la feuille volante

Benoît Philippon

  • Mamie Luger

    La Feuille Volante n° 1340Avril 2019

     

    Mamie Luger – Benoît Philippon- Éditions Equinox-Les Arènes

     

    Imaginez un peu Berthe, une vieille de 102 ans, ridée et édentée, avec sonotone et arthrite, genre Ma Dalton ou Calamity Jane, qui vient, dès potron-minet, de tirer sur son notaire de voisin à la 22 long rifle et qui a fait face, arme à la main, aux forces de l'ordre au fin fond du Cantal. Au commissariat, devant l'inspecteur Ventura qu'elle s'évertue a appeler Lino alors qu'il se prénomme André, elle ne s'en laisse pas conter et entreprend même d'enrichir le vocabulaire du susdit, mais pas vraiment dans la langue châtiée de Jean d'Ormesson ! Non seulement elle a envoyé son voisin à l’hôpital mais elle a aussi couvert la fuite d'assassins qui maintenant sont en cavale. Rapidement son interrogatoire, accessoirement un peu surréaliste et pas mal folklorique dans le cadre d'une procédure policière, glisse vers la biographie mouvementée de sa famille et de la sienne propre et on s'aperçoit que plus elle parle, plus elle aggrave son cas. Sa vie n'a pas vraiment été un long fleuve tranquille et si elle a été une belle femme fort avenante, elle en a bien profité avec les hommes. Pour l'heure, elle boit sec, a la détente chatouilleuse, l'homicide facile et la langue bien pendue, quant à son surnom de « Mamie Luger » , il lui vient d'une mésaventure de la 2° guerre qui a mal tourné surtout pour un soldat allemand. Berthe a beau être une tueuse en série, il passe entre l'inspecteur et elle une sorte de courant de sympathie bien incompatible avec une garde à vue réglementaire. Il faut dire que ses aveux qui ressemblent plutôt à une confession ont été des plus précis, justifiant autant la longévité exceptionnelle de Berthe que son surnom. Elle a même tendance à confondre instruction judiciaire et divan du psychanalyste et c'est sans doute cette incursion dans le passé, qui bien souvent donne le vertige, à moins que ça ne soit sa volonté de se décharger avant de mourir d'un poids trop lourd à porter pendant trop longtemps, qui provoquent chez elle un malaise. C'est plutôt dommage parce que, dans le même temps, une perquisition se déroule chez elle et ce que trouvent les policiers est plutôt époustouflant. Le suspense est donc au rendez-vous et le lecteur découvre les faits, au rythme des nombreux analepses de ce roman. Et puis cette volonté de tout avouer, ce qui la conduira à une lourde condamnation, n'est-elle pas aussi une envie de tout simplement en finir ?

    C'est qu'elle sait ce qu'elle veut, Berthe et quand elle a décidé de trucider un homme, il ne perd rien pour attendre et elle met toujours ses projets à exécution, surtout ceux-là ! Si elle a commis ces assassinats presque naturellement, c'est avec la bonne conscience de celle qui agit pour son bien. Elle n'était pas vraiment préparée à cette épreuve policière puisque, dans le cadre de cette procédure où l'on peut parfaitement garder le silence, elle est à la fois prolixe de détails et convaincante au point que Ventura lui donnerait presque raison d'avoir perpétrer cette hécatombe d'hommes et l'ambiance de ce bureau d’interrogatoire n'a vraiment rien d'agressif. Heureusement il y a l'enquête qui se rappelle à lui et le maintient dans le rôle de gardien de la loi. On le sent quand même un peu partagé entre la volonté de révéler la vérité dans cette affaire et la compréhension qu'il éprouve pour cette vielle femme finalement pas si antipathique que cela, son empathie le disputant à son envie de connaître la fin de cette histoire. Son attitude envers elle et les dialogues quelque peu emprunts de familiarités qu'ils échangent, détonnent un peu sur l'ambiance qu'on s'attend à rencontrer dans un tel contexte.

    Elle devait bien avoir un problème avec les hommes pour les traiter ainsi ou bien, après avoir ainsi satisfait son désir de vengeance, s'attachait-elle à faire prévaloir hypocritement les apparences trompeuses, donnant d'elle l'image d'une vieille dame bien tranquille. C'est un paradoxe, elle ne peut se passer des hommes mais s'en lasse vite, prenant conscience, mais un peu tard, qu'elle a fait une erreur, funeste cependant, surtout pour ses éphémères partenaires. C'est sans doute sa manière à elle de rétablir l'égalité des sexes !

     

    Quand j'ai ouvert ce livre, je m'attendais, à cause sans doute de sa couverture ou de son titre, à un polar classique. Or ce n'en est pas un, nonobstant le nombre des victimes de Berthe. Je lui ai trouvé un côté attachant, émouvant, sensuel parfois, tant les choses qui y sont dites le sont non seulement avec une écriture fluide et plaisante à lire, bien éloignée de celle employée traditionnellement dans ce genre romanesque, mais aussi parce que cela parle de la vie ordinaire avec ses joies, ses peines, ses projets avortés, ses remords, mais aussi du racisme, de l'intolérance, de l'amour impossible, du destin implacable, autant de thèmes devant lesquels l'humour, pourtant bien présent au fil des pages, devient soudain dérisoire. Oui, pour tout cela, j'ai bien aimé ce roman.

     

     

    ©H.L.