Créer un site internet
la feuille volante

Rosa Montero

  • L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir

    La Feuille Volante n° 1216

    L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir Rosa Montero - Métailié.

    Traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse.

     

    Les voies de la création littéraire sont bien étranges. Il est déjà difficile d'explorer celles de l'inspiration, mais que dire de l'occasion de présenter l’œuvre d'un autre, ce qui vous entraîne dans d'autres contrées de l'esprit…. Ici, l'auteure, Rosa Montero, Journaliste espagnole à « El Pais » mais surtout romancière reconnue, couronnée par des prix prestigieux, s'est vue sollicitée pour écrire, avant sa publication, la préface du journal que Marie Curie, deux fois Prix Nobel (de physique en 1903 et de chimie en 1911) a tenu après la mort de son époux Pierre, écrasé à 47 ans par une charrette. Au départ, ce n'était qu'un simple texte introductif à cet ouvrage que Rosa Montero a accepté de rédiger pour inviter le lecteur à découvrir cette femme extraordinaire, mais elle ne se doutait probablement pas où ces quelques pages allaient l’entraîner. La connaissance de la vie de Marie Curie l'a conduite non seulement à évoquer son histoire mais surtout à se l'approprier d'une manière originale, puisque les hasards de sa vie à elle l’entraînèrent dans un tourbillon de mots dans lequel elle allait se retrouver et construire, petit à petit et sans peut-être s'en rendre compte au début, son propre livre autour du souvenir de Pablo, l'homme qu'elle a aimé pendant 21 ans et qui venait de mourir. C'est, à tout le moins ce que j'avais entendu à propos de ce livre et cette démarche me semblait intéressante. Le titre était une sorte d'invitation et cette idée ne me semblait pas à moi particulièrement « ridicule ». La douleur, nous le savons, est un moteur de la création artistique et en particulier de l'écriture. Elle est souvent considérée comme une catharsis mais le solipsisme de l’écrivain vient ici brouiller un peu cette piste puisque que, m'a-t-il semblé, l'hommage qu'elle voulait rendre à cet homme qui fut son compagnon, son mari, son complice… me paraît passer rapidement au second plan. La mort est aussi pour nous pauvres humains qui sommes assujettis au transitoire et au temporaire, quelque chose de révoltant, surtout quand elle fauche un de nos proches.

    Ce qu'a écrit Marie Curie ressemble à un journal intime d'une vingtaine de pages, non destiné à la publication, une sorte de lettre posthume adressée à Pierre, mais ne fut pas détruit par ses soins. Rosa Montero en cite de nombreux passages. Ce qu'elle écrit n'est pas une biographie au sens strict, comme d'autres l'ont fait, mais une évocation de la vie de Marie, de ses expériences réalisées dans des conditions précaires et d'une manière parfaitement désintéressée (Les Curie ne déposèrent jamais de brevet), pour le bien de l'humanité. L'auteure croise cela avec son expérience personnelle, y ajoute différentes références littéraires, des anecdotes historiques de femmes et même des digressions sur la mort et les morts, l'amour, l'enfance, le deuil, la condition des femmes, la faiblesse des hommes, les coïncidences qu'elle veut significatives et qui ont pu intervenir dans la vie des Curie comme dans la sienne. Elle en profite pour parler d'elle, de sa manière d'écrire, des recherches documentaires qu'elle a pu faire pour écrire ses romans, fait des parallèles entre Marie Curie et elle... Puis elle revient à son sujet, parle à nouveau de Pierre, cite parfois leur correspondance commune, évoque leur rencontre, leurs amours et bien entendu sa mort accidentelle précédée d'une grande fatigue due à ses travaux, de l'inutile culpabilité judéo-chrétienne de Marie… Elle mentionne leur griserie et leur fierté légitime devant leur découverte mais aussi leur inconscience face à la nocivité du radium, puis la folle passion qui s'empara de Marie pour Paul Langevin, quatre ans après la mort de Pierre, le rejet public dont elle fut l'objet malgré ce qu'elle avait apporté au monde, son attitude humanitaire pendant la guerre de 1914 ... Son journal intime n'existe plus à ce moment-là mais des lettres passionnées qu'elle échangea avec son amant prennent sa place et avec elles témoignent d'un amour de la vie..

     

    Avant d'ouvrir ce livre j'avais cru comprendre que l'auteure souhaitait faire un parallèle entre la mort de Pierre Curie et celle de Pablo et confier au lecteur ce que cette absence lui inspirait. C'était un champ de réflexions qui pouvait être intéressant, notamment dans le domaine de l'apprivoisement de la douleur, sur le pouvoir de l'écriture en matière d'exorcisme... A la fin du livre il est mentionné de la part d'un de ses amis « Dans ce livre, il y a Marie et Pierre. Et d'autre part il y a toi. Mais Pablo n'y est pas » ; Je souscris à cette analyse, je n'ai pas noté grand-chose sur Pablo et je me suis souvenu de la fameuse tendance au solipsisme de la part de l'auteure. De ce point de vue, je suis resté sur ma faim et ses arguments pour contrer cette remarque ne m'ont pas convaincu. Je m'attendais simplement à autre chose. Le style m'a paru agréable à lire mais je me suis demandé ce que tous ces # apportaient au texte pourtant bien documenté.

    © Hervé GAUTIER – Février 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]