Mariette Navarro
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Ultramarins
- Par hervegautier
- Le 05/12/2022
- Dans Mariette Navarro
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N°1698 – Décembre 2022
Ultramarins - Mariette Navarro – Quidam éditeur.
Elle est commandante d’un porte-containers, pour un voyage entre la métropole et la Guadeloupe, seule femme responsable du navire au milieu de tant d’hommes. Lors d’une traversée qui s’annonçait facile, elle autorise, ce qui ne se fait jamais sur un bateau de commerce à cause notamment des délais de transport et du règlement, une baignade de l’équipage, officiers compris, en en plein Atlantique. Étonnée elle-même de sa décision, elle reste à bord pendant cette heure de liberté octroyée, elle observe leur nudité qui abolit un temps les obligations de la navigation, la hiérarchie, la discipline nécessaire, les conventions sociales… Elle réfléchit aussi sur elle-même, sur son enfance terrestre, son attirance irrésistible vers la mer, comme un sacerdoce, sur son impossibilité de vivre comme les autres femmes ordinaires, sur son célibat, sur l’ivresse et la solitude du commandement, sur sa maîtrise des choses de la mer, sur ses certitudes, sur ses folies éphémères abandonnées, sur la mort qu’elle souhaite pour elle.
Ce moment festif passé, matérialisé seulement par un trou de rayon sur la carte marine, tout rentre dans le rituel des codes du bord, chacun reprend sa place, du pont aux coursives, à la salle des machines et elle se met à s’intéresser à chacun d’eux, à son leurs origines, leur parcours, leurs motivations et durant cette attention étonnante le cargo s’enfonce dans une brume épaisse et inattendue, sorte d’anomalie météorologique qui fait songer au mystère du « triangle des Bermudes ». avec zones de silence-radio, de déréglemente des instruments de bord, d’anomalies météo, comme si le bateau était devenu un vaisseau fantôme, libre de sa vitesse et de sa position. Puis, comme si la folie passagère de cette baignade devenait une évidence, la commandante entre dans une sorte de démence où elle se met à croire à un passager clandestin, s’intéresse à un jeune matelot, pense à son père, ancien commandant mort et se met à consigner sur le livre de bord son intention de ne plus respecter les procédures et de mettre fin à sa carrière pourtant jusque là irréprochable.
Ce livre qui est un premier roman intense et bien écrit, débute par une longue méditation sur la traditionnelle citation apocryphe attribuée à Aristote « Il y a trois sortes d’hommes, les vivants, les morts et les marins », et plus particulièrement une réflexion sur la qualité d’hommes de mer, ces êtres qui sont perpétuellement en partance, habités, entre deux embarquements par l’angoisse et la nécessité des départs, le vertige du danger et de la mort, incapables de se fixer. Comme eux tous ceux aussi qui ont des « semelles de vents » et qui sont rejetés par la terre, sans roulis ni tangage...
Nous sommes dans une fiction, une fable, née d’une résidence d’auteurs à bord d’un cargo où l’extraordinaire est permis avec son pesant d’imaginaire, de mystères et de dangers, une expérience qui pour un terrien a quelque chose d’exceptionnel et dans laquelle je suis entré par goût de l’aventure. C’est aussi cette tentation de la folie qui nous guette et nous envoûte un temps dans chacune de nos vies.