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la feuille volante

Passion simple

La Feuille Volante n°1079 – Octobre 2016

PASSION SIMPLEAnnie Ernaux – Gallimard.

 

J'avoue qu'en lisant ce livre, j'ai eu l'impression de relire  « Se perdre » [la Feuille Volante n° 1078]. Pour qui est familier de l’œuvre d'Annie Ernaux qui pratique volontiers l'autobiographie, on a la certitude de partager à nouveau une de ses passades. Elle nous confie donc, une nouvelle fois, l’histoire d'une de ses passions pour un homme, A., évidemment marié, plus jeune qu'elle, venu des pays de l'Est, qui affectionnait l'alcool et les belles voitures . C'est la même vie en pointillés, les mêmes amours de contrebande, la même attente de cet amant qui, après l'amour s'en va, la laissant avec sa solitude, avec la mémoire des caresses données, avec l'anesthésie du plaisir, l'espoir d 'un prochain appel téléphonique, d'une prochaine étreinte, mais aussi avec, en contre-jour la peur d'être quittée. Pour le garder, ce sont les mêmes expédients, de nouvelles toilettes, des nouveautés dans la technique de l'amour puisées au hasard de revues spécialisées, rien n'est de trop pour se l’attacher. Elle s'en remet même aux prévisions de l'horoscope ou des voyantes, pratique des vœux et promesses improbables pour se persuader qu'il lui reviendra, qu'il ne sera pas tenté par d'autres femmes, que cette visite ne sera pas la dernière. Elle est divorcée, mère de famille et n'hésite pas à faire passer cet amant avant ses propres enfants. Apparemment, elle semble s’accommoder du fait qu'il soit marié et ne fait rien pour provoquer une éventuelle rupture avec son épouse un peu comme si, de sa part, il n'y avait pas de jalousie à l'endroit de cette femme, qu'elle était, elle, Annie, complètement indifférente au fait qu'il pouvait parfaitement faire l'amour à son épouse comme il le lui faisait à elle. Elle pense même que la présence de A. auprès de sa conjointe est une garantie contre une éventuelle infidélité de cet amant qu'elle imagine volontiers volage, balançant entre le désir de rompre pour ne plus souffrir et celui de faire perdurer cette passade pour continuer à en jouir. Elle imagine même une rupture florentine particulièrement sophistiquée qui en fait n'en serait pas une. Pour autant, elle craint une éventuelle rivalité avec une autre maîtresse, mais voit dans sentiment de jalousie un privilège fragile. Elle habille elle-même ses propres fantasmes en les prêtant à A. à propos d'un film ou d'un roman dont le thème serait l'érotisme et qu’ils auraient partagés à distance et ce même si dans ce genre de fiction, les relations adultères finissent toujours mal suivant l'aphorisme bien connu. Comme avant chacune de leurs rencontres, elle jouit de cette attente et on a même l'impression que son quotidien, son travail passent après cet espoir de leurs étreintes et ce même si elle sait que ce moment passé elle connaîtra à nouveau la douleur de son prochain départ. Elle va même jusqu'à acheter des vêtements (des sous-vêtements!) pour lui plaire. Son imagination prend même le relais et elle confie au lecteur que la simple pensée de A. la remplit de bonheur au point que son cerveau lui prête des orgasmes semblables à ceux qu'elle connaît avec lui. Je ne sais qui nous avons affaire à une séductrice, une mythomane ou une femme qui est en permanence avide d'amour et de plaisir, qui est habitée par une une obsession dévorante, qui va d'un amant à un autre tout en témoignant à chacun un attachement un peu surréel.

Elle précise qu'elle ne ressent aucune honte à se confier ainsi au lecteur à cause du délai qui s’écoule entre le moment où elle écrit et celui où elle est lue et qu'il n'y a rien là qui soit de nature exhibitionniste(?). Elle conclut elle-même cette histoire d'amour par le départ de cet amant dans son pays, avec, en ce qui la concerne, un état de déréliction, de dépression et un désir de mort qu'elle compense par une imagination débordante et des projets un peu fous et sans lendemain. La manifestation de ses fantasmes est évidemment sans suite. Cette passion prend un tour romanesque, le besoin de la raconter parce qu'elle l'a vécue dans un contexte de liberté qu'elle aimait chez cet homme que sa qualité d'étranger rendait plus grande encore. Elle ne fait pas pour autant de lui un personnage de roman, on ne le voit pas vivre dans ce texte où il est tout juste évoqué. Sa présence est certes envahissante puisqu'elle passe par elle mais lui semble ici complètement absent et elle se contente, maintenant que cette passion est terminée, de se rappeler qu'il a fait partie de sa vie, même par intermittence. Pourtant, dans son cas et face à une telle épreuve, l'écriture n'a rien d'un baume, bien au contraire, elle ravive sa douleur par l'évocation de ce passé vécu par elle avec passion et la relecture de ces pages ne fera raviver. Elle cherche à puiser dans un passé recomposé une sorte d'apaisement mais rien n'y fait, au contraire peut-être, tout lui rappelle l'absence de A. et la certitude qu'il ne lui reviendra pas. Pire peut-être,la relecture de ces ages écrites lui inspire une sorte de honte pourtant non ressentie quand elle vivait sa passion avec lui.

 

Je note que l'analyse des sentiments est particulièrement fine, obsession de plaisir bien disséquée, l'attente de cet homme évoquée avec des mots justes, les références culturelles pertinentes et cette présentation bien écrite comme c'est souvent le cas chez cette auteure dont j’apprécie le style fluide, ce qui au cas particulier, compense largement l'impression de « déjà lu », toujours gênante à mes yeux chez un écrivain.

 

© Hervé GAUTIER – Octobre 2016. [http://hervegautier.e-monsite.com


 

 

 
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