Olivier Dorchamps
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Ceux que je suis
- Par hervegautier
- Le 19/10/2023
- Dans Olivier Dorchamps
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N°1783– Octobre 2023
Ceux que je suis – Olivier Dorchamps – Pocket.
Tarek, garagiste maroquin à Clichy depuis longtemps vient de mourir . Comme il voulait être enterré à Casablanca, c’est un de ses fils, Marwan, le narrateur, professeur agrégé d’histoire-géo, parfaitement intégré en France, qui a été désigné pour accompagner le cercueil avec Kabic, l’ami du défunt. La réussite de cette famille dont le père est artisan-garagiste et la mère parle à peine le français, ce sont Marwan, professeur, Ali avocat et Foued, étudiant, trois enfants d’émigrés qui ont réussi dans une culture différente de celle de leurs parents, une manifestation de la pertinence de « l’ascenseur social » pourtant bien souvent en panne. Dans le même temps, Marwan a dû faire face au départ de sa copine Capucine, mais au vrai, ils n’avaient pas grand-chose en commun.
En allant au Maroc, Marwan qui a grandi en France, qui est Français mais ni musulman ni pratiquant, va aller au devant de sa parentèle inconnue restée au pays, de l’histoire familiale, des traditions musulmanes et religieuses face au deuil, du sort qui pèse traditionnellement en Afrique du nord sur le destin des filles pauvres. Ses parents étaient venus en France pour une nouvelle vie et pour nourrir la famille restée au bled . A travers des photos jaunies il va apprendre à connaître un peu malgré lui les secrets et les non-dits que cette famille garde enfermés dans sa mémoire intime en maudissant la cruauté de la réalité et la fatalité qui gouverne tout. Il va apprendre ce que les circonstances obligent à faire ponctuellement et qui polluent toute une vie, un peu comme des plaies qui suppurent de honte et de désespoir, des blessures qu’on cache mais qui se transmettent de génération en génération comme les ressemblances physiques, ce qui remet en question l’image des siens qu’on avait lentement tressée, l’hypocrisie qui bouscule la réalité, les secrets qu’on entretient sur le vécu des uns et l’abnégation des autres, les révélations qui écorchent aussi les grands principes humanistes si longtemps proclamés par le colonisateur français qui ne sont qu’une vitrine face aux intérêts des plus riches et qui mettent à mal la réalité de ce message. De tout cela aussi Marwan est l’héritier.
Le titre, à travers un jeu de mots phonétique, indique tous ce que chacun d’entre nous doit à ses parents, à ses ancêtres. Ici prendre l’exemple d’un foyer maghrébine venu s’installer en France et dont les enfants honorent à la fois leur famille et le pays qui les a accueilli est révélateur surtout à une époque où un tel contexte se décline souvent en incompréhensions et violences.
Ça aurait pu être un roman classique sur l’intégration des migrants. C’est un récit émouvant et poétique qui commence par un deuil se termine avec des relents de « happy end » quelque peu idylliques ou chacun retrouve sa place après cette saga longue et douloureuse.
Certes l’’auteur a lui aussi une double culture, britannique et française mais on peut s’étonner qu’il ait choisi de mettre ses personnages fictifs dans un cadre aussi difficile que celui d’une famille maghrébine transplantée en France, et qu’il l’ait fait avec autant de justesse et d’émotion.
Je me suis laissé embarqué dans cette histoire, j’ai aimé ce premier roman, peut-être davantage que le suivant « Fuir d’Eden » pourtant primé.
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Fuir l'Eden
- Par hervegautier
- Le 13/11/2022
- Dans Olivier Dorchamps
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N°1692 – Novembre 2022
Fuir l’Éden – Olivier Dorchamps – Finitude.
L’Éden-Tower est vraiment très mal nommée. C’est un type d’immeuble caractéristique des années 50/70 construit en béton, représentatif du style « Brutaliste » que viennent photographier les touristes et les spécialistes de l’architecture moderne dans cette banlieue cosmopolite de Londres, près d’une gare. C’est une sorte de monument historique si mal entretenu que rien n’y fonctionne correctement. C’est là que vit Adam, dix-sept ans, avec son père, un ouvrier écossais alcoolique et violent, appelé« l’autre », et sa petite sœur Lauren. La mère est déjà partie sous d’autres cieux avec un autre homme, abandonnant tout ce petit monde à sa misère et les deux enfants ne veulent qu’une chose, quitter cet enfer pour retrouver leur mère. Adam ne veut pas devenir dealer, ni violent non plus, comme c’est le quotidien des jeunes ici. Il s’attache à être pour sa petite sœur une sorte de mère de substitution, un rempart contre ce père indigne. Il travaille au supermarché du coin pour un salaire de misère, traîne avec ses copains, Ben, un somalien adepte du Street Art et Pav un Polonais. Il n’a jamais vraiment quitté son quartier, rêve de voir la mer et passe son temps a réfréner comme il peut son surplus de testostérone. Adam croise sur un quai de gare le regard d’Eva et ses intentions supposées suicidaires. Son sac à main qu’elle lui a bizarrement abandonné lui permet de retrouver son adresse puisqu’il en est tombé passionnément amoureux. Un peu par hasard, il se retrouve le lecteur improbable d’une vieille professeure de faculté aveugle qui peu à peu lui redonne confiance en lui et l’éveille à la littérature. Sa rencontre furtive avec Eva lui révèle que l’amour est aveugle, qu’elle est sans doute inaccessible, que c’est une fille riche qui vit dans un autre quartier plus huppé, au-delà de la voie ferrée qui sert de frontière à son quartier pouilleux, mais qui s’intéresse quand même à lui. Quand il prend enfin conscience de ce qu’il s’est réellement passé lors de leur rencontre à la gare et qu’on ne peut pas revenir en arrière, lui qui n’a jamais eu de chance fait face aux circonstances et fait un choix difficile mais courageux qui hypothèque tous ses espoirs. Ainsi, sans qu’il le sache, la silhouette d’Eva s’estompe et disparaît définitivement alors que cette jeune fille aurait pu lui permettre de fuir définitivement son destin de garçon malmené par la vie : une façon d’illustrer l’impossible amour de deux êtres que tout oppose et la certitude qu’on échappe rarement à son milieu. Une sorte de roman social à la Ken Loach qui se déroule sur huit ans, une autre facette de ce XXI° triomphant.
Le livre refermé me laisse une impression forte et surtout juste. Je n’ai pas vraiment aimé le style pourtant en vogue actuellement et bien dans le style du roman, en revanche j’ai apprécié cette histoire écrite à la première personne par Adam comme un témoignage teinté de désespoir et de déchirements. C’est un garçon bien, plein de bonne volonté et de générosité pour sa famille mais il ne pourra pas échapper à son destin. L’amour impossible, la poisse qui le poursuit et l’ambiance malsaine dans laquelle vit Adam le rendent sympathique et j’ai eu pour lui plus que de l’empathie puisque cet amour fou qui aurait pu l’aider à se sortir de cet enfer se dérobe à lui. Ce roman me paraît illustrer ce qu’est notre société actuellement, caractérisée par un « ascenseur social » dont on nous parle à l’envi, mais qui ne fonctionne pas comme il le devrait. Adam quittera certes l’enfer de l’Eden mais, tiraillé entre l’espoir et l’angoisse, restera malgré tout dans sa condition modeste, avec la fatalité qui pèse sur lui et qui sans doute ne le lâchera pas.