Michel Audiard
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La nuit, le jour et toutes les autres nuits
- Par hervegautier
- Le 22/01/2020
- Dans Michel Audiard
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La Feuille Volante n° 1420– Janvier 2020.
La nuit, le jour et toutes les autres nuits - Michel Audiard- Denoël
Je suis comme la plupart des Français, fan des dialogues de Michel Audiard (1920-1985), de sa verve faubourienne , de ses saillies d'anthologie, des ses aphorismes définitifs que l'on grave dans sa mémoire et qui témoignent de son amour des bonnes choses de la vie et des mots, de son attachement à ses copains, à ses artistes fétiches, de son appétit de l'instant. Il a certes gardé un peu de sa gouaille, on ne reconnaîtrait plus le dialoguiste des "Tontons flingueurs"sans cela et il se laisserait même aller, à l'invite de la musique de Django Reinhardt et de Stéphane Grappelli, à quelque chose qui pourrait bien ressembler à des "Mémoires". Sous sa plume de noctambule parisien pendant l’Occupation, on croise des figures emblématiques et hautes en couleurs, des demi-mondaines qui ont su se partager entre les occupants et les Alliés, des prostituées mais aussi des pauvres filles pour qui la Libération a été synonyme d'opprobre et sur qui les résistants de la dernière heure et ceux qui ont su tourner leur veste au bon moment se sont acharnés, un beau panel de l'espèce humaine. Puis il emprunte la douce pente du souvenir, celui de l'enfance de ses espoirs fous en l'avenir et ses égarements, celui du succès du cinéma et de l'écriture, convoque les femmes, leurs mensonges et leur fantasmes, les hommes aussi et leurs envies, leurs traîtrises, leurs compromissions... L'époque troublée de la guerre était favorable à ce genre d'éclosions! Ainsi revisite-t-il, à l'aune de sa souvenance blottie au fond des jours et des nuits, des fantômes qui peuplent encore ses pensées malgré l'effacement du temps. Il conte avec humour ses amours furtifs autant que ses rencontres amicales et durables avec une certaine nostalgie, évoque ceux qui ne sont plus là pour lui donner la réplique. Qu'on ne s'y trompe pas, derrière le parolier génial et irrévérent, il y a un Audiard inattendu, un écrivain authentique et cultivé chez qui Louis-Ferdinand Céline a laissé son empreinte indélébile. Comme lui, il promène sur le monde un regard désabusé que ces années de vie lui ont inspiré, compte ses morts et exprime sans fioriture et dans son style si particulier, sa déception de l'espèce humaine.
Il a 57 ans quand il écrit ce livre, après une vie qu'on peut assurément supposer bien vécue mais j'y vois aussi une sorte d'indifférence au présent, la fatigue, le désenchantement, même s'il ne réussit pas à ce départir de ce style décidément inimitable. C'est perceptible, à mon avis dans un paragraphe du début de ce livre qui peut passer inaperçu et dont il reprendra plusieurs fois l'idée au détour d'une phrase. Il y évoque, avec une grande économie de mots, la mort de son fils quelques mois auparavant, dans un accident de voiture. Du coup on oublie le Audiard traditionnel, avec son clope, sa casquette et ses bons mots qui soudain ne pèsent rien face à la mort, au regard de cet instant qui vous oblige, inversant le cours normal des choses, à aller à l'enterrement de votre enfant, à reconsidérer votre approche des choses et des vaines croyances religieuses. Pour autant, dans le contexte très particulier de ce deuil impossible à faire, je m'interroge sur le réel effet cathartique de l'écriture. Dès lors il m'apparaît que le titre prend tout son sens, la nuit, le jour pour évoquer la vie et le temps qui passent et qui ne laissent sur lui que le frêle sceau de leur ombre, et toutes les autres nuits, dans l'insomnie, la solitude et les cauchemars, pour pleurer ce fils disparu. C'est bien la solitude que je retiens de ce livre improprement appelé "roman", la nostalgie du passé autant que l'impuissance à retenir le temps, à retricoter les événements à l'envers. C'est étonnant et assez inattendu de la part d'un homme qu'on imagine volontiers autrement parce qu'on croit le connaître à l'aune de l'image qu'il donne mais, qui porte en lui, comme nous tous, la marque de "l'humaine condition", comme l'a si bien dit Montaigne.
©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com.