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la feuille volante

Yasmina Reza

  • Bella figura

    N°1914 – Juillet 2024.

     

    Bella figura– Yasmina Reza – Flammarion.

    Andréa , mère célibataire et Boris, marié par ailleurs sont amants. Ils s’engueulent sur le parking d’un restaurant  comme s’ils étaient mariés ensemble, à cause des bourdes de Boris, mais il est perturbé par une prochaine liquidation de son entreprise et apprend qu’elle a passé la nuit avec un de ses collègues. Un départ précipité provoque un accident mineur d’une dame âgée, Yvonne et ils se retrouvent cinq, avec Eric et Françoise, à parler et à trinquer à cause de l’anniversaire de la vieille dame, la mère d’Eric. On passe facilement d’un sujet à un autre, avec une foule de détails anodins et intéressants agrémentés de nombreux flottements dans les dialogues de sorte qu’on ne sait plus vraiment où on en est. Il n’y a pas que cette soirée et ses protagonistes qui sont déréglés. Ici aussi, il est question de la quête du bonheur, mais rien ne va plus entre Boris et Andrea et le couple Eric et Françoise ne vaut guère mieux. Quant à Yvonne, elle regrette sa jeunesse, parle de ses médicaments et de son sac... Pour corser le tout il semble que Françoise connaisse l’épouse de Boris et Andréa l’autorise à lui parler de cette soirée. En réalité une sorte d’incompréhension s’installe entre eux, avec , en contre-point, la solitude, une violence rentrée, la santé et le vieillissement d’Yvonne et sa future mort. Dans ces conditions faire « bella figura » relève de l’exploit. Je n’ai fait que lire cette pièce mais il me semble que si je l’avais vue au théâtre, j’aurais peut-être eu une approche plus favorable, la mise en scène sauvant parfois les dialogues. Je reconnais que cette pièces met en évidence des relations difficiles entre les gens qui pourtant devraient s’entendre.

  • Heureux les heureux

    N°1913 – Juillet 2024.

     

    Heureux les heureux– Yasmina Reza – Flammarion.

    C’est une suite de nouvelles dont le titre est emprunté à une citation de Borges. L’auteure met en scène 18 personnages qui ont en commun des liens familiaux, amicaux ou extra-conjugaux. Ce sont des gens ordinaires dans leur vie quotidienne et Yasmina Reza choisit, entre humour et causticité, de parler de leurs angoisses, de leurs obsessions, de leurs fantasmes, de leurs phobies , de leurs mystères, de leurs erreurs, de leur solitude. Le titre en forme de « béatitudes » évangélistes sonne pour moi autant comme une quête légitime du bonheur que comme un paradoxe puisque, parmi tous ces hommes et ces femmes je n’en ai pas vu beaucoup qui sont heureux, entre les couples qui se supportent et qui se déchirent et pour qui l’amour n’est plus qu’un vieux souvenir, ceux qui ont recours à un psychiatre, ceux qui vivent dans un monde parallèle, ceux qui préfèrent chercher ailleurs ce qu’ils ont peut-être chez eux, ceux qui sont tellement transparents qu’ils s’imaginent être le centre du monde... Le livre refermé, il m’apparaît que le bonheur est une chose qu’on poursuit et qui se révèle impossible à atteindre parce que notre parcours ici-bas est semés d’embûches, d’obligations, d’illusions sur un avenir incertain et surtout fantasmé. Après les certitudes qu’on se tisse soi-même pour l’avenir viennent les prises de conscience de nos contradictions, de nos fourvoiements que nous avons longtemps entretenus, parfois inconsciemment, , de nos exaltations d’un instant, de nos passades, de nos hypocrisies, de nos fuites, de nos erreurs, de notre bonne conscience, de notre fatalisme face aux échecs. Ce sont autant de morceaux de vie qu’on pourrait imaginer fictifs puisqu’ils s’inscrivent dans un roman par essence imaginaire, mais qui ont quelque chose de familier, qui ressemblent étonnamment à notre parcours à tous, dans le travail, la famille, le couple… Au bout du compte il y a le temps qui passe, inexorable avec la vieillesse, la laideur, les douleurs , l’abandon, les souvenirs et la mort parce que c’est notre condition. ... La mort est un thème récurrent chez Yasmina Reza et ce recueil ne fait pas exception avec ces nombreuses allusions aux cercueils, aux pierres tombales, à l’incinération, à la dispersion des cendres. La vraie vie quoi !. Le style est brut, haché, sans fioritures littéraires.

  • Hammerklavier

    N°1911(1)– Juillet 2024.

    N°1911– Juillet 2024.

    Hammerklavier – Yasmina Reza – Albin Michel.

    Ce sont des souvenirs personnels un peu disparates que l’auteure choisit d’évoquer ici, celui de son père jouant l’adagio d’Hammerklavier mais aussi de son amie Marta. Ils sont morts et elle échange avec eux des propos post mortem sur la fuite inexorable du temps qui ravage toutes les choses humaines, transitoires et fragiles, sur le goût qu’on peut avoir pour la vie, pour les livres qui en retiennent la trace et la mémoire mais en soulignent aussi la perte. Il y a une sorte d’obsession pour cette vie au point de vouloir la faire perdurer par delà la mort, comme les religions, avec leurs rituels, leurs interdits et leurs dogmes tentent de nous le faire croire. Cette chimère de la continuation de la vie par delà la mort est légitimée par les moments de joie qu’elle nous procure même si nous gommons volontairement les autres par cette volonté irraisonnée de faire échec au trépas le plus longtemps possible, même si nous faisons semblant de déguiser notre nostalgie avec un décor artificiel, même si notre quotidien s’impose à nous et si le vieillissement joue contre nous, est synonyme d’abandon, de solitude. Il y a une peur de la mort qui nous frappe quand nous y attendons le moins, une phobie de l’au-delà et de son mystère, une obsession du temps qui passe parce qu’il est notre ennemi. Il nous mène vers notre disparition sans que nous y puissions rien. Que nous l’acceptions ou la redoutions, elle est notre terme et ce malgré notre attachement que nous pouvons avoir pour l ‘existence. L’auteure est une femme de lettres mais elle n’ignore pas que la notoriété dont elle jouit de son vivant ne résistera pas longtemps face au temps qui passe parce que l’espèce humaine est amnésique. Elle a des remarque sur l’écriture, l’art et la culture qui me laissent perplexe comme beaucoup de ses livres.

    Nous ne faisons qu’un bref passage sur terre, le plus souvent anonyme malgré nos complexes de supériorité, notre sens de la logique, la part sombre de nous-mêmes, notre volonté de paraître et d’aimer...Je retire de cette lecture une impression pesante.


     


     

  • Babylone

    La Feuille Volante n° 1149

    BABYLONE – Yasmina Reza – Flammarion.

     

    Nous sommes dans un petit appartement parisien où Élisabeth, la narratrice vit avec Pierre. Ils sont tous deux âgés de soixante ans Élisabeth se souvient qu'ils avaient invité leurs amis pour une « fête de printemps » et y avaient aussi convié leurs voisins du dessus. Ils sont quelque chose d'intéressant, Lydie surtout avec ses faux-airs de diseuse de bonne aventure, vaguement thérapeute, axée sur « le bio » et la cause animale, quant à Jean-Lino, il attire l'attention d’Élisabeth par sa gentillesse extrême surtout qu'il cherche vainement à se faire aimer du petit-fils de Lydie, Rémi, qui n'est pas le sien mais qui est avant tout un sale gosse. Il fait ce qu'il peut mais en face l'enfant n'en a cure et n'en fait qu'à sa tête. La soirée a été arrosée et aussi superficielle et inintéressante que toutes celles du même genre où chacun prend un air inspiré pour agiter les grandes idées le plus souvent creuses et qui n'intéressent personnes mais dont chacun se croit obligé de rajouter une note personnelle pour donner l'impression qu'il s'est déjà penché sur la question et ainsi se mettre en valeur... Sauf que, après les libations de rigueur chacun rentre chez soi, mais Jean-Lino dans la nuit réveille ses voisins. Il vient d'étrangler Lydie ! Tel est le point de départ de ce livre qui oscille entre roman traditionnel sur le thème de la satire sociale et polar. Est-ce un coup de folie où l'alcool a sa part, ou la conséquence d'un banal malentendu ordinaire à l'intérieur d'un couple ? Passé un certain âge, il est difficile de se supporter et immanquablement, à propos de rien, resurgissent les petits mensonges et les grandes trahisons, symbolisépar les nombreux analepses, qui émaillent la vie d'un couple. Tout au long d'une vie commune les avanies s’accumulent, on fait semblant de les avoir oubliées, voire pardonnées mais en réalité il n'en est rien et elle s'incrustent dans la mémoire bien plus aisément et définitivement que les moments heureux. Je suis assez réservé sur l'affirmation qui consiste à dire que le hasard favorise la rencontre d'êtres qui sont « faits l'un pour l'autre » et qui s'unissent parce que cela se fait, qu'ils croient s'aimer où qu'ils redoutent la solitude. C'est pourtant elle qui s'installe dans le couple, d'autant plus difficile à vivre qu'elle bouscule secrètement les apparences et chacun, face à elle, se construit son univers personnel. Cette variation sur la solitude qu'on finit par appeler de ses vœux après tant d'années de vie commune sans oser se l'avouer à soi-même est pourtant présentée comme un fléau, quelque chose qu'on doit impérativement éviter, comme un véritable tabou. La séquence qui suit la mort de Lydie et qui met en scène la narratrice et Jean-Lino est démesurément longue et les digressions qui suivent insistent sur la fuite du temps.

    Le titre évoque cette ville de Mésopotamie où les Juifs ont été exilés. Jean-Lino est juif mais ce détail qui aurait sans doute pu être développé me paraît avoir été abandonné. Je choisis de voir dans ce roman une évocation de la solitude personnelle qui confine à l'exil dans la société. Cela me paraît être souligné notamment par la cohabitation difficile entre lui et Rémi que sa grand-mère soutient systématiquement, ce qui contribue largement à envenimer la situation mais aussi par les différentes anecdotes qui parsèment ce récit.

    J'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce roman où l'intrigue est mince et où les personnages m'ont paru manquer de consistance. C'est certes une peinture assez juste des relations difficiles entre un homme et une femme âgés et de la fuite du temps. Je l'ai choisi peut-être à cause du Prix Renaudot qui l'a récompensé en 2016 mais je n'ai guère été emballé par cette œuvre notamment à cause du style qui m'a paru bien quelconque et sans véritable recherche. Je ne suis qu'un simple lecteur mais l'attribution à ce roman d'un prix littéraire aussi prestigieux me laisse assez dubitatif.

     

  • Anne-Marie la beauté

    N°1910– Juillet 2024.

    Anne-Marie la beauté – Yasmina Reza – Flammarion.

    C’est un long monologue avec des phrases décousues, sans suite, l’une évoquant l’autre avec même des détails inutiles, pleines de nostalgie, de remords et d’amertume que tient Anne-Marie, cette ancienne actrice de théâtre qui n’a jamais réussi dans son art que pourtant elle aimait. Toujours des petits rôles dans l’ombre des « têtes d’affiche » pleins de suffisance et d’orgueil. Elle a beau se remémorer son parcours, ses rôles sur les planches, elle est toujours restée en retrait, loin de la lumière des projecteurs. Même son mariage ne lui a pas apporté le bonheur si ardemment voulu et l’épanouissement personnel qu’elle souhaitait légitimement pour elle est resté lettre morte. Son enfance banale, sa famille qui n’a pas cru en elle, les hommes qu’elle a aimés lui ont laissé un souvenir douloureux. Le rêve lentement tissé lui a échappé malgré elle, malgré sa fascination pour la Capitale, malgré l’aura de ceux qui ont réussi et qu’elle a croisés. Elle n’a simplement pas été chanceuse !

    Sa fin de vie est triste mais celle des autres qu’elle a croisés et qui un temps ont connu le succès éphémère n’est pas moins vouée à la solitude, à l’abandon parce ce milieu est sans pitié et amnésique. Il n’y a pas de quoi l’apaiser même si leur sort n’est pas meilleur que le sien. Au moins eux ont connu le succès et peuvent peut-être s’en satisfaire. Celle qui n’a été qu’une femme banale et sans grande beauté dresse ce bilan désespéré plein de nostalgie de sa vie. Yasmina Reza a dû, dans son métier, connaître ce genre de destin manqué et que la mort a emporté. Elle en rend compte dans ce qui n’est sûrement pas une fiction mais bien plutôt un témoignage et je me suis dit que cela est aisément transposable à de nombre d’entre nous, Nous avons tous les rêves avortés, des tentatives non couronnées de succès et qui parfois sont gênées par d’autres, désireux de vous éliminer pour prendre votre place. Nous sommes tous mortels et l’espèce humaine est aussi oublieuse après la mort d’un être qu’elle a été cruelle et hypocrite de son vivant. J’aime qu’un auteur s’empare de ce sujet au relent d’échec parce que cela fait simplement partie de la vie et qu’on juge trop souvent la valeur de quelqu’un sur ses seuls succès.

  • Hommes qui ne savent pas être aimés

    N°1909– Juillet 2024.

     

    Hommes qui ne savent pas être aimés – Yasmina Reza – Albin Michel.

    Adam, la cinquantaine, est un écrivain qui n’a jamais vraiment connu le succès ou, pour dire les choses plus crûment, c’est un écrivain raté, qui vit très mal cet échec. Il a des états d’âme au sujet de son dernier livre. Il est aussi en crise avec sa femme qui, après avoir soutenu ses tentatives littéraires, ne l’aime plus et parce que son mariage n’est pas vraiment une réussite, et comme si cela ne suffisait pas on vient de lui diagnostiquer un glaucome qui affecte un de ses yeux et pire peut-être. Tout cela n’arrange pas son hypocondrie naturelle qu’il combat en allant méditer, en ce jour, au jardin des Plantes. Il y rencontre par hasard Marie-Thérèse, une copine de lycée célibataire qu’il n’avait pas revue depuis trente ans. Elle est représentante en objets publicitaires, n’a rien de commun avec Adam. Elle ne sait même pas qu’il est devenu écrivain ce qui accentue son mal-être .Elle n’est pas une intellectuelle comme lui, bien au contraire, elle n’a pas d’états d’âme, prend la vie comme elle vient et semble insensible à toutes les difficultés. Malgré cela on imagine facilement une passade rapide entre eux, mais rien ne se passe comme prévu. Lors de leur rencontre, le souvenir d’une autre camarade, Alice, est évoqué ou plus exactement sa mémoire puisqu’elle s’est suicidée à trente ans. Elle était l’amie de Marie-Thérèse et l’objet des fantasmes d’Adam. L’espace d’un instant, son fantôme revit à travers une lettre qu’elle a jadis envoyée à Marie-Thérèse et qu’elle montre à Adam.

    le style, direct et indirect, volontairement haché ou s’étalant dans des phrases démesurément longues, mélangeant le passé et le présent, les détails et les idées générales, donne une ambiance à la fois malsaine, déprimante, distillant volontairement un ennui prégnant, une solitude pesante, une certaine lassitude de vivre .

    Un peu comme à chaque fois avec Yasmina Reza, le livre un fois refermé, je sens une certaine perplexité m’envahir. Je la lis parce que j’ai bien aimé certains de ses romans,. Ici elle parle avec pertinence de la situation de cet écrivain raté, des états d’âme qu’il peut éprouver face à l’écriture, à la notoriété, à l’impossibilité d’écrire, au temps qui passe avec la nostalgie qui va avec, à la vieillesse qui vient et altère tout. S’y ajoutent l’impossibilité des rapports entre les gens, de l’amour qui est fongible et consomptible comme toutes les choses humaines, l’impossibilité d’être heureux...A titre personnel je partage ce que je viens de lire.

  • Hommes qui ne savent pas être aimés

    N°1909– Juillet 2024.

     

    Hommes qui ne savent pas être aimés – Yasmina Reza – Albin Michel.

    Adam, la cinquantaine, est un écrivain qui n’a jamais vraiment connu le succès ou, pour dire les choses plus crûment, c’est un écrivain raté, qui vit très mal cet échec. Il a des états d’âme au sujet de son dernier livre. Il est aussi en crise avec sa femme qui, après avoir soutenu ses tentatives littéraires, ne l’aime plus et parce que son mariage n’est pas vraiment une réussite, et comme si cela ne suffisait pas on vient de lui diagnostiquer un glaucome qui affecte un de ses yeux et pire peut-être. Tout cela n’arrange pas son hypocondrie naturelle qu’il combat en allant méditer, en ce jour, au jardin des Plantes. Il y rencontre par hasard Marie-Thérèse, une copine de lycée célibataire qu’il n’avait pas revue depuis trente ans. Elle est représentante en objets publicitaires, n’a rien de commun avec Adam. Elle ne sait même pas qu’il est devenu écrivain ce qui accentue son mal-être .Elle n’est pas une intellectuelle comme lui, bien au contraire, elle n’a pas d’états d’âme, prend la vie comme elle vient et semble insensible à toutes les difficultés. Malgré cela on imagine facilement une passade rapide entre eux, mais rien ne se passe comme prévu. Lors de leur rencontre, le souvenir d’une autre camarade, Alice, est évoqué ou plus exactement sa mémoire puisqu’elle s’est suicidée à trente ans. Elle était l’amie de Marie-Thérèse et l’objet des fantasmes d’Adam. L’espace d’un instant, son fantôme revit à travers une lettre qu’elle a jadis envoyée à Marie-Thérèse et qu’elle montre à Adam.

    le style, direct et indirect, volontairement haché ou s’étalant dans des phrases démesurément longues, mélangeant le passé et le présent, les détails et les idées générales, donne une ambiance à la fois malsaine, déprimante, distillant volontairement un ennui prégnant, une solitude pesante, une certaine lassitude de vivre .

    Un peu comme à chaque fois avec Yasmina Reza, le livre un fois refermé, je sens une certaine perplexité m’envahir. Je la lis parce que j’ai bien aimé certains de ses romans,. Ici elle parle avec pertinence de la situation de cet écrivain raté, des états d’âme qu’il peut éprouver face à l’écriture, à la notoriété, à l’impossibilité d’écrire, au temps qui passe avec la nostalgie qui va avec, à la vieillesse qui vient et altère tout. S’y ajoutent l’impossibilité des rapports entre les gens, de l’amour qui est fongible et consomptible comme toutes les choses humaines, l’impossibilité d’être heureux...A titre personnel je partage ce que je viens de lire.

  • Une désolation

    Une désolation - Yasmina Reza - Albin Michel

    Ce livre est catégorisé « Roman » et je ne suis pas bien sûr que cela en soit un dans la mesure où il me semble bien éloigné de la fiction, bien coller à la réalité.

    Un homme malade, au pas de la mort , s’adresse à son fils absent dans une sorte de plaidoyer pour déplorer le chemin qu’il a pris dans son existence , celui d’être « peinard », de ne rien chercher à bâtir ni à faire évoluer les choses. C’est d’une simplicité banale qui met en lumière la différence de génération, l’évolution des choses et des aspirations des jeunes et il ne sert à rien de regretter le temps où les enfants obéissaient à leur père jusque dans le choix de leur métier, de leur épouse et de leur mode de vie. Il ne veut pas l’avouer mais je suis sûr qu’il envie sa jeunesse et sa découverte d’un bonheur qui lui a échappé. Pendant qu’il y est, il porte un regard aigu sur la société qui l’entoure et qui a été son décor toute sa vie. Il fait un bilan bien pessimiste de son propre parcours, social, sentimental, professionnel, familial, ce n’est guère brillant et même plutôt déprimant. Même une liaison illusoire avec une femme longtemps désirée ne fut pas pour lui le symbole du bonheur. Il eut le sentiment d’être avec elle un étranger, seulement capable de meubler momentanément le vide amoureux de sa vie, sans être capable d’être pour elle autre chose qu’un amant de passage, sans la moindre trace de passion. Avoir vécu tant d’années pour en arriver là. L’aveu de cette faillite lui coûte mais il le fait. Même pas l’illusion de la réussite face à la mort inévitable, le constat est accablant. On le sent revenu de tout, désabusé, aigri, solitaire, accablé devant tant d’échecs qu’il avait sans doute voulu éviter mais qui se sont imposés à lui sans qu’il y puisse rien, comme une sorte de destiné funeste. Il peut toujours se dire qu’il a parfois failli dans l’éducation qu’il a donnée à son fils si différent de lui, cette culpabilisation judéo-chrétienne est inévitable et bien inutile dans notre société. On le sent résigné devant tant de souffrance et devant la mort. Il lui reste le dérisoire, son jardin par exemple et il le soigne avec attention et inutilité, s’attache à des détails comme s’ils avaient une importance capitale. Finalement, face à ce fiasco, la mort semble être une délivrance.

    J’ai lu cela comme une sorte de testament de cet homme qui va bientôt quitter la vie et qui se justifie face à ses proches, une forme humaine du « jugement dernier » implacable et sans appel que nous promet le catholicisme, une façon d’être en règle avec sois-même au moment du grand départ.

    Récit sans chapitres, presque sans réelle respiration, un peu comme si notre auteure voulait tout dire tout de suite, le style est percutant et la lecture facile.

  • L'homme du hasard

    N°1903– Juin 2024.

     

    L’homme du hasard – Yasmina Reza - Albin Michel

    J’ai toujours pensé que les trains sont le lieu privilégié des rencontres les plus improbables. Dans un compartiment, un homme fait face à une femme qu’il ne connaît pas , il n’y a aucun dialogue entre eux et dans le tangage des boggies, chacun regarde le paysage défiler entre Paris et Francfort tout en laissant aller ses propres pensées. Lui ne la connaît pas mais elle l’a reconnu, c’est Paul Parsky., l’auteur du livre qu’elle a dans son sac, « l’homme du hasard » et qu’elle craint de lire devant lui. Elle, Martha, connaît toute son œuvre et, en pensée elle s’adresse à lui sans qu’évidemment il le sache. Elle lui parle d’elle, de sa vie, de ce qu’elle sait de lui, de ses personnages, de ses livres, de ce qu’elle éprouve en les lisant… Elle s’imagine faisant un bout de chemin avec lui, commence à fantasmer Lui est plein amertume et après l’avoir ignorée en fait autant, après avoir;longtemps hésité, Martha sort son livre et Parsky s’intéresse à elle c’est une pièce de théâtre mais j’ai plutôt lu ce texte comme un roman avec cette mise en abyme qu’aime Yasmina Reza, avec ce jeu entre les deux personnages, Paul qui ne se déclare pas comme l’auteur et en dit même un peu de mal et Martha qui se lâche. J’ai lu ce texte comme une rencontre de hasard avec, pour Martha fascinée par l’écrivain et son aura créatrice avec tout ce qu’un simple lecteur prête à un auteur, avec peut-être pour elle une volonté de séduction. Quant à Paul, le fait de voir quelqu’un qui, dans une sorte de huit-clos, lit son dernier livre est à la fois flatteur et frustrant parce lui qui écrit pour lui et dans le secret de son imagination ne voit jamais son lecteur, ne parle donc jamais avec lui, n’a peut-être pas la moindre envie d’en rencontrer un, mais en a l’occasion. Pourtant il est tentant pour l‘auteur, surtout quand ce lecteur est une lectrice, évidemment attirante, de jouer ce jeu de l’anonymat ne serait-ce que pour mesurer ponctuellement l’intérêt de son public et recueillir éventuellement des critiques. J’ai écouté cette pièce dans son adaptation radiophonique avec les voix de Jeanne Moreau et e Michel Piccoli. Un régal.

  • Le dieu du carnage

    N°1900 – Juin 2024.

    Le dieu du carnage– Yasmina Reza – Albin Michel.

    Dans un appartement parisien deux familles, les Reille et les Houlliez se rencontrent pour rédiger des déclarations d’assurance relatives a une bagarre entre leurs deux jeunes fils. Bilan, deux incisives cassées pour Bruno Houlliez. Au cours de cette rencontre les parents parlent librement du « vivre ensemble », de la morale, de la responsabilité, de la liberté. La conciliation et le compréhension mutuelle sont de rigueur et chacun cherche à trouver un terrain d’entente pour clore ce qui n’est qu’une bagarre de gosses.On parle de tout et de rien, de la recette du clafoutis, d’une cruelle histoire de hamster ou de médicaments, des relations dans le couple, le ton monte puis redescend, le téléphone sonne sans arrêt ce qui interrompt cette rencontre et agace tout le monde, une des deux femmes a ses vapeurs... avec vomissures. Puis on en vient à l’incontournable culpabilité, la morale, les remords, les mesquineries, rapidement, l’alcool aidant, les masques tombent et les vrais visages se révèlent, parfois violents . Je ne sais pas trop s’il s’agit d’une comédie, au sens de « la comédie de la vie » faite, comme nous le savons, de violences et d’hypocrisies quotidiennes ou d’une critique de la vie en société. Quant au titre de cette cette courte pièce de théâtre, j’ai bien senti le carnage mais je n’ai pas bien compris ce que ce dieu venait faire la-dedans, à part si on considère, comme l’un des intervenants qu’il y a un dieu qui gouverne la destiné des hommes. Cela dit, je suis un peu déçu.

  • Nulle part

    N°1899 – Juin 2024.

    Nulle part– Yasmina Reza – Albin Michel.

    Le livre refermé, je suis perplexe après cette lecture assez courte. Il est question du temps qui passe et spécialement ici de l’enfance de l’auteure. C’est souvent l’apanage des gens d’un certain âge qui voient les années défiler de pouvoir évoquer leur enfance. J’ai souvent sous des plumes souvent illustres que cette période ressemblait souvent à un paradis perdu avec de la nostalgie à chaque ligne, des souvenirs, évoqués avec des paroles lointaines, ou gravés en photos datées au dos et montrant des personnes qui n’existent plus dans des lieux maintenant inconnus. Apparemment Yasmina Reza qui revisite son enfance, s’accroche à des moments fugaces, parfois à un petit détail sans importance et les écrit pour en fixer la réalité et leur éviter de sombrer dans l’oubli. C’est une des fonctions de l’écriture que de faire cette démarche de la mémoire même si c’est à l’aune de cela qu’on mesure le temps passé . Apparemment pour elle, cette évocation est empreinte de tristesse non pas tant à cause de cette fuite des jours mais peut-être plus sûrement parce que cette période est à ses yeux sans aucun intérêt, digne de la froideur d’une archive qu’on ne prend aucun plaisir à regarder. Antoine de Saint-Exupéry a écrit « On est de son enfance comme on est d’un pays ». C’est attacher sa vie à une terre, mais la vraie terre est celle qui implique notre mort qui est l’issue normale et inévitable de chacun d’entre nous. En ouvrant ce petit livre, je ne m’attendait pas à entrer ainsi en complicité avec cette auteur ,à partager à ce point sa vision de l’enfance. .

  • la traversée de l'hiver

    N°1898 – Juin 2024.

    La traversée de l’hiver – Yasmina Reza – Albin Michel.

    Dans une villégiature hôtelière des montagnes suisses en fin de saison se retrouvent six personnages, des sexagénaires et des trentenaires, dans une relative solitude. Chacun vient avec sa propre histoire et ses passions qui éclatent dans cette sorte de microcosme. Certains sont amoureux d’autres qui ne partagent pas cette attirance malgré les tentatives de séduction et chacun semble s’ennuyer ferme, malgré les parties de scrabble, la musique classique et le bridge, la façon de faire le chocolat chaud et l’évocation de l’écriture. Ce qui résulte de tout cela c’est une grande solitude Cette pièce a été créée en 1989 ;

  • conversations après un enterrement

    N°1897 – Juin 2024.

    Conversations après un enterrement – Yasmina Reza – Albin Michel.

    Simon Weinberg vient de mourir, il est enterré selon son souhait dans sa propriété familiale du Loiret. A cette occasion sa famille se retrouve, ses deux fils Nathan et Alex, sa fille Édith. Ils ont tous la quarantaine, son frère Pierre et sa femme Julienne sont plus âgés. Il y a même Élisa, l’ex maîtresse d’Alex qui est aussi amoureuse de Nathan. En ouvrant ce livre j’avais l’impression de devoir assister à des conversations ordinaires sur le défunt à qui on trouve subitement toutes les qualités qu’on lui contestait de son vivant, des choses qu’on dit et qu’on ne pense pas… Rien de tout cela, on rit beaucoup ce qui n’est pas mal, à peine quelques allusions furtives au défunt, un retour sur le passé comme un exorcisme, une évocation du présent dans tout ce qu’il a de plus quotidien et banal comme éplucher des légumes, un huit-clos familial où chacun parle mais aussi se tait et cultive ses non-dits, ses secrets et ses rancœurs et Élisa qui n’en finit pas de partir … et de revenir ! Je ressors de cette lecture pourtant attentive avec une impression d’incompréhension et peut-être même de déception par rapport à la première approche que j’avais eue de cette auteure avec sa pièce intitulée « Art ». Mais, je n’ai peut-être rien compris.