Annie ERNAUX
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la femme gelée
- Par hervegautier
- Le 08/12/2022
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N°1699 – Décembre 2022
La femme gelée - Annie Ernaux – Gallimard.
St Thomas d’Aquin conseillait qu’on se méfiât de l’homme d’un seul livre. Même si cet aphorisme de ce docteur de l’Église est discutable, il reste que, s’il est un auteur qui a mis son autobiographie au service de son œuvre romanesque en en faisant le thème central et exclusif, c’est bien Annie Ernaux. Elle incarne à mes yeux, et ce sans aucune critique de ma part, le solipsisme de l’écrivain. Je remarque que le jury suédois semble apprécier les écrivains français qui explorent leur mémoire personnelle dans leur œuvre puisqu’il a déjà distingué en 2014 Patrick Modiano qui a fait la même démarche créative.
Dans ce roman, le troisième de cette auteure, publié en 1981, elle se représente en jeune fille qui a vécu une enfance heureuse au sein d’une famille modeste de petits commerçants normands mais compréhensive et qui souhaitait surtout qu’elle ait une vie meilleure que la leur. Elle était un peu leur revanche à eux (surtout à sa mère) et faire des études, devenir quelqu’un, avoir des connaissances et un bon métier lui permettra d’échapper au pouvoir des hommes. Dans les années 60 c’était en effet le destin de la femme que de rester à la maison, se charger des taches ménagères, d’élever ses enfants et de dépendre de son mari comme ce fut le cas de sa mère. C’est aussi l’époque où l’ascenseur social fonctionne encore et il est communément admis qu’un « bagage »(comme on disait à l’époque) ouvrait les portes de l’emploi. Elle fait donc des études universitaires, rencontre un étudiant et l’épouse. C’est aussi l’époque où les esprits s’ouvrent et les mentalités évoluent grâce à de grandes vois féminines et elle imagine que les choses vont évoluer vite et entretient l’illusion de l’égalité des sexes.
Elle parle librement de ses années d’enfance, de ses interrogations de fille face à la transformation de son corps, aux craintes instillées par la religion et sa morale, à la peur d’un avenir traditionnellement tracé, son goût pour les livres sans images et son envie diffuse d’en écrire elle aussi, plus tard. Puis viennent les années d’adolescence avec ses doutes ses espoirs, les études, un métier d’enseignant, le mariage puis la maternité, l’installation dans la vie, une sorte de routine incontournable pour une femme
J’aime bien lire Annie Ernaux, mais là, je me suis un peu ennuyé.
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le jeune homme
- Par hervegautier
- Le 05/11/2022
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N°1689 – Novembre 2022
Le jeune homme – Annie Ernaux – Gallimard.
L’amour, est un des moteurs de la création artistique et Annie Ernaux nous avoue d’emblée que la simple jouissance sexuelle provoque pour elle l’écriture. A un certain moment de sa vie (elle a 54 ans) où elle connaissait peut-être une période de « sécheresse » créative, elle reçoit une lettre d’un étudiant de Rouen (« A ») qui admire en elle l’écrivain et peut-être aussi la femme. Leur relation dure de 1994 à 1997 au point qu’elle confie n’avoir jamais connu une telle ferveur de la part de ses autres amants. Pourtant tout les sépare, l’argent, le milieu social, la notoriété mais cet épisode rouennais permet paradoxalement à Annie de retrouver ses origines modestes et de revivre sa période « bohème » étudiante qu’elle avait aimée. Cette vie commune prend rapidement des accents d’initiation réciproque, une première vraie relation, un défi ou une une rencontre passionnée pour lui, un retour vers son passé et une quête de sa jeunesse pour elle, d’ailleurs pas forcément toujours agréable par l’effet miroir que de telles images tirées du passé pouvaient avoir ! Pour Annie cette différence d’âge n’était pas une honte, au contraire, elle correspondait à une quête de sa jeunesse enfuie et à une façon de transgresser un certaine forme de morale bourgeoise en ressuscitant la « fille scandaleuse » qu’elle avait été. Elle avoue qu’elle a vécu cet épisode comme une expérience réussie, loin d’une véritable passion, mais aussi comme une renaissance vers l’écriture. Un livre un peu court cependant pour montrer que, à l’occasion de cette aventure autobiographique amoureuse, ce qui importe vraiment pour elle c’est l’écriture, sa véritable raison de vivre.
Ici elle confie avoir aimé un homme de trente ans son cadet et vécu avec lui. Au cours des générations précédentes, la relation entre un homme âgé et une femme plus jeune ne choquait personne et était même communément admise, quand l'inverse, pas forcément authentifiée par le mariage, suscitait parfois une réprobation gênée ou carrément un dramatique scandale, comme ce fut le cas pour Gabrielle Russier dans les années 60. Actuellement cette situation se révèle au grand jour et n'est plus comme auparavant soit réprouvée par une morale bien-pensante, soit cachée au nom d'on ne sait trop quoi. Même si une telle situation, d'ailleurs officialisée au plus haut sommet de l’État, peut susciter les quolibets, elle témoigne de l’évolution des mentalités.
Déjà, l'an passé et par dérision on annonçait que le prix Nobel de littérature avait été décerné... à Annie Ernaux (L'italien Tommaso Debenedetti, spécialiste des fausses nouvelles qu'il démentait ensuite, avait déjà signé un canular sur Twitter annonçant la distinction attribuée à Annie Ernaux alors que l'Académie suédoise l'avait en réalité décerné cette année-là au romancier tanzanien Adbulrasak Gurnah). C'était évidemment faux mais cette année c'est vrai. Elle est la 17° femme à recevoir ce prix prestigieux et les Lettres françaises sont une nouvelle fois consacrées à travers elle.J Je remarque que le jury suédois semble apprécier les écrivains français qui explorent leur mémoire personnelle dans leur œuvre puisqu’il a déjà distingué en 2014 Patrick Modiano qui a fait la même démarche créative.fait la même démarche créative.
On peut ne pas partager ses idées, mais elle les affirme avec conviction et constance. Elle ne fait pas partie de ces gens à qui une simple promotion fait perdre la tête et oublier leurs origines ou leur quotidien. Elle ne s'est pas contentée, tout au long de sa carrière littéraire, d’être une auteure à succès, elle n'a jamais fait mystère de ses modestes origines et en a même fait un des terreaux de sa créativité, tout comme elle a fait de sa personne et de sa vie la source de son inspiration, jusqu'au solipsisme. Elle a parlé des nombreuses facettes de sa propre vie, défrichant au passage les arcanes de la mémoire jusqu’à un trop grande facilité de confidences peut-être. On peut en penser ce qu'on veut mais après tout un écrivain puise dans sa vie sa propre œuvre créatrice ce qui est souvent l'occasion soit d' intéresser ses lecteurs soit parfois de les aider dans la leur.
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Retour à Yvetot
- Par hervegautier
- Le 01/11/2016
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La Feuille Volante n° 1082
Retour à Yvetot – Annie Ernaux – Éditions du Mauconduit.
C'est dans cette petite commune de Normandie où elle a passé son enfance qu'elle est revenue, officiellement invitée par la municipalité, parce que c'est un honneur pour chacun de recevoir cette « femme de Lettres » devenue un écrivain célèbre. Bizarrement, à part quelques visites à caractères personnel, elle n'avait jamais pu revenir ici parce cette petite ville abritait ses souvenirs d'enfance qui ont nourri sa démarche littéraire, mais était aussi un territoire d'apprentissage, de mémoire, une ville mythique qu'elle ne quitta guère avant l'âge de dix-huit ans et qui, sans même qu'elle en prenne conscience, a imprimé sa marque en elle, par couches successives. Née en 1940, elle était arrivée en 1945 dans une ville ravagée par la guerre, dans un quartier déshérité, loin du centre. A cette séparation topographique correspondait une autre, de nature sociale, avec tout le mépris de classe qui s'y attachait. Ses parents, anciens ouvriers, y tenaient un café-épicerie que fréquentait une clientèle populaire et pauvre. Malgré une gêne relative, elle fréquenta « l'école des riches », un école catholique qui, pour elle, fut une ouverture au savoir, à l'écriture, une occasion de parler le français, c'est à dire de perdre le « patois ». Cette ouverture à la connaissance était encouragée par ses parents, soucieux qu'elle fasse des études qui la sortiraient de son milieu, malgré la différence sociale avec les autres élèves plus fortunées. La lecture, dans son collège ne pouvait être que morale mais sa mère favorisa son approche de romans moins « classiques ». Elle a, en ce qui la concerne, choisi les écrivains du « vécu », sans doute inscrits jadis à « l'index » de son école confessionnelle, de préférence aux textes canoniques qu'on y privilégiait. Ils ont assouvi sa curiosité naturelle. L'écriture est venue après, bien que cet acte ne s'inscrive naturellement pas dans son milieu culturel et se nourrisse de sa seule mémoire de la réalité vécue : c'est donc devenu un véritable devoir. Restait la technique qu'on apprend certes par la lecture préalable, mais aussi grâce à l'enseignement du français qu'elle assura plus tard en tant que professeur. Écrire pour elle, c'était trahir ses origines populaires ainsi, ses premiers romans doivent-ils beaucoup au style violent et abrupte de Céline mais son écriture devient rapidement simple et poétique et pourrait se résumer par le terme « écrire la vie », celle des autres qui l'entourent, de ses parents qu'elle pouvait cependant avoir l'impression de trahir parce qu'elle n'était plus comme eux, parce qu'il y avait sans doute quelque culpabilité à avoir honte d'eux, parce que la société hiérarchise et divise. Cela exclut l'intime mais c'est pourtant c'est bien cela qui caractérise son œuvre qui donne dans l’autobiographie, le sexuel voire l'impudique … Ce parti-pris d'écriture ne me gêne pas, au contraire, et s'il fallait un justificatif, je le trouverais évidemment chez Montaigne qui nous rappelle que « tout homme porte en lui la marque de l’humaine condition ».
Quand on se met à écrire, c'est qu'on a quelque chose à dire et qu'on a envie de faire cette démarche pour les autres, une sorte de médiation, avec cependant cette volonté personnelle de « sauver quelque chose où on ne sera plus jamais ». Elle est en effet « une déclassée par le haut », « une transfuge de classe » et c'est ce qui a motivé chez elle l'acte d'écrire. Elle détaille ensuite dans un entretien publié à la suite de cette conférence, ce qu'est sa technique d'écriture, la mémoire prenant le pas sur la description de la réalité. Je souscris à cette manière de s'exprimer puisque le souvenir, conjugué d'ailleurs à l'imaginaire, est une source indispensable de la création littéraire. Tout cela ne va pas sans un choix inconscient où l'autobiographie le dispute à l'oubli, mais aussi où le texte impose son rythme à l'auteur lui-même. Elle précise également que cette réminiscence à une dimension sociale qui s'incarne dans les mots patois qu'elle employait elle-même quand elle était à l'école et ceux qu'elle a entendus plus tard dans bouche de ses élèves. A son sens, c'était là un vocabulaire de « dominés » qu'elle a cependant cherché à maintenir dans ses livres au détriment d'un français plus « classique ». C'est sans doute une manière de revenir à ses racines mais le lecteur ne peut pas ne pas être frappé par son style fluide et dénué d'artifice, agréable à lire.
Sans vouloir paraphraser Albert Camus, on ne peut pas revivre à cinquante ans les joies qu'on a connu à vingt. La vie imprime forcément en nous son rythme et ses contingences, ses trahisons, ses illusion perdues, le temps fait son œuvre dévastatrice avec ses erreurs, ses échecs, ses regrets et ses remords qui jalonnent forcément un parcours personnel. Son enfance, son adolescence s'égrènent à travers des photos qui illustrent cet ouvrage, elles sont, comme pour chacun d'entre nous un activateur de la mémoire et donc pour elle d'écriture parce que le cliché fige le temps, suscite l'émotion et la nostalgie.
© Hervé GAUTIER – Novembre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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"Journal du dehors" et "La vie extérieure"
- Par hervegautier
- Le 28/10/2016
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La Feuille Volante n° 1080
JOURNAL DU DEHORS et LA VIE EXTÉRIEURE - Annie Ernaux – Gallimard.
De 1985 à 1992, puis de 1993 à 1999, Annie Ernaux a choisi de livrer à son lecteur tout ce qu'elle a vu dans son quotidien à Cercy où elle habite. Ce sont des instantanés , des scènes, des paroles, saisies dans le RER, dans les gares, dans les supermarchés, dans la ville. Bref de courts textes qui peignent une ambiance, des impressions fugaces que le quotidien citadin nous assène sans même que nous nous en rendions compte. Je ne suis pas vraiment familier des romans de cette auteure mais il me semble qu'elle a fait de sa vie personnelle et même intime la nourriture de sa création littéraire. Ici, c'est certes sa vie avec parfois ses vieux démons obsessionnels qui ressortent qu'elle évoque mais surtout ce qu'elle voit, l'extérieur qui contraste quelque peu avec les récits qu’elle nous donne à lire ordinairement. Elle laisse traîner un œil attentif, parfois voyeur, parfois inquisiteur, avec alternativement indifférence, compassion, méchanceté ou détachement, comme un témoin muet et parfois lointain qui ne voudrait pas prendre parti mais qui se contente de percevoir ce qui se passe autour d'elle et d'en rendre compte avec des mots. C'est soit le quotidien banal des petites gens, des quidams, les relations avec leur famille ou ce qu'il reste de ceux qu'on appelle, souvent à tort, les grands de ce monde, parce que, leur pouvoir évanoui, il ne reste plus rien que des souvenirs qui contrastent avec tout ce qu'ils disaient vouloir faire ; ils se sont constamment cachés derrière des apparences et elle dénonce leur mépris et leur imposture.Elle évoque le monde du travail, ces petits boulots qui permettent de survivre et surtout ceux qui tendent la main parce que la richesse ou la sacro-sainte croissance les ont oubliés ou encore ceux qui aussi ont choisi de leur faire un pied de nez, ceux qui n’ont pas la bonne couleur de peau ou la bonne manière de s'habiller et qui ne répondent pas aux codes de la société. Elle concentre son regard sur leurs yeux, parfois vides, parfois artificiellement enjoués parce l'humour est aussi une arme et qu'on peut rire de tout, même de la misère. Elle lit les graffiti qui fleurissent sur les murs ou sur les trottoirs qui sont le témoin de la peur ou du désir, ils sont autant d'aphorismes philosophiques qui invitent à la réflexion sur une vérité qui dérange, l’égoïsme ordinaire, le mépris ou à la passivité des passants pressés. Ce sont des visions fuyantes d'un monde ordinaire, bien banal où il ne passe rien que de très dérisoire, avec ses erreurs, ses fantasmes, ses apparences trompeuses, des scènes d'un théâtre où la comédie le dispute à la tragédie surtout quand le métro est ensanglanté par des attentats. C'est vrai que, contrairement à tout ce qu'on va racontant, le destin est injuste, la vie n'est pas belle quand elle s'habille de sang et de crasse, que cela se passe à Paris ou à Sarajevo, elle est bien plus souvent déprimante, dure et sans merci . Parfois l'auteure conclut par un apophtegme bien senti, genre philosophe désabusée, cherchant un sens partout et n'en trouvant pas toujours. Elle note, écoute, laisse aller son regard vers l'extérieur, dit que l'émotion que lui prêtent les gens du quotidien. J'ai lu ces deux ouvrages avec une impression de solitude et de peur qui caractérisent nos sociétés occidentales et ce malgré le « vivre ensemble » dont on nous rebat les oreilles, malgré toutes ces manifestions publiques de solidarité...
Le « Journal du dehors » (publié en 1993) rend compte des impressions de l'auteure de 1985 à 1992 et « La vie extérieure » (publié en 2000) reprend le même thème, mais pour les années 1993 à 1999, gommant, selon elle, certaines omissions, avec cette remarque qu'elle a l'impression que ce n'est pas elle qui les a écrits alors que, plus que tous les journaux intimes, ces scènes lui ressemblent et paraissent dessiner sa propre histoire. Ce dernier recueil est présenté sous forme d'éphéméride et insiste davantage sur la vie qui change les choses et les gens, le temps qui passe, le tout au quotidien où elle vit à Cergy, en banlieue. Le style, toujours fluide et agréable procure un bon moment de lecture.
Ces textes, courts et en prose sont comme des clichés photographiques pris au hasard de la vie. Ils me rappellent les poèmes de Georges-Léon Godeau qui savait si bien rendre ce qu'il voyait en y mettait un zeste ce sensibilité personnelle. En lisant les textes d'Annie Ernaux, il me vient aussi à l'esprit une citation de Victor Ségalen « Voir le monde et, l'ayant vu, dire sa vision ».
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Passion simple
- Par hervegautier
- Le 24/10/2016
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La Feuille Volante n°1079 – Octobre 2016
PASSION SIMPLE – Annie Ernaux – Gallimard.
J'avoue qu'en lisant ce livre, j'ai eu l'impression de relire « Se perdre » [la Feuille Volante n° 1078]. Pour qui est familier de l’œuvre d'Annie Ernaux qui pratique volontiers l'autobiographie, on a la certitude de partager à nouveau une de ses passades. Elle nous confie donc, une nouvelle fois, l’histoire d'une de ses passions pour un homme, A., évidemment marié, plus jeune qu'elle, venu des pays de l'Est, qui affectionnait l'alcool et les belles voitures . C'est la même vie en pointillés, les mêmes amours de contrebande, la même attente de cet amant qui, après l'amour s'en va, la laissant avec sa solitude, avec la mémoire des caresses données, avec l'anesthésie du plaisir, l'espoir d 'un prochain appel téléphonique, d'une prochaine étreinte, mais aussi avec, en contre-jour la peur d'être quittée. Pour le garder, ce sont les mêmes expédients, de nouvelles toilettes, des nouveautés dans la technique de l'amour puisées au hasard de revues spécialisées, rien n'est de trop pour se l’attacher. Elle s'en remet même aux prévisions de l'horoscope ou des voyantes, pratique des vœux et promesses improbables pour se persuader qu'il lui reviendra, qu'il ne sera pas tenté par d'autres femmes, que cette visite ne sera pas la dernière. Elle est divorcée, mère de famille et n'hésite pas à faire passer cet amant avant ses propres enfants. Apparemment, elle semble s’accommoder du fait qu'il soit marié et ne fait rien pour provoquer une éventuelle rupture avec son épouse un peu comme si, de sa part, il n'y avait pas de jalousie à l'endroit de cette femme, qu'elle était, elle, Annie, complètement indifférente au fait qu'il pouvait parfaitement faire l'amour à son épouse comme il le lui faisait à elle. Elle pense même que la présence de A. auprès de sa conjointe est une garantie contre une éventuelle infidélité de cet amant qu'elle imagine volontiers volage, balançant entre le désir de rompre pour ne plus souffrir et celui de faire perdurer cette passade pour continuer à en jouir. Elle imagine même une rupture florentine particulièrement sophistiquée qui en fait n'en serait pas une. Pour autant, elle craint une éventuelle rivalité avec une autre maîtresse, mais voit dans sentiment de jalousie un privilège fragile. Elle habille elle-même ses propres fantasmes en les prêtant à A. à propos d'un film ou d'un roman dont le thème serait l'érotisme et qu’ils auraient partagés à distance et ce même si dans ce genre de fiction, les relations adultères finissent toujours mal suivant l'aphorisme bien connu. Comme avant chacune de leurs rencontres, elle jouit de cette attente et on a même l'impression que son quotidien, son travail passent après cet espoir de leurs étreintes et ce même si elle sait que ce moment passé elle connaîtra à nouveau la douleur de son prochain départ. Elle va même jusqu'à acheter des vêtements (des sous-vêtements!) pour lui plaire. Son imagination prend même le relais et elle confie au lecteur que la simple pensée de A. la remplit de bonheur au point que son cerveau lui prête des orgasmes semblables à ceux qu'elle connaît avec lui. Je ne sais qui nous avons affaire à une séductrice, une mythomane ou une femme qui est en permanence avide d'amour et de plaisir, qui est habitée par une une obsession dévorante, qui va d'un amant à un autre tout en témoignant à chacun un attachement un peu surréel.
Elle précise qu'elle ne ressent aucune honte à se confier ainsi au lecteur à cause du délai qui s’écoule entre le moment où elle écrit et celui où elle est lue et qu'il n'y a rien là qui soit de nature exhibitionniste(?). Elle conclut elle-même cette histoire d'amour par le départ de cet amant dans son pays, avec, en ce qui la concerne, un état de déréliction, de dépression et un désir de mort qu'elle compense par une imagination débordante et des projets un peu fous et sans lendemain. La manifestation de ses fantasmes est évidemment sans suite. Cette passion prend un tour romanesque, le besoin de la raconter parce qu'elle l'a vécue dans un contexte de liberté qu'elle aimait chez cet homme que sa qualité d'étranger rendait plus grande encore. Elle ne fait pas pour autant de lui un personnage de roman, on ne le voit pas vivre dans ce texte où il est tout juste évoqué. Sa présence est certes envahissante puisqu'elle passe par elle mais lui semble ici complètement absent et elle se contente, maintenant que cette passion est terminée, de se rappeler qu'il a fait partie de sa vie, même par intermittence. Pourtant, dans son cas et face à une telle épreuve, l'écriture n'a rien d'un baume, bien au contraire, elle ravive sa douleur par l'évocation de ce passé vécu par elle avec passion et la relecture de ces pages ne fera raviver. Elle cherche à puiser dans un passé recomposé une sorte d'apaisement mais rien n'y fait, au contraire peut-être, tout lui rappelle l'absence de A. et la certitude qu'il ne lui reviendra pas. Pire peut-être,la relecture de ces ages écrites lui inspire une sorte de honte pourtant non ressentie quand elle vivait sa passion avec lui.
Je note que l'analyse des sentiments est particulièrement fine, obsession de plaisir bien disséquée, l'attente de cet homme évoquée avec des mots justes, les références culturelles pertinentes et cette présentation bien écrite comme c'est souvent le cas chez cette auteure dont j’apprécie le style fluide, ce qui au cas particulier, compense largement l'impression de « déjà lu », toujours gênante à mes yeux chez un écrivain.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Se perdre
- Par hervegautier
- Le 23/10/2016
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La Feuille Volante n°1078 – Octobre 2016
Se perdre – Annie Ernaux – Gallimard.
Depuis que je connais Annie Ernaux (par la seule lecture de ses textes, cela va sans dire, mais puisqu'elle a fait de sa vie la nourriture de ses romans e que j'en suis le lecteur attentif, je peux parler d'une véritable fréquentation quasi-personnelle), il me semble que le sexe et la recherche du plaisir ont tenu une grande place dans sa vie. D'emblée, elle nous parle de S. 35 ans, un homme marié, Russe, vaguement diplomate, apparatchik et peut-être membre du KGB, dont elle fut très éprise au point de ne rien écrire de création littéraire pendant tout le temps qu'a duré leur relation en pointillés à cause de la présence épisodique de l'épouse de S., hors mis la rédaction de son journal intime. C'est en effet à partir de ce document qu'elle va refaire le chemin à l'envers. Nous somme en 1988, elle a 48 Ans, elle est apparemment déjà divorcée, femme de Lettres, libre et mère de deux enfants. Sa rencontre avec S. est le prélude à une liaison torride pour elle mais qui est vécue par lui comme une passade sans lendemain et alors qu'elle recherche avec lui une véritable perfection dans la répétition de l'acte charnel, lui au contraire ne recherche que la jouissance, ne pense qu'à la baiser, elle, la femme de lettres, célèbre de surcroît … et à boire de la vodka ou du whisky ! C'est une situation d'autant plus cruelle pour elle qu'il ne l'aime pas et elle le sait (« je suis une parenthèse érotique dans sa vie, rien de plus »), qu'il la délaisse volontiers mais qu'elle l'attend quand même. Il semble apprécier seulement d être l'amant d'une femme plus vieille que lui, peut-être d'une Française, expérimentée dans l'art de faire l'amour et, qui plus est, est connue. A l'évidence et quelles que soient les marques de passion qu'elle pourra lui témoigner, il ne quittera pas sa femme pour elle, la préférant comme maîtresse que comme future épouse. Il me semble aussi qu'il y a aussi une ambiguïté dans l’attachement qu'elle a pour lui. Elle avoue que certes elle en est amoureuse mais corrige aussitôt cet aveu en ajoutant qu'elle est surtout fascinée par « l'âme russe », par l'URSS, comme elle l'est par la littérature slave, mais redoute d'être enceinte de lui. Elle souhaite aussi, parce que « la sexualité a toujours été une angoisse dans (sa) vie », maintenir seule cette liaison, « à bout de bras » avec cet homme, même si elle l'épuise, même si leur rupture est de plus en plus prévisible.
Elle nous confie, presque au jour le jour et sans omettre aucun détail ni aucune précision (le langage cru ne me gêne pas), ce qui pourrait être érotique mais qui à la longue devient lassant, ce besoin d'amour, cette passion qu'elle ressent pour lui cette histoire d'amours clandestines et qui lui rappelle ses précédentes liaisons. C'est un peu comme si S. rachetait par sa seule présence, même épisodique, toutes ses anciennes expériences décevantes, et ce malgré l'attente qu'il impose à Annie, le désir qu'il fait naître chez elle, malgré sa passion dévorante. L'attente chez elle est dévastatrice et s'apparente à la mort, pire peut-être, elle ne peut vivre sans écrire et cette espérance de lui annihile toute possibilité créatrice qui est le propre d'un écrivain. Est-ce que cette liaison avec un homme plus jeune qu'elle, signifie, même inconsciemment pour elle la peur de vieillir ? Le temps qui passe, elle le voit pourtant dans son corps qui s'enlaidit et dans cette assemblée de femmes qu'est ce colloque d'auteures dont beaucoup sont plus jeunes (et plus belles) qu'elle, dont elle est jalouse et craint qu'il ne les croise et ainsi ne l'oublie pour l'un d'entre elles. Avec le temps sa confiance en lui s'émousse même au point qu'elle craint d'avoir une remplaçante ou pire, que S. à cause des frasques et des infidélités qu'elle lui prête ne lui transmette le sida. Quant au temps qu'elle passe avec lui, il file plus vite et, de ce fait, leurs rencontres, même passionnées, sont génératrices d'absence d'autant plus que, elle le sait, leurs rêves et leurs désirs sont différents et que la rupture laisse planer sur eux son ombre. Elle finit par se faire une raison, avec lui elle a perdu son temps.
J'en reviens au phénomène de l'écriture, ce besoin de confier au papier ses moindres sentiments, ses envies les plus intimes, ses expériences et ses fantasmes les plus débridés. L'auteure l'a fait en tenant un journal intime et c'est sans doute là une libération, une manière d'exorciser ses tourments en les nommant. Mettre des mots sur ses maux est une activité plutôt saine et libératrice. Annie Ernaux est une femme de Lettres qui a délibérément choisi de faire des moindres événements de sa vie la nourriture de sa démarche d'écrivain en refusant la fiction. Soit ! Dès lors un auteur peut tout dire de lui-même et bien peu s'en sont privé, racontant leur histoire qui parfois a été passionnante. Il n'y a pas en ce domaine d'interdit à part ceux qu'on s'impose à soi-même et apparemment elle ne s'en impose pas et se lâche dans la confidence. Je ne suis pas sûr pour autant que l’intérêt du lecteur soit au rendez-vous.
Je n'ai pas retrouvé ici, à cause dans doute du parti-pris de l'auteur d'adopter la forme d'un éphéméride, le style fluide que j’apprécie tant chez Annie Ernaux. En outre, l'aspect répétitif du thème choisi m'a, je l'avoue, un peu lassé, de même d'ailleurs que la fréquente allusion aux rêves. Bref, cette histoire d'une femme follement amoureuse d'un homme qui ne l'aime pas, qui n’est finalement qu'un amant parmi tant d'autres et qui va s’éclipser de sa vie sur la pointe des pieds, ne m'a que très modérément intéressé.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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La place
- Par hervegautier
- Le 21/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1077 – Octobre 2016
La place – Annie Ernaux – Gallimard.
Annie Ernaux qui a fait du moindre événement de sa vie le moteur de son écriture nous livre ici un moment émouvant, celui de la vie et de la mort de son père. De lui ne subsisteront que quelques photos, des souvenirs personnels qui peu à peu se dissiperont dans son entourage amical et professionnel, puisque c'est le propre de l'espèce humaine que d'oublier. Ceux de sa famille se transformeront petit à petit et on ne retiendra que les bons moments en gommant les mauvais. Pour chacun de ses proches, à mesure que le temps passera, il fera partie de cette catégorie d'hommes qu'on regrette, qui avait toutes les qualités. D'ailleurs, le jour des obsèques déjà on le pleure amèrement et on n'oublie pas de prononcer la traditionnelle phrase selon laquelle « ce sont les meilleurs qui s'en vont », c'est agréable pour ceux qui restent et qui font ce qu'ils peuvent pour ne pas faire du tort à leurs voisins. Le curé lui-même s'en mêle et en rajoute, même si le défunt ne mettait jamais les pieds à l'office. Après tout, à la campagne, cela fait partie de la tradition de passer par l'église avant d'être enterré. A défaut d'être douce, ce fut une mort rapide, sans agonie.
Parce que sa fille est écrivain, elle va, et c'est bien normal, graver avec des mots, le souvenir de ce père en faisant de lui le personnage central d'un texte court qui résumera sa vie. Il n'y aura là aucune fiction, simplement les faits marquants de son existence, à tout le moins elle n'échappe pas au phénomène d'embellissement des choses que d'ordinaire chacun adopte malgré lui. Elle va donc refaire sa vie à l'envers en commençant par une rapide évocation de ses parents, des gens rudes. Il fut d'abord garçon de ferme jusqu'au service militaire qui le « sortit de son trou » et lui fit voir le monde au point qu'il décida de devenir ouvrier, ce qui, à l'époque et pour quelqu’un de la terre constituait une évolution. Puis ce fut un parcours presque ordinaire, le mariage, l’achat d'un petit commerce, un café-épicerie en Normandie, le retour à la situation d'ouvrier parce que la rentabilité n'était pas au rendez-vous, laissant la boutique à son épouse, pour reprendre ensuite un nouveau commerce. Ce parcours fut honnête et sérieux, avec la fierté d'être un homme ordinaire, bon époux, le bon père d'une famille qui fait son chemin malgré les vicissitudes et les privations de la guerre, qui pratique quotidiennement le travail sans relâche, l'économie, rejette le gaspillage, en particulier de la nourriture. Ici on est attentif à l'avis des voisins qui observent et commentent, on sait garder sa place, rester soi-même sans verser ni dans le vice, notamment de la boisson, ni dans l'ostentation, soucieux de donner à voir une bonne image. Son père était un homme gai et bon vivant qui malgré tout était demeuré « un homme de la campagne » qui supportait en silence le deuil de sa fille aînée, ne fréquentait pas l'église mais mettait Annie chez les Sœurs, parce qu'il voulait qu'elle soit mieux que lui. Il faisait partie de ces gens modestes, de ces braves gens et souhaitait pour leur fille une bonne situation que les études, à l'heure où toutes les filles de son âge travaillaient déjà, lui permettaient d'espérer être quelqu'un et surtout pour qu'elle ne se marie pas avec un ouvrier. Il y avait entre la narratrice et sa mère une sorte de complicité ne serait-ce qu'en raison de la similitude des sexes, mais avec son père c'était différent, surtout quand elle eut acquis un niveau d'études qui dépassait de beaucoup celui de ses parents. Non seulement elle quittait définitivement leur monde mais elle en vint à cette réalité brutale envers son père que pourtant elle respectait et aimait « J'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire ». Même si cela peut paraître brutal, cela peut-être une motivation de l'écriture. A la soixantaine, la maladie et l'opération l'ont laissé inerte, déléguant le travail de force à son épouse, une culpabilité en plus de celle de coûter cher. Pour sa fille, le mariage avec un homme de la grande bourgeoisie a achevé d’éloigner Annie de ses parents mais signifie pour eux et pour son père en particulier une réussite . Puis ce fut la mort rapide, inévitable. Ce portrait, la narratrice aurait pu le faire à l'occasion d'une rédaction de l'école primaire.
La vie d'Annie Ernaux, et ici de sa famille, nourrit son œuvre. Elle a choisi cela en délaissant la fiction, même si cette dernière cache toujours un peu de soi-même, privilégiant le solipsisme qui est courant chez les écrivains. Elle choisit de ne pas se cacher derrière un personnage, de ne pas « avancer masquée ». Je respecte cette manière d'écrire même si elle s’apparente un peu à la démarche des « people » qui m'énerve un peu quand ils éprouvent le besoin de faire connaître au plus grand nombre leur dernière toquade. Au moins ici, cela me procure-t-il un bon moment de lecture tant son style est fluide, poétique, agréable malgré parfois une certaine dureté, image de la réalité dont elle entend témoigner. Il n'empêche, l'écriture est un phénomène complexe entre catharsis, exorcisme, résilience, mémoire, hommage, c'est un point de passage obligé pour un écrivain qui prend la plume comme un autre prendrait une photo pour fixer des souvenirs personnels. Ce n'est pas seulement aligner des mots et noircir des feuilles pour le plaisir, cela demande du temps et l''accouchement est parfois difficile et souvent long. Comme elle le dit « la mémoire résiste » et ce malgré les odeurs et les sons que le temps porte en lui-même ; les mots aussi se défendent parce que ce matériau ne se laisse pas facilement approcher et encore moins utiliser. C'est aussi sans compter avec l'insatisfaction de l'auteur devant le résultat de son travail.
Ce récit annonce ceux qu'elle consacrera à sa mère quelques années plus tard, « Une femme » et « Je ne suis pas sortie de ma nuit »
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Une femme
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- Le 14/10/2016
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La Feuille Volante n°1075 – Octobre 2016
Une femme – Annie Ernaux – Gallimard.
Ce qui me frappe dans le cas d'Annie Ernaux, comme c'est souvent la même chose dans les relations parents-enfants, c'est que les oppositions innombrables qui ont eu lieu au cours de la vie commune, les désaccords parfois, dus notamment à la simple différence de génération, se gomment lors des derniers moments de la vie des parents, comme si au moment de basculer dans le néant il fallait faire taire tout cela, une façon de se faire pardonner ses écarts, d'oublier les mauvais moments, la volonté de laisser un bon souvenir de soi… On a beau dire que c'est une délivrance quand elle est précédée par la souffrance, on préfère toujours la vie à la mort et même si cette situation est paradoxale, l’absence du proche qui vient de disparaître est toujours insupportable, révoltante. Ici la situation est semblable. Elle nous parle de sa mère comme d'une femme violente, mais quoiqu'il en soit le chagrin prend vite le pas sur les autres sentiments. Va donc se poser le problème du deuil (je n'aime pas le terme « travail de deuil »), de tous les artifices qu'il faudra trouver pour gommer les difficultés rencontrées du vivant du disparu. On se raccroche aux photos, aux souvenirs qui feront d'eux-mêmes un tri, si on est croyant à l'espérance d'une résurrection ou aux rituels religieux, on espère que, selon le dicton populaire, temps fera son œuvre même si là rien n'est sûr, aux rêves qui se peuplent de fantômes, aux hallucinations où l'on a l'impression de le voir partout.
Dans le cas d'un écrivain, la résilience peut passer par l'écriture et c'est bien entendu une démarche dont il ne faut pas faire l'économie. Ainsi Annie Ernaux remonte-telle le temps pour explorer l'histoire personnelle de cette mère et, ce faisant, tente de « la mettre au monde », c'est à dire de révéler ce que fut sa vie. Elle refait le chemin avec des mots qu'elle va choisir, refait ce parcours un peu cahoteux de son enfance à elle quand on obéissait à ses parents, on respectait l’autorité, on pratiquait la religion comme une tradition, on allait à l'école jusqu'au certificat d'études, on tenait aux apparences et à sa respectabilité, on vivait pauvrement comme des gens de la campagne, de la terre, qui ne gaspillent rien et dont la fierté et le but, même inavoué, était de travailler en usine pour se démarquer de sa condition. Pour les femmes de son époque le mariage était « l'espérance de s'en sortir à deux ou la plongée définitive ». Elle s'est donc mariée, est devenue modeste commerçante mais le manque d'argent, les épreuves et la mort ne l'ont pas épargnée. Violences et débordements de tendresses résument son attitude à l'endroit de sa fille alors qu'elle était intransigeante au regard des règles du commerce, bref une femme à deux visages qui voulait donner d'elle l' image d'un être supérieur à sa condition malgré le travail dur qu'elle ne refusait pas, mais désireuse que sa fille ait une meilleure vie que la sienne. Effectivement en grandissant Annie acquiert la certitude que sa mère s'est sacrifiée dans ce seul but, même si leur complicité n'a pas été totale . Pourtant, avec le temps qui passe l'attachement qu'elle ressent pour elle s'affermit au point qu'elle ressent une sorte de culpabilité d'être largement logée alors qu'elle ne peut en faire profiter sa propre mère. De son côté, quand elle vient vivre avec sa fille mariée et mère de famille, cette femme s'adapte à un univers bourgeois qui n'a jamais été le sien même si ce nouveau monde n'est pas fait pour elle et qu'elle le sait. Tout au plus peut-elle se consoler en se disant que cette fille « a réussi ». Pourtant, quand elle comprend qu'elle n'y a plus sa place, que le silence préside aux relations qu'elle a avec sa fille, elle revient d'elle-même à Yvetot où elle a passé toute sa vie. Dès lors, les visites qu'Annie lui fait sont rapidement empruntes de ce mutisme devenu ordinaire et un accident de la circulation la fait entrer dans cette spirale où elle va peu à peu, malgré les périodes de fugaces lucidité, perdre le sens des choses, revisitant son passé et ses souvenirs, retombant dans son enfance, perdant la mémoire, ne reconnaissant plus ses proches… Bizarrement, alors qu'on pourrait penser que ce livre est une manière de la faire revivre, elle confie qu'il n'en est rien(« Dans ces conditions, « sortir » un livre n'a pas de signification, sinon celle de la mort définitive de ma mère »), comme s'il était sinon un hommage, à tout le moins un témoignage, s'il était investi par l'auteur d'un autre rôle. Elle s’interroge d’ailleurs elle-même sur ce processus « Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner ». Je pense qu'une telle démarche peut avoir pour l'auteur une fonction cathartique, bien qu'en ce qui me concerne je n'en sois plus très sûr, elle peut aussi avoir un rôle déculpabilisant face à cette notion générale judéo-chrétienne qui m'a toujours paru surréaliste. Nous sommes démunis devant la mort, cela fait partie de la condition humaine et nous n'y pouvons rien. Notre vie moderne nous incite à placer nos parents dans des établissements spécialisés sans qu’il nous soit souvent possible de faire autrement et l’allongement artificiel de la durée de la vie, regardé par la médecine comme une victoire, sonne souvent pour le commun des mortels comme de l’acharnement thérapeutique inutile.
Ce récit est complémentaire de « Je ne suis pas sortie de ma nuit » dont j'ai déjà parlé dans cette chronique (Feuille Volante n° 1075). J'ai lu ce livre émouvant et bien écrit comme un rappel d'une chose à laquelle nous ne voulons pas penser alors qu'elle est inéluctable. C'est une prise de conscience que chacun d'entre nous aura à connaître cette fin de vie où la mort sera regardée par nos proches comme une délivrance, même si nous voulons imaginer une autre issue.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Je ne suis pas sortie de ma nuit
- Par hervegautier
- Le 11/10/2016
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La Feuille Volante n°1074 – Octobre 2016
« Je ne suis pas sortie de ma nuit » – Annie Ernaux – Gallimard.
« Je ne suis pas sortie de ma nuit » est la dernière phrase que ma mère a écrite ». Ce sont les premiers mots de ce court texte qui est avant tout un témoignage émouvant de l'auteure sur les dernières années de sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer.
L'auteure indique d'emblée qu'elle culpabilise d'écrire sur sa mère comme si elle était morte et aussi de la faire revivre jeune, par l'entremise de l’écriture. Cette culpabilité se renforce encore quand elle commence à se débarrasser de ses affaires alors qu'elle est encore vivante parce que c'est un geste que l'on fait seulement quand la personne est décédée. C'est un peu anticiper sa disparition, même si celle-ci est inévitable. Ne pas avoir pu la garder chez elle est aussi pour elle une source de malaise intime. Au départ elle l'a effectivement accueillie mais sa démarche n'a pu perdurer, puis ce fut l'hôpital puis lamaison de retraite, autant d'étapes dans cette lente descente vers le néant que certes elle accompagne comme elle le peut, avec dévouement, patience, détermination, lui change ses couches, lui rase le visage, accompagne ses propos désordonnés qui prennent de plus en plus leur source dans une mémoire perturbée par le temps et les rêves qu'elle fait. Elle finit même par s'habituer à sa déchéance, à ce parcours sans retour dans la « déshumanité ». En plaçant, par force, sa mère dans ces établissements, elle l'a mise dans un microcosme social reconstitué où là aussi les forts dominent les faibles, le tout dans des odeurs de pisse et de merde, comme elle le dit elle-même. Dans cette ambiance dégradante, c'est peut-être une consolation pour elle de voir sa mère adopter une position de solitaire. Le plus difficile pour l'auteure est sûrement que sa mère a sur elle un effet miroir : non seulement elle se voit en elle comme elle sera elle-même dans sa vieillesse mais cette promiscuité avec sa mère fait remonter à la surface de sa propre mémoire des souvenirs personnels désagréables de sa vie liée à cette femme. A travers ses propos et ses gestes parfois violents, elle la revoit comme elle l'a toujours connue, une « mauvaise mère », brutale et inflexible dont elle s'occupe néanmoins maintenant avec soin. Les images délétères dont elle est le témoin dans cet établissement lui en rappellent d'autres de son enfance. C'est un peu comme si la perte de mémoire dont est victime sa mère ravivait la sienne. Dès lors, le temps qu'elle croyait perdu ou qu'elle avait oublié revient, lui faisant prendre conscience qu'elle s'inscrit dans la chaîne de la vie, dans la fuite inexorable des années et qu'elle est tout simplement mortelle, elle-même usufruitière de sa propre existence. Elle enrage de la voir de jour en jour devenir une femme sans mémoire, alors que la sienne se peuple de plus en plus de souvenirs de sa vie antérieure sans qu'elle soit capable de maîtriser ce phénomène. Assister impuissante à cette lente descente vers l’inconscience et la puérilité est désarmant. Sa culpabilité augmente encore quand elle fait à ses fils la relation de ses visites à sa mère dont les réactions, les remarques portent à rire. C'est, une façon inconsciente peut-être d'exorciser la douleur de ces situations mais elle s'accuse intérieurement de ne pas l'avoir assez aidé « à traverser sa nuit ». Que dire dès lors de sa volonté de voir finir cette épreuve devant l'incapacité qui est la sienne de ne pouvoir la vaincre que par la mort de cette femme pour qui elle ne peut plus rien que de la regarder se dégrader de jour en jour. Pourtant quand elle meurt, l'auteur confie « Je la préférais folle que morte », comme si cette habitude de la voir ainsi avancer vers le trépas était finalement plus supportable que l'absence et ce même si on tente de se rassurer en voyant dans cette issue fatale une délivrance, comme si ces visites étaient devenues avec le temps un rituel que rien ne pouvait bousculer. Le plus étonnant sans doute c'est que cette mère qui jadis avait été violente et qui n'admettait comme seule explication du monde que celle de la religion n'en parle pas, oublie ce qui pour elle aurait pu être une consolation.
A travers un éphéméride haché, elle confie au lecteur « Écrire sur sa mère pose forcément le problème de l'écriture », ou bien encore « Vieillir c'est se décolorer, être transparent », «La mort c'est l'absence de voix par dessus tout », « Exister, c'est être caressé, touché », autant d'aphorismes qui sont rédigés avec une brièveté sèche où je choisis de lire un réel désarroi face à l'inéluctable.
Ces pages sont l'invite à la fois à la réflexion, la constatation abrupte dans le simple domaine de la vie, de son déroulement et surtout de sa fin. Elle pose à nouveau le problème de l'écriture de ce qu'elle voit dans cet établissement, doit-elle faire acte de témoignage ou au contraire s'abstenir, mais l'écriture c'est aussi la vie ! Annie Ernaux a fait de sa propre vie la source de son écriture, délaissant du même coup la fiction qui est le domaine de l'imaginaire. Même si ici, elle choisit de parler de sa mère et de son histoire, de son vécu, cette démarche me paraît en effet authentique même si, à bien des occasions et pour autant que je puisse en juger, sa façon de s'exprimer repousse les limites de l'intime voire de la pruderie. Cela donne parfois les confidences qui chez d'autres écrivains restent du domaine du secret. Pour autant, elle avoue à son lecteur que ces mots même s'ils conservent le souvenir n'en sont pas moins impossibles à formuler parfois et souvent même à relire. Son style, fluide et agréable à lire, poétique parfois, est ainsi agrémenté de mots crus et tout à fait évocateurs dans leur simplicité et dans leur réalité. Cela ne me gêne pas et explorer ses livres est souvent pour moi un bon moment de lecture.
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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l'occupation
- Par hervegautier
- Le 08/10/2016
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La Feuille Volante n°1073 – Octobre 2016
L'Occupation – Annie Ernaux – Gallimard.
C'est bien le hasard qui m'a fait prendre ce court roman sur les rayonnages de la bibliothèque. Je n'avais aucune idée de ce que pouvait être le thème traité et le titre lui-même me donnait à penser à bien autre chose, la guerre par exemple.
La narratrice, Annie Ernaux elle-même, raconte un épisode de sa vie où, après sa rupture avec W., l'amant avec qui elle avait vécu six ans sans pour autant parvenir à accepter une vie commune que lui appelait de ses vœux, est informée le plus simplement du monde par cet homme qu'il vit avec une autre femme. Dès lors, sans même la connaître, la narratrice ressent-elle un sentiment inattendu : la jalousie. A vrai dire c'est assez étonnant puisque c'est elle qui était à l'origine de cette rupture et que finalement ils étaient restés en bon terme, se téléphonant et de rencontrant comme de vieux amis. D'ordinaire, cette jalousie naît de la tromperie, de l'adultère mais ce n'est pas la cas ici. C'était donc tout naturel que W. lui annonce que dorénavant il allait partager la vie d'une autre femme, c'est à dire qu'il allait vivre avec elle ce que Annie lui avait toujours refusé. Dès lors Annie va être envahie au sens propre par cette présence inconnue , au point d'être complètement occupée par elle, le titre du roman prend donc tout son sens. Elle veut en effet savoir tout d'elle bien que W. soit, et on le comprend, très laconique sur les renseignements qu'il lui donne. De guerre lasse, il lâche quelques informations qui aussitôt provoquent chez Annie une recherche frénétique, la jalousie qu'elle ressent devenant obsédante et même étouffante. Si j'ai bien compris, Annie est exclusive et même outrageusement possessive, non seulement elle a refusé à W. la vie commune qu'il espérait avec elle mais en plus elle l'a quitté alors que leurs relations étaient, de son propre fait à elle, basées sur le sexe. Ce qu'elle ne supporte pas c'est que maintenant il vive avec une autre femme même si, dans ce contexte, elle n'a aucune raison objective pour réagir de la sorte. C'est un peu comme si elle se considérait comme maîtresse du jeu au point d'avoir le droit de lui imposer ses vues, ses voeux et de lui contester tout droit au bonheur. Devant cette impossibilité elle en conçoit une véritable souffrance, « tombe jalouse » comme on « tombe amoureux », même si, comme lecteur, je n'ai pas senti qu'elle ait vraiment conçu de l'amour passionné pour son ex-amant. Tout au plus n'admet-t-elle pas qu'une autre femme puisse être aimée par lui et qu'elle le rende heureux. Cette jalousie est paralysante, quelque chose entre la paranoïa et l’obsession. C'est, pour elle, la prise en compte d'une page qui s'est tournée quand elle décidé de le quitter, qu'elle ne fait plus depuis partie de sa vie, mais c'est pourtant elle qui en a pris l'initiative, qu'elle a purement et simplement été remplacée alors qu'elle aurait préféré qu'il restât seul et sans doute qu'il la suppliât.
Petit à petit, au fil de mes lectures, je découvre l’œuvre d'Annie Ernaux et il me semble qu'elle a fait de sa propre vie le thème de ses nombreux romans. Elle se met en scène elle-même faisant du solipsisme le moteur de sa démarche créatrice comme c'est souvent le cas chez les écrivains. J'ai personnellement longtemps réfléchi sur une des fonctions de l'écriture qu'est la catharsis. Écrire une épreuve aide-il à la surmonter, à l'exorciser ? Après moult expériences dans ce domaine, je n'en suis plus très sûr. D'ailleurs, tout pendant que dure la recherche de cette femme, Annie tient son journal intime c'est à dire tente d'exorciser par l'écriture cette douleur née ce l'incertitude et de l'ignorance sur l'identité de cette femme, et n'y parvient pas. Elle avoue elle-même que l'écriture est un pis-aller dans sa quête au point qu'elle renonce à pousser investigations à leur terme « Écrire c'est d'abord ne pas être vu », (une façon de se cacher derrière des mots), une manière d'entretenir cette douleur, une sorte de masochisme. A la fin de son roman elle prétend que l'écriture l'a aidée. C'est peut-être vrai mais j'attribue cet apaisement à autre chose, au temps qui passe, à la réalité qu'elle finit par accepter, à elle-même peut-être qui a appris à mieux se connaître dans cette épreuve...Il m'a semblé qu' il y avait, au départ, une affirmation du « moi » de l'auteure, opposé à cette femme qui reste sans nom et même sans visage et que le roman se termine par une sorte de dissolution de cette individualité. Tout ce qu'Annie avait connu avec W. dans le passé n'est plus qu'un lointain souvenir. Et puis elle se console comme elle peut, se dit que W., plus jeune qu'elle, aime les femmes matures puisque sa nouvelle conquête à l'âge d'Annie et y voit donc la preuve qu'il n'éprouvait pour elle aucun amour particulier. Elle va même jusqu'à imaginer que l'autre femme apprend qu'elle rencontre toujours W. et en conçoit ainsi de la jalousie ! Elle va jusqu'à imaginer d'improbables situations qui seraient de nature à altérer cette liaison et provoquer son retour auprès d'elle.
Se faire larguer est une chose difficile à vivre et accepter cette réalité n'est pas aisé. Ici ce n'est pas exactement la cas d'Annie qui fait montre d'une jalousie un peu trop possessive. Même si lire un roman de cette auteure me fait passer de bons moments tant son style est fluide et agréable, je dois dire qu'ici je me suis un peu ennuyé, non pas tant à cause du tabou qu'elle lève, ce dont je lui sais gré, mais peut-être la manière peu convainquante dont elle traîte ce sujet bien humain. Ce roman est peut-être tout simplement pour l'auteure l'occasion de se raconter ?
© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com ]
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Les années
- Par hervegautier
- Le 05/10/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1071 - Octobre 2016
Les années – Annie Ernaux – Gallimard.
J'ai lu ce livre avec une certaine nostalgie, celle du temps qui passe, d'une jeunesse pas forcément belle et agréable à vivre mais définitivement disparue où nous étions mal dans notre peau parce que non reconnus par nos parents comme peuvent l'être maintenant les jeunes, où il fallait obéir sans broncher et se tenir tranquilles, où on décidait pour nous. Nous représentions certes l'avenir mais nous n'avions pas la parole, tout juste tolérés à condition de ne rien demander. On nous faisait sentir que nous étions une charge que seul notre départ du foyer familial était attendu ou, si nous y restions, nous représentions alors un salaire supplémentaire bienvenu en plus de la participation aux corvées.
Cette évocation ne peut se faire sans photos. Il n'y a rien de tel pour mesurer à travers les visages et les corps les ravages du temps et la fragilité de la vie. Le prétexte de ce roman est effectivement le cliché en noir et blanc, avec un encadrement, du papier glacé et des bords dentelés qu'on annotait au dos d'une date, d'un lieu ou de quelques mots parce qu'il n'y avait pas autre chose à l'époque et que cela se faisait ainsi. Il représente une petite fille en maillot de bain sur une plage, image de vacances, de farniente. D'autres suivent, tirés d'une mémoire qu'on croyait définitivement morte et qui évoquent le passé, les années de jeunesse où on assistait obligatoirement à la messe le dimanche et aux interminables repas de famille... Ce sont les vacances, le plus souvent à la mer, avec les parents, les informations à la radio, le parcours scolaire... C'est ensuite l'adolescence et son vent de révolte obligé qui souffle après toute ces années de silence et d’obéissance passive, ces cigarettes fumées dans les chiottes pour faire comme les grands, ces romans interdits qui circulent sous le manteau, ces chansons proscrites qu'on fredonne comme un défi, ces apprentissages sauvages mais excitants, ces espérances folles pour l'avenir…C'est pourtant grâce à ces photos un peu passées que l’auteure fait défiler le temps. Elles sont le témoin de la croissance et des changements du corps. A travers elles, l'auteure se souvient de son parcours personnel mais aussi de la fuite des années et de ce qui l'en reste dans la mémoire collective de cette espèce humaine qui est si prompte à oublier. Ainsi, à travers la vie de cette petite fille du début c'est tout un passé que « les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », celui de l'après-guerre, les Trente Glorieuses, la guerre d'Algérie, les rapatriés, les attentats, les promesses et les trahisons, Mai 68 si porteur d'espoir vers la liberté et la jouissance mais qui perdra bien vite tout son pouvoir de fascination, les premiers émois amoureux puis, bien plus tard les déceptions et la prise de conscience que tout cela n'est qu'une comédie qu'on a soi-même jouée de bonne foi en espérant y tenir un rôle qui finalement n'est pas autre chose qu'un leurre. Nous avons brassé de grandes idées, fondé des espoirs encore plus grands, mais qu'en reste-t-il au bout du compte ? Nous avons assisté à la remise en cause des certitudes les plus solides, à la disparition de bien des fondements de notre société que nous croyons immortels, constaté l'éloignement puis la disparition des valeurs qu'on nous disait universelles, vu se transformer en régression les changements qu'on nous promettait pour demain et s'évanouir les fantasmes ... Nous ne sommes ici que de passage, dans l'éphémère, le transitoire voire l'inutile et parfois le gâchis et c'est à travers ce genre de retour en arrière qu'on les mesure le mieux.
Comme toujours ce livre est bien écrit et agréable à lire. C'est souvent la cas dans les romans d'Annie Ernaux. J'ai apprécié cette écriture fluide, humoristique et poétique qui refait avec justesse ce chemin à l'envers, le jalonnant d'événements historiques ou factuels, le bornant de titres de chansons ou de romans emblématiques, l'absence de tabous, cette volonté de dire les choses parfois si longtemps cachées, même si, pour moi, cela a été une sorte de claque, la prise de conscience que le temps passe trop vite... mais je ne dois pas être le seul !
H.G.
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Ce qu'ils disent ou rien
- Par hervegautier
- Le 28/09/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1070 -Septembre 2016
Ce qu'ils disent ou rien – Annie Ernaux – Gallimard.
Anne va avoir seize ans. Elle est en révolte contre son milieu familial, ses parents ouvriers qui la bassinent avec les études qu'ils n'ont pas pu faire et qui lui ouvriront les portes de la réussite. Elle vient d'avoir son BEPC et on songe pour elle au métier d'institutrice ; elle en a déjà les lunettes ! Au moins, dans l'esprit de ses parents, elle échappera au travail en usine et cela tombe plutôt bien parce qu’elle ne veut pas devenir comme eux.
Pour l'heure se sont les vacances et ce qui l'intéresse , malgré la lecture de « L'étranger » d'Albert Camus, c'est les garçons, le sexe. Elle ne voulait pas mourir avant d’avoir connu cela. Grâce à sa meilleure amie, elle rencontre Mathieu, un moniteur de la colonie de vacances d'à côté mais le grand amour espéré n'est pas au rendez-vous à cause d'un faux-pas d'Anne qui déjà cherche avec Yan, par l'expérience, à en savoir davantage sur l'amour. Certes elle est devenue femme un peu malgré elle, mais cette expérience lui fait entrevoir la solitude et la dépression notamment face à ses parents plus désireux de la voir réussir professionnellement que de l'accompagner dans ses expériences .
J'avais déjà abordé l’œuvre d'Annie Ernault [La Feuille Volante n°1062 (mémoire de fille) -1063 (la honte)-1064 (l'autre fille)] et cela m'avait encouragé a poursuivre ma découverte. Ici, j'ai trouvé que ce texte, écrit à la première personne comme un journal intime ou peut-être avec cette volonté d'exorciser cette période troublée de la vie d'une jeune fille, les formes féminines qui se révèlent, la survenue des règles, la perte de sa virginité, l’appétit tout neuf de la vie…,était assez quelconque. Ce contexte autobiographique, courant dans la démarche littéraire de l'auteure, en fait, il est vrai l'originalité et aussi l’authenticité. Il est écrit sur le mode de l'oralité, d'une manière spontanée et abrupte, un peu trop peut-être. L'histoire de cette adolescente mal dans sa peau m'a cependant paru un peu longue et hésitante parfois. Certes c'est le témoignage d'une vie d'adolescente dont le corps se transforme, qui confie au lecteur ses aspirations et ses craintes de la vie à venir, son désir et son refus de l'amour, son passage de l'enfance à la féminité, et en cela c'est toujours intéressant.
Il ne m'a pas précisément procuré un bon moment de lecture comme je pouvais m'y attendre. Certes il est antérieur (1977) à ce que j'ai déjà pu lire mais quand même.
H.G. Septembre 2016
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l'autre fille
- Par hervegautier
- Le 14/08/2016
- Dans Annie ERNAUX
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La Feuille Volante n°1064– Août 2016
L'AUTRE FILLE – Annie ERNAUX - NIL - Les Affranchis.
Si on en juge par le texte préliminaire, cette courte œuvre a été écrite à la demande de l'éditeur sur le thème« Écrivez une lettre que vous n'avez jamais écrite ». L'auteure a choisi une sorte de monologue adressée longtemps après à sa sœur Ginette, morte avant guerre de la diphtérie et qu'elle n'a pas connue. Il ne s'agit donc pas là d'un roman, ce serait une sorte d'exercice de style, un travail de commande ou quelque chose d'approchant. Pourquoi pas après tout, un écrivain écrit par définition et on peut lui demander d'exercer son art. Avec l'amour et la vie, la mort a beaucoup inspiré les auteurs, mais quand même, le décès d'un proche a une dimension différente et l'écriture, si elle ne vient pas spontanément, n'a pas forcement cette action apaisante. Cela deviendrait donc un banal témoignage, une occasion de se retourner sur le passé familial.
Parler d'un mort est une chose difficile, surtout quand on ne l'a pas connu qu'on n'a pas parlé ni vécu avec lui parce que le destin ne l'a pas permis. Ginette est sa sœur, mais pour l'état-civil seulement, un nom sur le livret de famille mais aucun souvenir entre elles, aucune complicité, rien que des photos, traces muettes d'un petit visage sur papier glacé, fantôme de cette « autre fille », morte à six ans alors qu'Annie n'était pas encore née. La mort est un sujet tabou, et dans cette famille pleine de préjugés et de bondieuseries, c'est le silence et le déni qui prévalent puisqu'on ne fleurit jamais sa tombe. On ne parlait jamais de Ginette et ce mutisme n'a été rompu pour Annie qu'au hasard d'une conversation entre sa mère et une cliente du magasin [s'est souvent par les femmes que passe ce genre de révélation] et qui ne lui était pas destinée. Comme le trépas sanctifie tout, parce qu'on ne dit jamais de mal d'un mort, on la pare de toutes sortes de qualités qu'elle n'avait peut-être pas. C'est tout juste si on ne regrette pas ouvertement le choix du destin tout en essuyant ses larmes. Voilà donc Annie devenue enfant unique, porteuse de l'espoir de ses parents, presque enfant de remplacement parce qu'une vie peut en remplacer une autre et qu'il ne faut pas rester sur sa douleur. On atténue l'injustice de la perte d'un enfant par la certitude, au moins proclamée quand on est croyant, que la petite défunte est devenue un ange, une véritable sainte, et voit maintenant la Vierge et Jésus, consolation bien moindre au regard du chagrin qui durera tant que durera la vie et dont les vivants ne se relèveront jamais. Pourtant l'auteure, dans sa tête, n'a jamais été cette enfant unique, il y avait toujours, comme à contre-champ, une présence sortie du néant et dont elle était l'héritière, un peu comme si tout l'amour qu'on donnait à l'enfant vivant n'était finalement destiné qu'à l'absente. Il y a même une une sorte de dédoublement quand la maladie rapproche Annie de la mort. Elle a seulement eu plus de chance que sa sœur entre sérum anti-tétanique et eau de Lourdes mais c'est une autre injustice que la mort de cette petite sainte et la vie de ce démon d'Annie. De cela naît une culpabilité amplifiée par le silence et la volonté de vivre de cette survivante.
Parce que le livre est bien souvent un univers douloureux, ce qui n'était au départ d'une invitation intellectuelle devient une quête intime, une interrogation face à cette mémoire parcellaire, une volonté de faire revivre cette silhouette, l'écriture servant de prétexte à ce cheminement intérieur. J'en reviens au texte préliminaire. Écrire sur un sujet éminemment personnel n'est pas sans risque et on n'en ressort jamais indemne. C'est le résultat d'un long travail de maturation. Au début, j'ai eu l'impression qu'entre Annie et sa sœur il n'y avait que le silence puis, petit à petit elle prend conscience que sa vie s'est nourrie de la mort de sa sœur et du vide qu'elle a laissé, qu'elle n'a vécu que par une sorte de procuration, qu'elle a une manière de dette envers Ginette, devenue ainsi une sorte d'ange protecteur. Ce qu'elle veut c'est la ressusciter par l’écriture parce que, sans peut-être le savoir, elle porte en elle ce vide d'une vie interrompue. Elle est bien consciente cependant que ce « tu » employé lors de cette sorte d’interpellation est de circonstance, que cette intimité entre elles est artificielle, imaginaire, que cette lettre est un leurre un peu comme jadis on nous demandait d'offrir à Dieu nos souffrance pour les autres. Ici elle offre ses renoncements pour faire revivre Ginette mais, ce faisant, elle a bien conscience de courir après une ombre, de la faire en quelque sorte « remourir ». Cette quête est finalement vaine et débouche sur la négation, sur une sorte d'échec « Pour être, il fallait que je te nie », « Je n'écris pas parce que tu es morte, tu es morte pour que j'écrive, ça fait une grande différence ». Reprenant le cours de son récit et évoquant la mort de ses parents , c'est donc la vie qui prévaut et elle devient pour eux « l'autre fille », celle qui s'est enfui loin d'eux et qui ne reposera pas à leur côté pour l'éternité.
Le texte préliminaire invitait des auteurs à « s'affranchir d'une vieille histoire », à y mettre un point final. Pour cela l'écriture possède ce pouvoir d'apaiser celui qui la pratique et cette manière d’interpeller quelqu'un, même fictivement dans une lettre qui ne sera jamais envoyée et jamais lue par son destinataire est un paradoxe. L’auteure a accepté ce principe, un peu comme un défi, sans peut-être en connaître le véritable motif et destine finalement ce texte fort bien écrit et émouvant au lecteur par définition inconnu. En a-t-elle conçu pour autant un apaisement ?
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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la honte
- Par hervegautier
- Le 13/08/2016
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La Feuille Volante n°1063– Août 2016
LA HONTE – Annie ERNAUX - Gallimard.
C'est bizarre les livres. On leur donne vie après les avoir portés longtemps, ils mûrissent, nous vieillissons et il finissent par sortir, parfois un peu malgré nous, souvent à notre grand étonnement et le point final se met comme de lui-même. Pour eux on sollicite la mémoire, l’imagination, le travail, la documentation et ce souffle un peu bizarre qu'on nomme inspiration sans vraiment êtres capables de le définir. Souvent on fait appel à son histoire personnelle qui se raccroche à des photos, comme ici, la traditionnelle communion solennelle, un voyage en famille, une carte postale. A l’époque de la jeunesse de l'auteure qui est aussi un peu la mienne, les photos étaient en noir et blanc sur papier glacé, avec un rebord dentelé, un cadre blanc et on écrivait souvent au dos, une date ou un lieu… C'était le temps des messes en latin, avec des prières qu'on récitait par cœur sans les comprendre, de la communion reçue à jeun depuis la veille, des dizaines de chapelet ânonnées pour tout et n'importe quoi et dont on finissait par être persuadés qu'elles étaient indispensables à la bonne marche du monde...
L'auteur, fille unique d'une famille de petits commerçants provinciaux, catholiques, conservateurs, a une mère dominatrice et un père soumis mais qui, un jour de colère, menaça de la tuer. Nous sommes en 1952, elle a douze ans et cette scène violente se grava dans sa mémoire au point que, bien des années après, elle en rechercha la trace dans le journal local, vainement évidemment. Poussée par l'envie d'écrire, elle relate cet événement avec une grande économie de mots mais aussi se livre à une étude topographique, sociologique, linguistique, une étude des expressions et comportements sociaux de cette petite ville de Y. qui, au sortir le la guerre, se relève lentement du conflit, de ses bombardements...L'auteure insiste sur ce quartier populeux, à la limite de la campagne, avec sa population ouvrière, ses usages, ses tabous, son rythme de vie pour se concentrer sur la boutique familiale de « l'épicerie-mercerie-café ». Elle y détaille la conduite qui est propre à un petit commerce relative à la discrétion, à la manière de se comporter, de l'image qu'on donne de soi pour éviter la perte de clientèle génératrice de faillite infamante. Dans un autre chapitre elle détaille sa scolarité à l'école privée, ce qui était un privilège à l'époque, puisque payante, où se conjuguaient religion et savoir dans un rythme et des rites immuables, ses interdits, sa hantise de vivre en état de péché mortel, la malédiction de l'école laïque, mais aussi ses hantises de fille, ses règles qui ne viennent pas assez vite, un corps de femme qui prend du retard sur celui des autres… Cela c'était avant, avant cet épisode familial, repris d’ailleurs par un cousin qui a roué de sa tante de coups, un peu comme si quelque chose s'effondrait dans ce décor si bien agencé qu'on eût dit que rien ne pouvait venir le déranger. En même temps, la toute jeune fille qu'elle est encore, regarde le monde extérieur avec des yeux curieux et même un peu envieux. Chez elle aussi les choses changent, les goûts s'affirment qui ne correspondent pas exactement à ce qu'on lui a enseigné à l'école de Dieu, cet établissement que l'élite sociale dont elle ne fait pas vraiment partie, est censée fréquenter. Ainsi la honte tissée dans cet épisode familial se double-t-elle d'une décision, celle de renier un peu ses parents, anciens prolétaires devenus petits commerçants, et la menace que cette honte dure toujours et qu'elle s'impose à elle dans sa permanence [« Il y a ceci dans la honte : l'impression que tout maintenant peut vous arriver, qu’il n'y aura jamais d'arrêt, qu'à la honte il faut encore plus de honte encore. » ]
Il y a cet aspect documentaire intéressant et qu'il ne faut surtout pas négliger dans un tel contexte, surtout vu à travers les yeux d'une petite fille qui découvre le monde. Après ce qui avait introduit ce court roman et qui était bien de nature à traumatiser gravement une enfant de son âge, je me suis interrogé sur le long développement sur son éducation religieuse, sur la vie quotidienne à Y , sur ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas à cette époque, me demandant si elle ne s'écartait pas du sujet. Je m'attendais, légitimement peut-être, à un développement sur la honte comme le titre semble l'indiquer et pourquoi pas sur la culpabilisation si ancrée dans cette société d'après-guerre inspirée par le judéo-christianisme où il fallait se sentir coupable de tout ainsi que le curé de la paroisse le serinait chaque dimanche dans son sermon. Cette honte revient cependant à la fin, d'une manière assez inattendue cependant, à travers l'écriture qui non seulement lui permet de solliciter sa mémoire mais surtout de parvenir peut-être à exorciser le passé, ses mauvais moments surtout. Le temps souvent long qui passe entre ces deux épisodes, celui où l'on vit l'événement et celui où on l'écrit, prend sa vraie signification dans les mots qu'on trace sur la feuille blanche. Pourtant quelque chose m'attire chez cette auteur découverte par hasard, cette faculté particulière qu'elle a de raconter au « premier venu » qu'est le lecteur son vécu, son espoir, son intimité, ses phobies, ses fantasmes…Elle peut sans doute éprouver une certaine honte à écrire mais celle-ci ne sera jamais aussi grande que celle qui l'a envahie lors de cet épisode familial.
Cela dit, j'aime son style, cette phrase fluide, agréable à lire.
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com
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Mémoire de fille
- Par hervegautier
- Le 12/08/2016
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La Feuille Volante n°1062– Août 2016
MÉMOIRE DE FILLE – Annie ERNAUX - Gallimard.
L'été 1958, Annie Duchesne, la narratrice, a 18 ans, c'est la plus jeune des monitrices de cette colonie de vacances dans l'Orne où elle arrive avec une volonté farouche de vivre une vraie histoire d'amour, entre passade et perte de sa virginité, c'est à dire de tourner la page de cette enfance et cette adolescence rangées de fille unique d'un couple sans originalité, bourgeois, bien-pensant, catholique ... C'est l'époque de la Guerre d'Algérie, du franc lourd et d'un succès de Dalida. Pourtant à la fin de cet été tous l'ont oubliée. Elle a longtemps voulu écrire cette période, en vain, elle a même dû attendre cinquante ans, pourtant elle reste un jalon dans sa vie, une période un peu floue, tourmentée et rayonnante à la fois où elle est une sorte d'étrangère dont pourtant elle conserve la mémoire précise. Elle décrit cette jeune fille de l'extérieur, comme si dans son souvenir elle était sa propre spectatrice. Pendant cette courte période, elle va découvrir ce qui lui était caché jusqu'alors et particulièrement sa première expérience sexuelle avec un homme, faite la fois de violence et de soumission, de désir, de vantardise, de fierté d'avoir été désirée, de culpabilité, avec les moqueries le mépris des autres. Elle se découvre elle-même, débarrassée de ses tabous, de la honte, habitée par l'insouciance, un appétit débridé de vie, de liberté, de sexe, découvre aussi le regard des autres, à la fois accusateur, inquisiteur, à la fois cruel et envieux. Elle est victime mais aussi bourreau, à l'occasion, revient aux réalités quotidiennes malgré tous les « happy-end » de romans à l'eau de rose ou des chansons, en entretenant cette illusion du premier amour, forcément plus beau que les autres, celui que, paraît-il, on n'oublie pas, qu'on fait revivre en fantasmes … Bien sûr il y aura 1968 et la libération sexuelle, Simon de de Beauvoir et son appel à l’émancipation des femmes, mais au milieu de tout cela elle semble un peu perdue, joue avec ses peurs, avec sa vie, fait une chose et son contraire…
Elle relate cette période à la manière d'un journal intime, avec détail des sensations et analyse des sentiments les plus intimes, comme un film passé image par image mais alterne imperceptiblement, avec le décalage du temps, le « elle » et le « je », révélant sa « parenté personnelle » avec cette tranche de vie ainsi qu'elle a déjà fait dans son œuvre littéraire antérieure. Il y a dans cette démarche à la fois comme un dédoublement de la personnalité et un témoignage extérieur. La narratrice observe cette « fille de 58 » qu'elle a été elle-même, avec des yeux d'aujourd'hui, le temps ayant passé et avec lui l'évolution des choses et le sens critique incontournable qui balaie les certitudes. Je m’interroge depuis longtemps sur l'autobiographie, l'autofiction si on préfère(la distinction entre les deux est subtile). Certes cet exercice, jamais sans risque cependant, est un révélateur, parfois brutal de soi-même. Différente fondamentalement d'une fiction elle ne saurait être ramenée à une simple histoire. Elle met en scène ses propres fragilités qu'on choisit volontairement de révéler par l'écriture et sa publication. Cette démarche demande du temps, suffisamment d'hésitations, une maturation personnelle, une distance assumée des choses, une certaine impudeur aussi, la chance d'être lue par le plus grand nombre et d'accéder à la notoriété littéraire. Se livrer ainsi peut être libérateur, résilient, une manière de fixer les choses dans le temps, d'exprimer un témoignage, comme d'autres prennent des photos. C'est aussi l'occasion de raviver des cicatrices jamais vraiment fermées et qui laissent sur la peau une tache plus claire, les traces de la souffrance, une manière d'apprivoiser ce « présent antérieur », ce va et vient entre hier et aujourd'hui, avec le baume des mots. Pour autant, cet appel à la mémoire, après tout ce temps, génère une atmosphère délétère où tout semble nul à commencer par soi. Alors, dans cet impossible oubli, on convoque les photos et le miracle d'internet à qui beaucoup confient leurs souvenirs personnels, pour une improbable rencontre. Cette fille rejetée par son amant s'y accroche, fait des projets pour le reconquérir, prend pour cela des risques alimentaires insensés, se jette dans le travail scolaire, s'abandonne, sans trop savoir pourquoi au premier venu...
On a beaucoup dit que cette période de la vie, celle où on quitte l'enfance où on n'est pas encore prêt à entrer dans l'âge adulte, où on est à la fois insouciant et révolté, plein d'espoir et d'illusions, est le plus beau de la vie. Personnellement j'en ai un souvenir bien différent et qui ne correspond sûrement pas à cette idée reçue.
Je ne connaissais pas cette auteur. Son style est agréable, naturel, facile à lire, malgré les formules toutes faites, un bon moment de lecture, doublé d'une communion avec son mal-être, ses hésitations, ses états d’âme, sa déréliction, sa désespérance, le poids du passé ...
© Hervé GAUTIER – Août 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com