Tanguy Viel
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Article 353 du Code Pénal
- Par hervegautier
- Le 06/04/2017
- Dans Tanguy Viel
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La Feuille Volante n° 1121
Article 353 du Code Pénal – Tanguy Viel – Les Éditions de Minuit.
La vengeance est un plat qui se mange froid, ça nous le savons tous et particulièrement Martial Kermeur, cet ancien ouvrier licencié de l’arsenal de Brest qui, il y a de cela six ans, avait investi la totalité de sa prime de licenciement dans un appartement faisant partie d'un projet immobilier pharaonique d'Antoine Lazenec, un promoteur véreux qu'il a fini par passer par dessus bord lors d'une partie de pêche. Dès lors il se retrouve au centre de ce qu'on appelle maintenant « l'affaire Lazenec » et surtout devant le juge à qui il raconte avec ses mots cette affaire qui est surtout la sienne. C'est en effet avec un long monologue naturel, naïf mais avec bon sens et humanité parfois qu'il adresse au juge d'instruction pour lui raconter à sa façon cette histoire de transformation de sa presqu'île en complexe balnéaire et les espoirs que chacun y avait mis. Cela donne lieu à une série d'aphorismes qui ne peuvent pas ne pas interpellé le magistrat qui est aussi un homme et un père de famille. Tout y passe, l'engouement du maire pour le projet, l'amitié du promoteur pour Martial, son erreur d'avouer le montant de son indemnité , celle de ne pas tout comprendre de ce qu'on lui disait, le piège qui se refermait petit à petit sur lui, sa malchance chronique, ses éternels atermoiement, le départ de sa femme, la certitude d'être toujours une victime, la folie de son fils, ce projet qui n'a jamais vraiment commencé, la certitude d'être un pauvre type facile à circonvenir et par-dessus tout ça la honte de s'être fait avoir et la culpabilité d'avoir donné à son fils ce spectacle paternel.
C'est vrai qu'au terme de ce long soliloque à peine interrompu par le juge et, le lecteur se dit que ce pauvre Martial s'est laissé, comme souvent la plupart d'entre nous, abusé par un impossible rêve qui viendrait gommer les injustices naturelles de la vie. A l'entendre ainsi dérouler son histoire, on ne peut pas ne pas avoir de l’empathie pour lui, à cause de la solitude, de la malchance qui l'assaille malgré toute sa bonne volonté. Lazenec était une victime pour la justice alors que tout ce désordre semé dans ce petit coin de Bretagne venait de lui, mais de cela il n'en n'a jamais été question et on ne peut légalement pas se faire justice soi-même ! Il excuse presque son geste meurtrier, réclame intimement la clémence de ce juge qui tient dans sa main le destin de ce pauvre Martial et cet article du code pénal, qui en principe sert à punir au nom de la société, vient, heureusement conclure cette affaire
J'ai apprécié ce texte qui épouse parfaitement la naïveté enfantine et désespérée de cet homme désemparé;face à cette vie où manifestement il n'a pas sa place et qui avoue comme lors d'une confession, tout ce qui s'est passé. Il n'était manifestement pas préparé à toutes ces épreuves et s'est laissé aller à sa soif de justice et qui s'est lui-même érigé en redresseur de torts. La mer, les embruns, la brume et le sel servent d'écrin poétique à cette sorte de roman policier à l'envers dont on connaît le coupable mais pas l'épilogue.
© Hervé GAUTIER – Avril 2017. [http://hervegautier.e-monsite.com]