Michel SCHIFRES
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LES PARISIENS
- Par hervegautier
- Le 20/06/2014
- Dans Michel SCHIFRES
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N°80 – Septembre 1991.
LES PARISIENS - Michel SCHIFRES- JC LATTES
J'ai lu ce livre plein d'humour et de bons mots avec les yeux d'un provincial qui met, grâce aux billets de congés-payés, les pieds à Paris tous les deux ou trois ans ( et dans le métro encore moins), qui a la chance d'y avoir un beau-frère qui met à sa disposition le canapé du salon, qui doit beaucoup au Monopoly pour la connaissance des quartiers de la capitale et qui n'en connaît que les principaux monuments( d'ailleurs inconnus des Parisiens). Autant dire que mon étonnement n'a eu d'égal que mon appétit de découvrir les mœurs et coutumes jusque là ignorées de moi...
J'ai rectifié beaucoup de mes idées reçues mais la province a pour moi des charmes discrets et même secrets et je n'envie guère les Parisiens-banlieusards à la mine défaite et à l'haleine fétide qui hantent le métropolitain et à qui, faute de mieux je ne manquerai pas de ressembler si d'aventure mon destin m'y conduisait. Quant à la Jet-Set et aux autres castes, je n'ai vraiment rien de commun avec... Certes, selon l'expression consacrée, cela peut passer pour de l'anti-parisianisme primaire et ce malgré l'arrivée du beaujolais nouveau, la proclamation du dernier Prix Goncourt, le tournoi de Roland Garros et toutes les manifestations culturelles parisiennes, malgré aussi le « députe-énarque-parachuté-en-province-pour-y-acquérir-une-stature-d'élu-local » (en fait pour faire sa carrière en attendant mieux), malgré aussi les vedettes du show-biz qui viennent périodiquement troubler notre tranquillité et éponger nos sous. Non décidément, je l'aime bien ma province !
C'est vrai que j'ai apprécié ce livre. Il tient autant du pavé dans la mare que du document de référence indispensable à l'usage des Rastignac de tout poil qui rêvent de conquérir la capitale (et les parisiens!) On y trouve tout un lexique explicatif du vocabulaire étrange qu'on emploie dans cette contrée, un guide de ce qu'il faut faire, ne pas faire, dire, ne pas dire, comprendre ou ne pas comprendre, tout en évitant de s'en tenir aux perceptions primaires. C'est que le vocabulaire qui va s'appauvrissant chez le commun des mortels est ici réduit à quelques mots dont il faut connaître le sens et qui précisément ne tombe pas sous le sens. Pire, les mots prennent une signification différente que celle que nous leur connaissons et les expressions ont besoin d'être décryptées en permanence, une sorte de traduction simultanée de français en français : ainsi n'est-t-on jamais sûr de comprendre ce qu'on croit avoir compris ! C'est du grand art et cela contribue largement à l'accroissement des difficultés de la langue. C'est vraiment plus subtil qu'avant quand on s'attachait à apprendre l'argot dès lors qu'on connaissait l'exact sens des mots, mais ici ces mêmes mots ont la même consonance (c'est même carrément les mêmes), mais, tel un texte ésotérique ils ont une signification cachée qui ne manquera pas d'échapper au non-initié. Encore faut-il ne pas omettre que dans cette acception cabalistique il y a une hiérarchie de nuances riche et pleine de délicatesse, quand on n'entrelarde pas ses phrases de mots anglais, ce qui ajoute à la difficulté et augure mal de ce qui nous attend avec « le grand marché ». Je ne parle pas de l'élasticité des mots et des néologismes. Où est donc passé notre brave instituteur du certificat d'études qui traquait les barbarismes et fustigeait les onomatopées ? Maintenant c’est carrément la récréation permanente de notre langue qu'on n'ose plus appeler maternelle. On m'avait dit que notre civilisation de communication souffrait d'icelle... Je ne m'en étonne plus.
J'ai bien ri, c'est vrai, tant les expressions sont cocasses et les images bien rendues. L'écrit a cela de supérieur la la télévision qu'on peut l'emporter partout et en reprendre à l'envi. Un peu Tartuffe l'auteur... Et après ? N'avoue-t-il pas lui-même que l'envie des Parisiens (et des Français) d'aller à la soupe n'a d'égal que celle de cracher dedans et que celui d'entre nous qui n'a jamais péché lui jette la première cuiller !
Ce livre est aussi un regard réaliste et parfois cruel porté sur cette société et sa manière de vivre. Il nous livre l'envers du décor. Pas si drôle ! Il s'agit là d'une manière d'état des lieux où l'art de la peinture le dispute à celui de la dissection car qu'il parle de la Jet Set, de la banlieue, des bistrots et de leur faune, il transparaît, malgré l'humour, un peu d'angoisse et un certain mal de vivre. C'est une réflexion sur l'ensemble de la société parisienne, sa condition, ses hésitations, ses pulsions, ses fantasmes ; Bref, toute une psychologie en raccourci.
C'est vrai que j'ai quand même bien ri. J'y ai retrouvé un peu de cet esprit français et comme de toute manière ce qui se fait à Paris finit par s'exporter en province, nous aurons au moins été avertis. Cela m'a rappelé « Les carnets du major Thompson », mais en plus drôle.
©Hervé GAUTIER – Septembre 1991 - http://hervegautier.e-monsite.com