la feuille volante

Paul Verlaine

  • O verlaine

    N° 1548– mai 2021.

     

    O Verlaine – Philippe Thirault – Olivier Deloye – Steinkis

     

    En 1895 Henri-Albert Cornuty, jeune employé aux abattoirs de La Villette et grand amateur de la poésie de Verlaine, recherche le poète. Il s’attend sans doute à rencontrer un écrivain installé, publié, reconnu, vivant bourgeoisement en famille et peut-être inaccessible mais ce qu’il découvre le bouleverse. C’est une loque humaine qui se révèle à ses yeux, un homme déchu, alcoolique, syphilitique, un être violent, un parasite qui échange ses vers contre des verres d’absinthe et des passes dans un bordel sordide, fréquentant des compagnons de galère, les membres d’une société interlope dignes de la Cour des miracles, errant d’hôpitaux où il est soigné en estaminets où il hypothèque sa vie chaque jour un peu plus avec cette « fée verte » dans laquelle il puise son inspiration et sa déchéance, oscillant sans cesse entre l’abject et le sublime. C’est « un poète maudit », lâché par les gloires de la culture officielle mais adulé par les étudiants du Quartier Latin qui vit les derniers mois d’une existence qui aurait pu être belle mais qui, par sa faute, à tourné au cauchemar. Henri-Albert a du mal à admettre que des poèmes si beaux et si musicaux puissent sortir d’une carcasse aussi repoussante. Il le suivra jusqu’au bout.

    Verlaine est aussi un paradoxe en lui-même. Lui, l’ancien amant de Rimbaud, l’ancien taulard, est protégé par le préfet de police et le directeur de l’hôpital où il est soigné parce que ces deux personnalités sont sensibles à ses vers, un comble pour un marginal qui se moque de la morale de son temps, des bonnes mœurs et de la justice.

    Il noie dans l’alcool ses derniers mois de vie sans savoir que son talent passera à la postérité et que des générations de gens apprendront ses poèmes, qu’on s’inspirera de sa vie et de son œuvre en le mettant en scène dans des romans comme l’a fait avec talent Jean Teulé (que j’ai eu envie de découvrir) qui lui-même inspira la plume de Philippe Thirault et le coup de crayon de d’Olivier Deloye (« Le poète n’est pas celui qui est inspiré mais celui qui inspire » a dit Jean Cocteau.)

    Chaque siècle a produit des génies et, dans le domaine de la poésie, Verlaine fut l’un d’eux qui continue à nous enchanter et à nous interroger.

    Je remercie vivement des éditions Steinkis et Babelio de m’avoir permis de découvrir cet ouvrage et de m’avoir invité à évoquer la mémoire de Paul Verlaine.

     

     

     

  • Jadis et naguère

     

    N° 1460- Avril 2020.

     

    Jadis et naguère – Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil de 42 poèmes publiés chez l’éditeur Vanier en 1884 et écrits par l’auteur longtemps auparavant. Malgré sa présentation en deux parties d’ailleurs d’inégale importance et qui veulent évoquer le passé immédiat (naguère) et un laps de temps plus éloigné (jadis) le recueil ne présente pas vraiment d’unité et comprend des poèmes écartés lors des éditions précédentes ainsi qu ‘une comédie « Les uns et les autres » qui date peut-être de 1871.

    Verlaine n’a pas cessé de boire, de mener une vie scandaleuse et dispendieuse et surtout d’être violent avec sa femme, avec son enfant et même, avec sa mère qui pourtant l’a toujours soutenu. Pourtant il entame maintenant une carrière d’homme de lettres besogneux. En publiant « Sagesse »(1881), il avait voulu être reconnu comme un écrivain catholique, désireux de vivre de sa plume, mais ce recueil est passé inaperçu et, quand il revient à Paris, en 1882, il tente de renouer avec ses anciens amis et y parvient mais les difficultés financières se font plus pressantes. Il sollicite même sa réintégration à la mairie de Paris mais en vain, le souvenir de son engagement dans « la garde sédentaire » de Paris au côté de la Commune et son séjour en prison n’ont guère plaider en sa faveur et la mort de Lucien Létinois, avec qui il avait eu une liaison amoureuse, achève de le bouleverser. C’est sûrement la pire période de la vie de Verlaine même si la publication de « Poètes maudits »(1883) le ramène un temps sur le devant de la scène.

    Il y a des textes disparates qui évoquent les baladins des rues (« Le pitre », »Le clown »), souhaitent apparemment choquer (« Vers pour être calomnié », « Luxures »), comportent même une comédie (« Les uns et les autres »), rappellent la mort de Jeanne d’Arc (« La pucelle »), la misère (« La soupe du soir »), une sorte de comptine («Pantoum négligé »), des textes qui, peut-être suggèrent son parcours personnel (« L’aube à l’envers », « Les vaincus ») ou d’autres textes plus descriptifs(« La princesse Bérénice » ) et d’autres inspirés par une certaine forme de la déchéance (« Allégorie , « Langueur »). Le plus important de ces textes est « l’art poétique » qui énonce les bases de l’expression artistique de Verlaine. Il s’est remis à boire de l’absinthe et va bientôt apprendre le jugement de divorce qui met fin officiellement à son mariage avec Mathilde. Quoi qu’il ait pu faire dire ou écrire, il regrettera toujours la perte de cette femme, comme il portera toute sa vie le deuil de l’amour impossible qu’il éprouvait pour Élisa, une cousine recueillie par ses parents, dont il était follement amoureux et qu’il souhaitait épouser. D’ailleurs ses poèmes font souvent allusion à des femmes comme à un paradis perdu.

    L’auteur y distille sa douce musique et ses vers impairs, parfois alexandrins classiques mais parfois aussi d’une métrique différente et variée mais qui respectent toujours la rime, même s’il parle lui-même de « ce bijou d’un sou qui sonne creux et faux sous la lime ». Il faudra attendre quelques années encore pour que le vers libre impose chez les autres son rythme et ses images.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

     

  • Parallèlement

    Parallèlement . Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil, publié en 1889, moins disparate de « Jadis et naguère »(quoique) bien qu’il réunisse lui aussi des poèmes écrits à des époques différentes et certains textes (« Les amies ») avaient déjà été publiés en Belgique par Poulet-Malasis, l’éditeur de Baudelaire ; D’autres que Verlaine avait signés sous le pseudonyme de Pablo Maria de Herlaňes relatifs aux amours saphiques (« Ballade sappho », « Sappho ») avaient été condamnés à être détruits par le tribunal de Lille en 1868. D’autres sont écrits en prison  Impression fausse », « Autre »), sans doute pour passer le temps, où évoquent les pérégrinations de l’auteur en Belgique (« L’impénitent », « l’impudent », « Poème saturnien »)ou portent témoignage de ses relations avec Rimbaud, de sa vie avec Mathilde que peu ou prou il regrette(« dédicace ») ou de ses errements solitaires après la mort en 1883, de Lucien Létinois avec qui il vécu une passion amoureuse. On y trouve aussi des poèmes où Verlaine s’amuse à s’adresser à son lecteur (c’est toute la série de « Révérence parler »). L’auteur trouve la force de rire de lui-même (« La dernière fête galante», »poème saturnien »), regrettant le temps passé. Un autre aussi(« Princesse Roukline ») témoigne, après la mort de sa mère, de sa liaison avec une prostituée, Marie Gambier qui ne fut d’ailleurs pas sa seule compagne de sa fin de vie. On est donc bien loin de « La bonne chanson » et de « Sagesse » et de leurs louables intentions !

    Le décès de sa mère qui, malgré tout ce qu’il lui a fait subir, l’a toujours soutenu et a été à ses côtés jusqu’à la fin, le hante toujours (« Mains », « Les morts que l’on fait saigner »).

     

    Ce recueil fut relativement bien accueilli à cause sans doute de sa connotation érotique qui s’inscrit dans une tradition poétique française, même si l’auteur s’en est mollement défendu. Il témoigne du parcours quelque peu cahoteux de Verlaine mais illustre agréablement la musique verlainienne de ses vers.

  • Parallèlement

    Parallèlement . Paul Verlaine.

     

    C’est un recueil, publié en 1889, moins disparate de « Jadis et naguère »(quoique) bien qu’il réunisse lui aussi des poèmes écrits à des époques différentes et certains textes (« Les amies ») avaient déjà été publiés en Belgique par Poulet-Malasis, l’éditeur de Baudelaire ; D’autres que Verlaine avait signés sous le pseudonyme de Pablo Maria de Herlaňes relatifs aux amours saphiques (« Ballade sappho », « Sappho ») avaient été condamnés à être détruits par le tribunal de Lille en 1868. D’autres sont écrits en prison  Impression fausse », « Autre »), sans doute pour passer le temps, où évoquent les pérégrinations de l’auteur en Belgique (« L’impénitent », « l’impudent », « Poème saturnien »)ou portent témoignage de ses relations avec Rimbaud, de sa vie avec Mathilde que peu ou prou il regrette(« dédicace ») ou de ses errements solitaires après la mort en 1883, de Lucien Létinois avec qui il vécu une passion amoureuse. On y trouve aussi des poèmes où Verlaine s’amuse à s’adresser à son lecteur (c’est toute la série de « Révérence parler »). L’auteur trouve la force de rire de lui-même (« La dernière fête galante», »poème saturnien »), regrettant le temps passé. Un autre aussi(« Princesse Roukline ») témoigne, après la mort de sa mère, de sa liaison avec une prostituée, Marie Gambier qui ne fut d’ailleurs pas sa seule compagne de sa fin de vie. On est donc bien loin de « La bonne chanson » et de « Sagesse » et de leurs louables intentions !

    Le décès de sa mère qui, malgré tout ce qu’il lui a fait subir, l’a toujours soutenu et a été à ses côtés jusqu’à la fin, le hante toujours (« Mains », « Les morts que l’on fait saigner »).

     

    Ce recueil fut relativement bien accueilli à cause sans doute de sa connotation érotique qui s’inscrit dans une tradition poétique française, même si l’auteur s’en est mollement défendu. Il témoigne du parcours quelque peu cahoteux de Verlaine mais illustre agréablement la musique verlainienne de ses vers.

  • Fêtes galantes

     

     

     

    N° 1459- Avril 2020.

     

    Fêtes galantes. Paul Verlaine.

     

    C’est le deuxième recueil officiel de Verlaine (1844-1896) publié en 1869 chez Lemerre à compte d’auteur. Il y aura trois autres rééditions chez Vanier en 1886, 1891 et 1896. Il n’a rencontré que peu d’écho dans le public comme beaucoup de ses écrits, à sa publication initiale, même si dans les dernières années de sa vie, cet ouvrages sera considéré comme son meilleur et que Claude Debussy mettra en musique certains textes. Il fait suite aux « Poèmes saturniens » datés de 1866, déjà empreints de mélancolie et de malheur et à une autre plaquette « Les amies » publiée en 1867 sous le pseudonyme de Pablo-Maria de Herňales et qui traite des amours saphiques. L’ambiance générale de cet ouvrage fait un peu illusion. Elle est légère, raffinée, inspirée par les toiles de Watteau qui font l’objet une exposition au Louvre, et qui sont à la mode à cette époque dans la bonne société. Les scènes sont bucoliques ou galantes et insouciantes comme dans une Cour royale où l’ont pratique le badinage amoureux. Apparemment Verlaine, en voulant ici évoquer le XVIII° siècle, a souhaité accompagner l’engouement général du public pour cette période et la Cour impériale avait presque officiellement consacré ce style. D’autres poètes contemporains ont d’ailleurs fait de même, mettant à l’honneur la poésie et la comédie italiennes.

    L’ambiance générale du recueil est légère. Ce sont vingt-deux poèmes à la métrique variée et rapide avec des strophes courtes, écrits dans une langue simple et qui évoquent la futilité et la désinvolture des scènes. Certains personnages, Colombine, Pierrot et Arlequin(« Pantomime », « Colombine »), rappellent la Commedia dell’arte et dans ce contexte des plaisirs amoureux, les hommes et les femmes jouent le jeu de la séduction, qui n’est qu’un jeu frivole et même sensuel, puis passent à autre chose avec silence, oubli et inconstance comme dans le théâtre de Marivaux. C’est un univers précieux et superficiel où l’on rencontre un abbé galant, un marquis à la perruque de travers, des femmes déguisées en bergères (« Sur l’herbe »). Verlaine évoque même quelques souvenirs personnels (« En bateau »), c’est ainsi que « Lettre » semble s’adresser à Mme de Villard en des termes convenus et quelque peu artificiellement précieux. L’ambiance est insouciante ainsi qu’il convient à cette société, même si, à bien y regarder, il y a une sorte d’impression de l’échec amoureux (« l’amour par terre »), de la mélancolie derrière un masque rieur(« Claire de lune ») et il est difficile de ne pas voir l’émotion à peine voilée de Verlaine qui évoque Élisa et leur funeste destin commun (« A Clymène », « Colloque sentimental ») et son obsession de la mort. Il semble avoir voulu exorciser son désespoir dans le souvenir confié l’écriture poétique (« Dans la grotte »).

    C’est un recueil d’inspiration parnassienne, c’est à dire rejetant le lyrisme sentimental du romantisme, privilégiant l’impersonnalité par le refus du « je », mettant en exergue la théorie de « l’art pour l’art », refusant le présent et l’engagement politique pour se réfugier dans le passé (« Claire de lune », »Mandoline »).

    Et pourtant malgré tout ce décor patiemment tissé par l’auteur, ce dernier est dans une phase difficile. Son père est mort en 1865, Élisa, la cousine élevée par les Verlaine et dont était follement mais platoniquement amoureux, s’est mariée en 1861 et meurt en couches en 1867 ; l’absinthe est déjà entrée dans sa vie et fait de lui un être violent qui s’attaque à sa mère qui pourtant l’a soutenu toute sa vie. Il n’a peut-être pas encore rencontré Mathilde qui deviendra son éphémère épouse. Pourtant, malgré les critiques parfois dithyrambiques de certains de ses amis, le recueil n’a pas vraiment été un succès à sa sortie.

     

    C’est donc un recueil à la double inspiration, parnassienne et personnelle où son auteur s’exprime comme on le fait à cette époque friande de légèreté mais dévoile à la fois ses sentiments de tristesse, ses vers impairs et leur musique si caractéristique.

     

     

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

     

  • Poèmes saturniens

     

    N° 1457- Avril 2020.

     

    Poèmes saturniens. Paul Verlaine.

     

    C’est le premier recueil de Verlaine paru en 1866 à compte d’auteur chez Lemerre. Il comporte des poèmes écrits lorsqu’il était au lycée , c’est donc une œuvre de jeunesse qui fleure bon les devoirs scolaires et l‘imitation de ses aînés dont Baudelaire à propos de qui il fera une étude. L’auteur a alors 22 ans quand est publié cet ouvrage ; il est alors employé à la mairie de Paris mais est peu assidu à ce travail qu’il perdra d’ailleurs à la suite de son engagement dans la Commune. Verlaine a toujours été un enfant puis un adolescent difficile, secoué par la mort de son père en 1865 et par le mariage en 1861 d’Élisa, sa cousine, élevée par les Verlaine, dont il était amoureux et qu’il souhaitait épouser (C’est elle qui aurait fourni l’argent de cette édition). Sa mort en couches en 1867 le précipitera encore davantage dans l’alcool ce qui fera de lui un être violent, notamment contre sa mère. A l’époque de ce recueil il a déjà fréquenté les cafés littéraires, rencontré des poètes « Parnassiens » et publié quelques poèmes dans différentes revues. Pourquoi placer ces poèmes sous le signe de Saturne ? Verlaine s’en explique dès le début, il s’estime lié à cet astre parce qu’il est synonyme de malheur et qu’il doit donc souffrir, puisqu’il est sous son influence « maligne ». Il se pense exclut de l’amour et traîne sa peine dans un décor de jardin triste (« Promenade sentimentale »), la solitude, l’isolement, les remords baignent ses vers, et c’est avec mélancolie et regrets qu’il pense à « l’Absente » (Le rossignol), se plaint (« Jésuitisme ») et voit toujours la femme (Élisa) comme un être lointain, inaccessible (« Mon rêve familier »), idéal. Il ne lui reste que le souvenir d’un amour (« Nevermore »), le rêve (et le fantasme?)(« il bacio ») mais il porte en lui une révolte qu’avec l’absinthe et la violence cherchera toujours à exorciser. Pour autant, ce recueil présente différents tons, mélange des impressions visuelles un peu crépusculaires et automnales (Soleils couchants), voire romantiques (« Chanson d’automne »), des pièces plus alertes (« Femme et chatte »- « La chanson des ingénues »), des visions macabres et peut-être une obsession de la mort (« Sub urbe »- « La mort de Philippe II »), des évocations parisiennes (« Nocturne parisien »)...

     

    La composition du recueil est très classique notamment dans les personnages empruntés aux Latins et aux Grecs, il est divisé en « prologue » et « épilogue », avec des sections intermédiaires (mélancholia, eaux-fortes, paysages tristes), comme cela se faisait à l’époque. A la fin du prologue, il confie son livre au destin (« Maintenant, va, mon livre, où le hasard te mène », comme s’il lui souhaitait lui-même « bon vent » et dans l’épilogue il conclue dans une sorte de vœu, sur l’inspiration indispensable au poète mais surtout l’étude, l’effort, le combat, le travail d’où sortira le chef-d’œuvre qui fera sa notoriété. Il présente l’esquisse du style symboliste dont se recommanderont plus tard des poètes comme Gustave Kahn .

     

    Sur le plan de la forme, même s’il reste classique dans sa composition,Verlaine commence déjà, dans ce premier recueil à assouplir l’alexandrin, à pratiquer les vers de cinq, sept, huit et dix syllabes, s’essaie à manier des rythmes impairs, à instiller une sorte d’ambiance un peu vague, une sensibilité exacerbée, des couleurs sombres, des images parfois agressives qui tissent l’ambiance générale de ce recueil.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

  • La bonne chanson

     

    N° 1455- Avril 2020.

     

    La bonne chanson - Verlaine.

     

    C’est le troisième recueil de Verlaine (1844-1896) publié à compte d’auteur. Il a rencontré en 1869 Mathilde Mauté de Fleurville, très jeune fille de seize ainsi qu’il épousera quelques mois plus tard et pour qui il écrit ces poèmes. Elle est la cousine d’un de ses camarades et on l’imagine frêle, innocente face à un homme, employé peu assidu comme expéditionnaire à la mairie de Paris, qui est le fils d’une bonne famille catholique et bourgeoise. Il s’est déjà signalé par une fréquentation régulière des cafés littéraires et aussi des estaminets et la publication de deux œuvres, les « Poèmes saturniens » où malgré une influence assez nette des parnassiens, il laisse déjà deviner le grand poète qu’il deviendra. Le second recueil, « Les fêtes galantes » évoque au contraire la frivolité d’une société élégante du XVIII° siècle avec cependant quelques notes de nostalgie. Il était donc bien normal qu’il dédiât ces vingt et un poèmes à celle qui allait devenir sa femme et il y a fort à parier qu’elle en fut flattée et qu’elle les reçut avec plaisir avant leur publication. Ce fut donc « La Bonne chanson » (1870) et tout sans doute se présentait sous les meilleurs auspices. On imagine un Verlaine amoureux, jadis instable et un peu triste, qui aspire aux joies simples et apaisantes d’un foyer, un homme qui voit en cette jeune fille, plus jeune que lui de neuf ans, « un être de lumière » qui l’épaulera dans sa lutte contre lui-même et contre ses démons. Il veut oublier son passé (« Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore ») et il a à l’égard de Mathilde toute la retenue qui convient à l’époque à un jeune homme à marier. On a du mal à s’imaginer que c’est le même auteur que celui des fêtes galantes mais on peut faire crédit à Verlaine de l’authenticité de ses bonnes résolutions et de ses sentiments tout neufs.

     

    L’auteur évoque presque chronologiquement leur rencontre puis leur mariage. Il décrit avec une réelle sensibilité romantique les paysages qui ont servi d’écrin à son amour, évoque ses joies et son enthousiasme, se fait bucolique, varie la métrique, allant de l’alexandrin à l’octosyllabe, voire au décasyllabe. Il use de rimes plates, voire parfois un peu mièvres ce qui ajoute une nuance de facilité à la composition malgré une ambiance générale lumineuse. De sa future femme il vante, peut-être un peu naïvement la beauté simple, la sainteté, la sagesse, en parle au début à la troisième personne, puis au fil des textes passe au vouvoiement puis au tutoiement, ce qui souligne son attachement à Mathilde.

     

    Verlaine était un être tourmenté et l’ambiance de son ménage ne tarda pas à se détériorer à cause des violences imposées à Mathilde et à leur fils, à cause de l’absinthe, de sa liaison tumultueuse avec Rimbaud, de son séjour en prison, de ses errances en France, en Belgique, en Angleterre. Cette idylle ne dura donc que peu de temps et même si Verlaine tenta un retour à résipiscence en se tournant vers Dieu « Sagesse ») il n’en retomba pas moins dans la violence contre sa propre mère, la solitude, l’alcool puis la ruine malgré son élection comme « Prince des poètes » peu de temps avant sa mort.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite

     

  • Romances sans paroles

    Romances sans paroles. Verlaine - N°1456 Avril 2020

     

    Le titre tout d’abord est paradoxale. Une romance est une pièce poétique simple, populaire sur un sujet sentimental. Ici le terme est au pluriel et on peut toujours considérer que chaque poème est une romance. Il y a un aspect musical dans la romance et, s’agissant de Verlaine qui met « la musique avant toute chose » et dont la mélodie du vers n’est plus à démontrer, cela tombe plutôt bien. Quant aux paroles, elles sont bien là…Le titre est emprunté à une œuvre de Mendelssohn, reprend un vers des « Fêtes galantes » (A Clymène) mais sa publication initiale est plutôt passée inaperçue. Sa réédition en 1887 eut davantage d’audience.

    Ces poèmes publiés en1874 ont été écrits en 1872 et 1873, c’est à dire à l’époque où il quitte son foyer malgré son récent mariage avec Mathilde et entame sa folle épopée avec Raimbaud sur qui il tire deux coups de pistolet, ce qui l’envoie en prison pour deux ans à Mons. C’est d’ailleurs dans sa cellule qu’il reçoit les premiers exemplaires de ce recueil.

    Ces textes épousent l’itinéraire de ces deux poètes quelque peu marginaux, retracent leur épopée amoureuse (« Ariettes oubliées ») avec peut-être un peu de regret de celle qu’il a abandonnée (VII) et dont il souhaite de pardon (IV) On peut même voir dans la V° une allusion à peine voilée au piano dont jouait sa belle-mère, férue de musique et sûrement aussi à Mathilde. Il parle d’ailleurs du « boudoir longtemps parfumé d’Elle ». Regrette-il à ce moment ce foyer dont il a tant rêvé dans « La bonne chanson » ? Dans la VII° « O triste triste était mon âme, A cause à cause d’une femme » on peut y voir la marque de ce remords, de cette volonté de solliciter son aide, peut-être ? Ces textes portent la marque du talent et de l’influence de son ami notamment lorsque Verlaine dans la VI° évoque « le chien de Jean Nivelle », Rimbaud lui ayant communiqué son goût pour les chansons populaires. Verlaine abandonne ici l’esthétique du Parnasse qui lui servit de boussole à ses débuts.

    Comme une transition avec ce qui va suivre, ces ariettes se terminent sur des descriptions de paysages. C’est en effet l’évocation des villes de Walcourt, de Charleroi, de Bruxelles et de Malines qui témoigne de leur itinéraire belge. L’Angleterre lui succédera. Voilà que Mathilde, en juillet 1872, part pour Bruxelles accompagnée de sa mère dans le but évident de reconquérir son mari ; « Birds at night » relate cette entrevue dans un hôtel puis dans un dans un jardin public, Verlaine lui réitère son amour, l’accuse un peu de ne l’avoir pas compris («  Vous qui fûtes ma Belle, ma Chérie, encor que de vous vienne ma souffrance ») , l’invective même dans « Child wife », justifie sa fuite et la quitte. Avec « Aquarelle » il est en Angleterre et il écrit encore pour Mathilde, mais le destin est en marche et il est implacable !

    De tout ce recueil Verlaine fait entendre la musique de son vers, son aspect « impair », ses descriptions, les couleurs quelque peu estompées et qu’on peut apparenter à l’ « impressionnisme » . Pour autant, j’en retire une sorte d’impression assez malsaine où Verlaine exprime son désarroi devant les choses d’une vie dans laquelle il a du mal à se glisser. Il relate un parcours un peu chaotique, ses amours avec Rimbaud et ceux avec Mathilde, une situation assez ambiguë, une unité assez difficile à trouver qui témoigne de son mal-être. Il n’abandonne pas la rime adopte des métriques différentes, parfois même étonnantes ce qui montre sa soif de liberté dans le domaine de la poésie comme il l’exprime dans son « Art poétique ». Cela annonce le vers libre qui s’épanouira plus tard, mais il reste sur cette position assez traditionnelle. Cette époque d’après la Commune, correspond à sa rupture avec le Parnasse. Pour autant il émane de ces textes une immense tristesse, celle peut-être de n’avoir pas sa place en ce monde, celle peut-être d’avoir définitivement perdu Mathilde même s’il n’était pas très sûr de l’aimer, triste de voir l’escapade amoureuse avec Rimbaud tourner court, triste peut-être de ne plus être capable d’aimer personne et de n’être pas capable de dominer la violence qu’il porte en lui et de ne pouvoir que s’abandonner à ses démons.

     

  • Sagesse

    N° 1454- Avril 2020.

     

    Sagesse – Verlaine.

     

    Ce recueil, paru en 1881 à compte d’auteur, a été écrit par Verlaine (1844-1896) soit en prison soit après la captivité. Il témoigne de son retour à résipiscence, un itinéraire intime vers Dieu. Quand il en commence la rédaction, nous sommes en juillet 1873, Verlaine a perdu son poste à l’Hôtel de ville de Paris, s’est remis à boire et après avoir tiré sur Rimbaud avec qui il a eu une liaison tumultueuse, il est en prison à Bruxelles puis à Mons et évoque sa geôle (« Le ciel est par dessus le toit »), se désole de son sort, se posant en malheureux (« Gaspart Hauser chante ») . Elles sont loin les bonnes résolutions et les serments d’amour exprimés dans « La bonne chanson »(1870) dédiée à Mathilde qu’il a épousée quelques mois et où il rêve d’une vie paisible avec elle. Pourtant il les réitère, entre habileté en candeur (« Écoutez la chanson bien douce ») mais, malmenée par son mari, elle obtiendra leur séparation puis le divorce plus tard. Libéré, il poursuivra un parcours chaotique entre scènes violentes, condamnations pénales, rechutes dans l’alcool, séjours à l’hôpital, liaisons houleuses, errances puis reconnaissance de ses pairs comme « Prince des poètes » en 1894, mais il meurt dans la misère. Ce recueil, publié après une longue période de silence, a été publié dans l’indifférence générale et il faudra attendre la mort de l’auteur pour qu’il soit reconnu comme un chef-d’œuvre puisque notamment on y retrouve toute la musique du vers de Verlaine.

     

    Revenons à ce recueil qui atteste de sa conversion religieuse. Est-ce un authentique parcours mystique comme on l’a dit, une tentative de résilience, l’usage de l’écriture comme un exorcisme face à l’adversité ? Je note, même s’il existe des vers d’une métrique différente, que l’usage majoritaire de l’alexandrin dans ce recueil peut donner une note de sincérité dans sa démarche. Sa scansion a quelque chose de religieux, à tout le moins à mes yeux. Abandonné, emprisonné, il débute son recueil par une sorte d’allégorie médiévale où le Malheur, la souffrance, l’ont aidé à connaître l’amour divin(« Bon chevalier masqué ») puis c’est un dialogue entre Dieu et son âme humble de pécheur, (« Mon dieu m’a dit ») et, à longueur de poèmes, il confesse sa faiblesse, chasse les péchés pour privilégier obéissance à Dieu et louer son action (« Ah, Seigneur, qu’ai-je ? Hélas »), évoque la foi catholique, en appelle à Marie, aux chrétiens célèbres, à la foi des bâtisseurs de cathédrales…

     

    J’en reviens à la question posée. Il n’est évidemment pas question de nier le chef-d’œuvre que l’auteur nous a laissé, ni l’immense apport qui fut le sien à la poésie. Il est, lui aussi, à mes yeux un exceptionnel serviteur de notre belle langue française et redécouvrir la poésie à travers lui est toujours une démarche enrichissante. Verlaine était baptisé, élevé dans une famille bourgeoise catholique. Même s’il a un peu oublié le message religieux avant son incarcération, il est parfaitement plausible que, dans l’état de déréliction qu’il connaissait alors, il se soit tourné vers Dieu. Cette expérience n’est pas unique, bien au contraire et elle a même donné de grands mystiques, mais dans son cas, la liberté retrouvée, il a renoué avec ses vieux démons. On peut toujours changer d’avis, certes la chair est faible, mais quand même !Fut-il sincère dans sa démarche vers Dieu. C’est possible et cette sorte d’extase spirituelle qui apparemment fut la sienne eut des prolongements dans sa volonté de reconquérir sa femme («Écoutez la chanson bien douce »)et ainsi de rentrer dans le rang de l’époux traditionnel, d’avoir avec Rimbaud des relations plus apaisées (« Aimons-nous en Jésus » lui écrit-il, tentant vainement de le convertir), et d’effectuer un séjour à l’abbaye de Chimay, mais il est possible aussi que ce parcours vers Dieu ait atteint ses limites et l’ait déçu. Verlaine était un poète, certes peu célèbre et reconnu seulement sur le tard mais qui aspirait à la consécration. Qu’il ait puisé dans cet épisode délétère de sa vie pour nourrir sa créativité n’a rien d’exceptionnel et cela peut mettre en lumière la force cathartique de l’écriture qu’il ne faut pas négliger. Il a publié ce recueil chez un éditeur catholique et non chez Lemerre comme précédemment, sans doute pour donner plus d’ampleur à son message.

     

    ©Hervé Gautier http:// hervegautier.e-monsite.com

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