la feuille volante

Michel RAGON

  • Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

     

    Avril 1992

    107

     

    Michel RAGON, Vendéen, écrivain populaire.

     

    Nous connaissons tous Michel Ragon, l’auteur du roman populaire " Les mouchoirs rouges de Cholet ".

    Un peu moins connu en revanche est le personnage lui-même qui apparaît en filigrane à travers propre histoire et celle de sa famille dans trois autres ouvrages qui donnent à voir un homme au parcours pour le moins original.

     

    A propos d’ " enfances vendéennes ", il indique ce que fut sa vie. Issu d’une famille de paysans vendéens, pupille de la Nation, il quitte l’école à quatorze ans pour devenir garçon de courses à Nantes. Manutentionnaire, aide-comptable, manoeuvre dans une fonderie à Paris, ouvrier agricole en Angleterre, bouquiniste sur les quais de la Seine, journaliste, il devient critique et historien de l’art moderne. Professeur à l’école Supérieure des Arts Décoratifs dans une université américaine, il soutient à cinquante ans une thèse de doctorat es-lettres en Sorbonne sur la modernité. Il complète l’audience nationale qui est la sienne en matière d’art par l’écriture de romans populaire car il est le type même de l’autodidacte, curieux de tout ce qui touche à la connaissance et attentif aux grands esprits de son temps. Il sait se souvenir de ses origines roturières dont il ne fait aucun mystère et qui, au contraire font sa richesse.

     

    Erudit, à l’immense culture toujours renouvelée et remise en question, il parcourt le monde en bourlingueur mais revient à son terroir vendéen comme à un port d’attache et donne à la littérature une dimension populaire qui lui manque trop souvent. Mais qu’on ne s’y trompe pas, devenir un écrivain populaire n’est pas si simple. Il rappelle lui-même que " la vocation de l’écrivain est monastique ".

     

    Une des nombreuses raisons de ce succès est sans doute que non seulement il n’a pas oublié ses origines (" La terre, la plume, le cuir, voilà les trois éléments de ma petite enfance. ") mais aussi qu’il est au carrefour de deux cultures, celle du paysan vendéen, jaloux de son histoire, de ses traditions et fier de ses racines (Il a su mieux que personne parler des petits métiers de la campagne), celle aussi du citadin du XX° siècle ouvert au monde et à la modernité. Ce n’est pas là un moindre paradoxe, d’où naît sans doute une culture fort riche et diverse qu’il aime à faire partager à travers des écrits accessibles à tous car, malgré son côté intellectuel indéniable, il reste un homme du peuple.

     

    C’est au sein de cette Vendée profonde qu’il passa sa merveilleuse enfance, malgré la mort prématurée de son père et les difficultés matérielles de sa mère. L’enfance, beaucoup d’écrivains en ont parlé. Michel Ragon recompose pour son lecteur cet univers qui fut le sien, avec ses fantasmes, ses phobies, ses espoirs aussi , mêlant agréablement le souvenir de Georges Simenon qui résida un temps à Fontenay le Comte, à celui de Rabelais qui fut en d’autres temps moine à l’Abbaye de Maillezais, à celui de Gargantua aussi, en n’oubliant pas que la Fée Mélusine a toujours été présente dans la forêt de Mervent ! Il évoque tout un folklore, à la fois laïque et religieux et le souvenir d’une enfance et d’un adolescence où la vie était rude.

     

    Dans " Adolescence nantaise ", il évoque Nantes la grise, immortalisée par une chanson de Barbara mais où l’histoire croise sous sa plume le quotidien avec l’évocation de personnages fugaces empruntés au passé. C’est un guide touristique où la nostalgie le dispute aux souvenirs personnels.

     

    Si on voulait affiner la raison de cette dimension populaire de l’écrivain, je dirais que outre l’intérêt tout particulier qu’on peut avoir pour les autodidactes authentiques ( ils ne sont pas si nombreux !), la fidélité est un élément important, essentiel même ! La lecture de " J’en ai connu des équipages " révèle davantage l’homme et son parcours.  Plus qu’un roman, c’est un entretien. On doit y voir l’ascension sociale de l’homme, ce qui sera toujours pour sa mère un but avoué, mais surtout, à travers la relation d’une vie laborieuse et dure, le message le l’écrivain et la fidélité à ses idées.

     

    Certes, il y a l’exigence de celui qui est pour lui-même son propre censeur, mais surtout il y a l’homme qui ne se laisse pas aveugler par la notoriété. Il jette sur le monde du quotidien, qu’il soit passé ou présent le regard de l’humaniste et du libertaire où l’anarchiste amoureux de la liberté reste présent et actif en assénant au passage, au monde politique, religieux et littéraire quelques vérités bien senties. Il est en effet difficile de voir en lui l’homme de la compromission. J’y préférerais, pour ma part, celui de la vigilance. Cela donne des phrases peu équivoques telles que " Tout contre-pouvoir qui accède lui aussi au pouvoir devient oppresseur. " ou " La complicité de l’écrivain avec le pouvoir est une trahison de sa mission. ". Car il est aussi volontiers critique à l’égard du monde des Lettres auquel il appartient, expliquant par exemple que " La grande baisse du tonus de la littérature française  actuelle tient à cette espèce de fonctionnarisation de l’écrivain. ", rappelant aussi que " (leur) vraie mission est d’être des créateurs d’un monde littéraire".

     

    C’est une évidence, mais il la formule en termes simples : " Un écrivain ne présente d’intérêt que dans son ?uvre, non dans son aspect physique. ", ou bien plus critique encore " Les écrivains ne sont pas meilleurs que les hommes politiques, ils sont pires parfois".

     

    Un autre élément, et ce n’est sûrement pas le seul qui lui donne cette dimension populaire est à mon sens l’hommage qu’il rend à sa région d’origine. Dans " L’accent de la mère " où il est, somme toute assez peu question de sa mère, peu de son père et de sa famille, il se livre surtout à une étude historique, sociologique et économique de la Vendée. S’il rappelle à l’occasion que l’histoire et écrite par les vainqueurs et jamais par les vaincus, il saisit là l’opportunité de rétablir, à travers ce qu’on appelle " Les guerres de Vendée " une vérité historique trop longtemps occultée par l’histoire officielle, parlant d’un véritable génocide franco-français perpétré dans cette province par les hommes de la Révolution bien peu soucieux de leur devise républicaine pourtant hautement proclamée !

     

    Il donne, à cette occasion un éclairage historique intéressant sur une page de notre mémoire nationale, bousculant au passage bien des idées reçues, tirant des leçons inattendues de l’histoire et des hommes qui la font. Dès lors, il n’est pas étonnant que sous sa plume soit évoquée la Vendée protestante, ouvrière et progressiste alors que cette région était traditionnellement vouée au catholicisme, au royalisme et à l’obscurantisme…

     

    Homme de culture, il n’oublie pas que pour expliquer un terroir, il faut certes la connaissance de son histoire mais aussi y mêler une bonne dose de merveilleux. Il cite opportunément Victor Hugo : " La Vendée ne peut être complètement expliquée que si la légende complète l’histoire. Il fait l’histoire pour l’ensemble et la légen,de pour le détail ".

     

    Authentique écrivain situé au carrefour de deux cultures, il n’en a pas moins été soucieux de restituer la vérité historique de sa province, d’y rester fidèle ainsi qu’à ses idées et à ses origines. Il reste le chantre de l’identité vendéenne. C’est en tout cas pour moi ce qui fait l’intérêt de l’écrivain et de l’homme et sans doute une grande part de son succès.

     

     

    (c) Hervé GAUTIER.

  • GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    N°234

    Février 2001

     

     

    GEORGES et LOUISE - Michel RAGON Editions Albin Michel.

     

     

    On s’étonnera peut-être que Michel Ragon, dont le parcours dans la vie et dans la littérature est des plus exemplaires qu’il choisisse de parler de deux personnages aussi apparemment différents que la révolutionnaire Louise Michel, fille naturelle, institutrice, pauvre et délicate poétesse et l’homme politique mondain et ambitieux, le médecin et riche bourgeois qu’était Georges Clemenceau.

     

    A priori tout les oppose mais ces deux êtres portaient en eux la révolte, la volonté de faire changer le monde, même si leurs chemins divergèrent parfois, ils restèrent rebelles à cette société dans laquelle ils vivaient. Louise avait épousé la cause des pauvres, des déshérités et Georges, quand il la rencontra à Montmartre dont il était la maire, fut frappé par son immense charité, bien qu’elle ne fût pas chrétienne, au contraire ! Il choisit donc de l’aider financièrement comme l’aideront plus tard le Marquis de Rochefort et la Duchesse d’Uzès ! C’est que Louise ne laissait pas indifférents ceux qui la rencontraient !

     

    Pendant tout son chemin, Louise a opté pour l’action politique, parfois violente mais Georges lui préféra toujours l’action parlementaire, plus feutrée mais pas moins efficace. Pendant la Commune, l’action de Louise sera modeste mais pendant son procès elle prendra sur elle toute la responsabilité des émeutes, bravant ses juges et la condamnation à mort. Finalement ce sera la déportation en Nouvelle-Calédonie où elle n’oubliera pas son engagement humanitaire définitif. Il se fera en faveur des Canaques !

     

    On sent qu’il s’apprécie ces deux personnages que tout sépare. Ne compare-t-on pas à Jeanne d’Arc celle qui fut, un peu après coup, la Passionaria de la « Commune », ne porte-t-elle pas le deuil de cette révolte avortée, de tous ces fusillés, de tous ces morts pour la Liberté ?

     

    On sent bien que cet autodidacte authentique qu’est Michel Ragon, qui porte aussi en lui la révolte, aime peut-être davantage Louise Michel pour la droiture de son action. L’histoire l’a fait croiser la route de Clemenceau, vendéen comme lui, révolté aussi et de cette rencontre est née plus qu’une amitié, une sorte d’admiration réciproque dont leur correspondance témoigne.

     

    Ce qui passionne Michel Ragon c’est sans doute aussi le souci qu’il a de livrer à son lecteur l’histoire authentique comme il le fit à de nombreuses reprises, notamment à propos des « Guerres de Vendée », même si ce qu’il écrit dérange, est en marge de l’histoire officielle dont on sait qu’elle est toujours écrite par les vainqueurs !

    Il aime la révolte même si elle est utopique car nous savons bien que cela aussi et peut-être même surtout fait avancer le monde, le fait évoluer et non s’engoncer dans des idées reçues. On sent qu’il les aiment ces oubliés de l’histoire qui ont su, eux-aussi et à leur manière œuvrer pour le triomphe des valeurs de notre république. Il ne quitte jamais des yeux son modèle, sa « Vendée » !

     

    Il tient à nous dire qu’il apprécie les être humains pour ce qu’ils sont mais surtout quand ils sont fidèles à leur idéal. Ennemis peut-être mais qui forcent le respect par leur droiture et le refus de la compromission, la fidélité à leur engagement personnel, oubliant les clivage sociaux, les opinions divergentes.

     

    L’auteur, véritable humaniste, n’oublie pas de rappeler des évidences, que le pouvoir corrompt, rend oublieux parfois des engagements pris qui ne sont jamais tenus et il conclut (sans doute) avec Louise « C’est que le pouvoir est maudit et c’est pour cela que je suis anarchiste. ». Il n’oublie pas non plus de se situer dans son siècle, l’histoire étant, nous le savons un éternel recommencement et c’est pleinement conscient de ce qu’il écrit qu’il note pour son lecteur attentif ( et ce sont ses propres termes) « La gauche au pouvoir n’est plus la gauche ». Cette remarque me paraît à moi, avoir été dans un passé récent ( et peut-être aussi dans le présent ?) marqué au point du bon sens !

    On sent bien sous la plume de notre auteur le vendéen frondeur qu’il continue d’être et lui de citer Clemenceau encore une fois «  Ce peuple vendéen a quelque chose de sauvage et de buté qui me plaît ! »

     

    Dans sa haine du pouvoir Louise, à son retour en France, va désirer ardemment tuer Gambetta comme elle avait pensé exécuter Thiers pendant la Commune. Pour elle ce qui importait c’était « que ça pète »

     

    Elle n’est pas exempte de contradictions non plus, elle qui désira faire sortir les femmes de leur condition inférieure mais refusa de militer pour leur droit de vote. Elle resta célibataire pour ne pas être assujettie à une homme mais défendit quand même la cause des femmes que la Commune oublia un peu vite. Elle refusa même un mandat parlementaire qui lui aurait sûrement permis de faire bouger les choses, certes plus lentement, mais dans la légalité. Elle restait pour Clemenceau « l’incarnation de l’éternelle révolte des gueux, l’image de la Révolution ».

    Pourtant c’est Clemenceau qui fait évoluer les choses en instituant de nouvelles libertés politiques et syndicales, s’élevant contre la répression et la peine de mort, militant pour l’institution de retraites ouvrières, pour l’école laïque et gratuite.

     

    Mais la «  veuve rouge », celle qui porte si haut le deuil des communards morts, va finir par être manipulée, huée même. Elle devient impopulaire, un comble pour elle tandis que Clemenceau prend la première place dans le monde politique. A elle le combat au quotidien contre la misère, la pauvreté et les injustices, à lui les mondanités et les honneurs. Lui si élégant et raffiné si soucieux de sa personne, elle négligée jusqu’à l ‘outrance car ce qui les sépare malgré tout c’est bien le milieu social.

     

    Nous la découvrons aussi « femme de plume » non seulement auteur de romans poèmes et pièces de théâtre mais aussi ardente lectrice de science fiction, amie d’un « lointain » Hugo, admiratrice de Zola et célébrée par les poètes symbolistes, moins, il est vrai, pour son talent que pour son engagement politique.

     

    C’est que la voilà désormais, après un long séjour hors de France, conférencière, mais son image ne fait plus recette. Elle est de plus en plus contestée, elle essuie des quolibets. Ses atermoiements, ses silences coupables lui ont peut-être valu cet attentat où elle échappa à la mort, pardonnant cependant à son agresseur. A ce moment peut-être plus qu’à tout autre elle mérite son surnom de « Vierge rouge ».

     

    Georges et Louise se sont toujours suivis malgré les divergences de parcours. L’homme politique a toujours été aux côtés de l’anarchiste un peu comme son double, l’autre face d’un Janus, l’un dans la lumière et l’autre dans l’ombre, un peu comme si l’un osait faire ce que l’autre n’osait pas !

     

    Michel Ragon, on le sent bien, domine son sujet, plus, celui-ci le passionne. Il sait quand même pointer du doigts, même s’il est sous le charme de cette Louise, les insuffisances de ce personnage complexe. D’elle et de Georges je crois bien que c’est elle qu’il préfère sans doute parce qu’elle est restée fidèle jusqu’au bout à elle-même alors que Clemenceau, malgré ses idées libertaires affichées sera constamment tenté par le pouvoir et finira pas succomber. Si elle avait fait sienne la devise de Blanqui « Ni Dieu ni Maître » qui, si je me souviens bien avait aussi été celle de Cathelineau, voiturier vendéen qui commanda les Blancs au début des Guerres de Vendée, Clemenceau aimait le pouvoir pour ce qu’il était.

     

    Puis, lui qui était surtout capable de faire et de défaire les gouvernements, porté par le Bloc des Gauche , devint député puis, comme il aimait à le rappeler, « le premier flic de France » et enfin Président du Conseil, reniant beaucoup de ceux qui avaient été ses amis et l’avaient soutenu et, pire encore faisant réprimer par la troupe les émeutes ouvrières du nord et les révoltes paysannes du sud de la France. Louise était déjà morte, un peu comme si la griserie du pouvoir prenait le dessus, comme si son mentor de l’ombre, son contrepoids n’existant plus. II était en quelque sorte libéré !

     

    C’est vrai qu’il s’en moqua un peu de ce pouvoir mais pour mieux s’en emparer et oublier que dix ans plus tôt il souhaitait  réduire l’action du gouvernants «  à son minimum de malfaisance ». Pourtant, dans la mémoire collective, c’est sous le nom de « père la Victoire », jusqu’au-boutiste, revanchard, cocardier, patriote qu’il restera, le comble pour un anarchiste et un antimilitariste. Lui aussi essuya un attentat et comme Louise protesta contre la peine de mort pour son agresseur .

     

    Pour s’excuser peut-être Clemenceau disait de lui qu’il était un mélange d’anarchiste et de conservateur mais refusait d’indiquer dans quelle proportion ! Il rappelait qu’il avait eu ses heures d’idéologie et qu’il n’était pas disposé à les regretter.

     

    A travers ces pages écrites simplement comme à son habitude, c’est à dire pour être lues et comprises, Miche Ragon se fait (et avec quel brio) un peu l’historien de l’anarchisme et on ne peut que souligner l’important travail de recherche qu’il a mené pour écrire cet ouvrage, pour montrer la part d’anarchisme qu’il y avait chez l’homme de pouvoir et la part de rêve qu’il pouvait y avoir dans cette petite silhouette frêle qui incarna l’insoumission sans renoncer à l’amitié et à l’argent des riches, même si elle n’en profitait pas elle-même. Ces portraits croisés ont quelque chose d’émouvant .

     

    Le choix qu’a fait Michel Ragon d’en être l’auteur vient sans doute du fait que Louise et Georges se sont beaucoup écrit pendant leur vie mais, à mon avis, c’est un peu la condition humaine qu’il a évoquée à travers ces deux personnages, sa complexité ses nuances, ses renoncements…

     

    © Hervé GAUTIER. http://monsite.orange.fr/lafeuillevolante.rvg 

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