorciser.
Une telle mort détruit une famille plus sûrement qu'elle ne la soude à cause de la culpabilité judéo-chrétienne qui vous pourrit la vie autant que cette volonté bien humaine de tout détruire autour de soi, peut-être pour conjurer quelque faute antérieure. Il s'ensuit une fuite en avant ou un repli sur soi-même pour tenter d'oublier, une valse-hésitation fait d'engagements et de renoncements sans aucune raison, mais tout cela est vain. Sa mère s'enfonce dans le déni en mimant artificiellement la vie évanouie à jamais mais entretenue par elle, ce qui, vu de l'extérieur, prend toutes les apparences de la folie. La psychiatrie, autre réponse proposée face à cette détresse, sera tout aussi inefficace. Elle se met à vivre de l'autre côté du miroir, dans un mode virtuel, tricoté pour elle et par elle et qui finalement lui convient. Cette bizarre propension à recréer un espace parallèle où s'entrechoque réalité et imaginaire, s'étend à ce fils bien vivant, le narrateur, mais qui par les hasards de la vie n'aura jamais de descendance. Il peint parce que sa sensibilité se manifeste ainsi faute sans doute de pouvoir s'extérioriser autrement, et, malgré lui ces thèmes de la mort, de la folie et de l'enfance reviennent sous son pinceau comme une obsession qui jamais ne pourra se révéler pleinement mais l’obsédera jusqu'à sa mort. Il en va de même de l'écriture qui, parce qu'elle résulte d'une alchimie intérieure, est souvent une tentative avortée, un exorcisme manqué, éternellement recommencé mais qui parfois, et peut-être bizarrement, atteint son but...
Je n'ai pas été déçu par ce deuxième roman lu avec passion et émotion. J'ai bien aimé cette plongée proustienne dans le temps et la façon qu'a cet auteur de nous la faire partager. J'ai apprécié la prolixité de ce discours souvent révolté, parfois poétique mais toujours authentique. Je crois que je serai attentif à son parcours.
©H.L.