Bérengère Cournut
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De pierre et d'os
- Par hervegautier
- Le 04/02/2020
- Dans Bérengère Cournut
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N° 1426 - Février 2020.
De pierre et d'os - Bérengère Cournut - Le Tripode.
Prix du roman FNAC 2019.
Sur la banquise qui se fracture et la sépare de sa famille, la jeune Uqsuralik est livrée à elle-même et va devoir survivre seule dans l'univers désertique arctique.
La pierre et l'os, ce sont les matériaux rudimentaires qui servent à édifier les maisons d'hiver sur la terre ferme du pays des Inuits et qui se différencient des igloos faits de glace et donc plus temporaires. C'est aussi le nom de cette femme, "la femme de pierre". C'est peut-être une déformation de mon esprit, mais j'ai lu ce roman comme une fable qui m'a fait penser au Petit Prince de Saint-Exupery, à cause du désert, du renard blanc insaisissable, de la solitude, de l'espace, du temps qui paraît ne plus compter...
Au-delà de l'histoire qui nous est racontée, celle de l'errance de cette jeune fille qui sait cependant comment survivre dans cette terre désolée et dangereuse, l'auteure nous donne une foule de renseignements sur ce peuple, sa façon de vivre au contact de la nature, les dangers qu'il doit affronter au quotidien, la chasse, la pêche qui leur assurent la subsistance et que les Inuits doivent posséder à la perfection sauf à être considérés comme des êtres secondaires, les habitudes culinaires et leur signification, les paroles rituelles qu'on doit prononcer afin de remercier l'animal qu'on vient de tuer pour assurer la survie, leur mode de vie solidaire et communautaire face à la solitude fatale, le nécessaire partage de la nourriture, la manière de vivre la famille, de la faire perdurer quand l'un des membres du couple disparaît, les habitudes sexuelles sans tabou, leurs croyances dans un au-delà et les rites qu'il faut observer pour favoriser ce voyage, la foi dans les amulettes rituelles et la poursuite incessante du gibier... De tout cela émane une étrange force des mots et leurs mimes s'inspirent de la chasse et de la pêche mais évoquent aussi la souffrance, la maladie que combat mystérieusement le chamanisme, la force occulte des esprits que les vivants respectent et parfois craignent, les prédictions...Pour ces peuplades qui ne connaissent l’écriture que sous la forme de notations syllabiques, la transmission des croyances et des expériences est principalement orale et passent par le chant qui exprime leurs joies, leurs peines, leurs espoirs. Le parcours de cette jeune fille qui va devenir un vrai chasseur-pêcheur, c'est à dire un être que ses semblables vont accepter pour ce qu'elle est mais aussi une femme et une mère au gré de ses rencontres, a quelque chose d'initiatique, une quête d'identité, un cheminement de vie. Ce que je retiens aussi c'est la mort constamment en embuscade dans ce quotidien hostile et qui réclame son tribut de vies humaines, l'habitude de donner le prénom d'un mort à un nouveau-né comme une permanence de la vie ou un gage d'immortalité. C'est depuis ce paradis des Inuits que Uqsuralik nous parle après son long parcours terrestre, constate avec le temps l'invasion des Blancs qui, comme des colonisateurs, veulent imposer à son peuple devenu objet de curiosité et d'études, de nouvelles croyances, une façon différente de vivre les choses, la leur! Elle pose sur ce nouveau monde un regard circonspect, amusé même et se pose, telle une statue invisible mais bien présente, en veilleuse pour l'avenir. Une façon de garantir ce qui fait la spécificité et la liberté des Inuits.
L'écriture de ce roman est claire musicale avec une grande intensité poétique.
Il y a eu certes pour l'auteure la fascination de l'Arctique, les messages des explorateurs laissés comme des traces à suivre mais ce que je retiens aussi c'est le prétexte de ce roman, la découverte fortuite de sculptures inuits en os, en ivoire et en pierre, minuscules témoignages à la fois puissants et simples de la créativité d'un peuple qui, imperceptiblement, a appelé l’écriture romanesque, comme une sorte d'hommage à la vie, à la femme qui la transmet et au combat que cela implique pour durer dans ce monde hostile.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com