Lydie Salvayre
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PAS PLEURER
- Par hervegautier
- Le 21/12/2014
- Dans Lydie Salvayre
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N°844 – Décembre 2014.
PAS PLEURER - Lydie Salvayre – Le Seuil – Prix Goncourt 2014.
Étonnant roman où se mêlent les voix de Georges Bernanos, écrivain catholique, royaliste, militant de l'Action française et résident temporaire aux îles Baléares au moment où éclate la Guerre civile espagnole et celle de Montse, la mère de la narratrice, âgée de 15 ans à l'époque. Bernanos, contrairement à ce qu'on pouvait attendre de lui, stigmatise avec colère les massacres aveugles perpétrés par les franquistes et dénonce le silence complice de l’Église espagnole bien plus inspirée par l'allégeance à ce pouvoir que par le message de l’Évangile. Montse, appartenant à une famille pauvre de cette Espagne ancestrale et rétrograde, gouvernée par les notables possédants et bénie par l’Église, est en réalité le personnage central de ce livre. Sa voix est claire, joyeuse et grâce à l’avènement de la République, elle découvre avec naïveté et utopie la liberté toute nouvelle et la remise en question de cette société qui va, mais pour un temps seulement, être bouleversée par la création de communes libres.
Nous sommes dans un roman et j'ai apprécié aussi que l'auteur contrebalance, parfois avec humour, l’horreur au quotidien par une histoire d'amour. Montse connaît le « grand amour » éphémère comme la guerre sait en créer mais qu'un mariage arrangé ne saurait éteindre. Elle se prête pourtant à une mésalliance par convenance sociale et familiale mais surtout pour éviter un scandale, une sorte de gâchis que seule la naissance d'un enfant réussit à transformer. J'ai choisi de voir dans cette passade et surtout dans cette naissance, même si elle est immorale, une sorte d'antidote à toute la violence qui a baigné cette époque de guerre, qui a opposé jusque dans la mort les membres d'une même famille au nom d'idéologies différentes.
Le guerre civile espagnole a été l'inspiratrice de nombreuses œuvres artistiques parce non seulement elle a été le théâtre d’atrocités de part et d'autre, parce qu'elle a servi de laboratoire à la deuxième guerre mondiale mais surtout parce qu'elle a correspondu à un espoir de liberté et de démocratie pour un peuple opprimé. Malheureusement, la dictature franquiste a interrompu brutalement et durablement cet élan. Dans ce roman j'ai lu toute cette révolte à travers le personnage de Montse.
C'est peut-être une vue de mon esprit mais j'ai lu dans ces pages des accents céliniens. Ce n'est pas seulement parce que l'auteure emploie le « frangnol », sorte de sabir que parlait sa mère à son arrivée en France et qui constitue à mes yeux la manifestation sémantique de sa révolte par la création d'un nouveau langage, un peu comme le faisait Céline usant de l'argot, mais aussi parce ces phrases sont souvent laissées en suspens, sans ponctuation (contrairement à Céline qui usait beaucoup du point d'exclamation) comme on le fait dans le langage courant en interrompant son propos pour en modérer la violence. Parfois les phrases sont d'une longueur démesurée et j'y vois là aussi la marque de cette indignation ainsi manifestée.
Il y a une galerie de portraits qui caractérise cette société composée de riches et de pauvres, ces derniers, partagés entre les idées nouvelles d'émancipation et ceux qui, malgré leur condition d'esclaves, souhaitaient n'y rien changer. José, le frère de la narratrice est convaincu par les idées nouvelles tandis que Diego, mari d'occasion de Montse mais profondément amoureux d'elle, choisit de bouleverser cet ordre social ancestral et d'endosser une paternité pour laquelle il sait être étranger. Tous les deux sont en opposition l'un avec l'autre autant qu'ils sont en rupture avec leur milieu social auquel ils souhaitent échapper. Les personnages ainsi croqués évoquent l'Espagne de cette époque troublée mais aussi l'espèce humaine dans tout ce qu'elle a de grandeur et surtout de petitesse.
Cette guerre que je n'ai pas connue m'a toujours passionné, je ne saurais dire pourquoi, peut-être à cause du mouvement général qu'elle a suscité, surtout dans les brigades internationales pour la défense de la liberté et contre le fascisme, peut-être parce qu'elle a contribué,comme toutes les autres, à révéler ce qu'il y a de pire dans la nature humaine, peut-être aussi parce qu'elle a montré une nouvelle fois toute l'hypocrisie du Vatican qui se révélera derechef pendant la deuxième guerre mondiale à propos de l’extermination des juifs que Pie XII feindra d'ignorer. La hiérarchie catholique espagnole ne sera pas en reste qui bénira la dictature de Franco et surtout l'accompagnera autant pour la légitimer et l'asseoir que pour en recueillir les prébendes.
Alors, quid du titre ? Les circonstances historiques inclinaient plutôt à la tristesse voire aux larmes pourtant, j'ai goûté le ton de ce roman fort bien écrit et fort richement documenté, plein d'analyses et de remarques pertinentes, alternant humour et pathétique. « Ici on fusille comme on déboise » écrivait Antoine de Saint-Exupéry, journaliste dépêché en Espagne avant qu'il ne soit l'écrivain-pilote que nous aimons. Effectivement, aux exécutions sommaires perpétrées par les fascistes succédèrent celles des communistes jusque dans leur propre camp et contre leurs alliés anarchistes. Les exactions et la défaite militaire précipitèrent les vaincus en France, pays des droits de l'homme et de la liberté qui les accueillit pourtant si mal. Nous savons tous que les larmes ne servent à rien et surtout pas à exorciser le deuil, le chagrin, la colère, la souffrance. Face au monde qui s'effondre et à celui, fasciste, totalitaire qui se met en place dans un pays déchiré, l'auteur oppose l'amour fou de Montse pour un inconnu de passage, celui plus effacé mais sincère de Diego puis celui, enfin, que suscite un enfant qui réconcilie tous les membres de cette famille disparate et anachronique.
L'abandon des idéaux surtout politiques qui ne résistent pas longtemps à l'hypocrisie et à l'opportunisme des hommes et leur lâcheté, leur haine et leur oubli ne valent pas non plus la peine qu'on en pleure. C'est là la marque de l'espèce humaine à laquelle nous appartenons tous. Le parcours de José qui tourne à la désillusion en est ici l'illustration, celui de Diego, différent mais quand même semblable témoigne de cette remise en question. Reste le destin de ces pauvres gens précipités dans un pays dont ils ne parlaient pas la langue, ne connaissaient pas les façons de vivre et qui devaient s'y adapter, alors « pas pleurer », peut-être, mais là je ne suis pas bien sûr et puis écrire est un exorcisme bien plus efficace sans doute que toutes les larmes. Dont acte !
J'ai souvent dit dans cette chronique et ailleurs que ce prix Goncourt qui consacre un écrivain et honore les lettres françaises avait souvent été attribué à des auteurs qui ne le méritaient pas. Après avoir lu ce roman passionnant, je ne réitérerai pas cette remarque et me félicite d'avoir croisé Lydie Salvayre que je ne connaissais pas auparavant et dont je poursuivrai assurément la lecture de l’œuvre .
©Hervé GAUTIER – Décembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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Portrait de l'écrivain en animal domestique
- Par hervegautier
- Le 24/11/2014
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N°834 – Novembre 2014.
Portrait de l'écrivain en animal domestique – Lydie Salvayre – Le Seuil.
Avant qu'elle n'obtienne le Prix Goncourt, cette année, le nom de Lydie Salvaire m’était complètement inconnu. J'ai été séduit par un de ses romans policier « La puissance des mouches » et j'ai souhaité poursuivre ma découverte de cette auteure. Qu'avons nous ici ? Il s'agit d'une femme-écrivain qui a accepté d'écrire la biographie de Toblold, le roi du hamburger. On comprend bien que la payant largement pour cela, elle va faire appel à tout son talent pour composer une œuvre de thuriféraire même si cette occasion lui permet de pénétrer le monde des affaires qui lui est complètement étranger et qui peut-être la fascine. Elle est peut-être aussi séduite par cet homme qui est son exact contraire et tant pis si sa notoriété, son travail sa réputation en pâtissent. Elle vivra dans son ombre pour ne rien perdre de ses remarques qu'elle note scrupuleusement puisque c'est son travail !
Nous assistons à la désagréable politique capitaliste qui consiste entre autre à éliminer un concurrent sans la moindre retenue, mais après tout c'est là aussi une action parfaitement conforme à l'esprit humain. L'écrivain qu'elle est perd, dans ce contexte, un peu de Son âme et flagorne tant qu'elle peut, devient servile, veule et lâche, outrepassant presque malgré elle son rôle de laudateur. La prise de conscience qui en résulte n'est pas sans provoquer chez elle des états d'âme mais la facilité et plus sûrement encore l’appât du gain sont les plus forts. La narratrice ne laisse rien paraître de son agacement et finit par exceller dans ce numéro d'équilibriste entre résignation, inertie et attirance, mais là aussi il n'y a rien que de très humain, n'est-il pas ? Face à cet homme dragueur, mufle, vulgaire, destructeur et qui croit que tout lui est dû, elle va même jusqu'à éprouver de la sympathie pour sa compagne qui, avec le temps et l'intérêt accepte elle aussi tout de lui. Pourtant, quand il dévoile son enfance, Jim Tolbold la révèle misérable, comme celle de la narratrice, ce qui peut éventuellement les rapprocher mais son amour de l'argent et surtout la manière de l'acquérir reste un obstacle entre eux. Pas tant que cela cependant puisque la narratrice finit par prendre goût au luxe et étouffe son envie de révolte. En fait elle devient en quelque sorte sa complice. La métamorphose de Tolbold ne me paraît pas convaincante. Elle est artificielle et franchement décevante.
Le titre est significatif. C'est une question vieille comme le monde que celle qui met en présence quelqu’un qui a réussi et souhaite le faire savoir et celui qui en est chargé par l'écrit contre de l'argent. Le lien de subordination saute aux yeux et c'est tout l'enjeu de cette « relation ». Pourtant, même si le style de ce roman est alerte et agréable à lire, je ne suis que très peu entré dans ce livre, j'ai même ressenti une certaine répulsion pour cette ambiance malsaine même si elle est révélatrice de l'espèce humaine. Je n'ai guère apprécié l’écrivain dans son rôle de courtisan. J’avais aimé « Le pouvoir des mouches » (La Feuille Volante n° 833), je ne suis pas entré dans la démarche créatrice de celui-ci, mais peut-être suis-je passé à côté de quelque chose ?.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com
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La puissance des mouches
- Par hervegautier
- Le 22/11/2014
- Dans Lydie Salvayre
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N°833 – Novembre 2014.
La puissance des mouches – Lydie Salvayre – Le Seuil.
« Familles, je vous hais » cet apophtegme d'André Gide pourrait servir d’exergue à ce roman, et pas que la famille d'ailleurs. Jugez plutôt.
Il est des personnages de roman qui n'ont vraiment pas de chance. Le héro de celui-ci est non seulement un meurtrier mais quand il s'adresse au juge d'instruction d'une manière un peu cavalière il est vrai, celui-ci ne peut que lui trouver des circonstances atténuantes. Il poursuit d'ailleurs ce dialogue avec l'infirmier de la prison, le psychiatre chargé d'évaluer son degré de responsabilité, l'avocat chargé de le défendre. En fait c'est une sorte de monologue, conséquence de questions posées mais qu'on ne connaît pas .
Apparemment le narrateur qui est aussi l'accusé a été conçu à la suite d'un viol puisque son père, gardien du camp d'Argelès après la défaite républicaine espagnole, a d'un seul coup dépucelé et engrossé sa mère. Le couple qu'ils forment n'a rien d'idyllique, lui devenant un tyran domestique brutal et borné et elle une femme soumise et bientôt martyre. Ce fils a donc de qui tenir ! Pourtant il a fait ce qu'il a pu pour être différent de ce père. La preuve il lit Pascal simplement peut-être parce qu'il est guide au musée de Port-Royal, mais peut-être aussi parce qu'il aime lire, tout simplement. Pourtant la pensée de ce philosophe ne l'a pas empêché de devenir un meurtrier même si la victime n'est pas forcément celle qu'on à laquelle on s'attend.
C'est vrai que son existence est minable même si ce n'est pas vraiment de sa faute, coincé entre une épouse sans intérêt et un travail certes passionnant mais encadré par de petits chefs suffisants et condescendants qui lui font constamment sentir sa condition d'inférieur. Et comme si cela ne suffisait pas, il doit aussi faire face aux hommes importants qui parfois passent dans sa vie, mais sans le voir, il doit aussi supporter des visiteurs ignorants ou trop érudits, et même ses collègues. Bref, il méprise tout le monde et finit par soliloquer et par s'adonner à la boisson. La haine qu'il conçoit de tout cela a « la puissance des mouches »selon l'expression du même Pascal. On peut supposer que c'est cette haine des autres qui l'a amené à tuer mais en réalité on n’est sûr de rien, un peu comme lui sans doute, comme s'il cherchait lui aussi la raison de son geste. Ce dont on est sûr seulement c'est qu'il est un meurtrier.
C'est un personnage complexe pourtant que ce criminel et on a du mal à suivre son raisonnement. Qu'il haïsse l'espèce humaine ce n'est sans doute pas extraordinaire dans son cas, mais qu'il choisisse, dans ces conditions, Pascal comme livre de chevet est sans doute un peu étonnant. Et puis « prendre appui sur le néant » comme il dit, c'est un règle de vie que j'ai un peu de mal à comprendre. Si j'avais à être juré dans son procès, j’aurais sans doute du mal à m'y retrouver pour sanctionner un geste certes condamnable mais que son enfance et sa vie, sans l'excuser, pouvait largement l'expliquer.
Je ne connaissais pas cette auteur dont c'est le quatrième roman. J'ai bien aimé le ton sur lequel elle décline cette intrigue autant que le suspens qu'elle distille tout au long de ces pages. Avec elle, le roman policier prend une dimension psychologique que je préférerai toujours aux polars sanguinolents.
©Hervé GAUTIER – Novembre 2014 - http://hervegautier.e-monsite.com