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la feuille volante

Amy Belding Brown

  • L'envol du moineau

    La Feuille Volante n° 1334 – Mai 2019

    L'envol du moineauAmy Belding Brown – Cherche midi éditeur.

    Traduit de l'anglais par Cindy Colin Kapen.

     

    Tout d'abord je remercie Babelio et les éditions du Cherche midi de m'avoir fait parvenir ce roman.

    Ce livre est la véritable histoire, certes romancée, de Mary Rowlandson, cette anglaise, mère de trois enfants élevés selon les préceptes de la Bible, épouse pieuse et loyale qui a vécu sur la côte est de ce qui n'était pas encore les États-Unis, en 1672. Cette contrée est en guerre contre les indiens qui défendent leur territoire, c'est donc dans une atmosphère de conflit sanglant que ce déroule cette fiction. Avec l'hiver, les indiens massacrent cette communauté et Mary est capturée, a la vie sauve, mais est néanmoins transformée en esclave, tout comme le sont les noirs qui servent sa communauté, ce qui pour elle inverse brutalement les rôles. Elle ne peut y voir que la volonté de Dieu en qui elle met son espoir de libération, avec la prière et la soumission à sa volonté. Pourtant elle est secourue par une famille indienne dont elle est la servante et qui se révèle alternativement bienveillante et brutale avec elle, et elle doit supporter l'humeur changeante de sa maîtresse. Elle marche avec ses ravisseurs à travers une nature hostile et glacée, travaille comme une bête de somme ou reste parfois oisive, mais jamais sans surveillance, comme une prisonnière qu'elle est. Souvent elle craint la mort, redoute le viol mais Mary, même esclave, sera respectée dans son intégrité physique et maintenue en vie alors que d'autres anglais sont massacrés. Pourtant elle adopte facilement le mode de vie de ces « sauvages » même si, au regard de sa foi, c'est un péché. L'instinct de survie de cette femme est exceptionnel, tout comme sa volonté de recouvrer sa liberté originelle, de retrouver ses enfants et son mari, avec il est vrai , une bonne dose de chance. Elle doit en effet sa survivance au fait qu'elle est l'épouse du pasteur, qu'elle a les cheveux roux, ce qui plaît bien aux Indiens, qu'elle est probablement belle et surtout qu'elle sait coudre des vêtements et tricoter des bas. Son attachement à la vie est humain comme l'est aussi le chagrin dû à la perte de sa fille, le sentiment d'abandon et d'injustice qu'elle ressent mais elle garde foi en Dieu. Elle fait preuve d'un grand sens de l'adaptation, apprend même leur langue, correspond avec eux, certains d'entre eux parlant anglais, est attentive à leurs rituels, à leur culture au point de devenir une vraie indienne, même si elle ne sera jamais vraiment acceptée au sein de cette tribu. Elle prend conscience que sa vie parmi les Indiens est plus libre et égalitaire que celle qu'elle menait dans sa communauté anglaise d'origine et, bien qu'attachée aux indiens, la réintégrera, mais à contrecœur.

    A la lumière d'une transaction un peu sordide mais finalement maîtrisée par Mary, elle s'aperçoit qu'elle n'aime pas son mari mais qu'elle lui est soumise par principe comme sa condition de femme l'exige et pour cela elle accepte de renoncer à l'amour qu'elle éprouve pour un indien. Auparavant, elle avait vécu, comme les autres femmes de la communauté sous la dépendance des hommes sans avoir voix au chapitre et les préceptes de la religion gouvernaient cette société où elle n'avait qu'un rôle mineur essentiellement consacré à la famille et au foyer. Elle s’aperçoit en effet que le christianisme est une entrave et que ses dogmes, ses rituels, ses interdits, ses mensonges élevés au rang de révélations divines génèrent une rigidité puritaine et une morale étouffante. Elle a toujours vécu sous l'autorité de son mari comme le commande le protestantisme qui est omniprésent dans la vie quotidienne de cette communauté venue d'Angleterre. L’intolérance, l'esprit culpabilité par rapport au sempiternel péché des hommes sont tels que tous les événements néfastes qui interviennent sont considérés comme des châtiments divins que la prière et le soumission à Dieu sont seules capables d'exorciser. Mary se rend compte petit à petit que le puritanisme dans lequel elle vit et qui lui est imposé est incompatible avec la vraie vie, même si elle ne peut renier ni sa foi ni sa religion.

    Tout ce roman baigne dans une sorte de mysticisme où toutes les choses de la vie de cette communauté anglaise est inspirée par la volonté de Dieu et par sa parole. Pourtant quand Mary souhaite arriver à ses fins, elle n'hésite pas à s'approprier cette croyance. Hypocrisie ou conviction ? Elle ne fait en cela qu'adopter l'attitude des autorités de la communautés qui enveloppent leurs décisions dans la volonté divine. Son mari, Joseph, fait de même quant il prétend s'occuper des affaires du Seigneur et pour cela déserte sa famille toutes les nuits ! Face à cela l'auteure ne magnifie pas pour autant la société indienne et on est loin du mythe du « bon sauvage » cher aux philosophes des Lumières mais on ne peut pas ne pas ressentir un sentiment d'injustice faite non seulement aux Indiens par les Anglais mais aussi aux femmes par cette société par trop austère. Elle s'aperçoit très vite également que sa captivité chez les indiens fait d'elle un personnage controversé, mais surtout qui suscite la jalousie de son mari qui voit ainsi son autorité diminuer, l'envie de savoir et surtout les ragots et les médisances des autres membres de sa communauté.

    L'allégorie commence avec un moineau que les enfants de Mary ont maintenu longtemps en cage et qu'ils libèrent face à la violence indienne. C'est à travers le chant et l'image de cet oiseau qu'elle se remémore sa vie passée et apprécie la fuite du temps. Elle est associée par l'auteur à l'image de la liberté que Mary n'a jamais connue ailleurs que chez les indiens. Quand ils sont vaincus et qu'elle a obtenu en secret la grâce de celui qu'elle aime au prix d'un travail d'écriture dont s'est inspirée Amy Belding Brown pour son roman, il lui est signifié qu'elle doit reprendre son rôle traditionnel d'épouse dévouée et même si sa vie se transforme par un second mariage à la suite de la mort brutale de Joseph.

    Au-delà de l'histoire passionnante et fort bien écrite, j'ai choisi de lire une sorte de roman philosophique où la vie sauvage est évoquée à travers la violence mais aussi à travers la nature, j'y ai lu une critique de l'espèce humaine capable du meilleur mais surtout du pire, une diatribe contre cette société engluée dans une religion qui complique inutilement les choses de cette vie qui l'est déjà bien assez.

    ©H.L.

     

     

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