la feuille volante

Jean COLOMBIER

  • LES FRÈRES ROMANCE - Jean COLOMBIER

     

     

     

    Juin 1991

    n° 65

     

    LES FRÈRES ROMANCE – Jean COLOMBIER - Éditions Calman-Lévy.

     

    Tout commence par un défi ridicule, une course de poids lourds sur une nationale pour prouver, ou se prouver, qu'on est le plus fort... Les choses s'enchaînent, s'aggravent, comme une sorte de vendetta au terme de laquelle il faut monter qu'on est un homme simplement parce qu'on ne laisse pas un affront impuni. Ce qui n'était qu'un jeu devient un drame, la justice s'en mêle, avec, au bout du compte, le tribunal et la prison à cause d'un mauvais coup.

     

    Je dois dire que je n'ai pas, dès l'abord, accroché à ce texte qui pourtant ne ménageait pas les descriptions poétiques et évocatrices d'un terroir agréable. Pourtant, les personnages se sont imposés peu à peu... Les deux frères Romance, qu'on disait inséparables, et qui n'avaient l'un pour l'autre aucun secret, malgré leur différence d'âge, sont une manière de jumeaux dont la complicité est exacerbée par la disparition précoce de leurs parents. L'aîné, Alain, après avoir espéré autre chose, se retrouve marié et transporteur chez son beau-père. Sa femme qui ne fait partie de sa vie que d'une manière épisodique, attend une maternité qui ne vient pas. Julien, élevé par Clairon, leur grand-père, c'est celui qui a réussi et dont l'avenir est plein de promesses, une brillante carrière d'ingénieur... C'est pourtant lui que la justice condamne pour avoir voulu venger son frère aîné, cet Alain, dont la lâcheté éclate un soir sur un parking, entre routiers.

     

    L'incarcération de Julien sera, pendant dix huit mois, avec la complicité de tout un village du Limousin, cachée à Clairon, qui n'aurait pas supportée cette épreuve. Un hypothétique stage aux États-Unis servira d'alibi... Et pourtant, la complicité qu'on suppose entre les deux frères, se dégrade, se lézarde, avec l'apparition de Louise, l'amie inconnue de Julien qui, bien entendu, finit par devenir la maîtresse d'Alain, autre lâcheté, d'autant plus grande de cette liaison se déroule pendant l'incarcération du frère. Elle creuse encore plus profondément le fossé qui sépare les deux hommes.

     

    Ce roman m'apparaît être celui de la trahison où chacun rencontre son propre personnage, celui qui sommeille en lui et contre qui il n'a pas envie de se battre. Alain révèle la solitude du routier, une solitude qu'il redoute, mais dans laquelle il se complaît, parce qu'il avait vu sa vie autrement et que celle-ci l'entraîne dans une décision presque maladive autant que dans un tourbillon dans lequel il se sent mal. Il finit par s'y couler comme dans une peau trop étroite. Au tribunal, le témoignage d'Alain aurait pu sauver son frère, mais il garde le silence sur l'humiliation qu'il a subie et que Julien a voulu venger. Le silence puisé soit dans l'ignorance de la vérité, soit dans la volonté de ne pas révéler les faits tels qu'ils se sont passés restera pesant jusqu'à la fin.

     

    La vie d'Alain est peuplée de fantasmes qu'il cherche à apprivoiser par la fréquentation de la mort, comme si les absoutes qu'il recherche pouvaient remplacer celle de ses parents trop tôt disparus. Cette idée de la mort est trop présente pour ne pas éclater à la fin, dans le fracas d'un accident et la dislocation du corps de Louise... Un suicide libérateur. La vie continuera, mais ce drame ne pourra être happé par l'oubli.

     

    J'ai lu dans ce livre une étude de caractères fort bien menée, surtout celui d'Alain qui aurait pu jouer le rôle du père pour son frère mais que les évènements révèlent comme quelqu'un qui fuit les responsabilités, celui qui trahit et qui se retrouve seul... à cause de lui. Il ne suffit pas de dominer la route du haut d'un " quarante tonnes " pour être maître de sa vie. On ne peut être longtemps son propre illusionniste.

     

    Je l'ai dit, je n'ai pas, d'emblée, été conquis par ce texte. J'ai continué cependant, peut-être conduit dans ma lecture par le fil ténu de l'intérêt. Je n'ai pas été déçu.

     

    © Hervé GAUTIER.- Juin 1991.