Michel HOUELLEBECQ
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anéantir
- Par hervegautier
- Le 14/06/2022
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N°1648– Juin 2022
anéantir – michel houellebecq – flammarion.
Le roman s’ouvre sur la décapitation virtuelle de Bruno Juge, ministre des finances, diffusée en vidéo sur les réseaux sociaux. Cela a tout de la fake news mais atteste la haine d’une partie de la population pour la politique. C’est plutôt un mauvais présage pour les élections présidentielles françaises de cette année 2027 pour lesquelles le Président qui, ne pouvant pas constitutionnellement se représenter, a choisi Bruno pour seconder le candidat désigné, un minable incompétent, et surtout pour mieux assurer sa réélection après cet intermède présidentiel, ou peut-être garantir à Bruno un destin politique. Dans cette atmosphère de fièvre, nous revivons la préparation des interventions télévisées, la stratégie électorale, la folie des sondages, les techniques de communication, les projections politiques que les résultats ne manqueront pas de faire mentir comme à chaque fois. Nous sommes donc en pleine politique-fiction d’autant que des attentats terroristes d’une nouvelle génération mettent en échec les meilleurs informaticiens. D’autres inquiétantes vidéos révéleront d’autres attentats qui menacent l’équilibre du monde avec un détour par la DGSE, une réflexion sur le millésime de cette année et des suivantes sur le thème des nombres premiers et même une secte satanique, avec ses messages codés pas vraiment convaincants. Cela me paraît révélateur de notre actualité où la violence et la contestation nourrissent une vie politique instable, une menace sur la démocratie avec une inquiétante montée de l’abstention et une attirance vers un vote favorable aux extrêmes, le tout enveloppé dans la menace d’une troisième guerre mondiale et la folie destructrice d’un dictateur mégalomane.
Cela conforte mon mantra personnel selon laquelle si la politique est une chose passionnante, ceux qui la font le sont beaucoup moins.
L’autre versant de cet ouvrage est consacré à la famille Raison, dont Paul, la cinquantaine dépressive, un peu perdu dans ses problèmes matrimoniaux et familiaux, haut fonctionnaire de Bercy et ami de Bruno est notre grand témoin. C’est à travers lui que ce texte se décline. Ces deux thèmes s’entremêlent tout au long de ces plus de 700 pages où nous vivons la saga de cette famille avec ses soubresauts et ses drames, liés en partie à la fin de vie végétative du père, à la désespérance d’un membre de la parentèle liée aux fake-news et à leurs ravages et à la désagrégation d’une famille. La fratrie de Paul, sa sœur Cécile, confite dans l’eau bénite et Aurélien qui peine à vivre de la culture, n’est pas brillante non plus, entre bouteilles d’alcool, rêves déjantés et surtout déroutants, adultères, séparations et divorce. Paul nous offre même une longue réflexion sur la souffrance et la mort. Je retire de l’ensemble de cette œuvre un sentiment de tristesse et de solitude des personnages. On est effectivement seul face à la camarde et la mémoire de la beauté de ce monde, de ces moments heureux et amoureux, peut être une antidote apaisante au mystère de cet instant fatal. Je dois dire que j’ai apprécié surtout les derniers chapitres sur ce thème qui illustre la condition humaine vouée à la souffrance et au trépas. J’en ai goûté la belle écriture enrichie de nombres de références culturelles, le style poétique dans les descriptions de la nature, notamment la Bretagne et des collines du Beaujolais, les allusions délicieusement érotiques dans l’évocation du paysage féminin.
Nous sommes dans un roman de Houellebecq où la contestation le dispute au pessimisme sans oublier les outrances et l’obsession sexuelle, c’est son registre personnel, ses fondamentaux et je ne suis pas de ceux qui les rejette, bien au contraire. Il y a certes des thèmes labyrinthiques qui sont parfois des impasses, mais ce que je lui reconnais volontiers, c’est d’être un fin observateur de l’espèce humaine dont la perversion et la volonté de nuire à son prochain, dans le but de s’enrichir ou simplement de faire le mal gratuitement pour se prouver qu’on existe, est une constante. Cette nature humaine, à laquelle nous appartenons tous et que Houellebecq dénonce si judicieusement, ne sera jamais rachetée par tous les Coluche et tous les Abbé Pierre et cela contraste avec tous les romans plus ou moins lénifiants que nous impose le paysage littéraire actuel. Sa plume acerbe est d’autant plus pertinente qu’elle met en scène les membres d’une même famille qui connaissent mieux que les autres le domaine d’application de leur méchancetés et de leurs mesquineries, la vulnérabilité de leur victime et savent là où ils doivent frapper pour être efficaces.
Alors, roman d’anticipation inspiré de l’actualité à cause des homonymies ou des ressemblances qui peuvent se deviner dans la vie publique de gens actuellement en place ou qui l’ont été, simple fiction ou délire d’écrivain dans un contexte politique de plus en plus bousculé et incertain. Quant à la projection un peu fantasmagorique de la future carrière de Bruno (qu’on aura reconnu sous les traits de Bruno Le Maire), j’espère qu’il ne s’agit pas là d’une récit à tendance flagorneuse et courtisane, dans l’espoir un peu fou d’obtenir à terme quelque prébende comme ce fut le cas, toutes choses égales par ailleurs, pour Philippe Besson après l’élection de Macron.
La société perd sa boussole et se délite de plus en plus, elle est minée par l’amnésie, la violence, l’envie d’en découdre et même de s’autodétruire quand la famille n’est plus un modèle pour les enfants, que l’Église qui a complètement manqué à son rôle de gardien de la morale, malgré la bonne volonté de nombre de membres du bas-clergé, provoque un intérêt grandissant pour les sectes et autres religions, que le personnel politique tangue entre opportunisme, démagogie, parasitisme, égocentrisme, corruption, compromissions à des fins bassement électorales, trahisons et palinodies, part de plus en plus à la dérive et que l’espèce humaine est décidément bien infréquentable. Il y a vraiment de quoi être inquiet. On pense ce qu’on veut de cet auteur, mais il est un fait que ce qu’il écrit ne laisse pas indifférent et fait débat. Je lui trouve, entre autre qualité, celle d’être un miroir de notre société déclinante qui de plus en plus abandonne ses repères et je sais gré à l’auteur de s’en faire l’écho. C’est en effet un des rôles de l’écrivain que d’être le témoin de son temps.
C’est peut-être (ou peut-être pas?) le sens du titre un peu énigmatique, non seulement sur la disparition de la démocratie mise à mal par les hommes politiques eux-mêmes, mais aussi sur l’accent mis par l’auteur à propos de l’aspect éphémère et transitoire de notre vie vouée à l’anéantissement, comme s’il voulait rappeler que nous n’en sommes que les usufruitiers et qu’elle peut nous être enlevée sans préavis. Je note la présentation de la première de couverture où le terme « roman » n’est pas mentionné comme auparavant, un peu comme si la nature de cet ouvrage était différente. Les noms de l’auteur, de l’éditeur et le titre lui-même sont écrits volontairement en minuscules, malgré le paradoxe d’une reliure cartonnée, gage de durée.
Même si je n’ai pas toujours partagé l’enthousiasme populaire autour de la sortie de certains de ses livres, je dois bien admettre que la publication d’un ouvrage de Houellebecq est toujours un événement culturel auquel il convient de porter attention et celui-ci ne fait pas exception. Si j’ai apprécié le style, je déplore un peu la longueur et même certaines longueurs et trop de précisons techniques qui n’ajoutent rien au texte, mais je ne me suis pourtant pas ennuyé à cette lecture qui a constitué pour moi un agréable moment.
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Soumission
- Par hervegautier
- Le 20/08/2020
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N° 1494- Août 2020.
Soumission – Michel Houellebecq – Flammarion.
Dès le début du roman, François, la quarantaine, spécialiste de Huysmans, fait part de sa solitude et de son ennui dans cette société dans laquelle il va s’insérer en qualité de professeur d’université à Paris-Sorbonne. Ses perspectives de carrière ne sont pas négligeables mais ce qu’il déplore c’est plutôt sa baisse de libido et la fin programmée de sa vie sexuelle et ce n’est sans doute pas l’étude de l’œuvre de son écrivain favori qui va l’aider à s’en sortir, à tout le moins dans ce domaine. On voit très bien que son problème à lui c’est les femmes de qui il attend le grand amour et qui en est toujours déçu. Il se raccroche au sexe qu’il pratique comme une activité de compensation, sans joie, parce qu’il ne lui reste plus que cela malgré ses faiblesses. On ne peut pas dire qu’il s’éclate dans son travail et dans sa vie, non plus d’ailleurs qu’il tienne ses collègues proches en haute estime mais c’est un universitaire de renom, un intellectuel apprécié pour son travail. Après deux mandats catastrophiques de François Hollande les électeurs ont définitivement perdu confiance dans le monde politique ce qui a favorisé l’émergence, au plus haut sommet de l’État du parti islamique, ce qui ne vas pas manquer de provoquer des changements dans le quotidien et donc dans l’université. Si la campagne électorale a mené le pays au bord de la guerre civile, les lendemains électoraux montre une France incapable de réagir et ayant perdu ce qui fait sa spécificité et ses valeurs. Le monde universitaire n’est pas en reste qui lui aussi s’adapte mais fait surtout preuve d’opportunisme. François voit dans les nouvelles structures mises en place une occasion de s’y insérer et ainsi de tenir son rang mais surtout voit dans la loi islamique une solution a ses problèmes existentiels, la polygamie se révélant à lui comme une chance de résoudre ses difficultés d’ordre sexuelles. Il est en effet un être solitaire, en recherche constante de la femme, trop idéaliste sans doute pour en trouver une qui lui convienne. Sa vie est comme celle de chacun d’entre nous faite de hasards, de certitudes, de compromissions, de déceptions, de trahisons, d’illusions, d’échecs, mais il choisit de la poursuivre en faisant semblant de croire à demain.
La sortie d’un roman de Houellebecq est toujours un événement. Après tout il est un écrivain connu et reconnu et ce n’est que justice qu’une de ses œuvres soient ainsi saluée. Même si ce roman a fait polémique, s’il a été publié dans un contexte difficile, il reste, à mes yeux, non un roman d’anticipation mais une simple fiction, par ailleurs bien dans l’air d’un temps , déprimant et révoltant d’hypocrisie, dans un moment de déliquescence politique où la société peine à se définir, où les gens ne comprennent plus rien et qui est bien de nature à faire basculer notre démocratie dans n’importe quel extrémisme que peut favoriser la simple abstention aux consultations électorales. C’est certes une fiction et surtout pas autre chose, mais je dois dire qu’elle m‘a parue pertinente et bien actuelle tant je considère la politique comme une chose passionnante mais que ceux qui la font et en vivent parfois largement, le sont eux nettement moins. Tous ces politicards qui disent n’importe quoi pour être élus et de dépêchent de faire le contraire une fois qu’ils le sont et ces partis politiques qui improvisent entre eux des alliances qui tiennent du mariage de la carpe et du lapin, menacent la démocratie à laquelle nous sommes attachés et il convient d’être vigilants. C’est ce triste spectacle que nous offre aujourd’hui une classe politique à la dérive qui tente de surnager dans une société au bord de l’implosion qu’une simple étincelle peut embraser. On peut penser ce qu’on veut de la littérature, de son rôle dans la société, mais le personnage de François, dépité, désabusé, solitaire et perdu me paraît bien plus intéressant que tous les plans sur la comète qu’on peut imaginer sur le plan politique. Le portait qui en et fait est à mes yeux assez fidèle d’un homme qui a subi dans le passé un traumatisme qui l’a détruit et qui est perdu autant dans sa vie personnelle que dans la société sans boussole qui est la nôtre. Il y survit comme il peut, engoncé dans cette solitude d’où il ne sortira pas même pas grâce à la religion traditionnelle, en tout cas pas celle de l’oblat Joris-Karl Huysmans qui elle aussi a failli. Je n’ai pas toujours été d’accord avec Houellebecq, sur son style et sa façon de présenter les choses mais ce roman est révélateur du pessimisme ambiant.
©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.com
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L'extension du domaine de la lutte
- Par hervegautier
- Le 19/07/2020
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N° 1485 - Juillet 2020.
Extension du domaine de la lutte – Michel Houellebecq – Éditions Maurice Nadeau.
Ce roman met en scène un informaticien qui parle de lui, célibataire, la trentaine, à ce point transparent que nous ne saurons même pas son nom et qui promène sur le monde un regard désabusé et déplore ne pas attirer les femmes à cause de son absence de charme. Il en est conscient et cela entraîne chez lui un état dépressif permanent. La marche du monde passe notamment par le sexe et lui se sent exclu de cette vie moderne occidentale faite à ses yeux de faux-semblants et d’hypocrisie, regarde les femmes de loin lesquelles apparemment lui font peur et en conçoit une sorte de fantasme. Malgré tout c’est pour lui autant une addiction qu’une obsession et c’est surtout une frustration que masque mal la pratique de la masturbation. C’est à la fois un idéaliste déçu et désespéré, un être qui n’est pas ici à sa place, qui ne se supporte pas, un hypersensible capable d’actes de violence inconsidérés sur autrui voire de l’autodestruction, suivis tout aussitôt de sanglots, un homme constamment à la limite de l’éclatement, au bord du vide. On le sent vivre en dehors de la société de ses contemporains, sans ami (il s’adresse directement à son lecteur en lui donnant du « sympathique ami lecteur » mais cela sonne faux), sans femme, se contentant d’une vie quotidienne sans joies et sans passions, travaillant pour exister mais évitant de consacrer son temps libre à autre chose qu’à tuer le temps et à attendre la mort, dans une sorte de « défense passive », de sursis qu’il choisit d’agrémenter avec tabac, alcool, médicaments et fréquentation d’un psychiatre, les femmes restant pour lui inaccessibles. Comme il le dit, ce livre est un roman composé de nombre d’anecdotes où il parle de lui, depuis d’interminables réunions professionnelles sans intérêt à un déjeuner au restaurant avec le seul ami qui lui reste, en passant par des stations plus ou moins longues autour d’une machine à café distillant un breuvage infect ou des déplacements professionnels répétitifs et ennuyeux, sans oublier des plaisanteries salaces d’un collègue et un séjour bref à l’hôpital, des épiphénomènes quoi ! Il y a quelques incursions en Vendée, à La Roche/Yon et aux sables d’Olonne mais la région ne l’inspire pas outre mesure, pas plus d’ailleurs que « les filles du bord de mer ». Il a eu une enfance solitaire sans affection, une période qui influe sur le cours futur de l’existence et il invite son lecteur, peut-être semblable à lui, à entrer dans cette lutte, contre la solitude sans doute. Car c’est bien de cela dont il s’agit, un état de déréliction qu’il supporte de moins en moins dans une société déshumanisée, comptable et violente où on peut douter de tout, même de sa vocation.
Depuis que je lis Houellebecq, j’avoue que je suis assez partagé à son sujet. Dans cette chronique j’ai souvent exprimé des doutes , mais depuis la publication de « Sérotonine » j’avoue que mon regard a changé. On pense ce que l’on veut du rôle de la littérature dans notre société, qu’elle rend compte de son état de délabrement moral ou au contraire qu’elle sert à nous faire rêver pour nous échapper du quotidien, même si je me sens parfois assez proche de la vision des choses décrites par notre auteur, il me semble de plus en plus que la lecture de ses romans a quelque chose de déprimant mais aussi de révélateur. J’ai déjà parlé de son style, à mes yeux quelconque et sans recherche littéraire, avec des digressions nombreuses qui semblent mener dans des impasses. J’y vois non seulement un choix délibéré dans la manière de s’exprimer mais aussi une réaction face une rédaction plus poétique que pourtant j’aime bien. Il y a eu dans l’histoire de notre littérature de talentueux hommes de plume qui ont tenté, avec des fortunes diverses, de faire évoluer l’expression littéraire en y imprimant leur marque . Si je ne retrouve pas chez Houellebecq cette « petite musique célinienne » que j’apprécie également, je me dois de saluer un mode d’expression qui colle parfaitement avec le message que notre auteur entend faire passer. Il m’apparaît de plus en plus que ce personnage incarne la condition humaine occidentale d’aujourd’hui.
Ce roman est pour moi, une nouvelle fois, l’occasion de m’interroger sur l’effet cathartique de l’écriture.
©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.
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L'extension du domaine de la lutte
- Par hervegautier
- Le 19/07/2020
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N° 1485 - Juillet 2020.
Extension du domaine de la lutte – Michel Houellebecq – Éditions Maurice Nadeau.
Ce roman met en scène un informaticien qui parle de lui, célibataire, la trentaine, à ce point transparent que nous ne saurons même pas son nom et qui promène sur le monde un regard désabusé et déplore ne pas attirer les femmes à cause de son absence de charme. Il en est conscient et cela entraîne chez lui un état dépressif permanent. La marche du monde passe notamment par le sexe et lui se sent exclu de cette vie moderne occidentale faite à ses yeux de faux-semblants et d’hypocrisie, regarde les femmes de loin lesquelles apparemment lui font peur et en conçoit une sorte de fantasme. Malgré tout c’est pour lui autant une addiction qu’une obsession et c’est surtout une frustration que masque mal la pratique de la masturbation. C’est à la fois un idéaliste déçu et désespéré, un être qui n’est pas ici à sa place, qui ne se supporte pas, un hypersensible capable d’actes de violence inconsidérés sur autrui voire de l’autodestruction, suivis tout aussitôt de sanglots, un homme constamment à la limite de l’éclatement, au bord du vide. On le sent vivre en dehors de la société de ses contemporains, sans ami (il s’adresse directement à son lecteur en lui donnant du « sympathique ami lecteur » mais cela sonne faux), sans femme, se contentant d’une vie quotidienne sans joies et sans passions, travaillant pour exister mais évitant de consacrer son temps libre à autre chose qu’à tuer le temps et à attendre la mort, dans une sorte de « défense passive », de sursis qu’il choisit d’agrémenter avec tabac, alcool, médicaments et fréquentation d’un psychiatre, les femmes restant pour lui inaccessibles. Comme il le dit, ce livre est un roman composé de nombre d’anecdotes où il parle de lui, depuis d’interminables réunions professionnelles sans intérêt à un déjeuner au restaurant avec le seul ami qui lui reste, en passant par des stations plus ou moins longues autour d’une machine à café distillant un breuvage infect ou des déplacements professionnels répétitifs et ennuyeux, sans oublier des plaisanteries salaces d’un collègue et un séjour bref à l’hôpital, des épiphénomènes quoi ! Il y a quelques incursions en Vendée, à La Roche/Yon et aux sables d’Olonne mais la région ne l’inspire pas outre mesure, pas plus d’ailleurs que « les filles du bord de mer ». Il a eu une enfance solitaire sans affection, une période qui influe sur le cours futur de l’existence et il invite son lecteur, peut-être semblable à lui, à entrer dans cette lutte, contre la solitude sans doute. Car c’est bien de cela dont il s’agit, un état de déréliction qu’il supporte de moins en moins dans une société déshumanisée, comptable et violente où on peut douter de tout, même de sa vocation.
Depuis que je lis Houellebecq, j’avoue que je suis assez partagé à son sujet. Dans cette chronique j’ai souvent exprimé des doutes , mais depuis la publication de « Sérotonine » j’avoue que mon regard a changé. On pense ce que l’on veut du rôle de la littérature dans notre société, qu’elle rend compte de son état de délabrement moral ou au contraire qu’elle sert à nous faire rêver pour nous échapper du quotidien, même si je me sens parfois assez proche de la vision des choses décrites par notre auteur, il me semble de plus en plus que la lecture de ses romans a quelque chose de déprimant mais aussi de révélateur. J’ai déjà parlé de son style, à mes yeux quelconque et sans recherche littéraire, avec des digressions nombreuses qui semblent mener dans des impasses. J’y vois non seulement un choix délibéré dans la manière de s’exprimer mais aussi une réaction face une rédaction plus poétique que pourtant j’aime bien. Il y a eu dans l’histoire de notre littérature de talentueux hommes de plume qui ont tenté, avec des fortunes diverses, de faire évoluer l’expression littéraire en y imprimant leur marque . Si je ne retrouve pas chez Houellebecq cette « petite musique célinienne » que j’apprécie également, je me dois de saluer un mode d’expression qui colle parfaitement avec le message que notre auteur entend faire passer. Il m’apparaît de plus en plus que ce personnage incarne la condition humaine occidentale d’aujourd’hui.
Ce roman est pour moi, une nouvelle fois, l’occasion de m’interroger sur l’effet cathartique de l’écriture.
©Hervé Gautier mhttp:// hervegautier.e-monsite.comN° 1423 - Janvier 2020.
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Sérotonine
- Par hervegautier
- Le 30/04/2019
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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La Feuille Volante n° 1346 – Avril 2019.
Sérotonine – Michel Houellebecq - Flammarion.
Florent-Claude Labrouste est un presque quinquagénaire déprimé, légèrement obsédé sexuel, porté sur la bouteille et de son propre aveu un « loser », un décadent, un raté ! Il n'a pas vraiment la volonté de réagir sauf à prendre un médicament, le Captorix, censé libérer rapidement dans son corps la sérotonine qu'on peut assimiler à l'hormone du bonheur, sauf qu'il entraîne pour lui une forme d'impuissance sexuelle et de perte de libido ce qui ne l'arrange pas du tout. Il a perdu bêtement l'amour de Camille, une femme avec qui il aurait bien aimé se marier, la recherche dans toutes celles qu'il croisent et vit avec une Japonaise avec qui il s'ennuie. De plus, ni cette compagne très temporaire qui n'est pas vraiment fidèle, ni son travail sans intérêt et qu'il abandonne, ni même son médicament, ne parviennent à le guérir de sa déréliction, de ses obsessions et à lui donner des raisons de vivre pleinement. Aussi bien, réfractaire au suicide, choisit-il de partir, c'est à dire fuir une société qui ne lui convient pas, et de se fuir aussi lui-même, ce qui est à ses yeux l'unique solution. A travers son seul ami Aymeric, éleveur de vaches normandes, il constate la décrépitude de la paysannerie face à l'industrialisation au productivisme, ce qui n'améliore pas sa vision de la société qu'il rapproche forcément de la sienne propre. La prise de son médicament ne guérit pas sa dépression chronique qu'il soignerait volontiers par une activité sexuelle débridée, mais cela lui est devenu impossible et il ne peut que ressasser ses souvenirs ! C'est un peu comme s'il tournait en rond sans jamais pouvoir trouver une sortie. Alors il poursuit dans chacune des femmes qu'il séduit l'impossible rencontre avec Camille, pour lui définitivement disparue, une copulation animale sans retenue avec une inconnue et ne conçoit une femme que dans son lit. Il y a cette attente désespérée de la sensualité à travers la figure féminine. Cette demande de nature sexuelle peut passer pour une obsession dévastatrice mais cela fait aussi partie de la vie d'un homme et j'ai eu le sentiment que, pour lui, le sexe (avec une préférence marquée pour la fellation) est plus une antidote à sa solitude qu'une exploration renouvelée des mystérieux couloirs du plaisir et à chaque fois qu'il rencontre une femme, sa première idée est de coucher avec elle. A sa situation pour le moins délétère, il oppose la figure de Camille qu'il espère retrouver et l'amour fou et exclusif de ses parents, unis jusque dans la mort, et ce souvenir l'obsède. Les aphorismes qu'il choisi d'asséner à son lecteur au sujet de l'amour ont au moins l'avantage de le porter à réfléchir et d'ouvrir le débat.
C'est bien connu, Houellebecq est à la fois cynique, désabusé, grossier, mais je dois bien avouer que le constat qu'il fait d'une société en pleine déliquescence et vouée aux dérives de la productivité est inquiétant. C'est le roman des « espérances déçues », face aux affirmations lénifiantes et abusives qui prétendent que la vie est belle et j'ai personnellement beaucoup de mal à donner tort à notre auteur dans son appréciation des choses et si nous regardons autour de nous, force est bien de constater qu'il n'y a pas beaucoup de raisons de se réjouir. Il nous dépeint une société très actuelle, déshumanisée, où chacun vit en ignorant l'autre, et cette attitude délétère affecte même le couple qui pourrait passer comme l'ultime recours. On devient misanthrope pour moins que cela ! J'ai ressenti une atmosphère de fin de vie dans ce roman, un peu comme si la désespérance était telle pour cet homme qu'il valait mieux, tout bien réfléchi, quitter ce monde même si ce départ s'accompagne de regrets, Camille n'était plus pour lui qu'un fantôme inaccessible et que sa vie n'avait été finalement qu'un cheminement laborieux et inutile. Je n'ai cependant pas compris cet ultime référence à Dieu comme maître de notre destin individuel.
Il y a en effet un autre personnage, peut-être plus en retrait mais non moins important qu'est Aymeric. Lui aussi c'est un idéaliste qui a cru à son rêve parce qu'il était partagé par son épouse. Mais celle-ci, déçue, est partie avec un autre homme se tricoter un avenir différent parce qu'Aymeric s'est fait trop d'illusions et n'a rien vu venir, aveuglé qu'il était par ses certitudes définitives, sur l'amour notamment. Il tente de se guérir de cet échec par l'alcool et la drogue mais ce sera une impasse pour cet homme désespéré qui songe sans doute à la mort comme une solution potentielle. Dans « La carte et le territoire » le thème de la mort est abordé sous la forme d'un crime énigmatique. Ici Aymeric me paraît avoir choisi une forme de suicide lent et progressif qui sied bien à son état dépressif mais quand il décide de conclure dans un geste définitif on ne sait pas vraiment s'il faut l'imputer à sa situation personnelle ou pour la cause qu'il prétend défendre. Si Florent-Claude partage son état d'esprit, il m'a semblé que, lui, au contraire a choisi d'attendre la mort qui est inéluctable comme nous le savons, mais dans une sorte de fatalisme, avec cependant une lueur d'espoir (qui peut prendre les traits de Camille), un peu comme s'il avait choisi de survivre malgré tout, au cas où pour lui les choses changeraient enfin ou peut-être comme s'il s'imposait de rester en vie pour expier cette perte coupable de l'être aimé !
Son style, à l'humour parfois grinçant, est sans doute fort éloigné de celui qu'on attend d'un écrivain traditionnel couronné par le prix Goncourt, mais c'est son style et je crois que nous avons déjà connu cela au cours de notre histoire littéraire. La littérature s'enrichit aussi de cette manière et évolue à travers ces auteurs qui, pour certains, y ont laissé leur nom. D’ailleurs, même s'il est un peu mono-thématique à tendance obsessionnelle, nonobstant quelques longueurs et des détails parfois techniques bien inutiles (je me suis demandé si l'accumulation de détails apparemment anodins ne cachait pas un mal-être profond), je ne me suis pas du tout ennuyé à la lecture de ce roman et je l'ai même lu avec attention et passion.
J'ai déjà eu l'occasion de commenter les œuvres de Houellebec dans cette chronique et je n'ai pas toujours été ému par ses romans. Ici, malgré le style que je ne goûte pas toujours, je suis bien obligé d'admettre qu'il porte sur notre monde un regard, certes désabusé mais plein de bon sens. On ne demande pas forcément à un auteur de créer, grâce à son imagination un monde différent, qui nous éloigne un temps de notre quotidien, et, refuser de voir dans le miroir d'un livre l'image peu flatteuse de notre société, n'est guère raisonnable. Après tout un écrivain se doit aussi d'être reflet de son époque, que son œuvre se nourrisse de son expérience est plutôt une bonne chose et cela tisse son originalité et son authenticité. Qu'il ait choisi de puiser dans son état dépressif pour parler du déclin et de la désespérance de l'homme occidental, dans un décor banal et morne, me paraît être une photographie assez bonne de notre société. La référence à Thomas Mann, à la fin, me paraît significative. Le fait qu'il le fasse dans un langage simple et pourquoi pas cru, rend son témoignage accessible à tous ses lecteurs. Il me semble d'ailleurs que la tristesse qui ressort de tout cela est soulignée par une succession de séquences, comme juxtaposées (épisode de l'Allemand pédophile, manifestations paysannes vouées à l'échec, séances de tir, désintérêt constant et croissant pour l'actualité quotidienne, variation sur la chatte des femmes…) et qui n'ont rien à voir les unes avec les autres. L'auteur est toujours aussi labyrinthique dans sa démarche d’écriture, mais j'ai souvent goûté chez les autres écrivains ce rythme de création pour ne pas l'apprécier chez lui. Il ne peut pas non plus se dispenser d'aphorismes définitifs souvent pertinents, et après tout cela aussi fait son charme.
Je passerai sur la polémique initiée en quelques mots par l'auteur au sujet de la ville de Niort qu'il dénigre au début de son roman. Cette cité, qu'on a toujours eu du mal à situer sur le cadastre national, a, peut-être grâce à lui, connu un afflux de personnes qui ont pu vérifier que son appréciation négative ne correspond heureusement à rien.
©Hervé Gautier.
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LA CARTE ET LE TERRITOIRE Michel HOUELLEBECQ
- Par hervegautier
- Le 12/12/2010
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N°482– Décembre 2010.
LA CARTE ET LE TERRITOIRE – Michel HOUELLEBECQ - Flammarion.
(Prix Goncourt 2010)
Tout commence un 15 décembre par la panne d'un chauffe-eau chez Jed Martin, peintre et ex-photographe. Son père, Jean-Luc Martin, ancien architecte et P.DG d'une entreprise de construction, veuf, vit actuellement dans une maison de retraite. Le père et le fils qui ne sont pas vus depuis longtemps prennent ensemble un repas de Noël. Entre eux, il n'y a jamais eu que des relations distantes. Auparavant, à l'occasion des obsèques de sa grand-mère, dans la Creuse, Jed se prend de passion pour les cartes routières Michelin qu'il photographie. De plus, il rencontre une très belle femme d'origine russe, Olga, qui justement travaille dans cette entreprise. Naturellement, ils deviennent amants et elle le lance. Avec lui, la carte, Michelin, objet éminemment utilitaire, va entrer dans le monde de l'art avec une exposition de ses œuvres intitulée « La carte est plus intéressante que le territoire ». Le lecteur cherchera peut-être vainement la signification du titre de ce roman dans cette phrase. Il se souviendra opportunément que, sans faire de parallèle abusif, le génial Boris Vian a écrit une merveilleuse histoire qui, bien qu'elle s'intitule « L'automne à Pékin » ne se passe ni en automne ni à Pékin.
Jed s'intéresse ensuite aux « métiers simples », c'est à dire en voie de disparition avant de revenir à la peinture. Cela lui permet d'envisager une exposition dont il confie la rédaction du catalogue à Michel Houllebecq, soi-même ! Pourquoi ne pas admettre cette manière de mise en abyme originale ? Et ce d'autant qu'il lui propose de faire son portait ! Son exposition porte d'ailleurs sur des célébrités et cela fait de lui un véritable « artiste » international...mais surtout lui assure la richesse. Ce qu'il veut pourtant c'est être le témoin privilégié par sa peinture « des différents rouages qui concourent au fonctionnement d'une société ». Cette exposition est un véritable succès et après tout ce temps passé sans Olga, il la retrouve...
La fin de l'année est pour lui l'occasion du repas de Noël avec son père, de réfléchir sur le succès qui est fragile et éphémère et sur la mort, sur la déchéance physique qui sont inéluctables, sur la relation au père aussi. Tout cela se termine en Suisse dans une clinique spécialisée dans la mort assistée.
La troisième partie du livre s'ouvre, quelques années plus tard, sur la mort de l'écrivain, un meurtre particulièrement atroce et apparemment rituel. Houellebecq a été assassiné chez lui, son corps, en même temps que celui de son chien, décapité au laser, découpé en lanières reparties dans la pièce. Jed, que la police finira par retrouver à cause du portrait qu'il avait peint de l'écrivain, donnera un avis sur le meurtre et sur sa mise en scène, en faisant référence à l'œuvre picturale de Jackson Pollock ! Le lecteur appréciera l'épilogue de cette partie policière du roman. Je ne suis pas très sûr cependant qu'elle soit à la hauteur des attentes suscitées, même si elle est rattachée, peut-être un peu artificiellement, au fameux portrait que réalisa Jed de Houllebecq !
C'est l'occasion pour l'auteur de nous donner une photo du quotidien, à la fois dans le domaine de la télévision, de l'internet mais aussi de l'univers des people ou de la jet-set, en fait tout un monde superficiel, glamour et parisien. Il y glisse des images poétiques et, pèle-mêle, des aphorismes bien sentis autant que des remarques pertinentes, et même impertinentes sur les femmes, les artistes, les universitaires, les architectes, le droit pénal, la fortune, les banquiers, le vin, le monde rural, celui de l'art et de l'argent, la fatuité des puissants qui réclament leur portrait seulement pour passer à la postérité...
Sans qu'on comprenne bien pourquoi, un exil dans le Loiret, puis dans la Creuse le fait philosopher sur sa vie qui se termine. Il mène une réflexion sur l'art en général, sur l'utopie, sur le monde (« le monde est médiocre » dit finalement Jed »), sur la solitude et peut-être la vanité du succès, la fuite du temps, la mort, le suicide. La projection qu'il imagine, la France comme une sorte de paradis qui a survécu aux crises, me laisse un peu dubitatif.
Le texte se lit facilement, le style est précis avec un grand culte du détail, parfois technique, même s'il a été décrié et dénoncé comme un éventuel plagiat. Son humour à base d'apophtegmes m'a bien plu. J'ai même bien ri quand il se met lui-même en scène comme un marginal solitaire, maniacodépressif, alcoolique, misanthrope, agressif à l'occasion et détaché de toute contingence, c'est à dire comme quelqu'un de pas vraiment fréquentable. Le fait de n'être pas très tendre avec lui-même, au moment où il convient de s'auto-encenser, correspond à ma manière de voir les choses. Se moquer de soi me parait être une valeur ajoutée intéressante ! On peut même penser qu'il existe une grande connotation entre Jed et Houllebecq, à la mesure sans doute de leurs relations, à la fois distantes et quasi-chaleureuses. Que l'un soit le double de l'autre me parait une évidence.
L'idée de cette fiction n'est pas mauvaise encore que son intérêt labyrinthique m'a un peu échappé.
Les deux précédents romans m'avaient laissé une impression plutôt mitigée et pour tout dire pas très bonne (La feuille Volante n° 354 et 358). Ce n'est pas parce que ce roman a obtenu le Prix Goncourt (Mon hypothétique lecteur peut constater en lisant cette chronique que je n'ai pas toujours partagé les choix des jurys en général et de celui-ci en particulier), là j'ai pris un certain plaisir à lire, sans trop savoir si cela était dû au style, à la mélancolie de la fin ...ou à ma curiosité !
©Hervé GAUTIER – Décembre 2010.http://hervegautier.e-monsite.com
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LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE - Michel HOUELLEBECQ
- Par hervegautier
- Le 12/08/2009
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N°358– Aout 2009
LA POSSIBILITÉ D'UNE ILE – Michel HOUELLEBECQ - Fayard.
Michel Houellebecq fait partie des écrivains que je lis parce qu'on en parle et que je ne veux pas délibérément ignorer ce qu'il fait, mais, franchement, dans ses livres, je ne retrouve pas ce qui doit être à mes yeux la justification de chaque lecture : le plaisir.
Pourtant, je suis plutôt favorable à ceux qui, d'une manière ou d'une autre cherchent à faire évoluer les choses, au cas particulier la littérature, dans un sens moins conventionnel. Mais là, je ne comprends pas et ce d'autant plus que j'entends dire qu'il s'agit d'un écrivain incontournable. Alors pourquoi? Cela réside-t-il dans le thème de ce livre à succès? J'ai donc tenté de comprendre. Il s'agirait d'un récit dont l'action se passe à la fois maintenant et dans le futur que l'auteur déroule à travers la vie de Daniel, héros antipathique, misogyne mais obsédé par le sexe. Pour souligner la course du temps, l'auteur annote ses chapitres de Daniel 1 à Daniel 25...les derniers étant le résultat de clonage de l'original par la secte des Elohimites dont le but apparent est d'échapper au temps , à ses dérives consuméristes.[Daniel 25 commentant largement la vie de Daniel 1] et de promettre la vie éternelle à ses adeptes.
Je me suis vite lassé de son style pas vraiment à mon goût, de l'histoire aussi, un peu longue et décousue, pleine de citations volontairement provocantes où l'auteur se veut avant tout avant tout le contestataire de la société contemporaine. Même si la critique peut parfois être constructive et pourquoi pas intéressante, je comprends mal qu'on en fasse ainsi le sujet d'un roman... Enfin pas écrit de cette façon. Je l'ai ressenti comme si, dans cet ouvrage, il souhaitait traiter des thèmes personnels et effectivement actuels et laisser le soin à ses lecteurs d'en débattre, en n'oubliant pas de parsemer ses paragraphes d'une coloration sexuelle et parfois même pornographique. Cela ne me gêne pas à priori, même si je choisis d'y lire une sorte d'impossibilité ainsi exorcisée, mais à la fin, cela devient un peu obsessionnel! Aborder pèle-mêle Dieu, le racisme, le clonage, les relations sociales basées sur l'argent et la réussite, les liaison difficiles qu'il a avec les femmes[son amour pour elles est à la fois passionné et irréalisable à cause sans doute de l'érosion du désir], le phénomène sectaire... sont certes des thèmes qui reflètent l'image de notre société pas si brillante que cela, et les traiter à sa manière, c'est à dire avec un mélange de cynisme et de provocation ne me gêne pas, au contraire. Le fait que l'opinion publique ait si vite réagi est sans doute un signe. Se sentir mal dans cette société au point d'en éprouver de la mélancolie et même « une apathie languide et finalement mortelle » de désirer un ailleurs baudelairien incarné par les sectes, «Il existe au milieu du temps la possibilité d'une île », au point d'en arriver au suicide me parait pourtant actuel et ,pourquoi pas défendable, même si tout cela n'est pas vraiment original.
J'admets que tout cela est argumenté, avec de nombreuses références pertinentes et j'espère que la critique de l'Islam, déjà abordée dans « Plateforme » et ses propos qui lui ont valu un procès ne finiront pas par provoquer une fatwa? Cela ne lui déplairait sans doute pas puisqu'on parlerait de lui. Il me semble que ce qu'il cherche est avant tout à être un phénomène médiatique avant d'être un auteur ... et d'espérer qu'il finira par le devenir malgré tout. C'est peut-être l'unique but recherché et si c'est le cas, cela me paraît un peu dommage. La littérature me paraît mériter autre chose.
J'admets être peut-être passé à côté de quelque chose, à cause du style sans doute qui me paraît terne, pauvre et sans véritable intérêt, incapable en tout cas d'accrocher ma curiosité, [Après tout je revendique toujours ma qualité de simple lecteur] mais j'ai quand même du mal à m'enthousiasmer pour l'œuvre de Houllebecq. Il est vrai que je ne fais pas partie de ses inconditionnels et que, à la suite de cette lecture, on ne comptera assurément pas dans leurs rangs.
©Hervé GAUTIER – Aout 2009.http://hervegautier.e-monsite.com
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PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ
- Par hervegautier
- Le 31/07/2009
- Dans Michel HOUELLEBECQ
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N°354 – Août 2009.
PLATEFORME - Michel HOUELLEBECQ – Éditions Flammarion.
Il y a des auteurs que je lis pour le plaisir et d'autres que j'aborde parce que leur notoriété les a précédé et qu'il convient de savoir qui ils sont... J'ai donc lu Plateforme!
L'histoire commençait bien, si je puis dire « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents. On ne devient jamais réellement adulte ». Je ne sais pas pourquoi, mais ces premières phrases laissaient présager des relations difficiles entre générations ou des développements personnels sur la vie. C'est classique mais souvent intéressant parce que l'écrivain y apporte sa vision du monde, son vécu... D'ailleurs il précise aussitôt « Il avait profité de la vie, le vieux salaud, il s'était démerdé comme un chef... ». On apprend ensuite que le père a été assassiné, qu'une enquête est en cours, que l'auteur est fonctionnaire, célibataire, la quarantaine et part pour la Thaïlande, sans doute pour se changer les idées... mais on s'aperçoit très vite qu'il est sensible à la beauté des femmes, ce qui n'est pas blâmable, loin de là! Au fil des pages, et même rapidement, le lecteur se rend compte que toute sa vie se résume au sexe et et que cela devient même mono-thématique à tendance obsessionnelle, avec des détails érotiques qui ne ressortent pas exactement de la description littéraire. On comprend bien, dès lors, que cette destination n'a pas été choisie par hasard et qu'on va avoir droit aux incontournables. D'ailleurs cela ne tarde pas « Moi aussi on m'a massé le dos, mais la fille a terminé par les couilles » intervins-je sans conviction ».
Il y a aussi, dans le groupe de touristes, ces improbables dialogues entre membres d'un séjour, ses inévitables fantasmes, ces rencontres parfois sans lendemain...On y fait la connaissance d'individus médiocres qui cherchent avant tout à se mettre en valeur, mais aussi des partenaires d'un été. Classique là aussi! Il finit par croiser Valérie, une femme sensuelle avec qui il décide de vivre à son retour à Paris et à qui il suggère de redynamiser une chaine d'hôtels-club qui périclite. « Propose un club où les gens puissent baiser...il doit forcément se passer quelque chose pour que les occidentaux n'arrivent plus à coucher ensemble ». C'est vrai après tout et on peut parfaitement accorder foi à cette phrase « S'il n'y avait pas de temps en temps un peu de sexe, en quoi consisterait la vie » et puis « Les gens ont besoin de sexe c'est tout, seulement ils n'osent pas l'avouer »... Cela fonctionne, au début, parce que la demande est forte et Valérie et lui envisagent de tout quitter pour s'installer en Thaïlande pour officialiser une entreprise de tourisme sexuel... Et puis tout bascule à cause d'un attentat islamique où sa compagne trouve la mort. Celle qui était « une exception radieuse » ne sera plus désormais qu'un remords de plus dans sa vie qui, on le sent bien, va chavirer...
L'auteur qui, à l'occasion, prononce des aphorismes qui peuvent faire débat, dénonce le tourisme sexuel avec provocation, la déliquescence du monde occidental, mais aussi donne son avis sur l'islam, pose un regard critique sur les Allemands [« Plus que tout autre peuple, ils connaissent le désir de leur propre anéantissement... Leur compagnie pourtant est apaisante et triste »]...
J'ai donc lu ce livre, pas vraiment bien écrit à mon goût, jusqu'au bout, davantage comme un roman érotique, c'est à dire sans passion, sans réel intérêt, pour pouvoir me dire que j'avais déjà lu quelque chose de Houllebecq et ne pas être tenté de porter sur lui un jugement à priori qui ne me serait dicté que par des critiques extérieures. Pourtant, je dois bien avouer que mon attention n'a été attirée que dans les dernières pages, quand l'auteur jette un regard désabusé sur cette vie qui n'a plus d'intérêt pour lui parce que la femme qui la justifiait n'est plus là et qu'il est condamné définitivement à vivre sans elle « Vieillir, ce n'est déjà pas très drôle, mais vieillir seul, c'est pire ». Avec elle et grâce à elle, sa petite vie parisienne et quotidienne avait soudain pris des couleurs, à cause du sexe, sans doute, mais pas seulement [Elle (Valérie) faisait partie de ces êtres qui sont capables de dédier leur vie au bonheur de quelqu'un, d'en faire très directement leur but. Ce phénomène reste un mystère... Si je n'ai rien compris à l'amour, à quoi me sert d'avoir compris le reste? »].
Alors, peut-être pour entretenir le souvenir, revenir à une vie plus conventionnelle il revient en Thaïlande, mais seul, sans illusion, pour exorciser sa douleur [ « Il est probable que je ne comprendrai jamais réellement l'Asie, et ça n'a d'ailleurs pas beaucoup d'importance. On peut habiter le monde sans le comprendre, il suffit de pouvoir en obtenir de la nourriture, des caresses et de l'amour ».
Il prend conscience de lui-même [« J'aurai été un individu médiocre, sous tous ses aspects »]. Dès lors la mort peut venir et l'attend sans vraiment la craindre parce qu'elle est l'issue normale de ce passage sur terre qui maintenant n'a plus d'intérêt pour lui [« On ne vient pas à Pattaya pour refaire sa vie mais pour la terminer dans des conditions acceptables » et l'écriture est peut-être un exorcisme... ou peut-être pas!
Un roman qui ne prend sa réelle épaisseur qu'à la fin et qui me laisse une impression mitigée, une sorte de malaise.
©
Hervé GAUTIER – Août 2009.http://hervegautier.e-monsite.com